Rapport n° 284 (2013-2014) de M. Jean-Pierre SUEUR , fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 janvier 2014

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N° 284

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 janvier 2014

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE) relatif à la géolocalisation et sur la proposition de loi de M. François PILLET et plusieurs de ses collègues, visant à autoriser l' usage de la géolocalisation dans le cadre des enquêtes préliminaires et de flagrance ,

Par M. Jean-Pierre SUEUR,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Sueur , président ; MM. Jean-Pierre Michel, Patrice Gélard, Mme Catherine Tasca, M. Bernard Saugey, Mme Esther Benbassa, MM. François Pillet, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Nicolas Alfonsi, Mlle Sophie Joissains , vice-présidents ; Mme Nicole Bonnefoy, MM. Christian Cointat, Christophe-André Frassa, Mme Virginie Klès , secrétaires ; MM. Alain Anziani, Philippe Bas, Christophe Béchu, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Cécile Cukierman, MM. Michel Delebarre, Félix Desplan, Christian Favier, René Garrec, Gaëtan Gorce, Mme Jacqueline Gourault, MM. François Grosdidier, Jean-Jacques Hyest, Philippe Kaltenbach, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, Antoine Lefèvre, Mme Hélène Lipietz, MM. Roger Madec, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Hugues Portelli, André Reichardt, Alain Richard, Simon Sutour, Mme Catherine Troendlé, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir les numéros :

Sénat :

236, 257 et 285 (2013-2014)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

La commission des lois du Sénat, réunie le mercredi 15 janvier 2014, sous la présidence de Jean-Pierre Michel, vice-président, (PS -Haute-Saône), a examiné le rapport de M. Jean-Pierre Sueur sur le projet de loi n° 257 (2013-2014) relatif à la géolocalisation, ainsi que sur la proposition de loi n° 236 (2013-2014) de M. François Pillet et plusieurs de ses collègues visant à autoriser l'usage de la géolocalisation dans le cadre des enquêtes préliminaires et de flagrance, dont les dispositions sont incluses dans celles du projet de loi.

Ces textes visent à remédier au vide juridique consécutif à deux arrêts de la Cour de cassation du 22 octobre 2013. En effet, celle-ci, interprétant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), a considéré que les opérations de géolocalisation menées par les policiers et par les gendarmes au cours de leurs enquêtes, notamment en matière de criminalité organisée, devaient être autorisées par un magistrat du siège. Or ces opérations étaient jusqu'à présent conduites sous la seule responsabilité du parquet.

La commission des lois a considéré que le projet de loi présenté par le Gouvernement, qui prévoit l'intervention du juge des libertés et de la détention au terme d'un délai de quinze jours, était équilibré.

Elle a, néanmoins, adopté plusieurs amendements proposés par son rapporteur, Jean-Pierre Sueur. Ainsi, alors que le texte initial prévoyait la possibilité d'utiliser la géolocalisation pour des infractions punies d'au moins trois ans d'emprisonnement, le premier amendement porte ce seuil à cinq ans, conformément à la jurisprudence de la CEDH, qui considère que cette technique doit être réservée aux faits d'une particulière gravité.

La commission des lois a également adopté deux autres amendements de son rapporteur. Le premier prévoit qu'en cas d'urgence un officier de police judiciaire peut prendre l'initiative de poser une balise de géolocalisation, à condition toutefois d'en avertir immédiatement le procureur de la République et de recueillir l'accord écrit du magistrat compétent dans un délai de douze heures. Le second amendement permet au juge des libertés et de la détention de décider que l'heure, le lieu et les premières données de géolocalisation pourront figurer dans un second dossier, non joint à la procédure, afin, notamment, de protéger les témoins. Cette procédure, qui s'inspire de celle du témoin anonyme, pourra être contestée auprès du président de la chambre de l'instruction par la personne mise en cause.

La commission a adopté le projet de loi ainsi modifié.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

À la suite de deux arrêts du 22 octobre 2013 de la chambre criminelle de la Cour de cassation, le ministère de la justice a rédigé une dépêche 1 ( * ) demandant aux procureurs de la République de mettre fin à toutes les opérations de géolocalisation en temps réel menées par les forces de l'ordre dans le cadre des enquêtes, préliminaires ou de flagrance, conduites par le parquet.

En effet, la chambre criminelle a considéré qu'il résultait de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telle qu'interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme, que de telles opérations devaient être autorisées par un magistrat du siège.

Or, la géolocalisation en temps réel est fréquemment utilisée par les services de police nationale, de gendarmerie nationale et des douanes, en complément de la filature traditionnelle, afin de suivre en temps réel les déplacements d'un objet ou d'un véhicule détenu ou utilisé par une personne suspectée d'avoir participé à la commission d'infractions graves. Elle permet également de rechercher un mineur ou un majeur protégé, ou un majeur dont la disparition est considérée comme inquiétante.

Dès lors, l'ensemble des acteurs de l'enquête se félicitent du dépôt du présent projet de loi, qui permettra la reprise de ces opérations dans un cadre juridique assurant un bon équilibre entre le respect de la vie privée et les nécessités de l'enquête.

Au-delà de la question de la qualité du magistrat habilité à autoriser la géolocalisation, le présent texte est également l'occasion de décrire et de définir précisément les modalités d'usage de cette technique au sein du code de procédure pénale, ce qui constitue une indéniable avancée du point de vue de la clarté de notre droit et de celui de la sécurité juridique des procédures menées par les services enquêteurs.

I. LA NÉCESSITÉ D'INSTITUER UN CADRE JURIDIQUE POUR LA GÉOLOCALISATION EN TEMPS RÉEL

À partir de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le législateur a conféré de nouvelles prérogatives à la police et à la gendarmerie nationales afin de leur permettre d'utiliser l'ensemble des nouvelles technologies dans le cadre des enquêtes qu'elles mènent, en particulier en matière de répression de la délinquance organisée.

Il semble utile de rappeler ce que sont ces « techniques spéciales d'enquête », avant d'exposer le contenu et les conséquences des deux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 octobre 2013 à l'origine de l'élaboration du présent texte.

A. UNE GÉOLOCALISATION EN TEMPS RÉEL QUI PREND SA PLACE PARMI LES TECHNIQUES SPÉCIALES D'ENQUÊTE

1. Les techniques spéciales d'enquête
a) Les interceptions de correspondances

Avant la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, les interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications étaient déjà possibles dans le cadre d'une instruction , selon des modalités définies par les articles 100 à 100-7 du code de procédure pénale. Dans ce cadre, les interceptions ne peuvent être effectuées que si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement ; elles sont ordonnées par le juge d'instruction et sont effectuées sous son autorité et son contrôle ; la décision est prise pour une durée maximale de quatre mois et ne peut être renouvelée que dans les mêmes conditions de forme et de durée 2 ( * ) .

La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a prévu la possibilité de procéder à des interceptions de correspondances au cours de l'enquête menée par le procureur de la République (article 706-95 du code de procédure pénale). Ainsi, si les nécessités de l'enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire relative à l'une des infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 (cf. l'encadré ci-dessous) l'exigent, le juge des libertés et de la détention peut, à la requête du procureur de la République, autoriser l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications pour une durée maximale d'un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions de forme et de durée. Les opérations sont faites sous le contrôle du juge des libertés et de la détention.

Les infractions relevant de la criminalité organisée visées
par l'article 706-73 du code de procédure pénale

L'article 706-73 du code de procédure pénale énumère les crimes et délits considérés comme relevant de la criminalité et de la délinquance organisée, pour lesquels la procédure applicable à l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement comporte des règles spéciales destinées à permettre une répression efficace.

