EXAMEN DES ARTICLES
Article
unique
Dérogation à l'interdiction d'occuper des
salariés la journée du 1er mai
Cet article propose de modifier les dispositions existantes permettant de déroger au caractère chômé du 1er mai afin de préciser que les établissements concernés sont les mêmes que ceux bénéficiant d'une dérogation permanente de droit au repos dominical.
La commission a adopté cet article en adoptant un amendement de rédaction globale afin de restreindre la liste des secteurs d'activité concernés et de prévoir, pour ces seuls secteurs, le principe du volontariat des salariés.
I - L'insécurité juridique née de la dérogation possible au caractère chômé du 1er mai
A. La fête du 1er mai : des racines historiques qui remontent au moins au XIXe siècle
Lors de son audition par le rapporteur, Danielle Tartakowski, historienne, professeure émérite d'histoire contemporaine à l'Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, ayant notamment publié un ouvrage intitulé La Part du rêve, Histoire du 1er mai en France, a retracé l'histoire de cette fête légale.
1. L'invention du 1er mai4(*) : une histoire méconnue
En parallèle de l'Exposition universelle de 1889, dédiée à la Révolution française, la IIe Internationale socialiste se déroule également à Paris au mois de juillet. Le 20 juillet, les guesdistes Raymond Lavigne et Jean Dormoy proposent d'organiser une grande manifestation « à date fixe dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois » pour que « les travailleurs mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit heure la journée de travail ». Cette revendication fait figure « d'horizon d'attente »5(*), dans la mesure où les journées s'étendent encore sur plus de dix heures à cette époque.
Du fait de sa visée internationaliste et simultanéiste, la IIe Internationale retient la date du 1er mai dans le sillage des ouvriers de Chicago, qui avaient déjà manifesté le 1er mai 1867 en faveur de la journée de huit heures. Lors de son audition, Danielle Tartakowski a insisté sur la multiplicité des influences ayant convergé vers le début du mois de mai, y voyant même un fondement anthropologique. Symbole de renouveau, le 1er mai est également dans la tradition anglo-saxonne la date du « moving day », c'est-à-dire la date où les baux et contrats prennent fin.
La mystique folklorique du mois de mai en Europe
Dans un texte contemporain de la naissance du 1er mai, et souvent reproduit et distribué dans les cortèges depuis, le député belge du Parti ouvrier Emile Vandervelde donne un témoignage lyrique des origines folkloriques du 1er mai :
« Ne faut-il pas admettre que ces noirs bataillons d'hommes obéissaient à une mystérieuse et irrésistible impulsion qui a toujours poussé les peuples à fêter le renouveau, à célébrer la fête des germes quand mai fait monter les rêves et ramène la saison d'amour. Car ce jour-là, il y a fête dans toutes les religions et dans tous les pays. Pendant que ces travailleurs industriels quittent les usines et les charbonnages [...] et se promènent en longs cortèges [...] ne voyons-nous pas les jeunes filles parer les autels de la vierge et les paysans planter des arbres de mai ou allumer des feux de joie sur le sommet des collines. Et ces coutumes même ne sont que des survivances d'un passé plus lointain, des temps ou nos ancêtres, celtes ou germains, célébraient la fête de l'amour ou des arbres [...] nous fêtons, non seulement avec les vivants mais avec les morts, l'humanité tout entière ».
Postérieurement, des évènements tragiques vont contribuer à inscrire la date du 1er mai dans la mémoire collective et dans la culture des luttes sociales. D'abord aux États-Unis, où le massacre de Haymarket Square intervient le 4 mai 1886, toujours dans le sillage de la lutte pour la journée de huit heures. Mais surtout en France, où le 1er mai 1891 à Fourmies, dans le Nord, où la répression d'une manifestation analogue fait neuf morts - dont deux enfants - et trente blessés.
Par ailleurs, le 1er mai n'étant pas férié à cette époque, prendre part à un cortège supposait d'être en grève, la journée devient mécaniquement une figure de la grève générale. Cette tendance s'est encore renforcée lorsque, en 1905, la section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) s'est retirée de l'organisation du 1er mai, laissant de fait la confédération générale du travail (CGT) dans une position hégémonique dans les cortèges.
