Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, et Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille

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M. Jean-Pierre Sueur , président . - Mes chers collègues, je vous remercie d'être venus si nombreux de toutes les commissions à cette audition. C'est le signe de votre intérêt pour le texte relatif au mariage pour tous, mais aussi pour les deux ministres ici présentes, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, et Mme Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille, à qui je souhaite la bienvenue en votre nom à tous.

Avec le rapporteur de la commission des lois, Jean-Pierre Michel, et la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, Michelle Meunier, nous avons d'ores et déjà mené une trentaine d'heures d'auditions, et notre programme n'est pas fini. C'est le signe que le Sénat tient à se donner le temps nécessaire pour mener à bien ses travaux. Dans cette perspective, l'examen du texte en séance publique a été reporté.

J'ajoute que nous avons mesuré l'engagement que vous avez toutes deux exprimé lors des débats à l'Assemblée nationale.

Sans plus tarder, je donne la parole à Mme la garde des sceaux, pour un exposé liminaire d'une dizaine de minutes.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice . - Monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous remercier de votre présence et de l'intérêt que vous portez au projet de loi. Au demeurant, cet intérêt n'est pas récent puisque je sais que de nombreux membres de la Haute Assemblée ont déjà travaillé sur le sujet ou sur des questions voisines.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je présume, connaissant les habitudes du Sénat, que vous avez suivi les travaux de l'Assemblée nationale et pris connaissance de la version du texte adoptée par les députés.

Je rappelle que le projet de loi est marqué du sceau de l'égalité, comme l'ont très clairement souligné le président de la République et le Premier ministre. Les dispositions qu'il renferme ne suppriment rien de l'institution du mariage telle qu'elle existe dans notre pays, et qui a été récemment modifiée par plusieurs textes de loi, améliorant l'égalité au sein du mariage et l'égalité de traitement des enfants. Au contraire, certaines dispositions introduites dans ce texte bénéficieront aux couples hétérosexuels.

Les travaux de l'Assemblée nationale ont débuté par les interventions en discussion générale, qui ont permis aux uns et aux autres d'exprimer leur appréciation globale concernant le projet de loi. Par la suite, la discussion des articles s'est poursuivie durant presque deux semaines, avec l'examen de 4 999 amendements. Seuls 17 d'entre eux ont été adoptés. En effet, la plupart des amendements n'étaient que de simples supports à la discussion, dans la mesure où ils ne tendaient qu'à supprimer tout ou partie d'un article ou d'une application de dispositions interprétatives sur des articles du code civil.

J'apporte cette précision non pour dévaloriser les amendements déposés, mais simplement pour expliquer le ratio entre le nombre des amendements défendus et celui des amendements adoptés : plus de 90 % des amendements n'avaient pas vocation à être adoptés, pas même pour leurs propres auteurs.

Les dispositions retenues au titre de ce texte s'inscrivent dans le périmètre que le projet de loi gouvernemental avait déjà déterminé, à savoir l'ouverture du mariage et de l'adoption à droit constant aux couples de même sexe, c'est-à-dire dans les mêmes conditions de consentement et d'âge, et avec les mêmes prohibitions.

Ces interdictions concernaient l'inceste et les mariages consanguins. Elles ont été étendues aux couples de même sexe. Ainsi, la prohibition du mariage entre oncle et nièce se double désormais d'une interdiction du mariage entre oncle et neveu.

Les conditions de sécurité juridique et de protection sont les mêmes pour les conjoints, particulièrement pour le conjoint ou la conjointe le ou la plus vulnérable, ainsi que pour les enfants.

La disposition essentielle, l'épine dorsale de ce texte, c'est l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe. La commission des lois de l'Assemblée nationale a apporté des modifications, et je vais indiquer en substance lesquelles.

Le texte prévoit une disposition de droit international privé qui permet de déroger à la loi personnelle. Le projet de loi précisait « sous réserve des engagements internationaux de la France », mais la commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité supprimer ce membre de phrase. Cela ne change rien dans la mesure où, de toute façon, les conventions internationales s'imposent à nous et sont supérieures, dans la hiérarchie des normes, à notre droit interne. Il revient donc absolument au même de les mentionner ou pas.

La dérogation à la loi personnelle permet que le mariage entre un Français et un étranger ou une Française et une étrangère puisse être célébré même si le pays d'origine de l'étranger ou de l'étrangère ne prévoit pas la possibilité du mariage pour des couples de même sexe.

En ce qui concerne le nom patronymique, le projet de loi initial ne visait que les couples homosexuels, mais la commission des lois de l'Assemblée nationale a préféré instaurer une disposition à caractère général. Vous le savez, ce sujet a été discuté en séance publique, et il est probable que le Sénat souhaitera approfondir cette discussion lorsqu'il abordera les conditions d'attribution du nom patronymique en cas d'absence de déclaration par les parents.

Par ailleurs, quelques dispositions symboliques mais fortes ont été introduites. L'une rappelle le rôle de contrôle, et de surveillance en général, du procureur de la République ; une autre rappelle que l'institution du mariage est une cérémonie républicaine et que c'est en cette qualité que les officiers d'état civil la célèbrent en mairie.

Des dispositions ont également été introduites concernant l'autorité parentale et l'adoption.

Le texte vise à protéger les enfants qui vivent déjà au sein de familles homoparentales, à leur apporter une véritable sécurité juridique. Il permet, par l'adoption, l'exercice conjoint de l'autorité parentale. Jusqu'à présent, seule était possible la délégation de l'autorité parentale, dite délégation partage. En cas de décès, le conjoint survivant pourra donc continuer à exercer l'autorité parentale. Jusqu'alors, cette possibilité dépendait d'une décision du conseil de famille et le conjoint survivant pouvait éventuellement être désigné en qualité de tuteur. Le texte permet également à l'enfant, ou aux enfants, d'hériter des deux parents. Enfin, il permet au juge d'intervenir en cas de divorce et de prendre des décisions qui protègent l'intérêt des enfants.

La petite loi introduit également la possibilité pour le juge de décider du maintien des liens d'un enfant, ou des enfants, avec des parents, en cas de séparation intervenue avant l'entrée en vigueur de la loi. Alertés, notamment par des parlementaires, nous avons souhaité couvrir la situation d'une séparation ayant déjà eu lieu. Compte tenu du fait que la sécurité juridique que je viens d'évoquer n'était pas assurée à ces couples, le juge pourra décider le maintien des relations, s'il l'estime nécessaire à l'intérêt de l'enfant ou des enfants.

Des dispositions concernant la reconnaissance d'un mariage célébré dans un pays qui reconnaît déjà le mariage pour les couples de même sexe ont également été introduites. Les effets de ce mariage sont reconnus d'emblée à partir de la promulgation de la loi, si le Parlement l'adopte. Les effets vis-à-vis des époux, des enfants et des tiers ne seront reconnus qu'après transcription de ce mariage dans le registre d'état civil français. Il est entendu qu'aussi bien la validation du mariage - les conditions d'âge, de consentement, de prohibition - que sa transcription sont soumises aux dispositions du code civil.

Par ailleurs, les dispositions du texte sont étendues aux collectivités d'outre-mer. Celles qui relèvent de l'identité législative savent que la loi s'appliquera directement ; pour les collectivités qui relèvent de la spécialité législative, il était nécessaire de préciser que la loi sera également applicable.

D'une façon générale, ce qui a le plus longuement fait débat, vous le savez, c'est la disposition interprétative que la commission des lois a introduite dans le texte et qui inscrit au début du livre Ier que, lorsqu'il s'agit de couples de même sexe, toutes les occurrences des mots père et mère, grand-père et grand-mère doivent être interprétées comme époux, conjoint ou parents.