Ces crimes et délits sont les suivants :

1° Crime de meurtre commis en bande organisée prévu par le 8° de l'article 221-4 du code pénal ;

2° Crime de tortures et d'actes de barbarie commis en bande organisée prévu par l'article 222-4 du code pénal ;

3° Crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-40 du code pénal ;

4° Crimes et délits d'enlèvement et de séquestration commis en bande organisée prévus par l'article 224-5-2 du code pénal ;

5° Crimes et délits aggravés de traite des êtres humains prévus par les articles 225-4-2 à 225-4-7 du code pénal ;

6° Crimes et délits aggravés de proxénétisme prévus par les articles 225-7 à 225-12 du code pénal ;

7° Crime de vol commis en bande organisée prévu par l'article 311-9 du code pénal ;

8° Crimes aggravés d'extorsion prévus par les articles 312-6 et 312-7 du code pénal ;

8° bis Délit d'escroquerie en bande organisée prévu par le dernier alinéa de l'article 313-2 du code pénal ;

9° Crime de destruction, dégradation et détérioration d'un bien commis en bande organisée prévu par l'article 322-8 du code pénal ;

10° Crimes en matière de fausse monnaie prévus par les articles 442-1 et 442-2 du code pénal ;

11° Crimes et délits constituant des actes de terrorisme prévus par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal ;

12° Délits en matière d'armes et de produits explosifs commis en bande organisée, prévus par les articles L. 2339-2, L. 2339-3, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de la défense ainsi que par les articles L. 317-2, L. 317-4 et L. 317-7 du code de la sécurité intérieure ;

13° Délits d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France commis en bande organisée prévus par le quatrième alinéa du I de l'article 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

14° Délits de blanchiment prévus par les articles 324-1 et 324-2 du code pénal, ou de recel prévus par les articles 321-1 et 321-2 du même code, du produit, des revenus, des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° à 13° ;

15° Délits d'association de malfaiteurs prévus par l'article 450-1 du code pénal, lorsqu'ils ont pour objet la préparation de l'une des infractions mentionnées aux 1° à 14° et 17° ;

16° Délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie, prévu par l'article 321-6-1 du code pénal, lorsqu'il est en relation avec l'une des infractions mentionnées aux 1° à 15° et 17° ;

17° Crime de détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport commis en bande organisée prévu par l'article 224-6-1 du code pénal ;

18° Crimes et délits punis de dix ans d'emprisonnement, contribuant à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs entrant dans le champ d'application de l'article 706-167 ;

19° Délit d'exploitation d'une mine ou de disposition d'une substance concessible sans titre d'exploitation ou autorisation, accompagné d'atteintes à l'environnement, commis en bande organisée, prévu à l'article L. 512-2 du code minier, lorsqu'il est connexe avec l'une des infractions mentionnées aux 1° à 17°.

L'autorisation d'interception, d'enregistrement et de transcription de correspondances doit être prise selon les modalités prévues par les articles 100-1 et 100-3 à 100-7 du code de procédure pénale précités.

b) La sonorisation de certains lieux ou véhicules

La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 précitée a créé la possibilité pour le juge d'instruction , lorsque les nécessités de l'instruction concernant l'une des infractions entrant dans le champ de l'article 706-73 l'exigent, de prescrire la mise en place d'un dispositif technique ayant pour objet l'interception, l'enregistrement, y compris audiovisuel, et la transcription des paroles prononcées par eux-mêmes ou par plusieurs autres personnes à titre privé dans tout lieu ou véhicule public ou privé, sans le consentement des intéressés. Le juge d'instruction donne l'autorisation de sonorisation ou de captation d'images par ordonnance motivée après avis du procureur de la République. Dans le cas où la sonorisation ou la captation d'images concerne un lieu d'habitation et qu'il est nécessaire d'intervenir pendant la nuit, la décision est prise par le juge des libertés et de la détention.

Par ailleurs, des garanties semblables à celles prévues en matière d'interceptions de correspondances par la voie des télécommunications sont prévues. La décision est prise pour une durée maximum de quatre mois et ne peut être renouvelée que dans les mêmes formes. Les opérations ne peuvent concerner les cabinets d'avocats, les cabinets ou domicile des magistrats, les locaux des entreprises de presse, le cabinet d'un médecin, d'un notaire, d'un avoué ou d'un huissier, le véhicule, le bureau ou le domicile d'un député ou d'un sénateur.

Notons que, dans sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d'interprétation en considérant que « le législateur a nécessairement entendu que les séquences de la vie privée étrangères aux infractions en cause ne puissent en aucun cas être conservées dans le dossier de la procédure ».

c) La captation des données informatiques

L'accès aux données stockées au sein d'un système informatique est prévu par les articles 57-1, 76-3 et 97-1 du code de procédure pénale dans le cadre d'une perquisition. Par ailleurs, la loi n°2011-267 du 14 mars 2011 (dite LOPPSI) a introduit la captation en temps réel des données informatiques dans le cadre d'une instruction , sur le modèle des dispositions précitées des articles 706-96 à 706-102 du code de procédure pénale relatifs à la sonorisation et à la fixation d'images de certains lieux ou véhicules. La captation repose ainsi sur la mise en place d'un dispositif technique ayant pour objet d'accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre « telles qu'elles s'affichent sur un écran pour l'utilisateur d'un système de traitement automatisé de données ou telles qu'il les y introduit par saisie de caractères » sans le consentement des intéressés.

Comme dans le cas des sonorisations ou prises d'images, la captation n'est possible que dans le cadre d'une information portant sur un crime ou un délit relevant de la criminalité organisée et entrant dans le champ de l'article 706-73 du code de procédure pénale. L'autorisation de principe (article 706-102-1) est subordonnée, sur le fond, aux « nécessités de l'information » et, sur la forme, à une ordonnance motivée du juge d'instruction. La décision du juge doit préciser l'infraction motivant le recours à l'opération de captation, la localisation exacte ou la description détaillée des systèmes informatiques ainsi que la durée des opérations. En particulier, comme c'est le cas pour la mise en oeuvre de la sonorisation et de la fixation d'images, si les opérations supposent l'introduction dans un lieu d'habitation et doivent intervenir entre 21 heures et 6 heures, l'autorisation est donnée par le juge des libertés et de la détention.

2. La géolocalisation et le recueil des données de connexion : un cadre juridique imprécis

Des opérations de géolocalisation en temps réel sont très fréquemment mises en oeuvre actuellement par les forces de police et de gendarmerie nationale, tant au cours des enquêtes qu'à la suite de flagrants délits. D'un certain point de vue, cette technique peut apparaître comme un simple prolongement des techniques de surveillance et de filatures traditionnellement mises en oeuvre par la police. Toutefois, le caractère beaucoup plus puissant de la géolocalisation par balise GSM ou par le téléphone portable, qui permet non seulement de suivre en temps réel le parcours d'un individu mais aussi de retracer a posteriori ses déplacements, rend à l'évidence ce moyen plus attentatoire aux libertés individuelles.

Or, contrairement aux autres techniques spéciales d'enquête décrites ci-dessus, aucun texte ne prévoit expressément la possibilité d'user de telles mesures de géolocalisation en temps réel dans le cadre des informations judiciaires ou des enquêtes .

Toutefois, en matière d'information judiciaire , cette pratique est rendue possible par la rédaction très ouverte de la première phrase de l'article 81 du code de procédure pénale qui prévoit que « le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité ». La Cour de cassation l'a confirmé dans deux arrêts du 22 octobre 2013 3 ( * ) .

Par ailleurs, dans le cadre de l'enquête , le procureur de la République autorise les mesures de géolocalisation en temps réel d'un terminal de télécommunication au visa des articles 41, 60-2 et 77-1-1 du code de procédure pénale.

En effet, d'une part, l'article 41 du code de procédure pénale prévoit, de manière similaire à l'article 81, que « Le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale ».

D'autre part, dans le cadre des enquêtes, les dispositions des articles 60-2 (pour l'enquête de flagrance) et 77-1-1 (pour l'enquête préliminaire) du code de procédure pénale, issus de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure et modifiées par la loi du 9 mars 2004 précitée, permettent au procureur ou à l'officier de police judiciaire de se voir remettre par toute personne physique ou morale des « documents », y compris les données issues d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives. Il s'agit en particulier des données de connexion des téléphones portables qui permettent leur géolocalisation, le cas échéant en temps réel .

En quoi consiste la géolocalisation dans les enquêtes judiciaires ?

La géolocalisation consiste à localiser un objet tel qu'un téléphone, une balise GPS posée sur un véhicule ou un ordinateur portable, afin de suivre les mouvements d'un ou de plusieurs personnes suspectées ou de leur véhicule (par exemple si le véhicule est volé), et de reconstituer la carte des déplacements de ces personnes.

En ce qui concerne la géolocalisation par le téléphone portable, il s'agissait essentiellement, jusqu'à récemment, d'une localisation par le réseau GSM, nécessairement imprécise puisque les « cellules » du réseau GSM peuvent avoir des côtés d'une longueur allant jusqu'à 5 km en zone rurale (une ou quelques centaines de mètres en zone urbaine dense).