2. Vers la reconnaissance légale du 1er mai
Des tentatives d'ériger le 1er mai en fête légale apparaissent très tôt, mais c'est paradoxalement en 1920 - alors que la journée de huit heures vient d'être inscrite dans la loi6(*) - qu'une initiative d'ampleur apparaît. À la veille du 1er mai, plus de quarante députés du Bloc national proposent en effet, sans succès, que « l'Union sacrée qui a permis de gagner la guerre se cimente à jamais par l'idée humanitaire et la féconde du travail ».
Le Front populaire envisage de reconnaître cette date parmi les jours fériés, mais le calendrier n'y est pas favorable puisque les 1er mai des années 1937 et 1938 tombent respectivement un samedi et un dimanche. À défaut, des instructions sont prises pour que les manifestations se voient reconnaître la nature de « cortège traditionnel » et ne nécessitent donc pas de déclaration en préfecture.
Par la suite, le régime de Vichy, en recherche de traditions et de légitimation, décrète en 1941 le 1er mai « Fête du Travail et de la concorde sociale ». Cette date coïncide en outre avec le saint patron correspondant au prénom de Philippe. C'est aussi sous son invitation que le brin de muguet supplante l'églantine rouge, considérée par le régime comme trop associée au communisme. En 1942, le 1er mai est donc chômé sans diminution de salaire.
Parallèlement à cette appropriation, les résistants se reconnaissent également dans la date du 1er mai, le général de Gaulle considérant en 1943 que « la Fête du Travail est un jour solennel de la Résistance nationale. »
La Libération confirme cet attachement à cette date de concorde nationale, en faisant du 1er mai 19467(*) un jour chômé et payé. Par la suite, ce sont les lois du 30 avril 19478(*) et du 29 avril 19489(*) qui pérennisent le caractère chômé de ce jour, encore en vigueur aujourd'hui.
B. Le droit existant : le 1er mai, jour légalement chômé, assorti d'une dérogation très limitée
1. Un jour légalement chômé
Parmi les onze « fêtes légales » énumérées à l'article L. 3133-1 du code du travail et consacrées comme des jours fériés10(*), le 1er mai suit un régime particulier. Il s'agit du seul jour chômé en vertu de la loi11(*) : les salariés ne le travaillent donc pas, en continuant de percevoir une rémunération. Les autres fêtes sont en effet chômées en cas d'accord collectif le prévoyant, au niveau de l'entreprise, ou, à défaut, au niveau de la branche12(*). Dans le cas contraire, c'est une décision unilatérale de l'employeur qui détermine les jours chômés13(*).
L'article L. 3133-5 du code du travail garantit que le chômage du 1er mai ne peut être une cause de réduction de salaire, tandis que les salariés rémunérés à l'heure, à la journée ou au rendement ont droit à une indemnité, à la charge de l'employeur, égale au salaire perdu du fait de ce chômage.
2. L'exception applicable aux employeurs « qui ne peuvent interrompre le travail », avec les difficultés d'interprétation qu'elle comporte
Reprenant les dispositions de l'article 3 de la loi du 30 avril 194714(*) et de l'ancien article L. 222-7 du code du travail, l'article L. 3133-6 du code du travail prévoit toutefois une exception en autorisant le travail le 1er mai « dans les établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ». Les salariés occupés ont alors le droit, en plus de leur salaire, à une indemnité, à la charge de l'employeur, égale au montant du salaire.
Cette dérogation légale, qui ne prévoit pas de conditions d'application comme le volontariat des salariés, peut toutefois être précisée par les conventions ou accords collectifs de travail. Ces derniers peuvent notamment exclure l'application de cette dérogation.