Le Gouvernement avait fait un autre choix d'écriture, celui de relever de façon exhaustive les modifications nécessaires au sein du code civil et les dispositions de coordination indispensables dans les autres codes, lois et ordonnances. Cela avait abouti à introduire des modifications dans le titre IX, qui contenait déjà d'ailleurs la notion de parents et les notions d'époux et de conjoints, par les dispositions de coordination que le Gouvernement avait décidé de recenser. Le titre VII, qui concerne la filiation légalement établie, celle des familles hétéroparentales, restait donc inchangé.

Ces modifications ont été envisagées dans un souci d'efficacité : il faut que toutes les mesures relatives au mariage et à l'adoption puissent être appliquées à partir du moment où cette institution sera ouverte aux couples de même sexe. Le Gouvernement a eu le souci de recenser de façon exhaustive les modifications nécessaires pour que la loi soit applicable et ne devienne pas une source de complication pour les citoyens.

La commission des lois de l'Assemblée nationale a choisi une autre forme d'écriture, qui a été assez longuement discutée par les députés. Il vous reviendra de livrer votre appréciation.

Voilà, en substance, ce que contient la petite loi : le périmètre du projet de loi du Gouvernement a été maintenu et des dispositions ont été introduites pour enrichir le texte et régler un certain nombre d'inconvénients. Certaines dispositions auraient pu attendre le projet de loi sur la famille, mais, comme elles ne posaient pas de problème particulier, elles ont reçu l'approbation du Gouvernement, c'est-à-dire de nos deux ministères.

Cela étant, un certain nombre de sujets restent sur la table. Il appartiendra à la ministre déléguée chargée de la famille d'introduire dans le texte qu'elle vous soumettra en fin d'année - elle vous en précisera le calendrier - les dispositions nécessitant davantage d'approfondissement et éventuellement de discussions. Ces points ont d'ailleurs été évoqués pendant près des deux tiers du débat, alors qu'ils n'étaient pas dans le périmètre du présent projet de loi. Je ne pense pas que nous serons confrontés à cela ici, non seulement parce que les sénatrices et les sénateurs sont généralement plus patients et attendront plus volontiers l'examen du texte sur la famille, mais aussi - j'ai suffisamment l'habitude de cette assemblée pour le savoir - parce que le Sénat se préoccupe davantage des questions juridiques que des présupposés autour d'intentions putatives d'un Gouvernement qui ignorerait lui-même ses arrière-pensées.

Voilà l'essentiel en ce qui concerne ce texte. Nous nous tenons évidemment à votre complète disposition pour répondre à vos questions.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je salue Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, qui nous a rejoints.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille . - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale - Christiane Taubira le soulignait en conclusion de son intervention -, nombre de questions allant au-delà même du contenu du texte qui vous est soumis ont été évoquées.

Je prends cette interpellation comme le signe du très vif intérêt que les parlementaires portent à l'évolution des familles dans la société française. En effet, il s'est opéré, depuis les années soixante-dix, une révolution silencieuse qui fait que, aujourd'hui, il n'y a plus un modèle familial unique mais des modèles familiaux que les statistiques, dans leur brutalité, révèlent : un enfant sur deux naît hors mariage ; un enfant sur quatre ne vit plus avec ses deux parents ; un enfant sur cinq vit dans une famille monoparentale et un enfant sur neuf vit dans une famille recomposée.

Si je vous dis cela, c'est parce que le projet de loi, contrairement à ce qu'il a pu être dit, est aussi l'expression d'une revendication de la capacité à fonder une famille quelle que soit sa sexualité. A ce titre, comme le disait Mme la garde des sceaux, il est marqué par le sceau de l'égalité. En ce sens, il suppose non seulement une égalité des droits, mais aussi des devoirs. Cette aspiration à entrer dans une norme, en l'occurrence une norme juridique, a conduit cette revendication à se traduire aujourd'hui dans le cadre du projet de loi.

Je tiens aussi à dire que le projet de loi s'inscrit à la fois dans la lignée des réformes qui ont marqué le droit de la famille et dans la lignée des réformes qui ont concerné l'homosexualité. De la suppression d'un délit en 1981, on est passé à la création du PACS. D'ailleurs, n'oublions jamais que 96 % des PACS sont aujourd'hui conclus par des couples hétérosexuels. On voit donc bien que toute loi d'égalité est une avancée pour l'ensemble de la société.

Un autre point que je voudrais aborder, et qui l'a également été par Christiane Taubira, c'est le fait que le projet de loi est un texte de sécurisation juridique et de protection. Ce qui est réclamé, c'est aussi la volonté d'être protégé.

Nous n'avons aucun jugement de valeur à porter : le fait est qu'il y a, peu importent les chiffres, entre 40 000 et 300 000 enfants qui vivent dans des familles homoparentales dont on sait, en fait, qu'un seul des deux parents est aujourd'hui reconnu. On place donc ces enfants dans une situation d'insécurité et de précarisation en cas d'accident ou de décès de son parent biologique.

Il s'agit donc d'une loi d'égalité et de protection juridique. Le projet de loi ne crée pas de situation nouvelle ; il ne fait, au fond, que conforter et entériner des situations déjà existantes. Il est certes ouvert aux couples de même sexe, mais, d'une façon générale, il fait avancer l'ensemble de la société.

Les questions liées à la filiation qu'a soulevé le débat - qu'il s'agisse de la filiation biologique ou de la filiation sociale - ou celles liées au statut de parent social témoignent qu'il existe une véritable appétence pour que soit prise en compte, avec lucidité, l'évolution de nos familles dans leur très grande diversité.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Le Sénat aborde l'examen de ce texte avec sagesse et avec l'objectif de le travailler. C'est la raison pour laquelle nous avons commencé voilà trois semaines environ les auditions publiques, qui ont été suivies par un grand nombre de sénateurs. Chacune et chacun d'entre nous a donc pu se faire une idée des questions qui vont être débattues.

Bien sûr, certaines auditions n'ont pas suscité de surprise, la position de la personne ou de l'association entendue ayant déjà été largement exposée ailleurs. Cependant, concernant trois points au moins, nous avons entendu des idées nouvelles très intéressantes, dont certaines entrent dans le cadre du projet de loi, tandis que d'autres ont trait au projet de loi que Mme la ministre chargée de la famille est en train d'élaborer.

Nous examinerons, avec Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis, le texte tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale. Nous ne voulons pas alourdir ce projet de loi en prenant en compte d'autres considérations, qui ont été largement évoquées à l'Assemblée nationale et ailleurs. Elles ne figurent pas dans le texte qui nous est soumis et n'y seront pas davantage à l'issue des travaux du Sénat.

Nous ne voulons pas non plus couper ce texte, ni amoindrir sa portée. Nous le prenons tel qu'il est, mais examinerons très attentivement, dans le cadre de la discussion des articles adoptés, les points qui peuvent appeler quelques corrections techniques et juridiques, et nous engagerons une réflexion plus approfondie sur certains points que celle qui a eu lieu à l'Assemblée nationale, les débats ayant été, il faut bien le dire, agités - j'en ai connu d'autres à une certaine époque.

Certains des amendements du Gouvernement et des députés méritent donc peut-être d'être quelque peu ajustés. Nous nous y employons en collaboration avec le rapporteur de l'Assemblée nationale. Même si le Sénat amende ce texte, il suivra plus ou moins, me semble-t-il, les lignes directrices qui ont été retenues par l'Assemblée nationale.

Vous les avez vous-même évoqués, madame la garde des sceaux, trois points nécessiteront une réflexion plus approfondie et exigeront que nous y apportions des corrections : la filiation adoptive et le maintien des liens avec l'enfant - je n'entrerai pas dans le détail, mais vous comprenez à quoi je fais allusion -, les dispositions relatives au nom et, enfin, les dispositions de coordination, à propos desquelles nous essayons de trouver la meilleure des solutions possibles.