Toutefois, la diffusion très large des téléphones dits « intelligents » (smartphones) a considérablement développé la localisation par satellite : fonctions de recherche d'itinéraire, applications commerciales (hôtels, restaurants, parkings, etc.), applications culturelles (cinéma, théâtre), voire de nouvelles fonctions de sécurité (un service proposé par l'entreprise Google permettant de géolocaliser son téléphone ou d'effacer des données à distances). Les réseaux sociaux offrent également des fonctions permettant de localiser les connaissances du l'utilisateur d'un téléphone.

Dans ce cas, le téléphone (ou la tablette) sont localisés par au moins trois satellites, avec une précision de quelques dizaines de mètres. Les données de localisation, transmises par les satellites au téléphone, sont ensuite transmises par celui-ci à une antenne-relais. Celle-ci transmet à son tour les données aux opérateurs de télécommunication (essentiellement Orange, SFR, Bouygues et Free), d'où elles peuvent être transférées, à sa demande, sur un serveur de la police, avant d'apparaître in fine sur le poste de travail des OPJ.

En ce qui concerne la géolocalisation par balise, il s'agit de poser une balise GPS sur un objet, le processus de transmission des données étant ensuite le même.

B. LES ARRÊTS DE LA COUR DE CASSATION DU 22 OCTOBRE 2013

Dans ses arrêts du 22 octobre 2013 précités, la Cour de cassation a cependant invalidé les opérations de géolocalisation en temps réel menées dans ce cadre juridique, en considérant que ces opérations ne peuvent pas être décidées dans le cadre de l'enquête effectuée sous le contrôle du procureur de la République .

Elle a en effet estimé que « Vu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (...) il se déduit de ce texte que la technique dite de « géolocalisation » constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu'elle soit exécutée sous le contrôle d'un juge », c'est-à-dire d'un juge du siège (cf. ci-dessous).

En effet, la CEDH a eu l'occasion de se prononcer sur la compatibilité d'une surveillance par GPS, qui constitue une des formes de géolocalisation, avec l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme (CEDH, 2 sept. 2010, n° 35623/05, Uzun c/ Allemagne).

Plusieurs éléments de cette décision doivent être soulignés :

- selon la Cour, il convient de distinguer la surveillance par GPS « d'autres méthodes de surveillance par des moyens visuels ou acoustiques qui, en règle générale, sont davantage susceptibles de porter atteinte au droit d'une personne au respect de sa vie privée car elles révèlent plus d'informations sur la conduite, les opinions ou les sentiments de la personne qui en fait l'objet ». Ainsi, la géolocalisation porte moins atteinte à la vie privée que les écoutes téléphoniques ou la sonorisation de certains lieux.

Toutefois, la Cour relève que, dans l'affaire considérée, les autorités d'enquête ont, pendant trois mois, « systématiquement recueilli et conservé des données indiquant l'endroit où se trouvait l'intéressé et les déplacements de celui-ci en public ». Elles ont également « enregistré les données personnelles et les ont utilisées pour suivre tous les déplacements du requérant, pour effectuer des investigations complémentaires et pour recueillir d'autres éléments de preuve dans les endroits où le requérant s'était rendu, éléments qui ont ensuite été utilisés dans le cadre du procès pénal de l'intéressé ».

Dès lors, selon la Cour, « la surveillance du requérant par GPS ainsi que le traitement et l'utilisation des données ainsi obtenues (...) s'analysent en une ingérence dans la vie privée de l'intéressé, telle que protégée par l'article 8 § 1 » ;

- l'ingérence dans la vie privée étant ainsi établie, la Cour a recherché si cette ingérence était « prévue par la loi » au sens de l'article 8 § 2 de la convention européenne des droits de l'homme. Cette exigence recouvre en particulier la précision des dispositions régissant les modalités de la réalisation des opérations attentatoires à la vie privée.

Toutefois, la Cour établit une nette distinction entre, d'une part, les écoutes téléphoniques, pour lesquelles il est nécessaire que la loi définisse « la nature des infractions susceptibles de donner lieu à un mandat d'interception, les catégories de personnes susceptibles d'être mises sur écoute, la durée maximale de l'exécution de la mesure, la procédure à suivre pour l'examen, l'utilisation et la conservation des données recueillies, les précautions à prendre pour la communication des données à d'autres parties, et les circonstances dans lesquelles peut ou doit s'opérer l'effacement ou la destruction des enregistrements » et, d'autre part, la géolocalisation, qui est moins attentatoire à la vie privée. Pour cette dernière, elle a considéré que les dispositions du droit de procédure pénale allemand, qui évoquent les « autres moyens techniques spéciaux destinés à la surveillance », sont suffisantes, dès lors que les juridictions allemandes les ont nettement interprétées comme couvrant la géolocalisation.

En outre, la Cour a examiné les autres caractéristiques de l'application de la géolocalisation par les enquêteurs et le contrôle effectué par les juridictions. Il en ressort, d'une part, que cette technique n'est utilisée que pour les cas très graves et, d'autre part, que les juridictions contrôlent la proportionnalité de la durée de la surveillance par rapport aux nécessités de l'enquête ;

- la Cour a estimé que le réel contrôle judiciaire en vigueur dans le cas allemand ainsi que la possibilité d'exclure les éléments de preuve obtenus au moyen d'une surveillance illégale par GPS constituaient une garantie importante. Ils décourageaient les autorités d'enquête de recueillir des preuves par des moyens illégaux. Elle souligne ainsi que « le contrôle judiciaire ultérieur de la surveillance d'une personne par GPS offre une protection suffisante contre l'arbitraire ». Ce contrôle judiciaire ultérieur est défini de la manière suivante : « dans la procédure pénale ultérieure menée contre la personne concernée, les juridictions pénales pouvaient contrôler la légalité d'une telle mesure de surveillance et, si celle-ci était jugée illégale, elles avaient la faculté d'exclure les éléments ainsi obtenus du procès ».

Il apparaît donc que la Cour ne désapprouve pas la situation dans laquelle le procureur ordonne seul la mise en place d'une géolocalisation, dès lors qu'un juge (du siège) intervient ultérieurement pour contrôler la procédure .

En outre -et c'est un élément important dans le cadre de l'examen du présent projet de loi-, la Cour constate que « d'après l'article 163f § 4 du code de procédure pénale, entré en vigueur après la surveillance par GPS du requérant, lorsque la surveillance systématique d'un suspect dépasse une durée d'un mois, elle doit en fait être ordonnée par un juge [du siège]. La Cour se félicite de ce renforcement de la protection du droit d'un suspect au respect de sa vie privée ». Est ainsi approuvée la possibilité de ne faire intervenir le contrôle judiciaire d'un juge du siège que passé un certain délai après la mise en oeuvre de la mesure dans le cadre d'une enquête. Avant l'expiration de ce délai, la mesure peut être effectuée sous le contrôle du procureur ;

- enfin, compte tenu des éléments précédents, la Cour a estimé que la surveillance du requérant par GPS était en l'espèce proportionnée aux buts légitimes poursuivis et donc « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l'article 8 § 2. En effet , la Cour relève que la surveillance du requérant par GPS n'a pas été ordonnée d'emblée, les autorités d'enquête ayant d'abord tenté d'établir si le requérant était en cause dans des attentats à la bombe au moyen de mesures portant moins atteinte à son droit au respect de sa vie privée. En outre, les faits sur lesquels portait l'enquête étaient très graves, consistant en « plusieurs tentatives de meurtre d'hommes politiques et de fonctionnaires par des attentats à la bombe ».

Selon la CEDH, il ressort de l'ensemble de ces éléments que la géolocalisation n'est pas une technique contraire à l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme dès lors qu'elle est effectuée sur la base d'un texte, même insuffisamment précis, qu'elle est contrôlée par un juge à un stade ultérieur de la procédure et qu'elle intervient dans le cadre d'une enquête sur des faits graves.

Or, rappelons que, pour ce qui est du contrôle du juge, la CEDH a considéré, dans les arrêts Medvedyev du 29 mars 2010 et Moulin c. France du 23 novembre 2011, que le procureur de la République n'avait ni l'indépendance ni l'impartialité inhérentes à la fonction de magistrat : « les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat » au sens de l'article 5, paragraphe 3 ». Cette interprétation a été confirmée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 15 décembre 2010 4 ( * ) .