Il convient de noter enfin que l'interdiction de faire travailler les jours de fête les jeunes travailleurs âgés de moins de 18 ans15(*) s'applique également aux entreprises bénéficiant de la dérogation pour fonctionner ou ouvrir le 1er mai avec, là encore, des dérogations possibles16(*).
a) Une interprétation ministérielle traditionnelle
La liste des catégories d'établissement pouvant occuper des salariés le jour du 1er mai n'a pas été fixée par décret. Comme le confirme la direction générale du travail (DGT), certains secteurs (les transports publics, les hôpitaux, les hôtels, les services de gardiennage...) remplissent naturellement la condition légale prévue à l'article L. 3133-6 précité. Pour d'autres établissement, il est revanche plus complexe de déterminer s'ils peuvent ou non se prévaloir de la dérogation.
Une position ministérielle ancienne considérait que bénéficiaient de cette dérogation les employeurs qui pouvaient donner le repos hebdomadaire par roulement un autre jour que le dimanche, notamment en vertu d'une dérogation permanente de droit prévue à l'article L. 3132-12 du code du travail, depuis la recodification de 2008. Cette assimilation était particulièrement utile puisque le code du travail - soit au niveau législatif17(*) soit au niveau règlementaire18(*) - fixait une liste précise de secteurs concernés.
Le repos dominical et ses dérogations prévues dans le code du travail
Les articles L. 3132-1 et suivants du code du travail interdisent de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine. Il en découle un repos hebdomadaire, d'une durée minimale de vingt-quatre heures, qui doit être donné, dans l'intérêt des salariés, le dimanche19(*). Le législateur a toutefois prévu des dérogations au sein du code du travail.
• En vertu de l'article L. 3132-12 du code du travail, une dérogation permanente de droit est accordée aux établissements « dont le fonctionnement ou l'ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public ».
• En outre, en application des articles L. 3132-20 et suivants du code du travail, le préfet peut exceptionnellement accorder des dérogations au repos dominical s'il est établi que ce repos donné à tous les salariés d'un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de l'établissement.
Le préfet peut autoriser l'établissement à accorder le repos des salariés, soit toute l'année, soit à certaines époques de l'année, suivant l'une de ces modalités :
- un autre jour que le dimanche à tous les salariés de l'établissement ;
- du dimanche midi au lundi midi ;
- le dimanche après-midi avec un repos compensateur d'une journée par roulement et par quinzaine ;
- par roulement à tout ou partie des salariés.
L'autorisation préfectorale est donnée pour une durée qui ne peut excéder trois ans, après avis du conseil municipal et, le cas échéant, de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI) dont la commune est membre, de la chambre de commerce et d'industrie, de la chambre de métiers et de l'artisanat, ainsi que des organisations professionnelles d'employeurs et des organisations syndicales de salariés intéressées de la commune.
L'application de cette dérogation est également soumise au volontariat des salariés concernés. Les salariés acceptant de travailler le dimanche bénéficient de contreparties déterminées par accord collectif. En l'absence d'accord collectif applicable, une décision unilatérale de l'employeur approuvée par référendum auprès du personnel concerné fixe les contreparties applicables, qui doivent prévoir le doublement de la rémunération et des repos compensateurs20(*). Cette autorisation peut être étendue à plusieurs ou à la totalité des établissements de la même localité exerçant la même activité, s'adressant à la même clientèle.
Cette position ministérielle fut par exemple rappelée dans un courrier du 23 mai 198621(*) de Martine Aubry, alors directrice des relations du travail, adressé au président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. Ce courrier, transmis au rapporteur par cette confédération, donnait suite à une procédure engagée par l'inspection du travail à l'encontre d'un boulanger ayant occupé une salariée un 1er mai.
MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES
ET DE L'EMPLOI
DIRECTION DES RELATIONS DU TRAVAIL
Sous-direction de la négociation collective
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Paris, le 23 mai 1986
Monsieur le Président,
Par courrier du 10 janvier 1986 vous avez appelé mon attention sur la procédure engagée à l'encontre d'un de vos adhérents du Tarn et Garonne qui a occupé une de ses vendeuses le jour du 1er mai.
J'ai l'honneur de vous apporter les précisions suivantes dont j'informe les services de l'Inspection du travail concernée.
L'article L. 222-7 du Code du travail traite, sous l'aspect de la rémunération des salariés, des établissements et services qui, en raison de leur activité, ne peuvent interrompre le travail et de ce fait emploient du personnel le 1er mai.