J'ai tendance à penser que l'article-balai sur le code civil est juridiquement assez fort ; par contre, l'autre me paraît plus faible. En tout cas, je le dis en tant qu'ancien magistrat, il laisse une liberté d'appréciation au juge que, personnellement, je ne peux pas admettre. Les juges ne doivent pas avoir une liberté d'appréciation totale. Or, au vu des dispositions adoptées, ce serait souvent le cas. Aussi, nous pensons peut-être introduire un système à l'espagnole, sous réserve que le Conseil constitutionnel ne vienne pas bousculer notre architecture.

M. Jean-Pierre Sueur président . - Peut-être pourriez-vous préciser, monsieur le rapporteur, ce qu'est un système à l'espagnole ?

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Il s'agit d'un système proche de celui appliqué en Espagne, qui ferait « masse » des deux articles de coordination et les érigerait en un principe général du droit inscrit en tête du code civil. Cela éviterait les discriminations dans la mesure où il faudrait se référer à cet article pour appliquer les textes, mais je n'en dirai pas plus aujourd'hui.

Je veux dire à Mme Bertinotti, ainsi qu'à Mme Taubira, que nous avons eu trois séries d'interventions intéressantes. Les premières, qui se poursuivront demain, concernent l'adoption.

Aujourd'hui, le statut de l'adoption n'est pas satisfaisant. Aussi doit-il être totalement revu pour tous les couples, quels qu'ils soient. Cela vaut tant en matière législative que, en pratique, pour ce qui concerne les décrets d'application. Lors de l'audition précédente a été évoquée la façon dont les agréments sont délivrés, celle dont les données sont prises en compte, etc. Cette question, qui a été longuement développée, devra, à mon avis, faire l'objet d'un débat. Les dispositions qui figurent dans le projet de loi seront maintenues, sous réserve de quelques modifications, mais l'ensemble devra être revu dans une réforme future. Tel est, en tout cas, le souhait de toutes les associations de parents adoptifs et de parents adoptants que nous avons auditionnées.

Par ailleurs, des auditions de professeurs de droit m'ont paru très intéressantes. Je ne parle pas de ceux qui sont favorables au texte ; je parle de ceux qui sont arrivés de façon neutre. A cet égard, je citerai Jean Hauser, professeur émérite de droit privé à l'université Montesquieu Bordeaux IV, et Florence Millet, maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise, qui sont des civilistes.

Selon eux, le Gouvernement a fait le choix du mariage. Certes, il aurait pu en faire un autre, mais c'est celui qu'il a fait. Personnellement, je suis d'accord avec le choix opéré par le président de la République lorsqu'il était candidat. Dès lors, il faut, nous ont-ils dit, que nous ayons le courage d'aller jusqu'au bout et que nous admettions dans le futur texte sur la filiation, qui intégrera, je pense, le projet de loi sur la famille et peut-être les modifications des lois de bioéthique, qu'il existe deux lignes de filiation pour tous les couples et même pour les familles monoparentales : une filiation naturelle, biologique, et une filiation volontaire.

Il faudra mettre toutes ces questions à plat, y compris celle des filiations issues de la procréation médicalement assistée, car nous sommes dans un monde où le sexe - mais pas seulement ! - et la procréation sont mondialisés : on le sait bien, il est possible d'aller à l'étranger pour bénéficier d'une procréation médicalement assistée - on choisit le pays en fonction de la somme d'argent dont on dispose - et on peut même choisir sur internet les méthodes de procréation médicalement assistée. Dès lors, veut-on laisser aller ce libéralisme mondialisé jusqu'au bout ? En d'autres termes, veut-on que les abus se poursuivent ? Veut-on que la loi ne puisse pas s'appliquer en France ?

Plus grave, même si certains parents y sont hostiles, au motif que ces familles savent qu'elles enfreignent la loi et qu'elles ne peuvent, à ce titre, bénéficier d'aucune rémission, que fait-on des enfants ?

Les enfants qui naissent de cette façon à l'étranger, « illégalement », n'y peuvent rien et sont aujourd'hui des victimes : ils n'ont pas d'état civil complet et n'avaient pas non plus de nationalité jusqu'à la parution de votre circulaire, madame la garde des sceaux. C'est pourquoi il faut encadrer ces pratiques. Pour ma part, c'est ce que j'ai toujours pensé - mais peu importe mon opinion personnelle -, mais c'est, en tout cas, ce que nous ont dit ces professeurs de droit. D'ailleurs, mes chers collègues, un certain nombre d'entre vous étaient présents à ces auditions très intéressantes.

Bien sûr, des débats devront avoir lieu. Je pense notamment au Comité consultatif national d'éthique. Chacun pourra s'exprimer et, ensuite, le Gouvernement et le Parlement prendront leurs responsabilités, comme ce fut le cas - je fais toujours ce parallèle, qui est un peu osé - lors de la légalisation de l'avortement. Même si les débats ont été très vifs sur ce sujet, on a finalement légalisé une pratique qui existait auparavant. Si tel n'avait pas été le cas, un nombre considérable de femmes auraient continué de mourir.

Enfin, l'Association des maires de France a proposé tout à l'heure un certain nombre d'amendements - j'en ai parlé avec les membres de votre cabinet, madame la garde des sceaux - auxquels je ne suis pas défavorable, sous réserve d'un examen plus approfondi. Nous devrons en discuter, mais l'un d'entre eux a été adopté à l'unanimité, me semble-t-il, par l'Assemblée nationale, tandis que les deux autres ont été rejetés. Ils visent à résoudre, sans le dire vraiment, le nombre infime de cas où il existerait une opposition frontale - ce n'est jamais souhaitable ! - entre les couples qui veulent se marier et l'officier d'état civil. Toutefois, ne pensons pas que, demain, dans tous les villages de France les plus reculés, des couples homosexuels vont se présenter à la mairie pour se marier.

Tels sont les points qui font l'objet de notre réflexion. Ma collègue Michelle Meunier va vous apporter des précisions complémentaires.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales . - En trois semaines d'auditions, nous avons entendu beaucoup de choses et, comme vous l'avez dit, madame la garde des sceaux, ce projet de loi ne supprime rien ; il permet de réparer une injustice. Toutefois, il a soulevé, madame la ministre chargée de la famille, bon nombre de questions liées aux situations diverses que vivent aujourd'hui les familles. Aussi convient-il peut-être de faire évoluer le droit en la matière.

Il a été question d'adoption, ainsi que l'a souligné M. le rapporteur. Nous avons parfois entendu des idées reçues ou des propos erronés sur l'adoption plénière et l'adoption simple.

La question de la procréation médicalement assistée a également été abordée. Certes, nous n'en sommes pas pour l'instant à ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale
- vous avez dit que les deux tiers des discussions avaient eu lieu en dehors du cadre du projet de loi ! La question de la reconnaissance du statut de beaux-parents, de coparent, de l'ami du conjoint a également été évoquée.

La question de l'adoption a appelé celle de la protection de l'enfance, dont l'adoption est l'une des formes. Nous avons entendu parler de délaissement et de protection, moins d'une manière technique que d'une manière politique au sens noble du mot. Sur ces sujets, je suis d'accord avec Mme la ministre chargée de la famille : un texte de loi est aujourd'hui nécessaire.

Ce projet de loi que vous allez présenter sur les modèles familiaux et sur les autres questions que je viens de soulever, pouvez-vous, madame Bertinotti, nous donner quelques indications à son sujet ?

M. Patrice Gélard. Madame le garde des sceaux, je n'adhère pas complètement à votre argumentation, même si je vous remercie pour la modération avec laquelle vous l'avez présentée. Au cours des débats en commission et en séance publique, nous aurons donc des positions différentes.

Vous avez salué la mesure et la sagesse du Sénat. Les sénateurs de l'opposition s'efforceront de conserver cette mesure et cette sagesse dans le débat. Vous comprendrez que je ne divulgue pas aujourd'hui les propositions que nous allons formuler ; mais je puis vous dire qu'elles n'ont pas encore été présentées, ni à l'Assemblée nationale ni pendant nos travaux, qu'elles sont nombreuses et qu'elles portent sur différents aspects du projet de loi.