C'est pourquoi la Cour de cassation, dans ses arrêts précités, a estimé que l'absence de contrôle par un juge lorsque cette technique est utilisée dans le cadre d'une enquête (et non d'une information judiciaire) rend cette utilisation irrégulière .

Toutefois, compte tenu des éléments de l'arrêt Uzun cités ci-dessus, il semble qu'une telle appréciation aille au-delà des exigences de la CEDH, pour laquelle l'autorisation de la mesure de géolocalisation par un juge du siège n'est pas un élément indispensable dès lors qu'un contrôle par un tel juge peut intervenir à un stade ultérieur de l'enquête .

II. LE PROJET DE LOI : UN ÉQUILIBRE SATISFAISANT ENTRE LE RESPECT DES LIBERTÉS ET LES NÉCESSITÉS DE L'ENQUÊTE

A. UN CHAMP D'APPLICATION LARGE

En premier lieu, le dispositif prévu par le présent projet de loi serait applicable pour toutes les infractions punies d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à trois ans . Il s'agit d'une ouverture très large, destinée à adapter le droit à une utilisation de la géolocalisation pour des infractions très diverses. Ainsi a été écartée l'hypothèse d'une limitation du champ d'application du dispositif à la criminalité organisée (article 706-73 du code de procédure pénale), limitation qui s'applique aux interceptions de correspondances décidées par le procureur de la République sur autorisation du juge des libertés et de la détention et pour les opérations de sonorisation et de fixations d'images décidées par le juge d'instruction (cf. ci-dessus).

En second lieu, il serait également applicable dans les enquêtes en recherche des causes de la mort, en recherche des causes de la disparition et en recherche d'une personne en fuite.

B. L'INTERVENTION D'UN MAGISTRAT DU SIÈGE AU BOUT DE 15 JOURS DANS LE CADRE DE L'ENQUÊTE

Le présent projet de loi s'attache à répondre à la jurisprudence de la Cour de cassation en définissant les modalités de l'intervention des magistrats du paquet et du siège dans les opérations de géolocalisation en temps réel.

L'option retenue n'est pas de soumettre systématiquement les opérations de géolocalisation en temps réel à l'autorisation préalable d'un juge du siège. Une telle autorisation, qui sera donnée par le juge des libertés et de la détention, n'interviendrait que pour permettre la prolongation de ces opérations, initialement autorisées par le procureur de la République, au-delà de 15 jours . La prolongation serait d'un mois renouvelable.

Dans le cadre d'une instruction l'autorisation serait donnée par le juge d'instruction pour une durée de quatre mois renouvelables.

Qu'elle soit donnée par le procureur de la République ou par le juge d'instruction, l'autorisation devrait être écrite. Toutefois, en cas d'urgence (définie comme un risque imminent de dépérissement des preuves ou d'atteinte grave aux personnes ou aux biens), les opérations de géolocalisation pourraient être prescrites par un officier de police judiciaire après accord préalable donné par le procureur ou par le juge d'instruction par tout moyen .

C. UNE GRADATION DU DISPOSITIF EN FONCTION DE LA GRAVITÉ DE L'ATTEINTE À LA VIE PRIVÉE

Le projet de loi tend à subordonner l'intrusion dans un lieu privé tel qu'un véhicule ou un lieu destiné ou utilisé à cette fin à l'entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel (c'est-à-dire le plus souvent un parking), lorsqu'elle est nécessaire pour mettre en place un dispositif de géolocalisation , à l'autorisation écrite du magistrat qui autorise les opérations de géolocalisation elles-mêmes.

S'il s'agit d'une intrusion dans des lieux privés autres qu'un véhicule ou un parking, elle ne serait possible que pour les infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement. Dans un domicile et en dehors des heures prévues par le code de procédure pénale (entre 6 heures et 21 heures), il faudrait en outre une autorisation écrite du juge des libertés et de la détention.

D. L'EXCLUSION DE LA GÉOLOCALISATION EN TEMPS RÉEL DU TÉLÉPHONE D'UNE VICTIME

Le projet de loi tend à exclure de son dispositif la géolocalisation du téléphone portable détenu par une victime, dès lors qu'il s'agit de retrouver cette victime et non de rassembler des preuves à son encontre. Le procureur de la République pourra donc, à cette fin, prescrire des opérations de géolocalisation dans le cadre des dispositions du code de procédure pénale relatives au recueil des documents informatiques (articles 60-1, 60-2, 77-1-1, 77-1-2, 99-3 ou 99-4 du code de procédure pénale).

E. UN DISPOSITIF SPÉCIFIQUE POUR LES AGENTS DES DOUANES

L'article 2 du projet de loi tend à instaurer la possibilité pour les agents des douanes spécialement habilités de recourir à un dispositif de géolocalisation en temps réel, dans un cadre procédural qui serait identique au cadre prévu pour les enquêtes judiciaires.

Selon l'étude d'impact, il s'agit de permettre l'utilisation de la géolocalisation dans deux hypothèses : les infiltrations et les opérations de livraison surveillée (c'est-à-dire le suivi d'une marchandise frauduleuse jusqu'à son destinataire).

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Votre rapporteur salue la qualité de la rédaction du présent projet de loi, qui recherche un équilibre entre les nécessités de l'enquête et la protection de la vie privée .

Toutefois, à la suite des auditions qu'il a menées, il a souhaité apporter, outre deux précisions rédactionnelles, trois modifications destinées à renforcer encore cet équilibre. Votre commission a ainsi adopté trois amendements de votre rapporteur :

- alors que le texte initial donnait aux forces de l'ordre la possibilité d'utiliser la géolocalisation pour des infractions punies d'au moins trois ans d'emprisonnement, le premier amendement porte ce seuil à cinq ans , conformément à la jurisprudence de la CEDH, qui considère que cette technique doit être réservée aux faits d'une particulière gravité ;

- le second amendement prévoit qu'en cas d'urgence, un officier de police judiciaire peut prendre l'initiative de poser une balise de géolocalisation, à condition toutefois d'en avertir immédiatement le procureur de la République et de recueillir l'accord écrit du magistrat compétent dans un délai de douze heures ;

- enfin, le troisième amendement tend à permettre au juge des libertés et de la détention de décider que l'heure, le lieu et les premières données de géolocalisation pourront figurer dans un second dossier, non joint à la procédure afin, notamment, de protéger les témoins. Cette procédure, qui s'inspire de celle du témoin anonyme, pourra être contestée auprès du président de la chambre de l'instruction par la personne mise en cause.

*

* *

La commission des lois a adopté le projet de loi ainsi modifié.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier - (Art. 230-32, 230-33, 230-34, 230-35, 230-36, 230-37, 230-38 [nouveaux] du code de procédure pénale) - Géolocalisation dans le cadre des enquêtes et de l'instruction

Le présent article tend à insérer un chapitre V intitulé « De la géolocalisation » au sein du titre IV du livre I er du code de procédure pénale, comprenant 7 articles numérotés 230-32 à 230-38. Dans leur rédaction, ces dispositions s'inspirent de celles prévus par l'article 706-96 et suivants du code de procédure pénale pour les sonorisations et fixations d'images et 706-102-1 et suivants du même code relatifs à la captation des données informatiques.

• Article 230-32

L'article 230-32 prévoit la possibilité de mettre en place un dispositif de géolocalisation en temps réel .

Celui-ci est défini comme : « tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l'ensemble du territoire national, d'une personne à l'insu de celle-ci, d'un véhicule ou de tout autre objet sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur ». Cette définition recouvre à la fois la localisation en temps réel du terminal de communication détenu ou utilisé par une personne, ce qui permet de localiser celle-ci, et la localisation d'une balise GPS posée sur un objet ou, ce qui est le cas le plus fréquent, sur un véhicule.

Ce dispositif de géolocalisation pourra être mis en place, d'une part, « si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction relative à un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à trois ans ». Contrairement aux dispositions relatives aux interceptions de correspondance dans le cadre de l'enquête préliminaire ou des sonorisations et fixations d'image dans le cadre de l'instruction, le champ de mise en oeuvre de la géolocalisation n'est donc pas limité aux crimes et délits visés par l'article 706-73 du code de procédure pénale et considérés comme constitutifs de la « criminalité organisée » en vertu de l'intitulé du titre 25 ème du livre 4 ème de ce code.