Je vous confirme que les établissements qui bénéficient d'une dérogation en vertu des articles L. 221-622(*) et L. 221-923(*) du Code du travail relatifs au repos dominical peuvent être, selon une position administrative déjà ancienne, considérés comme répondant à la définition de l'article L. 222-7.
Il m'apparaît donc que la situation que vous évoquez n'était pas répréhensible.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma considération distinguée.
Le Directeur des relations du travail
b) Une remise en cause de cette interprétation
Toutefois, la Cour de cassation par plusieurs arrêts en 200024(*) et 200625(*) a déjugé le ministère du travail sur cette lecture de la loi. En 2006, la Cour a estimé que les établissements et services admis à donner le repos hebdomadaire par roulement n'ont pas, pour autant, le droit, par principe, de déroger au caractère chômé du jour du 1er mai pour les salariés. Il appartient à l'employeur se prévalant de l'article L. 3132-12 du code du travail de démontrer que la nature de l'activité exercée ne permet pas d'interrompre le travail.
Dès lors, comme le note le ministère du travail dans une réponse à une question parlementaire, « il convient d'analyser au cas par cas chaque situation de fait afin de déterminer si, en raison de la nature de l'activité (au regard de circonstances ou de besoins particuliers avérés, des impératifs de sécurité ou de l'intérêt général), l'interruption du fonctionnement de l'entreprise le 1er mai est ou non possible »26(*).
3. Des contrôles opérés pour certains commerces ces dernières années et des verbalisations
Ainsi les fédérations d'employeurs des branches des boulangeries pâtisseries artisanales, de la boulangerie et pâtisserie industrielle, des jardineries et graineteries et des fleuristes et animaux familiers, entendues en audition, considéraient-elles que leur secteur respectif bénéficiait d'une tolérance ministérielle pour employer des salariés le 1er mai.
Cette pratique de longue date a cependant été remise en cause par des contrôles et des verbalisations dressées localement par des inspecteurs du travail en 2023, 2024 et 2025. Le fait d'occuper un salarié le 1er mai, en méconnaissance du code du travail, est en effet passible d'une amende de 750 euros par salarié.
Les sanctions applicables en cas de manquement aux règles du 1er mai
L'article R. 3135-3 du code du travail prévoit que le fait de méconnaître les dispositions législatives relatives au 1er mai est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, soit 750 euros au plus27(*). Cette amende est appliquée autant de fois qu'il y a de salariés indûment employés ou rémunérés.
La fédération de la jardinerie a ainsi fait état de contrôles, menés en 2023, de l'inspection du travail en Charente qui ont conduit à un rappel à la loi d'une jardinerie indépendante et d'un fleuriste. De même, une procédure pénale à l'encontre de la société Jardiland a été ouverte du fait d'une ouverture le 1er mai 2024.
S'agissant des boulangeries-pâtisseries, cinq employeurs ont été verbalisés en Vendée pour avoir occupé leurs salariés le 1er mai 2024. Après avoir pu démontrer que leur situation et la nature de leur activité ne permettaient pas d'interrompre le travail le 1er mai, ils ont été relaxés par des jugements du 25 avril 2025 du tribunal de police de la Roche-sur-Yon. Les boulangers mis en cause ont notamment fait valoir qu'ils devaient assurer l'approvisionnement en pain d'établissements médico-sociaux qui ne fermaient pas le 1er mai.
C. Le dispositif proposé : redéfinir la portée de la dérogation
Le présent article vise à modifier l'article L. 3133-6 du code du travail afin de remplacer la définition existante des établissements et services pouvant occuper leurs salariés le 1er mai par une mention aux établissements concernés par la dérogation au repos dominical en vertu de l'article L. 3132-12 du même code.