Je suis parfaitement d'accord avec Jean-Pierre Michel pour reconnaître la nécessité absolue de revoir complètement le système de l'adoption, devenu inadéquat. Ce système ne correspond plus du tout à l'intention originelle du législateur, à cause notamment de l'intervention grandissante de Bercy sur le montant des droits de succession en matière d'adoption simple. Mesdames les ministres, ne pourriez-vous pas faire pression sur le ministère de l'économie et des finances pour que l'adoption simple retrouve le caractère qui était le sien, par exemple, dans l'entre-deux-guerres, ce qui n'est pas si loin ?

Cette parenthèse refermée, je souhaite poser à Mmes les ministres deux questions.

Madame le garde des sceaux, madame le ministre chargé de la famille, puisque vous avez soutenu que les couples hétérosexuels allaient retirer un avantage de la loi, pouvez-vous préciser en quoi consistera cette amélioration ?

Quant à ma seconde question, M. le rapporteur y a déjà répondu mais je la pose malgré tout : dans quelle mesure le Gouvernement est-il prêt à accepter un certain nombre d'amendements qui ne vont pas tout à fait dans le sens du texte adopté par l'Assemblée nationale ?

M. Jean-Yves Leconte . - Au cours de la discussion du projet de loi à l'Assemblée nationale, un amendement présenté par Corinne Narassiguin a introduit la possibilité pour de futurs époux vivant à l'étranger de venir se marier en France si le mariage des personnes de même sexe n'est pas autorisé dans le pays où ils résident. Cette disposition soulève le problème de l'obtention de visas pour venir en France ; d'ailleurs, cette question ne se pose pas seulement pour les couples de même sexe, mais, d'une manière générale, pour tous les futurs époux.

Ce droit étant créé, une disposition spécifique sera-t-elle prévue pour améliorer la situation de ce point de vue ? Le « mariage pour tous », ce doit être aussi le mariage pour les Français et les étrangers !

Le certificat de capacité à mariage, qui existe depuis 2006, pose de nombreux problèmes dans un certain nombre de pays, compte tenu de la qualité des états civils. Aujourd'hui, des familles sont séparées, soit que les couples n'aient pas pu se marier faute d'avoir obtenu le certificat, soit qu'après leur mariage la transcription ait pris des années.

Le projet de loi ne serait-il pas l'occasion de supprimer le certificat de capacité à mariage, de manière à permettre aux couples potentiels et aux couples mariés de vraiment vivre ensemble dans tous les cas ?

M. Christian Cointat . - Mesdames les ministres, vous avez reconnu tout à l'heure que les débats de société étaient passionnants, mais délicats. Je puis vous assurer que, dans ce domaine, si je me laisse inspirer par mes convictions personnelles, je ne me laisserai pas guider par elles, dans la mesure où je ne vois pas au nom de quoi le législateur que je suis pourrait imposer ses vues aux autres. C'est donc dans un esprit de tolérance et d'ouverture que j'aborde ce débat.

Comme mon collègue Jean-Yves Leconte, je représente les Français établis hors de France ; ma question, d'ordre technique, fait suite à celle qu'il vient de poser.

Le prétendu mariage dont on parle très souvent à propos de certains Etats est, en réalité, une simple union civile. Comment fera-t-on pour transcrire en droit français un acte établi dans un pays où il n'existe pas un véritable mariage, mais une union civile ?

Le projet de loi prévoit seulement, outre l'union libre et le PACS qui existent déjà, le mariage qui doit être étendu. L'union civile, régime intermédiaire en vigueur dans certains pays, n'existe pas dans le droit français. Dans ces conditions, que se passera-t-il en cas, non pas de conflit, mais d'inadaptation entre la loi française et la loi du pays où le mariage est célébré ?

Mme Cécile Cukierman . - Je vous remercie, mesdames les ministres, des propos que vous avez tenus. Comme nous avons déjà eu l'occasion de l'indiquer, notamment au cours de ces nombreuses auditions, nous sommes heureux que ce projet de loi existe. Il était attendu et il avait été annoncé lors de la campagne électorale du futur président de la République. Sans doute certains auraient-ils préféré qu'il soit présenté plus tôt ; toujours est-il qu'il est aujourd'hui en cours d'examen.

Ce projet de loi a fait naître un véritable débat, à l'Assemblée nationale mais aussi, plus largement, dans le pays. Parfois même, ce débat a quelque peu occulté d'autres faits d'actualité. Aussi est-il temps que nous aboutissions et que le texte soit voté, afin que nous retrouvions de la sérénité et que les homosexuels puissent avoir accès à ce droit qu'est le mariage.

Ce débat a permis de mettre en lumière les réalités vécues aujourd'hui par des femmes et des hommes qui, certes, ne constituent pas la majorité de la population, mais dont le nombre n'est malgré tout pas négligeable. Je pense également aux situations vécues par certaines filles et certains garçons. A ce propos, Jean-Pierre Michel a tenu des propos très justes. Nous devons avoir des principes et garantir des droits, mais il nous faut aussi prendre en compte les réalités qui existent et les encadrer afin de protéger celles et ceux qui doivent l'être. C'est, je crois, l'objectif que nous nous sommes fixé, du moins la plupart d'entre nous.

Ce débat traverse les générations et appelle d'autres discussions. Je souhaite, pour les débats suivants, que l'on prenne le temps nécessaire, mais aussi que l'on aboutisse. Nous avons besoin d'un projet de loi sur la famille qui traite des questions de la filiation, de l'adoption et de la procréation, de manière sereine, mais avec le souci d'aboutir le plus rapidement possible - dans la limite du raisonnable, bien sûr, car précipitation n'est pas raison.

Je ne ferai pas durer le suspense sur le positionnement de notre groupe : les sénateurs du groupe CRC seront nombreux à porter ce débat lors des deux semaines que nous y consacrerons au Sénat. Par leurs amendements, ils soulèveront un certain nombre de questions et feront des actes forts en vue des textes à venir. Solidaires de la logique que Mmes les ministres ont présentée, ils soutiendront le projet de loi.

Je dois dire que j'ai parfois été surprise de la violence de certains propos tenus dans les médias, notamment à la suite de rassemblements publics. En effet, le projet de loi n'impose rien, mais crée des droits nouveaux et de nouvelles protections. Nous le soutiendrons au nom des valeurs progressistes d'égalité que nous défendons pour toutes et pour tous.

M. Philippe Darniche . - Avant de formuler deux remarques à l'intention de Mmes les ministres, je tiens à souligner, pour répondre à Mme Cukierman, que les auditions se sont déroulées dans un climat de respect et qu'aucun propos n'a jamais été empreint d'homophobie. La sérénité n'est peut-être pas toujours la même dans les rassemblements publics, mais, pour ce qui concerne les travaux du Sénat, je suis confiant dans leur caractère sérieux et responsable.

Je suis extrêmement favorable à l'idée d'un nouveau texte sur l'adoption, simple ou plénière, car un véritable problème se pose dans ce domaine ; M. le rapporteur et M. Gélard ont eu raison de rappeler qu'il est essentiel.

Madame la garde des sceaux, le troisième mot que vous avez prononcé est « égalité ». Je me demande si cette notion, à propos de laquelle vous avez exprimé beaucoup de certitudes, n'est pas en réalité un piège. En effet, l'égalité ne consiste-t-elle pas à traiter de façon identique des objets identiques ? Un couple qui peut procréer et un couple qui ne le peut pas, est-ce la même chose ? L'égalité commande-t-elle de traiter également des situations différentes ? Mesdames les ministres, j'aimerais connaître votre sentiment à ce sujet.

