M. le Métropolite Emmanuel, président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France

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- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous accueillons M. le Métropolite Emmanuel, président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France.

M. le Métropolite Emmanuel, président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France. - Je vous remercie de nous donner la possibilité de présenter notre point de vue. Je suis à la fois évêque et pasteur. Je veux parler du mariage, ou acribie , tel qu'il est défini dans le droit canon orthodoxe, et aussi évoquer la démarche pastorale. En tant que responsable religieux, j'apprécie le dialogue : je suis convaincu que par lui nous pouvons construire une société plus pacifique, garante des principes républicains. Ceux-ci ne sauraient entrer en conflit les uns avec les autres. Or nous redoutons que la présente évolution législative ne vienne fragiliser le socle démocratique.

Nous devons avoir une attitude nouvelle vis-à-vis de l'altérité et de l'homosexualité. Mais le Gouvernement, au nom du principe d'égalité, veut faire entrer tout le monde dans le même moule juridique et sociétal. Ce texte suscite confusion, clivages, divisions. Il modifie en profondeur les normes traditionnelles de la famille et de la filiation, de la transmission, de l'identité. Nous comprenons les craintes des nombreux Français qui manifestent leur opposition au projet de loi. Il procède d'une louable intention mais il a des conséquences sociétales considérables, bien au-delà des revendications des personnes en faveur du mariage des personnes de même sexe.

Le débat sur le mariage n'est pas la prérogative des seules religions. Nous voulons cependant faire valoir notre définition du mariage, qui n'est pas propre à notre foi mais renvoie à cette donnée naturelle : la vie est transmise par l'union d'un homme et d'une femme, aucune loi n'y changera rien. La procréation trouve sa justification morale, spirituelle et juridique à l'intérieur du mariage. Chez nous, d'ailleurs, le sacrement du mariage insiste sur la filiation.

Il est indispensable de maintenir le lien entre la réalité maritale du couple et la filiation. En outre, l'égalité des droits n'impose pas la négation de la différence sexuelle ! Les couples homosexuels et hétérosexuels ont les uns et les autres leurs particularités, nous sommes obligés de les qualifier différemment, sans que cela soit discriminatoire. Nous reconnaissons la différence ; nous avons à coeur de promouvoir une attitude aimante et compréhensive, prenant en compte les évolutions de la société. En langage chrétien cela s'appelle la pastorale.

Nous sommes inquiets des conséquences de ce texte, notamment de la confusion qui pourrait apparaître entre la pratique et le genre. Revenons au principe de réalité et à son point de départ : non pas l'étude de la société, mais la description de la nature et de la biologie. Nous récusons aussi les théories du genre.

La valeur de l'égalité de tous devant le mariage ne doit pas devenir une abstraction. L'égalité se conjugue de diverses façons ; on aurait pu rechercher des aménagements sans dénaturer le sens du mot mariage. La société est en perpétuelle mutation, mais il existe déjà des structures, comme le Pacs, afin que des personnes de même sexe puissent organiser leur vie commune. Nous comprenons que ces revendications ne portent pas tant sur la reconnaissance des couples homosexuels, que sur l'accès à la parentalité.

Cependant, il n'est ni discriminatoire, ni désobligeant, de remarquer que deux hommes ou deux femmes ne peuvent procréer. La nature est ainsi faite : il faut un homme et une femme pour que l'enfant paraisse. C'est un paradigme biologique. Certes, l'adoption et la PMA sont reconnues pour les couples hétérosexuels, mais uniquement lorsque la nature ne peut faire son oeuvre. Il ne s'agit pas de contourner une impossibilité naturelle, mais bien de suppléer à l'imperfection d'un créé qui s'inscrit sans le temps et dans la limité d'une matérialité déchue. Nous demandons que cette question soit replacée sur le plan de l'éthique médicale.

Les couples de même sexe désirant un enfant devront le faire faire. Il est important de savoir où nous plaçons la limite. Le rapport parent-enfant connaît une mutation qui pourrait dénaturer les qualités de l'enfant en tant que personne. Nous sommes préoccupés par l'intervention de mères porteuses et par les considérations mercantiles qui s'y attachent.

Laissons aux psychiatres le soin d'étudier l'impact que cela pourra avoir sur la construction de l'enfant. A notre niveau, nous considérons que le mensonge sur les origines de l'enfant est un crime, qui le coupe de son histoire personnelle.

Les conséquences sociales (fragilisation de la famille, de l'enfant, confusion mentale), culturelles (révolution dans le vocabulaire, crise du sens, crise des archétypes) et administratives ne nous semblent pas avoir été toutes prises en considération.

La référence biblique est une donnée constitutive de notre civilisation. Ouvrir le mariage aux couples de même sexe, c'est supprimer la référence à l'image biblique du couple homme et femme, qui perpétue le genre humain à travers l'enfant.

L'existence des communautés religieuses et philosophiques est une réalité objective dans notre pays et je me réjouis que le Sénat le reconnaisse en entendant notre parole aujourd'hui. Mais nous attendons plus de la part du législateur. Les diverses communautés sont unanimes à souligner les dangers d'une telle réforme et à manifester une attitude très critique. Par esprit de responsabilité à l'égard de notre foi, mais aussi en tant que citoyens, nous formulons quelques recommandations.