Ainsi, les établissements et services admis à déroger au caractère chômé du 1er mai seraient ceux dont le « fonctionnement ou de leur ouverture rendue nécessaire par les contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public ». Or, en application du même article L. 3132-12, les catégories d'établissements concernés sont déterminées par un décret en Conseil d'État. L'article R. 3132-5 du code du travail énumère ainsi les différents secteurs bénéficiaires de cette dérogation
Les secteurs concernés par la dérogation permanente au repos dominical
En vertu de l'article R. 3132-5 du code du travail, de nombreux établissements sont concernés par la dérogation permanente de droit au repos dominical. Il s'agit, par exemple, des jardineries, des commerces d'ameublement, des commerces de bricolage, des débits de tabac, des magasins de fleurs naturelles, des commerces fabriquant des produits alimentaires destinés à la consommation immédiate, des hôtels, cafés et restaurants, des promoteurs et agences immobilières, des établissements de location de DVD et de cassettes vidéo, des casinos, des entreprises de pompes funèbres, etc.
Cette liste est d'ailleurs régulièrement mise à jour. Elle a par exemple été étendue aux établissements à caractère religieux en 2022, aux entreprises de gestion, d'exploitation ou de maintenance des lignes et installations fixes d'infrastructures ferroviaires en 2016, aux commerces de bricolage en 2014.
II - La position de la commission : un article bienvenu dans son principe mais qu'il convient de préciser
A. L'inadéquation du droit existant
Le rapporteur relève que le cadre légal existant est source d'insécurité juridique pour les professions, comme les boulangers, les fleuristes et les autres commerçants de proximité, qui traditionnellement ouvrent et occupent des salariés le 1er mai, en pensant être dans leur bon droit.
Les verbalisations dressées en 2023 et 2024, quand bien même elles ont abouti à des relaxes, suscitent l'inquiétude des professionnels. La nécessité de devoir motiver devant le juge leurs décisions de faire travailler leurs salariés induit une part risque que, généralement, ces derniers préfèrent ne pas prendre. Une majorité de boulangeries ont ainsi décidé de rester fermées le 1er mai 2025.
Parmi les boulangeries ayant tout de même ouvert, une vingtaine auraient été verbalisées, selon la confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. Cette dernière indique au rapporteur que cette situation a fait naître, parmi la profession, « un sentiment de surprise, de confusion et d'incompréhension ».
En audition, les représentants des fleuristes ont mentionné la même inquiétude, doublée d'un sentiment d'injustice de ne pouvoir exercer correctement son métier, le jour où la vente du muguet par les particuliers est tolérée. L'inadaptation du régime juridique du 1er mai est d'autant plus grande qu'il est généralement proscrit aux particuliers, au sein des arrêtés municipaux, « de s'installer à proximité d'un fleuriste... qui, désormais, restera fermé ! », selon les propos de Pascal Mutel, président de l'Union nationale des fleuristes. Le 1er mai représente une des journées où le chiffre d'affaires des fleuristes est le plus important.
Le rapporteur regrette qu'il faille légiférer sur une situation qui, en dépit des imprécisions du droit, s'était toujours réglée sans difficulté dans la pratique. Toutefois, la législation sur le chômage le 1er mai étant d'ordre public, l'incertitude juridique ne peut être levée par la voie de la négociation collective. En outre, il convient bien sûr de respecter l'indépendance des inspecteurs du travail, consacrée par la convention internationale du travail n° 81 concernant l'inspection du travail dans l'industrie et le commerce28(*).
La voie législative paraît donc la seule option et le rapporteur accueille donc favorablement la proposition de loi.
B. Trouver le juste cadre législatif
L'importance singulière et la symbolique de la journée du 1er mai en droit du travail, que les organisations syndicales entendues par le rapporteur ont rappelées en audition, exigent que la dérogation légale au chômage de ce jour soit strictement proportionnée à la continuité minimale de la vie sociale.
Or, en faisant référence au régime juridique du repos dominical, le présent article traite, par les mêmes dispositions, deux situations qui ne sont pas identiques. Cet article renvoie à une liste, déjà déterminée par le pouvoir réglementaire, comportant de nombreux secteurs d'activité dont certains ne paraissent pas devoir bénéficier d'une dérogation de principe à l'interdiction d'occuper des salariés le 1er mai.