Le champ infractionnel visé plus large paraît cohérent avec le fait, souligné par la CEDH dans l'arrêt Uzun précité, que la géolocalisation est moins attentatoire à la vie privée que ces deux autres techniques d'enquêtes, ne permettant pas de connaître « la conduite, les opinions ou les sentiments de la personne qui en fait l'objet ».

Cependant, dans le même arrêt, la CEDH souligne tout de même que la géolocalisation apparaît comme une mesure proportionnée dès lors que les faits sur lesquels portait l'enquête des autorités allemandes étaient très graves , consistant en « plusieurs tentatives de meurtre d'hommes politiques et de fonctionnaires par des attentats à la bombe ». La Cour invoque également le fait que les autorités avaient d'abord tenté d'enquêter par des moyens moins attentatoires aux libertés et que c'est dans la mesure où ceux-ci s'étaient révélés inefficaces que la mise en place de la géolocalisation avait été décidée.

Or, les délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement comprennent des infractions, comme les vols simples, pour lesquels des mesures de géolocalisation paraissent disproportionnées.

Dès lors, les faits concernés par la géolocalisation relevant en réalité en grande majorité de la délinquance organisée et de la grande criminalité, pour lesquelles les peines prévues sont très lourdes, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur portant le seuil de peine à 5 ans d'emprisonnement.

D'autre part, la mise en place d'une géolocalisation sera également possible dans le cadre des « procédures prévues par les articles 74 à 74-2 et 80-4 » du code de procédure pénale. Il s'agit des enquêtes ou des informations judiciaires en recherche des causes de la mort ou de blessures graves, en recherche des causes de la disparition et en recherche d'une personne en fuite. Il s'agit en effet de cas graves dans lesquels il est souvent nécessaire d'agir le plus rapidement possible avec des moyens efficaces.

• Article 230-33

L'article 230-33 définit les modalités d'autorisation des opérations de géolocalisation.

Dans le cadre d'une enquête de flagrance, d'une enquête préliminaire ou d'une enquête en recherche des causes de la mort ou de blessures graves, en recherche des causes de la disparition ou en recherche d'une personne en fuite, les opérations de géolocalisation sont autorisées par le procureur de la République pour une durée initiale de 15 jours , ce qui correspond à la durée d'une enquête de flagrance prolongée. À l'issue de ce délai, la prolongation des opérations est autorisée par le juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République, pour une durée maximale d'un mois renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée. La durée d'un mois a été choisie par cohérence avec le dispositif d'autorisation des interceptions de communications téléphoniques dans le cadre de l'enquête préliminaire ou de flagrance (article 706-95 du code de procédure pénale).

Le projet de loi retient ainsi un système d'autorisation mixte et non un dispositif strictement conforme à l'attendu de la Cour de cassation selon lequel « la technique dite de « géolocalisation » constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu'elle soit accomplie sous le contrôle d'un juge ». En effet, selon l'étude d'impact, l'option consistant à prévoir une autorisation initiale par un juge du siège « aurait largement restreint les capacités d'action du procureur de la République, dont dépendent directement 95 % des procédures pénales ». En outre, « d'un point de vue opérationnel, il est en effet souhaitable que le ministère public, qui dirige l'activité de la police judiciaire en application de l'article 41 du code de procédure pénale et dont l'organisation permet une très grande réactivité, conserve la possibilité d'ordonner, parfois dans l'urgence, la mise en place d'une géolocalisation temps réel ».

Votre rapporteur estime que la solution retenue par le Gouvernement est équilibrée et conforme à la jurisprudence de la CEDH , qui n'oblige pas le législateur à prévoir une autorisation d'un juge du siège préalablement à toute mesure de géolocalisation. C'est aussi l'opinion de l'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur.

Par ailleurs, l'article 230-33 prévoit que dans le cadre d'une instruction ou d'une information pour recherche des causes de la mort ou des causes de la disparition menées par le juge d'instruction, celui-ci peut autoriser des opérations de géolocalisation pour une durée maximum de quatre mois (identique à la durée prévue par l'article 100-2 du code de procédure pénale pour les interceptions de communication téléphoniques réalisées dans le cadre d'une information judiciaire), renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée. L'intervention du juge des libertés et de la détention n'est donc pas prévue, ce qui est logique dans la mesure où le juge d'instruction est bien un magistrat indépendant au regard de la jurisprudence de la CEDH.

En outre, il est prévu que la décision du procureur de la République, du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction est écrite . Ce caractère écrit offre une garantie supplémentaire de respect de la loi, qui pourrait paraître excessive dans le cadre d'un moyen d'enquête considéré par la CEDH elle-même comme peu intrusif. Toutefois, le projet de loi prévoit une procédure d'urgence qui permet précisément à l'OPJ de se passer dans un premier temps d'accord écrit (à l'article 230-35).

Enfin, il est précisé que la décision n'a pas de caractère juridictionnel et n'est pas susceptible de recours.

• Article 230-34

L'article 230-4 traite de l'hypothèse où il est nécessaire de s'introduire dans des lieux privés pour mettre en place ou retirer un dispositif technique de géolocalisation . Une gradation des garanties est alors prévue, correspondant, pour chaque type de lieu, au degré d'atteinte à la vie privé.

Ainsi, la mesure doit résulter d'une autorisation écrite du magistrat ayant autorisé les opérations de géolocalisation lorsqu'il ne s'agit, hypothèse la plus fréquente, que de s'introduire « dans des lieux privés destinés ou utilisés à l'entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel [c'est-à-dire le plus souvent un parking] ou dans un véhicule situé sur la voie publique ou dans de tels lieux, à l'insu ou sans le consentement du propriétaire ou de l'occupant des lieux ou du véhicule, ou de toute personne titulaire d'un droit sur celui-ci ».

En revanche, s'il s'agit de s'introduire dans un lieu privé autre que ceux visés ci-dessus, comme un local professionnel, seule une enquête ou une instruction sur des faits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement pourront justifier l'opération.

Si en outre il s'agit de lieux d'habitation, particulièrement protégés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel 5 ( * ) , l'alternative suivante est prévue :

- dans le cadre d'une enquête, l'autorisation est délivrée par écrit, au cours de celle-ci, par le JLD, saisi par le procureur de la République ;

- dans le cadre d'une instruction, l'autorisation ne doit être délivrée, par écrit, par le JLD, que si les opérations doivent intervenir entre 21 heures et 6 heures. Sinon, le juge d'instruction peut lui-même autoriser l'intrusion.

Ce dispositif n'échappe pas à une certaine complexité justifiée cependant par la nécessité d'écarter tout risque d'atteinte disproportionnée à la vie privée. En outre, l'amendement de votre rapporteur adopté par votre commission, prévoyant que les infractions justifiant l'usage de la géolocalisation sont celles punies de 5 ans, et non 3 ans, d'emprisonnement, permet également de simplifier ce dispositif . Ainsi, les « lieux privés destinés ou utilisés à l'entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel » ne se distingueraient plus, en termes de procédure, des « autres lieux privés », la condition de l'infraction punie d'au moins cinq ans d'emprisonnement s'appliquant à tous.

Enfin, l'article 235-34 prévoit d'exclure de toute possibilité d'intrusion le cabinet ou le domicile d'un avocat, les locaux d'une entreprise de presse, le cabinet d'un médecin, d'un avoué ou d'un huissier, le bureau et le domicile d'un parlementaire ou d'un magistrat. En effet, les articles 56-1, 56-2 et 56-3 ainsi que 100-7 du code de procédure pénale, auxquels le présent article renvoie, prévoit que ces professions ou fonctions bénéficient déjà d'une protection particulière en matière de perquisitions.

• Article 235-35

Cet article prévoit qu'en cas d'urgence, définie comme un « risque imminent de dépérissement des preuves ou d'atteinte grave aux personnes ou aux biens », des opérations de géolocalisation peuvent être mises en place ou prescrites directement par un officier de police judiciaire après accord préalable du magistrat compétent, donné par tout moyen . Cette disposition dispense ainsi les enquêteurs, qui pourront alors agir sur simple accord donné par téléphone, d'une autorisation écrite du procureur ou du juge d'instruction. La poursuite des opérations devra néanmoins être prescrite par le procureur de la République ou par le juge d'instruction sous quarante-huit heures, par une décision écrite.