Ma seconde observation concerne le problème des origines. Dans nos fonctions locales, nous sommes très fréquemment saisis de cette question essentielle par des personnes qui souffrent toute leur vie de ne pas connaître leurs origines. A cet égard, Mme Elisabeth Roudinesco, même si son audition a été belle sur le plan intellectuel, a formulé des avis que je ne partage pas tous.

Je le répète, le problème de l'égalité d'accès aux origines est fondamental. Le texte proposé par le Gouvernement risque d'augmenter considérablement le nombre de personnes - enfants, adolescents puis adultes - qui devront chercher leurs origines. Aggraver une situation déjà très douloureuse, est-ce bien le rôle de l'Etat ? Mesdames les ministres, quelle est votre position sur cette question ?

Mme Esther Benbassa . - Madame la ministre chargée de la famille, pourriez-vous nous dire quand le Gouvernement compte mettre en place la concertation sur la famille et élaborer la loi qui en découlera ? Il était prévu que ce texte soit prêt au printemps prochain, mais il me semble que tel ne sera pas le cas. Quand pourrons-nous discuter de la PMA et de la GPA ? J'attends des dates.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - A défaut du printemps, sera-ce à l'été, à l'automne, à l'hiver ?...

M. Jean-René Lecerf. Ma question n'a rien d'original. Elle porte également sur la PMA et la GPA, qui sont un peu ce qu'était l'Alsace-Lorraine entre 1871 et 1914 : « Y penser toujours, n'en parler jamais. »

A l'instar de M. le rapporteur, j'évoquerai les auditions des professeurs de droit que nous avons réalisées. Mes chers collègues, comme nous étions alors bien moins nombreux qu'aujourd'hui, je n'aurai pas trop de scrupules à vous lire une partie du compte rendu de leurs propos, qu'il s'agisse de M. Daniel Borrillo, lequel s'est clairement déclaré favorable à cette réforme, ou de M. Jean Hauser, plus réservé en la matière.

Selon M. Borrillo, « l'égalité suppose l'accès à toutes les formes de filiation pour tous les couples, ce qui comporte l'accès à la PMA ». Et il ajoutait : « Je suis également favorable à l'accès à la GPA pour tous les couples, comme l'avait proposé un rapport du Sénat en 2008 pour les couples hétérosexuels. »

Il poursuivait : « La discrimination actuelle est fondée sur l'argent : les femmes seules ou les couples homosexuels qui ont de l'argent peuvent aller en Belgique ou aux Etats-Unis : en Californie, une GPA revient à 40 000 dollars. Ceux qui ne les ont pas restent dans le cadre strict de la loi française. »

Que dit M. Hauser ? Il constate que « le marché de l'adoption est à peu près asséché » et en conclut que « si ces couples nouveaux qui veulent adopter veulent obtenir des enfants, inévitablement ils vont chercher à les faire eux-mêmes en recourant à la procréation médicalement assistée. Je ne suis pas un fanatique de la modification de la loi sur la PMA, mais elle sera inéluctable [...] ».

« Autre exemple : l'insémination artificielle avec donneur serait autorisée dans les couples de femmes. Soit, mais on sort alors du cadre de la stérilité pathologique. On entre pour ce type de couples dans la PMA de convenance. [...] Comment la refuser aux autres ? Comment expliquer que nous sortons de la PMA pour raison médicale pour les uns et pas pour les autres ? Pourquoi ne pas ouvrir, comme dans certains Etats américains, la PMA de convenance pour tout le monde ? »

S'agissant de la GPA, il nous dit que « l'enfant n'est pas le cheval de Troie des fraudes à la loi. » Il ajoute : « Quant à la gratuité, c'est une plaisanterie. Il y aura bien quelques grands-mères, quelques soeurs, puis, très vite, il y aura une rémunération [...] ».

Pour ma part, je suis de ceux qui n'ont vraiment aucune hostilité, bien au contraire, au mariage entre personnes du même sexe. A mes yeux, c'est une liberté supplémentaire, un droit de plus, que l'on accorde aux uns sans retirer quoi que ce soit aux autres. Cependant, si j'accepte à la fois le mariage pour tous et l'adoption pour tous, je serai inéluctablement amené, selon des autorités juridiques de tendance différente, à accepter la PMA et la GPA par simple convenance, à savoir une certaine forme de marchandisation des corps, ce que je refuse.

Comment peut-on faire, mesdames les ministres, pour éviter un tel engrenage ?

M. Yves Daudigny . - Je vous remercie, mesdames les ministres, de nous avoir présenté ce texte. Je soutiendrai sans réserve le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale.

Ma question est toute simple. Avant la France, d'autres pays ont autorisé le mariage de couples de même sexe. C'est le cas, depuis huit ans, de la Belgique et, depuis six ans, de l'Espagne. Des enseignements peuvent-ils être tirés des pratiques observées dans ces deux pays voisins géographiquement et dont les modes de vie ne sont pas si éloignés des nôtres ?

Mme Catherine Tasca. Mesdames les ministres, vous avez été très sages de distinguer ce texte de celui qui sera présenté plus tard et dont nous n'avons pour le moment débattu que très partiellement.

En effet, même en l'état, le texte sur lequel nous allons avoir à prendre nos responsabilités ouvre des perspectives qui demandent réflexion. Je pense, notamment, à la question de l'adoption.

A mes yeux, comme à ceux de nombreuses personnes, le mariage d'un couple de même sexe ne pose aucun problème. Il s'agit en effet d'un contrat entre deux adultes. L'autoriser, c'est une question non seulement d'égalité, mais aussi de liberté.

Quant à la question de l'adoption, qui est traitée dès ce projet de loi, elle pose problème. Nous nous devons d'apporter des réponses en la matière. On l'a dit, dans la majorité des cas l'adoption sera intrafamiliale, chacun pouvant adopter l'enfant de son conjoint, ce qui est éminemment souhaitable. Cette disposition apporte à l'enfant élevé dans un tel cadre une sécurité réelle.

En revanche, dans la mesure où le droit de l'adoption n'est pas modifié en profondeur, la distinction entre adoption simple et adoption plénière est conservée, ce qui pose véritablement problème.

En effet, l'adoption plénière s'inscrit dans l'histoire du droit de la propriété. Lorsque l'on a la chance de pouvoir adopter un enfant, celui-ci devient pleine propriété de ses nouveaux parents. Dans notre monde moderne, une telle conception me paraît choquante. Selon moi, il est donc important d'évoquer ce sujet.

Ma seconde observation concerne la nécessaire protection des enfants, une préoccupation qui devrait guider nos travaux sur le second texte en préparation. Depuis le début de la discussion sur le projet de loi visant à autoriser le mariage aux couples de même sexe, on a un peu l'impression d'être au pays des Bisounours !

Les couples homosexuels ne seront ni pires ni meilleurs que les couples hétérosexuels. Ce qui est difficile à vivre, c'est le couple, la famille, quelle que soit l'orientation sexuelle. Quand on commencera à repenser la famille, il faudra peut-être sortir de la vision quelque peu angélique qui, jusqu'ici, a guidé nos débats, pour s'attacher à travailler sur la protection de l'enfant. Aujourd'hui, c'est le désir des adultes qui fait la loi, qui crée le droit. A partir du moment où nous ouvrons des horizons, comme beaucoup semblent le souhaiter, il nous faut traiter très sérieusement cette question.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - La parole est à Mme la garde des sceaux, pour répondre à l'ensemble de ces questions.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos exposés. Vos questions ont porté sur le fond non seulement du texte, mais aussi de l'ensemble des sujets abordés.

J'ai surtout pris note des observations et intentions énoncées par M. le rapporteur et des indications complémentaires fournies par Mme la rapporteure pour avis.

Si j'ai bien compris, les amendements ne sont pas encore disponibles. Pourtant, il semble que vous ayez connaissance de ceux qui émanent de l'Association des maires de France...

M. Jean-Pierre Sueur , Président . - M. Pélissard nous a présenté tout à l'heure trois amendements, dont nous avons pu discuter.