Il convient de retirer ou, au moins, de suspendre l'examen de ce texte pour ouvrir un large débat national, apaisé, afin de passer en revue toutes les solutions juridiques. Nous craignons que le vote de ce projet de loi, sans véritable débat, ne crée un nouveau tabou dans la société française. Nous préconisons l'organisation d'un référendum et l'étude de toutes les conséquences de ce texte, ainsi que des conséquences liées à l'ouverture de la PMA aux couples de même sexe.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Tout ce qui concerne les filiations médicales sera renvoyé à un autre texte. Quant au débat à la demande de la commission des lois et avec l'accord du Gouvernement, l'examen en séance publique est repoussé d'un mois, ce qui nous donnera plus de temps pour les auditions et nous permettra de mener un travail plus approfondi.

Nous avons voulu écouter les représentants des cultes séparément et non pas au cours d'une même table ronde, où toutes les sensibilités n'auraient pu clairement s'exprimer.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - Certains de vos propos ont été durs. Qu'est-ce qui fait problème dans ce projet ? Pour ceux qui ne sont pas concernés par l'homosexualité, rien ne change. Il ne s'agit que d'accorder des droits supplémentaires.

Vous parlez de la nature qui fait son oeuvre. En tant que femme, je suis heureuse que la nature soit parfois contrecarrée et je remercie le législateur qui a adopté la loi sur la contraception et la loi sur l'IVG. La nature n'était pas bonne lorsqu'elle faisait mourir les femmes en couche, lorsqu'elles avaient dix à quatorze enfants...

Je suis d'accord avec vous : ce n'est pas bien de mentir aux enfants. Mais quand ils sont élevés par deux femmes ou par deux hommes, comment leur mentir ? Ils savent tout.

M. Jean-René Lecerf . - Nous avons été marqués, cet après-midi, par l'attitude identique des principaux cultes. De telles convergences sont peu courantes. Cela vous a-t-il surpris ? Cela ne vous inspire-t-il pas l'idée d'une autorité morale et religieuse où les différents cultes s'exprimeraient d'une seule voix ?

M. Charles Revet . - Merci pour votre témoignage qui rejoint en effet la préoccupation extrêmement forte des autres religions. Vous dissociez l'attitude à avoir à l'égard de nos concitoyens qui ont fait le choix de vivre leur homosexualité et les notions de mariage et de filiation, qui ont fondé la société et ses valeurs. Actuellement, pour qu'il y ait mariage religieux, il faut un mariage civil. Dans l'hypothèse où le projet de loi serait voté, ne faudrait-il pas dissocier le mariage religieux d'une union civile, sorte de Pacs amélioré ?

Le dictionnaire rend compte du vécu des siècles : le mariage, c'est un homme, une femme, en vue de la procréation !

Je n'appelle pas mariage une union qui n'apparie pas un homme et une femme. L'actuel débat de société, je le regrette, crée une division forte dans le pays.

M. Gérard Larcher . - Merci d'inviter des membres d'autres commissions à ces auditions. L'orthodoxie est présente dans de nombreux pays. Il existe une diaspora orthodoxe, y compris dans des pays qui ont autorisé le mariage entre personnes de même sexe. Quelle expérience en tirez-vous ? Quel est le regard du patriarche Bartholomé, sachant que l'autocéphalie orthodoxe ménage aussi des capacités de réponses nationales ?

M. le Métropolite Emmanuel . - Mon intention n'est pas d'utiliser la langue de bois ni d'être dur, mais d'exprimer la position de l'Eglise que je représente. Il y a des opinions différentes, il faut l'accepter.

Il est bon d'avoir la possibilité de dialoguer. Certes, la procréation n'est pas uniquement affaire de nature. Dieu nous a aussi donné un cerveau, à nous de l'utiliser.

Le patriarche Antonopoulos a un jour déclaré, à propos du préservatif : « l'Eglise n'entre pas dans la chambre à coucher des gens ». L'homme se distingue de l'animal par le fait qu'il n'est pas livré à ses désirs. Si un homme et une femme forment un couple dans le mariage, ils peuvent avoir des enfants. Un couple homosexuel ne peut avoir d'enfant de manière naturelle.

M. Charles Revet . - Bien sûr !

M. le Métropole Emmanuel . - Sur le mensonge à l'enfant, je le répète, je crains des effets psychologiques.

Nous ne nous sommes pas mis d'accord entre représentants des cultes, mais à part le bouddhisme qui ne s'est pas exprimé clairement, nous avons tous la même position. Nous ne formons pas un front commun, nous ne nous sommes pas concertés à l'avance, mais finalement nous sommes d'accord...

Nous vivons dans un pays dont nous devons respecter les lois. Nous vivons en France et acceptons donc de ne célébrer un mariage religieux qu'après un mariage civil. Soyons clairs, nous ne célébrerons pas de mariage homosexuel. Je ne puis même pas dire que nous acceptons le terme de mariage dans ce cas-là... La laïcité ne va pas imposer des règles aux cultes.

Dans les pays qui ont adopté ce genre de législation, l'Eglise orthodoxe a une position très ferme. L'approche pastorale, qui concerne les personnes elles-mêmes, est différente : l'église accueille tout le monde. Notre communauté comprend des homosexuels, il n'est pas question de les mettre à la porte. Pour autant, nous ne célébrerons pas ces unions, contraires à notre position biblique. Il est possible d'améliorer le Pacs ou de prévoir une autre forme d'union, mais le terme « mariage » ne peut être utilisé dans ces cas-là.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Merci.

M. le Métropolite Emmanuel . - Merci pour votre écoute.

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