Il résulte de la lecture combinée des articles 235-35 et 235-34 que, si l'installation du dispositif en urgence suppose l'introduction dans un lieu d'habitation, l'officier de police judiciaire devra recueillir l'autorisation du juge des libertés et de la détention. Concrètement, il devra s'adresser au procureur, qui contactera le JLD. Sur ce point, plusieurs des personnes entendues par votre rapporteur ont estimé que l'organisation actuelle des juridictions ne permettrait pas de répondre à cette exigence. En effet, si un procureur est effectivement joignable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, il n'en irait pas de même des JLD.

En revanche, la chancellerie a estimé que cette question relevait de l'organisation des juridictions. Dans les plus importantes d'entre elles, les permanences de JLD, y compris de nuit, sont déjà effectives (ainsi à Paris). Dans les plus petites, les cas seront rares, l'installation d'une balise dans un lieu d'habitation n'étant pas fréquemment nécessaire. En outre, le code de procédure pénale prévoit déjà, en matière de perquisition, l'obligation pour le procureur qui souhaite autoriser une perquisition nocturne dans le cadre d'une enquête préliminaire de saisir le JLD (article 706-90).

Pour sa part, votre rapporteur a estimé que, dans un certain nombre de circonstances, le maintien d'un accord préalable, même obtenu par tout moyen, en cas d'urgence, pouvait s'avérer incompatible avec la vitesse d'exécution requise par l'installation d'une balise. Il a donc proposé à votre commission un amendement , que celle-ci a adopté, prévoyant que l'OPJ conservera un pouvoir d'initiative. Toutefois, comme pour le placement en garde à vue, il devra aviser immédiatement le magistrat compétent par tout moyen ; en outre celui-ci devra rendre sa décision écrite sous 12 heures et non 48 heures comme le prévoyait le texte.

• Article 230-36

Comme c'est le cas en matière de sonorisation et de fixation d'images, l'article 230-36 prévoit que le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui ou autorisé par le procureur de la République peut requérir tout agent qualifié d'un service, d'une unité ou d'un organisme placé sous l'autorité du ministre de l'Intérieur et dont la liste est fixée par décret en vue de procéder à l'installation des dispositifs techniques de géolocalisation. Il s'agit essentiellement, selon le ministère de l'Intérieur, du RAID, du groupe d'intervention de la police nationale (GIPN) et du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN).

• Article 230-37

L'article 230-7 prévoit, de manière habituelle, que l'ensemble des opérations sont conduites sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées ou a autorisé leur poursuite.

Par ailleurs, il est précisé, de manière également « traditionnelle », que « le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision de ce magistrat ne constituent pas une cause de nullité des procédures incidentes ».

• Article 238-38

Cet article concerne le cas où les enquêteurs souhaitent géolocaliser le terminal de télécommunication de la victime d'une infraction afin de la retrouver. Dans la mesure où il ne n'agit pas de rassembler des preuves contre elle mais de lui venir en aide, le cadre juridique protecteur des libertés mis en place par le présent projet de loi ne s'appliquera pas. Les opérations pourront être menées, comme elles le sont actuellement, dans le cadre des pouvoirs de réquisition ordinaires du procureur de la République ou du juge d'instruction.

La question des procès-verbaux

Contrairement à ce qui est prévu par le code de procédure pénale pour les interceptions de télécommunications, pour les sonorisations ou prises d'images et pour la captation des données informatiques, le présent dispositif n'évoque pas la question des procès-verbaux relatifs, d'une part aux opérations d'installation du dispositif technique, d'autre part à la transcription des éléments utiles à la manifestation de la vérité .

Il est vrai que, dans le cas de la géolocalisation et contrairement à ce qui se passe en matière d'interception de conversations par exemple, il sera difficile pour les enquêteurs d'isoler des déplacements du suspect comme inutiles à la manifestation de la vérité. En effet, dans le domaine des interceptions, l'écoute des conversations permet d'en éliminer immédiatement la plus grande partie comme étant sans aucun lien avec l'enquête. Au contraire, la plupart les déplacements du véhicule géolocalisé d'une personne sont susceptibles de fournir ultérieurement des éléments utiles aux enquêteurs et devront donc figurer dans la procédure.

Néanmoins, deux éléments plaident en faveur de l'établissement de procès-verbaux lorsqu'une géolocalisation est mise en oeuvre :

- d'une part, il semble utile d'assurer une certaine uniformité dans la rédaction des dispositions relatives aux diverses techniques spéciales d'enquêtes ;

- d'autre part, même si l'atteinte à la vie privée est moindre dans le cas de la géolocalisation que dans les autres techniques d'enquêtes évoquées, cette atteinte est réelle (c'est ce qui justifie le présent projet de loi). Dès lors, il n'y a pas de raison de considérer que la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel à propos de la création des sonorisations et prises d'images par la loi du 9 mars 2004 ne s'applique pas en l'espèce : « Considérant que l'article 706-101 nouveau du code de procédure pénale limite aux seuls enregistrements utiles à la manifestation de la vérité le contenu du procès-verbal, établi par le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui, qui décrit ou transcrit les images ou les sons enregistrés ; que, dès lors, le législateur a nécessairement entendu que les séquences de la vie privée étrangères aux infractions en cause ne puissent en aucun cas être conservées dans le dossier de la procédure ».

Cependant, votre rapporteur a été sensible à une réserve émise par les syndicats de police lors de leur audition. Dans l'hypothèse où une balise est installée par, ou grâce à l'aide, soit d'un informateur, soit d'un citoyen ou d'un témoin désireux de venir en aide aux forces de l'ordre, l'apparition dans le dossier de la procédure des modalités (lieu, date et heure) de cette installation les mettrait en grave danger, les malfaiteurs pouvant alors aisément découvrir l'identité de l'informateur ou du témoin. C'est pourquoi les syndicats proposent l'introduction d'une procédure similaire à celle du témoignage anonyme afin de protéger ces personnes. Dans ce cas, les modalités d'installation de la balise figureraient dans un dossier distinct et n'apparaîtraient pas dans le dossier principal de la procédure . La procédure s'inspirerait fortement de celle prévue pour les témoignages anonymes (articles 706-58 et suivants du code de procédure pénale).

Votre commission a adopté un amendement de son rapporteur prévoyant que :

- le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui ou autorisé par le procureur de la République ayant mené les opérations d'installation du dispositif technique dresse procès-verbal de ces opérations ;

- le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui ou autorisé par le procureur de la République transcrit, dans un procès-verbal qui est versé au dossier, les éléments de localisation utiles à l'enquête ;

- toutefois, lorsque la connaissance de la date, de l'heure, du lieu ou du moyen technique de mise en place de la géolocalisation serait susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique d'une personne, sans être utile à la manifestation de la vérité, le JLD pourrait, sur requête motivée faite à tout moment par le procureur de la République ou le juge d'instruction, autoriser par décision motivée que ces éléments, ainsi que les premières données de localisation, n'apparaissent pas dans le dossier de la procédure. Ces données seraient inscrites dans un autre procès-verbal, versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure. La personne mise en examen ou le témoin assisté pourraient contester le recours à cette procédure en vue de faire annuler la géolocalisation. Le recours serait examiné par le président de la chambre de l'instruction du tribunal. Enfin, aucune condamnation ne pourrait être prononcée sur le fondement des éléments recueillis dans le second dossier.

Votre commission a adopté l'article premier ainsi modifié .

Article 2 - (Art. 61 bis-2 du code des douanes) - Opérations de géolocalisation menées par les agents des douanes

L'article 2 instaure la possibilité, dans le cadre d'une enquête douanière, de mettre en place un dispositif de géolocalisation en temps réel .

Selon l'étude d'impact, un tel dispositif serait utile aux agents des douanes dans deux hypothèses :

- lors d'une opération d'infiltration, afin de renforcer la sécurité de l'agent infiltré en suivant ses déplacements ;

- dans le cadre d'opérations de livraisons surveillées. Celles-ci consistent, pour les douaniers, à suivre le parcours de marchandises prohibées jusqu'à leur destinataire, afin d'identifier les filières criminelles.

Si les opérations d'infiltration sont rares, les douanes mettent en place environ 500 opérations de livraison surveillée par an dans des affaires de stupéfiants, de produits dopants, de contrefaçon, d'armes ou de cigarettes.