Le premier a été adopté à l'Assemblée nationale.

Le deuxième vise à légaliser une pratique : il s'agit de confier à l'avance aux adjoints et conseillers municipaux délégués le soin de procéder au mariage.

Le troisième tend à donner au procureur de la République la possibilité d'enjoindre à un officier de l'état civil de procéder au mariage.

Tous les autres amendements seront examinés par la commission des lois le 20 mars prochain, ce qui signifie qu'ils auront été déposés avant le lundi précédent ; je ne connais pas encore la date à laquelle la commission des affaires sociales se réunira.

Nous disposons donc encore de trois semaines pour déposer des amendements et y réfléchir. Votre audition intervient en amont, madame la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs.

Monsieur Gélard, vous avez éveillé notre curiosité, peut-être même notre gourmandise, en nous promettant que l'UMP ferait des propositions. Nous les attendons bien sûr avec la plus grande impatience.

Vous avez exprimé la conviction selon laquelle il convient de revoir le système de l'adoption. Votre avis est manifestement partagé. Notre droit de l'adoption, il est vrai, a été construit par paliers, en tenant compte de ce que les juristes appellent la vérité sociologique, qui me paraît extrêmement importante. A une certaine époque, par exemple, l'adoption a été ouverte aux personnes célibataires, la réalité sociologique du pays justifiant que l'on permette à des femmes seules, notamment, d'adopter des enfants, en respectant certaines conditions.

La loi relative à l'adoption a été modifiée, enrichie, notamment en 1966, afin de bien définir l'adoption plénière et d'en déduire l'adoption simple. Je partage très volontiers l'idée qu'il faudrait peut-être repenser dans sa cohérence et son intégralité notre droit de l'adoption. C'est un chantier que nous aurons l'audace d'ouvrir prochainement.

Vous avez évoqué, en égratignant le ministère des finances, qui a le malheur d'être toujours à la recherche de recettes supplémentaires, un régime différencié entre les héritiers ayant bénéficié d'une adoption plénière et ceux qui ont fait l'objet d'une adoption simple. Dans le premier cas, l'exonération des droits de succession peut atteindre 650 000 euros, alors que ces droits sont majorés pour l'héritier par adoption simple. Il faut également savoir que la sécurité juridique de l'adoption simple est moindre, puisqu'elle peut notamment être résiliée. Tout cela plaide en faveur de la révision en profondeur du droit de l'adoption.

Reprenant mon propos introductif, vous m'avez également demandé, monsieur Gélard, quelles dispositions de ce texte seraient favorables aux couples hétérosexuels. Je peux vous en citer deux.

Il s'agit, tout d'abord, de la mesure visant à élargir à la résidence des parents des futurs conjoints ou conjointes les lieux de célébration du mariage. C'est une disposition qui, adoptée voilà deux ans dans un texte sur le contentieux, avait été censurée par le Conseil constitutionnel.

Pour dire les choses très clairement, le Gouvernement était réticent à une telle extension, parce qu'il craignait qu'elle ne soit considérée comme un assouplissement permettant aux maires de refuser de célébrer les mariages des couples de même sexe. Le Gouvernement s'étant très clairement engagé à ouvrir l'institution du mariage en tant que telle, avec ses obligations, ses droits, ses sécurités et ses protections, mais aussi avec sa charge symbolique, aux couples de même sexe, il ne voulait pas envoyer un signal contradictoire.

Cette disposition a donné lieu à de longs débats. C'est d'ailleurs un amendement de l'opposition, sous-amendé, qui a été adopté. Il est précisé que seuls les futurs époux peuvent demander à faire célébrer leur mariage dans le lieu de résidence de leurs parents. Le maire ne peut donc refuser de célébrer un mariage en s'appuyant sur cette disposition. Un tel aménagement profitera aux couples hétérosexuels.

Il s'agit, ensuite, d'une disposition relative à l'adoption : nous avons souhaité permettre l'adoption plénière d'un enfant déjà adopté par adoption simple. De même, nous permettons l'adoption simple d'un enfant qui a déjà fait l'objet d'une adoption plénière.

Ces dispositions, que nous avons introduites dans ce texte, serviront aussi aux couples hétéroparentaux qui adoptent des enfants. Ce ne sont là que des exemples, mais, je le répète, nous ne retirons rien aux couples hétérosexuels. Une réflexion est possible sur la disposition générale concernant le nom patronymique, mais ce n'est ni un retrait ni une soustraction. En revanche, incontestablement, ces deux dispositions serviront également aux couples hétérosexuels.

Monsieur Leconte, vous avez fait référence à la dérogation à la loi personnelle. Il ne s'agit pas pour des étrangers de venir se marier en France par convenance, dans la mesure où la condition de résidence est réaffirmée dans le texte de loi. Un étranger pourrait épouser un Français dès lors qu'il aurait sa résidence régulière en France. Lors des débats, des interrogations se sont effectivement fait jour sur les risques de « tourisme nuptial », mais nous ne sommes pas dans ce cas de figure, parce que la condition de résidence est maintenue ; ce texte de loi la réaffirme même.

S'agissant du certificat, j'entends votre interrogation. Sans doute la question se pose-t-elle dans certains cas précis. Je rappelle tout de même que, pour un mariage entre une Française et une étrangère ou un Français et un étranger, comme pour les couples hétérosexuels, le code civil pose un certain nombre de conditions, notamment de consentement et d'âge. Quand ces conditions ne sont pas remplies, même si le constat en est fait après le mariage, il s'agit d'une cause de nullité de celui-ci.

M. Jean-Yves Leconte . - Même dans le cas de mariages parfaitement valables au regard du droit français, un certain nombre de consulats mettent énormément de temps à les transcrire à l'état civil français. J'ai rencontré de nombreux couples qui, un ou deux ans après leur mariage, n'ont toujours pas obtenu sa transcription et qui, de fait, ne peuvent pas vivre en France ou demeurent séparés.

Les délais de délivrance du certificat de mariage ou d'obtention de la transcription sont très problématiques dans un certain nombre de consulats.

Mme Christiane Taubira , garde des sceaux. - Monsieur Leconte, vous avez parfaitement raison de signaler ces situations, mais celles-ci n'appellent pas, me semble-t-il, de dispositions législatives particulières, sauf à ce qu'on me démontre le contraire. Il faut voir ce qu'il en est des procédures et des pratiques suivies et identifier les pays éventuellement concernés.

M. Jean-Yves Leconte . -C'est vrai.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Monsieur Cointat, j'admets qu'il s'agit là d'un débat de société passionnel. Pour tout vous dire, ce débat est non seulement passionnel, mais aussi passionnant. (Sourires.)

M. Christian Cointat . - Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Chacun rentre en lui-même et s'interroge profondément.

J'ai apprécié votre entrée en matière. Vous nous avez en effet indiqué que ce n'était pas sur la base de nos seules convictions personnelles que nous écrivions le droit. C'est effectivement un point essentiel. La grande vertu des législateurs, femmes et hommes, c'est justement de s'élever au-dessus de leurs propres élans et de légiférer selon l'intérêt général, selon l'intérêt commun. C'est ce qui honore le plus le législateur.

S'agissant de la transcription des actes passés dans d'autres pays, notamment des actes d'union civile, le registre d'état civil transcrit les actes de mariage. L'union civile n'étant pas un acte d'état civil, il ne fait l'objet d'aucune transcription. Par conséquent, nous ne serons pas confrontés à ce problème. Même si, dans d'autres pays, un type d'union civile différente de notre pacte civil de solidarité existait, il n'y aurait pas lieu de se préoccuper de sa transcription à l'état civil.

En tout état de cause, je le rappelle, les articles 171-5 à 171-8 du code civil définissent bien les conditions dans lesquelles peut être transcrit un mariage célébré à l'étranger.

En revanche, dans certains pays, notamment dans les pays nordiques, le mariage est religieux.