C'est pourquoi à l'initiative du rapporteur, la commission a adopté un amendement n° COM-4 qui redéfinit le périmètre des établissements qui bénéficieraient, par principe, d'une dérogation. Ces établissements sont ceux qui, traditionnellement, ouvraient ce jour et dont l'activité justifie l'inscription d'une dérogation de droit dans la loi. Cela concerne :
- les commerces de bouche de proximité29(*) - dont les boulangeries, pâtisseries, boucheries, poissonneries, etc. - qui permettent la continuité de la vie sociale ;
- les commerces - fleuristes et jardineries - liés à un usage traditionnel du 1er mai, à savoir s'offrir du muguet ;
- les établissements du secteur culturel - cinémas et théâtres notamment - dont l'activité répond à une demande naturelle du public un jour chômé.
Ce même amendement du rapporteur prévoit également que ces établissements ne pourront employer des salariés le 1er mai que sous réserve de leur volontariat. Cette consécration législative, qui ne s'appliquait à aucun secteur jusqu'à présent, paraît être la condition légitime de cette dérogation afin de ne pas porter une atteinte disproportionnée à la fête du 1er mai.
Enfin, la rédaction retenue par la commission maintient, en parallèle, le régime existant de dérogation. Le 1er mai, les employeurs, dont l'activité ne peut être interrompue, pourront continuer d'occuper des salariés, volontaires ou non, à la condition de pouvoir démontrer que leur activité et les circonstances de l'espèce répondent au critère légal.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
* 4 Eric Hobsbawm et Terence Ranger (dir.), The Invention of Tradition, Cambridge, 1983.
* 5 Michèle Perrot, in The Power of the Past. Essays for Eric Hobsbawm, Cambridge, 1984.
* 6 Loi du 23 avril 1919 sur la journée de huit heures.
* 7 Loi n° 46-828 du 28 avril 1946 relative à la journée du 1er mai 1946.
* 8 Loi n° 47-773 du 30 avril 1947 relative à la journée du 1er mai.
* 9 Loi n° 48-746 du 29 avril 1948 modifiant et complétant la loi n° 47-778 du 30 avril 1947 relative à la journée du 1er mai.
* 10 1° Le 1er janvier ; 2° le lundi de Pâques ; 3° le 1er mai ; 4° le 8 mai ; 5° l'Ascension ; 6° le lundi de Pentecôte ; 7° le 14 juillet ; 8° l'Assomption ; 9° la Toussaint ; 10° le 11 novembre ; 11° le jour de Noël.
* 11 Article L. 3133-4 du code du travail.
* 12 Article L. 3133-3-1 du code du travail.
* 13 Article L. 3133-3-2 du code du travail.
* 14 Loi n° 47-778 du 30 avril 1947 relative à la journée du 1er mai.
* 15 Article L. 3164-6 du code du travail.
* 16 Article L. 3164-8 du code du travail.
* 17 En application de l'ancien article L. 221-9 du code du travail.
* 18 Par le décret d'application de l'article L. 221-9 du code du travail ou du nouvel article L. 3132-12 du code du travail.
* 19 Art. L. 3132-3 du code du travail.
* 20 I de l'article L. 3132-25-3 et article L. 3132-25-4 du code du travail.
* 21 Lettre de Martine Aubry, directrice des relations du travail, du 23 mai 1986.
* 22 Devenu, peu ou prou, les articles L. 3132-20 et suivants du code du travail.
* 23 Dont les dispositions sont aujourd'hui comprises à L. l'article L. 3132-12 du code du travail.
* 24 Cass. crim. 8 février 2000, no 99-82.118.
* 25 Cass. crim. 14 mars 2006, no 05-83.436.
* 26 Réponse à la question écrite du député Jérôme Nury (n° 5508, 17e législature).
* 27 Article 131-13 du code pénal.
* 28 Dont le Conseil d'État assure la garantie juridictionnelle : CE, 9 octobre 1996, Union nationale C.G.T. des affaires sociales et autres, n° 167511, publié au recueil Lebon.
* 29 Il s'agit des établissements assurant, à titre principal, la fabrication ou la préparation de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate ou les autres établissements dont l'activité exclusive est la vente de produits alimentaires au détail.