Dans la mesure où le projet de loi propose d'insérer ce dispositif au sein de la section VII du chapitre IV du titre II du code des douanes relative aux techniques spéciales d'enquêtes douanières (surveillance, infiltration, coups d'achat), sa mise en oeuvre serait réservée à des agents des douanes spécialement et individuellement habilités par le ministre chargé des douanes dans des conditions fixées par décret (décret n°2004-976 du 15 septembre 2004).

Enfin, les modalités de contrôle de ces opérations de géolocalisation par le procureur de la République et par le juge des libertés et de la détention seraient les mêmes que celles prévues pour les autres enquêtes judiciaires par les articles 230-33 et suivants tels que créés par le présent projet de loi , à une exception près : il n'est pas prévu que ces opérations puissent être réalisées dans le cadre de l'instruction, ce qui est justifié par l'absence de relations entre le juge d'instruction et les services de douanes administratives.

Votre commission a adopté l'article 2 sans modification .

Article 3 - Application sur l'ensemble du territoire de la République

Le présent article prévoit que l'article premier du présent projet de loi est applicable sur l'ensemble du territoire de la République.

Votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur précisant expressément que l'article premier s'applique à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française.

*

* *

La commission des lois a adopté le projet de loi ainsi modifié.

EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 15 janvier 2014

M. Jean-Pierre Michel, président . - L'ordre du jour appelle l'examen du rapport de M. Jean-Pierre Sueur et du texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 257 (2013-2014) relatif à la géolocalisation (procédure accélérée).

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Mon rapport sur ce texte vise également la proposition de loi que François Pillet a déposée le mois dernier pour autoriser l'usage de la géolocalisation dans le cadre des enquêtes préliminaires et de flagrance. En préliminaire, je voudrais évoquer la question de l'article 20 de la loi de programmation militaire. Les dispositions que nous avons prises de concert avec les députés sur la loi de programmation militaire, protectrices des libertés publiques, ont été présentées comme attentatoires aux libertés, par des personnes qui avaient intérêt à semer la confusion dans l'opinion. Nous avons défendu notre position : les parlementaires n'ont nulle intention de restreindre les libertés, nous avons pris des dispositions protectrices, tout en donnant aux services de sécurité les moyens d'accomplir leur mission, en particulier contre le terrorisme - mais une campagne d'opinion a présenté notre action à l'inverse de ce qu'elle est ; nous devrons donc reprendre l'offensive et je vous propose, dans un premier temps, d'organiser sur le sujet une journée de travail, après les municipales.

La géolocalisation en temps réel est devenue un outil indispensable à nos services de police et de gendarmerie, elles l'utilisent dans leurs missions d'investigation, contre la délinquance organisée, en particulier. Cependant, la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 octobre dernier, vient d'exiger que la géolocalisation se déroule sous le contrôle d'un juge. Pour ce faire, elle s'est fondée sur l'arrêt Uzun contre Allemagne du 2 septembre 2010, dans lequel la Cour européenne des droits de l'homme a exigé l'intervention du juge - de manière plus souple cependant, puisque la Cour européenne n'a pas imposé de délai à cette intervention.

Deuxièmement, le texte que nous examinons se justifie par l'histoire déjà longue du refus de la Cour européenne des droits de l'homme de regarder nos magistrats du Parquet comme des magistrats à part entière - alors qu'en droit interne, la position constante du Conseil constitutionnel accorde bien cette qualité au Parquet. À cette aune, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est devenue urgente, même à se limiter au mode de nomination de ses membres ; le président de la République l'a annoncée prochaine, et je salue les efforts de Jean-Pierre Michel pour qu'elle advienne.

Dans ces circonstances, ce texte encadre le recours à la géolocalisation ; je vous en proposerai quelques aménagements, qui me paraissent équilibrés, conciliant les avis des services ministériels de la justice, de l'intérieur, aussi bien que des syndicats de magistrats et de policiers que j'ai largement consultés.

Ce texte circonscrit d'abord le recours à la géolocalisation en temps réel : elle est possible pour les infractions punies d'au moins trois ans d'emprisonnement ; je vous proposerai de porter ce quantum à cinq ans - la peine de trois ans s'applique notamment au vol simple, ce serait placer le seuil trop bas.

Il dispose, ensuite, que ce recours doit être décidé par le procureur et que sa décision doit être confirmée dans les quinze jours par le juge des libertés et de la détention - avec un cas particulier pour le domicile privé, où l'installation d'un dispositif de géolocalisation exige une décision préalable du juge des libertés et de la détention.

Je vous proposerai d'autoriser l'officier de police judiciaire, en cas d'urgence, à prendre l'initiative du recours à la géolocalisation, à charge pour lui d'en informer le procureur ou le juge d'instruction par tout moyen - et que, dans ce cas, l'autorisation écrite du magistrat compétent intervienne dans les douze heures.

Enfin, je vous proposerai que le magistrat ait, s'il le juge nécessaire, la faculté de disjoindre du dossier de la procédure les circonstances de la mise en place de la géolocalisation, de manière à protéger les témoins ou les informateurs des services d'enquête. De fait, l'obligation de verser au dossier toutes ces circonstances ferait, dans certains cas, porter un risque sur ces personnes. Les magistrats m'ont dit n'y être pas opposés, dès lors que cette décision leur appartiendrait : c'est la solution que je vous proposerai.

Ce texte est donc très important, parce qu'il comble un vide juridique en matière de géolocalisation, un vide déraisonnable parce qu'il fige un nombre important de procédures en cours - comme cela s'est produit avec la garde à vue.

M. Michel Mercier . - Comme pour la garde à vue, il nous faut effectivement trouver une solution légale, mais il nous faut également, ici, défendre le Parquet à la française contre les coups de boutoir de la Cour européenne des droits de l'homme - qui persiste à considérer que les magistrats du Parquet n'en sont pas de véritables, ceci malgré la position constante du Conseil constitutionnel. Il est donc urgent, effectivement, de convoquer le Congrès pour réformer la nomination des membres du CSM, c'est d'autant plus aisé qu'il y a longtemps déjà qu'en pratique, le garde des Sceaux suit toujours l'avis du CSM dans ces nominations... Quant à la réforme du CSM lui-même, c'est un autre sujet - qu'on ne doit pas mêler au premier, sauf à vouloir enterrer la réforme.

Nous voterons donc ce texte utile, nécessaire même, qui assure à nos forces de l'ordre l'usage de la géolocalisation, ce dont les bandits ne se privent pas du tout !

M. André Reichardt . - Ce sujet est très sensible, notre rapporteur l'a dit et nous l'avons vu aux commentaires sur les dispositions protectrices que nous avons prises à l'initiative de Jean-Jacques Hyest sur la loi de programmation militaire : elles ont pu passer pour des atteintes gravissimes aux libertés publiques, contre notre objectif et le texte même. C'est pourquoi je me félicite de cette journée de travail annoncée sur le sujet.

Une question cependant : dès lors que la géolocalisation est souvent utilisée pour quelques jours seulement, la précaution de faire obligatoirement intervenir le juge dans un délai de deux semaines satisfera-t-elle aux exigences de la Cour européenne de justice ? Acceptera-t-elle qu'en-deçà de quinze jours, il n'y ait pas d'autorisation du juge ?

Ensuite, dès lors que les objets connectés se multiplient et qu'ils permettent de facto une géolocalisation, couvre-t-on véritablement, avec ce texte, le champ de la géolocalisation ?

M. Jean-Jacques Hyest . - Il est vrai que par son caractère attentatoire à la vie privée - bien moindre, cependant, que les écoutes -, la géolocalisation évoque des sujets que nous connaissons, pour lesquels nous avons déjà pris des règles protectrices. Il est vrai, également, que la chambre criminelle de la Cour de cassation est allée plus loin que la Cour européenne des droits de l'homme - ce qui ne manque pas d'inquiéter, quand on sait qu'effectivement, la Cour européenne ne reconnaît pas véritablement la qualité de magistrat à nos magistrats du Parquet : n'est-ce pas un moyen pour remettre en cause un nombre bien plus grand de procédures ?

Il faut donc faire quelque chose, ce texte est nécessaire. Nous avons pris des mesures en matière de lutte contre le terrorisme et contre la grande criminalité, de même que sur les écoutes, il faut le faire pour la géolocalisation.