M. Patrice Gélard . -Voilà !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Vous m'attendiez, monsieur Gélard ! (Sourires.)

Dans ces pays, c'est l'Etat qui a délégué à l'autorité religieuse la compétence, l'autorité pour célébrer les mariages, qui produisent des conséquences à caractère civil. C'est déjà le cas pour des mariages hétérosexuels ; ce sera le cas pour les mariages homosexuels.

Comme vous, législateurs sérieux, nous pensons que deux précautions valent mieux qu'une. C'est pourquoi nous avons procédé à des vérifications, dont nous attendons les retours. Les premières vérifications que nous avions faites m'ont permis de tenir les propos que je vous ai adressés à l'instant, mais, avant l'examen du projet de loi en séance publique par le Sénat, nous aurons confirmation ou infirmation de ces éléments. Dans le second cas, nous vous le ferons savoir, parce qu'il est hors de question que nous introduisions dans notre code civil des dispositions qui seraient sujettes à caution et qui ne respecteraient pas strictement le droit en vigueur.

Monsieur Darniche, l'égalité est-elle un piège ? Non, parce que la définition que vous avez donnée tout à l'heure est celle de la discrimination ou de la non-discrimination. L'égalité consiste à considérer que tout citoyen, quels que soient son apparence, ses origines, ses croyances, son sexe - on y pense de moins en moins - et son orientation sexuelle reste un citoyen. C'est cela, l'égalité. Elle consiste à ne pas créer des zones de non-accès à des droits sur la base de l'une de ces particularités, qu'il s'agisse de l'apparence, de la croyance ou, dans le cas présent, de l'orientation sexuelle.

Telle est en tout cas notre conviction. Et c'est sur le fondement de cette idée, selon laquelle l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe est un acte d'égalité, que nous avons rédigé ce projet de loi. Toutefois, j'entends qu'il puisse y avoir d'autres appréciations.

Madame Benbassa, puisque vous vous êtes adressée directement à Mme la ministre déléguée chargée de la famille, c'est elle qui vous répondra.

Monsieur Lecerf, vous avez cité les professeurs Daniel Borrillo et Jean Hauser, en précisant bien que le premier était très clairement favorable à la PMA et à la GPA, dans lesquelles il voit un enchaînement logique, et que le second, s'il y est plus réticent, y voit néanmoins le même enchaînement logique.

Surtout, vous nous demandez quelles dispositions nous pourrions envisager de prendre pour éviter cet engrenage. S'agissant de l'assistance médicale à la procréation, Mme la ministre déléguée chargée de la famille vous répondra sur la façon dont le projet de loi consacré à la famille abordera ce sujet, mais il est indéniable que ce dernier sera traité, parce qu'il est lié effectivement à une forme de filiation sur laquelle on peut s'interroger.

L'assistance médicale à la procréation est aujourd'hui réservée aux couples hétérosexuels stables, mariés ou non, sous deux conditions médicales non cumulatives : l'infertilité médicalement constatée ou le risque de transmission d'une maladie héréditaire grave. Il faut s'interroger effectivement sur l'extension éventuelle de cette assistance médicale à la procréation à des couples homosexuels et, éventuellement, aux femmes célibataires, puisque tous les pays qui ont ouvert l'AMP aux couples de femmes homosexuelles l'ont autorisée également aux femmes célibataires. Ce sujet fera débat et sera traité par le Comité consultatif national d'éthique, qui s'est autosaisi et qui a annoncé son rapport pour le mois d'octobre prochain. Mme la ministre déléguée chargée de la famille en dira plus.

Pour ce qui concerne la gestation pour autrui, vous savez que notre droit pose le principe de l'indisponibilité du corps humain : c'est l'article 16-1 du code civil. C'est un principe d'ordre public, ce qui signifie qu'il est absolu et ne souffre aucune exception.

Pour répondre à votre question sur l'engrenage, l'assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui sont traitées de manière différenciée. A partir du moment où la gestation pour autrui - c'est la position très claire et très ferme du Gouvernement - est soumise à ce principe d'ordre public d'indisponibilité du corps humain, tout engrenage est impossible.

Je me permets simplement de rappeler que, dans cette honorable maison, deux propositions de loi, dont une qui émane du groupe UMP - je pense donc que ses membres ont commencé à débattre du sujet -, ont été déposées en faveur de la gestation pour autrui.

Selon moi, de toute façon, les sujets de société doivent faire l'objet de débats, même s'ils suscitent beaucoup de passions. Nous devons avoir le courage de les affronter. Il n'existe pas de sujets de société qui doivent être considérés comme absolument inaccessibles à notre intelligence collective. Notre droit pose des principes, qui doivent être respectés, mais cela n'interdit pas les discussions.

Pour ce qui concerne la position du Gouvernement sur la GPA, je vous le dis très clairement, l'indisponibilité du corps humain est un principe absolu d'ordre public et le Gouvernement n'envisage pas du tout d'ouvrir l'accès à cette pratique.

Monsieur Daudigny, nous avons effectivement observé ce qui s'est passé en Belgique et en Espagne depuis, respectivement, dix ans et sept ans, me semble-t-il. Les mariages entre personnes de même sexe représentent entre 2 % et 2,5 % de la totalité des mariages. Nos sociétés étant culturellement et sociologiquement proches, nous estimons que nous devrions nous situer dans cette fourchette. Le Gouvernement s'interdit néanmoins toute projection ; c'est juste un repère, un ordre de grandeur.

En Belgique, des couples de même sexe ont pu recourir à des adoptions, y compris à des adoptions internationales, mais leur nombre n'est pas très élevé. Je n'ai pas le chiffre en tête, mais je pourrai vous le communiquer.

Madame Tasca, l'adoption, et cela se conçoit aisément, suscite des interrogations. Toutefois, je rappelle que notre droit civil est conçu de telle façon que le mariage emporte l'adoption.

Conformément à l'engagement, qu'il a tenu à ne pas réduire, pris par le président de la République, le Gouvernement n'a pas voulu concevoir un régime matrimonial réservé aux couples de même sexe. Il a souhaité ouvrir le mariage avec toutes ses conséquences, dont l'adoption. Cela suscite des interrogations, nous l'entendons bien, mais nous disons simplement qu'il existe déjà des familles homoparentales, parce que l'un des partenaires du couple est le parent biologique d'un enfant ou parce qu'il a adopté un enfant en qualité de célibataire.

Ces enfants existent, ces familles existent, et ce qui nous importe en priorité, c'est de leur apporter la sécurité juridique qui est due à tous les enfants de France. Le mariage apporte cette sécurité juridique, y compris en cas de divorce.

Je partage en effet votre avis : aucun élément statistique, scientifique ou empirique ne nous permet de penser que les couples homosexuels seront plus raisonnables, notamment en cas de séparation et de divorce, que les couples hétérosexuels, qui ont une propension assez forte à se déchirer à ce moment-là. L'intervention du juge protégera les enfants qui sont déjà issus de ces familles, lesquels bénéficieront d'un régime préservant leurs intérêts affectifs et matériels, aussi bien par le maintien éventuel des relations avec le parent qui n'aurait pas la garde que par le partage des responsabilités.

Je rappelle par ailleurs que l'adoption est ouverte aux couples de même sexe dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels. Aussi bien notre droit que nos procédures sont extrêmement rigoureux, voire restrictifs et contraignants - cela vaut d'ailleurs plus encore pour la procédure. Je rappelle que l'article 353 du code civil indique très clairement que l'adoption doit être prononcée selon l'intérêt de l'enfant.

Non seulement les dispositions de la convention internationale des droits de l'enfant s'imposent à nous, mais encore notre droit civil lui-même précise bien que c'est le juge qui prononce l'adoption après avoir vérifié qu'elle a lieu dans l'intérêt de l'enfant - la procédure d'adoption débute par la délivrance d'un agrément par le conseil général, après une enquête que certains considèrent comme étant particulièrement intrusive.

C'est dans ces conditions que des enfants sont adoptés par des couples homosexuels et mariés ; en la matière, il existe des sécurités, même si, bien entendu, cela n'assèche pas complètement les interrogations, qui sont d'un autre ordre.

J'ai entendu les observations qui ont été formulées sur le droit de propriété. Je ne sais pas s'il y a une trace ou une empreinte quelconque du droit de propriété sur l'adoption plénière, mais je considère que cette dernière présente une certaine sécurité. Certes, et c'est un point sur lequel on peut s'interroger, elle efface la filiation d'origine pour la remplacer par la filiation adoptive, mais, dans la mesure où elle est irrévocable, elle protège les enfants.

La démarche de l'adoption, de par sa nature même et compte tenu des difficultés qui lui sont inhérentes, ne relève ni de l'égoïsme ni du caprice : elle est nourrie par un projet parental.

Je ne suis pas en train d'idéaliser la situation, mais je considère que la demande d'adoption relève d'une démarche volontariste, qu'elle émane de couples hétérosexuels - ils constituent la majorité des couples adoptants - ou homosexuels. Pour adopter un enfant, il faut faire preuve de patience, se soumettre à des investigations, accepter toutes les procédures. Dans ces conditions, une telle démarche est l'expression d'un projet parental.

Certes, on ne peut exclure l'égoïsme ou le caprice, mais on ne peut soutenir pour autant que l'adoption réponde, d'une façon générale, à une démarche d'appropriation, de propriété, presque de confiscation, du moins je veux l'espérer. Elever un enfant au quotidien, c'est donner de l'amour, mais aussi affronter les difficultés, se contraindre, réorganiser sa vie. Si l'on tient la distance, c'est qu'il doit y avoir quelques belles raisons, et pas seulement un souhait de propriété. En tout cas, je veux le croire.

Telles sont, monsieur le président, les précisions que je souhaitais apporter, en vous priant de m'excuser d'avoir répondu un peu longuement.

M. Jean-Pierre Sueur , Président . - Pas du tout, madame la garde des sceaux. Je vous remercie de vos réponses.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée . - Certaines des questions qui ont été posées ne relèvent pas du présent projet de loi, mais j'y répondrai malgré tout bien volontiers, car elles sont fondamentales.

Comme je l'ai indiqué dans mon propos introductif, ce projet de loi nous offre une formidable occasion, celle de soulever, dans la sérénité, de nombreuses questions fondamentales, qu'il s'agisse de l'adoption, de la filiation, de la PMA ou de la recherche des origines. En qualité de ministre chargée de la famille, je ne peux que m'en féliciter, même si je me dois de vous mettre en garde sur le fait que certaines de ces questions sont indépendantes de l'orientation sexuelle du couple.

Il faut être très clair : on ne peut pas tenir un discours pour les couples homosexuels et un autre pour les couples hétérosexuels. Je souhaitais y insister.

Le projet de loi du Gouvernement vise à ouvrir le droit au mariage et à l'adoption aux couples de même sexe . Certaines questions qui ont été posées ne relèvent donc pas du présent projet de loi, mais elles auront leur place dans le futur projet de loi « famille », comme on le désigne aujourd'hui. Ce texte portera notamment sur les nouvelles filiations, donc sur les nouvelles parentalités.

J'en viens maintenant aux questions que vous avez soulevées, mesdames, messieurs les sénateurs.

En ce qui concerne la filiation, force est de constater que la filiation sociale est déjà une réalité. Comme je l'ai indiqué, un enfant sur neuf vit dans une famille recomposée. Il en résulte que certains enfants, dès leur plus jeune âge, sont élevés par un couple comprenant un seul de ses parents biologiques.

Or, aujourd'hui, l'autre parent n'a aucun statut. On demande que la société ait des repères, mais le droit reconnaît insuffisamment ou très mal ce parent dit « social ». Ce dernier est pourtant confronté à des difficultés de vie quotidienne très ordinaires. Ainsi, un parent social ne peut pas être responsable dans une fédération de parents d'élèves au titre de l'enfant qu'il contribue à élever avec sa compagne ou son compagnon.

Il faudra donc réfléchir à des mesures visant à apporter une sécurisation juridique et une protection tant à l'enfant qu'à l'adulte.

En ce qui concerne l'adoption, on l'envisage - enfin, serais-je tentée de dire - telle qu'elle se pratique aujourd'hui. Nous sommes ainsi amenés à réfléchir sur l'adoption internationale, qui est marquée par une restriction substantielle du nombre des enfants adoptés. Cette restriction est liée à des facteurs inhérents aux pays d'origine des enfants. Ces pays, qui sont aujourd'hui sur la voie du développement, souhaitent garder leurs enfants, y compris ceux qui sont adoptables.

L'adoption pose également la question de la protection de l'enfance, que vous avez aussi abordée. Il y a, en France, de nombreux enfants qui peuvent être adoptés. Pour autant, de par notre tradition de ne pas rompre les liens biologiques, beaucoup d'enfants - je le dis clairement - errent de famille d'accueil en famille d'accueil, ou de famille d'accueil en foyer.

Le système actuel d'adoption simple ou d'adoption plénière n'est peut-être pas la réponse la plus adaptée pour ces enfants. Sans doute faut-il travailler à une réforme de l'adoption, afin de trouver une voie entre notre volonté de maintenir les liens biologiques et le désir de certaines familles d'apporter à des enfants qui sont dans des situations difficiles une véritable relation affective et éducative. Il faut chercher des éléments nouveaux nous permettant d'aider nombre de nos enfants qui se trouvent aujourd'hui dans des situations d'errance éducative et affective, même si la protection de l'enfance essaie de parer au mieux.

J'en viens à la recherche des origines. Cette question, très intéressante, sera traitée dans le projet de loi « famille ». Elle concerne aussi bien les enfants nés sous X que les enfants nés par procréation médicalement assistée.

Le Conseil national d'accès aux origines personnelles travaille sur la recherche ou la potentialité pour les enfants d'accéder à un certain nombre d'informations. Pour l'heure, rien n'existe pour les enfants nés par procréation médicalement assistée. Or, contrairement à la gestation pour autrui, la PMA est autorisée en France, même si c'est pour des raisons médicales, comme le rappelait Christiane Taubira.

Le droit de l'enfant à connaître son histoire originelle est un véritable enjeu et un vrai beau débat. Dans une société qui réclame toujours plus de transparence, et sur tous les sujets, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réflexion sur ce thème.

Jusqu'où faut-il aller ? Pour répondre à cette question, il faudra prendre le temps de la réflexion et procéder à de nombreuses auditions. C'est un travail passionnant, qui mérite que l'on y consacre de longues heures de travail.

Enfin, en ce qui concerne le calendrier, comme nous l'avons indiqué à l'Assemblée nationale, le projet de loi sur la famille sera présenté à la fin de l'année 2013. En tout état de cause, le Gouvernement souhaite attendre que le Comité consultatif national d'éthique rende son avis, en septembre ou en octobre prochain. Nous avons donc le temps de procéder à des consultations et d'organiser des concertations, afin de dessiner avec précision les contours de ce projet de loi.

Le temps que nous avons devant nous est une chance, car nous pourrons, en tenant compte des progrès de la médecine, rechercher les moyens d'apporter, là où c'est nécessaire, une meilleure protection juridique aux enfants, qui doivent être au coeur des débats, mais aussi aux adultes, qui concourent à l'éducation des enfants et dont les droits méritent d'être reconnus, ce qui n'est pas aujourd'hui le cas.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Madame la garde des sceaux, madame la ministre, au nom de tous mes collègues, je vous remercie d'avoir participé à nos travaux. Ici, vous avez pu le constater, les débats sont approfondis, chacun étant attentif et à l'écoute de l'autre. Nous espérons pouvoir apporter une contribution utile.

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