M. Yves Détraigne . - Nous devons protéger les libertés publiques et la vie privée - en particulier la liberté d'aller et venir -, sans naïveté cependant, c'est-à-dire sans refuser à nos services d'enquête des outils nécessaires contre le grand banditisme et le terrorisme. Ce texte est nécessaire et équilibré : nous le voterons.

M. Alain Richard . - Effectivement, nous devons protéger notre Parquet à la française et la réforme constitutionnelle est devenue urgente : il faut une réforme limitée qui consolide l'indépendance du Parquet, le plus vite possible.

Cependant, avec ce texte qui vient corriger la jurisprudence de la Cour de cassation, nous risquons fort de nous heurter à une certaine mauvaise volonté de cette Cour : il faut que notre texte tienne bon. Avons-nous une expertise suffisante, en particulier, sur le statut des opérations de géolocalisation avant qu'intervienne l'autorisation du juge ? Les garanties passent-elles au crible de la Cour européenne des droits de l'homme ? Que se passera-t-il quand le magistrat du siège n'autorisera pas la géolocalisation, alors que le magistrat du Parquet l'aura dûment autorisée quinze jours plus tôt ? Quelles seront, en particulier, les conséquences de ce refus sur la procédure ?

M. Jean-Pierre Michel , président . - La réforme constitutionnelle n'arrêtera pas la question, parce qu'elle n'empêchera pas la Cour européenne de refuser la qualité de magistrat aux parquetiers. Une confusion est à la source de ce conflit : le parquetier n'est effectivement pas un juge, mais il est bien un magistrat, c'est à ce titre qu'il dispose de compétences de poursuites - le Conseil constitutionnel ne s'y trompe pas, mais cette distinction n'a pas cours à l'échelon européen. Il est tout à fait légitime que la poursuite - police et magistrats du Parquet - dispose de la géolocalisation : il ne s'agit pas de surveiller la population, mais bien de poursuivre des individus soupçonnés de se livrer à des délits et à des crimes, la nuance est de taille.

L'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, du 22 octobre dernier a fait cesser un nombre certainement important de procédures : dans le seul ressort de Besançon, une dizaine d'affaires seraient interrompues, toutes liées à des trafics et du banditisme transfrontaliers. Les trafiquants disposent de la géolocalisation, il faut qu'au moins nos services de police luttent à armes égales.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous avons examiné en détail l'arrêt Uzun contre Allemagne , la Cour européenne des droits de l'homme y pose des conditions que ce texte satisfait. Le juge européen demande que le recours à la géolocalisation se cantonne à des faits d'une particulière gravité : ce texte prévoit un quantum de trois ans d'emprisonnement, je vous proposerai de l'élever à cinq ans. Le juge européen demande un contrôle par le juge sans en préciser le délai : la Cour européenne a validé une procédure, en Allemagne, où le contrôle du juge n'était intervenu qu'après un mois de géolocalisation - nous faisons intervenir le magistrat du Parquet dans les douze heures et le juge dans les quinze jours. Notre texte, tel que nous l'amendons, satisfait aux critères de la Cour européenne des droits de l'homme.

M. Alain Richard . - Un refus par le juge des libertés et de la détention annulerait la poursuite de la géolocalisation, mais n'annulerait pas la procédure, non plus que les éléments recueillis par ce mode de surveillance : est-ce bien comme cela qu'il faut lire le texte ?

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Oui, dès lors que le procureur, dans les douze heures, aura autorisé la géolocalisation.

S'agissant des écoutes sur décision administrative, je rappelle que la loi date de 1991 et qu'elle a été modifiée en 2006. Le dispositif que nous avons adopté dans la loi de programmation militaire apporte des garanties complémentaires, avec une intervention écrite du Premier ministre ou de son représentant. Nous savons qu'il y a des oppositions, les plus véhémentes venant de ceux qui stockent des milliards de données personnelles sans aucun scrupule ni aucun contrôle... Des associations de bonne foi s'y sont laissées prendre et ont protesté, sans même entendre ce que nous avons à en dire.

Article 1 er

L'amendement n° 1 est adopté, ainsi que les amendements n os 1, 2, 4 et 3.

Article 3

L'amendement n° 5 est adopté.

La commission adopte le projet de loi dans la rédaction issue de ses travaux.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er
Géolocalisation dans le cadre des enquêtes et de l'instruction

M. SUEUR, rapporteur

1

Peine d'emprisonnement pour l'usage de la géolocalisation : cinq ans

Adopté

M. SUEUR, rapporteur

2

Rédactionnel

Adopté

M. SUEUR, rapporteur

4

Initiative de l'OPJ

Adopté

M. SUEUR, rapporteur

3

Dossier séparé

Adopté

Article 3
Application sur l'ensemble du territoire de la République

M. SUEUR, rapporteur

5

Rédactionnel

Adopté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Union syndicale des magistrats (USM)

M. Christophe Regnard , président

Direction des affaires criminelles et des grâces

Mme Marie-Suzanne Le Quéau , directrice des affaires criminelles et des grâces

M. Vincent Sizaire , magistrat à la sous-direction des affaires de la justice pénale

M. Nicolas Renucci, magistrat

Syndicat des commissaires de la Police nationale (SCPN)

M. Emmanuel Roux , secrétaire général

Mme Céline Berthon , secrétaire générale adjointe

Directeur central de la police judiciaire (DCPJ)

Mme Mireille Ballestrazzi , directeur central

M. Richard Srecki , commissaire divisionnaire

Mme Stéphanie Cherbonnier , commissaire de police

Syndicat de la magistrature

Mme Françoise Martre, présidente

Mme Sophie Combes ,secrétaire nationale

Commission consultative des droits de l'homme (CNCDH)

M. Hervé Henrion-Stofel , magistrat, conseiller juridique

M. Pascal Beauvais , professeur de droit pénal à Paris X - Nanterre

Conseil national des barreaux

M. Philippe Chaudon , président de la commission Libertés et droits de l'Homme au sein du Conseil national des barreaux

M. David Levy , directeur pôle juridique au sein du conseil national des barreaux

Table ronde

Union Unité SGP Police

M. Nicolas Comte, secrétaire général

M. Henri Martini, adjoint au secrétaire général

Alliance Police nationale-CGC

M. Jean-Claude Delage , secrétaire général

M. Frédéric Lagache , secrétaire général adjoint

M. Laurent Laclau-Lacrouts , délégué national

Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI)

M. Carlos Garcia , secrétaire national

M. Michel-Antoine Thiers , secrétaire national

Synergie-Officiers (CGC)

M. Francis Nebot, secrétaire national

Mme Isabelle Trouslard, conseillère technique

Benjamin Iseli, conseiller technique



* 1 Il s'agit d'une circulaire portant sur un point précis et urgent.

* 2 Ces articles prévoient par ailleurs que : la décision doit comporter tous les éléments d'identification de la liaison à intercepter, l'infraction qui motive le recours à l'interception ainsi que la durée de celle-ci ; le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui dresse procès-verbal de chacune des opérations d'interception et d'enregistrement ; le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui transcrit la correspondance utile à la manifestation de la vérité ; il en est dressé procès-verbal et la transcription est versée au dossier ; les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense ne peuvent être transcrites, non plus que les correspondances avec un journaliste permettant d'identifier une source en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; les enregistrements sont détruits à l'expiration du délai de prescription de l'action publique ; aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d'un député ou d'un sénateur sans que le président de l'assemblée à laquelle il appartient en soit informé ; aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé, ni, sur une ligne dépendant du cabinet d'un magistrat ou de son domicile, sans que le premier président ou le procureur général de sa juridiction en soit informé.

* 3 Dans les deux affaires portées devant la Cour de cassation, l'une était relative à des faits d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes terroristes (n° 13-81945), l'autre à un trafic de stupéfiants (n° 13-81949).

* 4 Cour de cassation, chambre criminelle, 15 décembre 2010, n° 10-83674 : «Si c'est à tort que la chambre de l'instruction a retenu que le ministère public est une autorité judiciaire au sens de l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, alors qu'il ne présente pas les garanties d'indépendance et d'impartialité requises par ce texte et qu'il est partie poursuivante(...) ».

* 5 Conseil constitutionnel, décision n° 90-281 DC du 27 décembre 1990.

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