B. SE DOTER RAPIDEMENT D'UNE VÉRITABLE PROGRAMMATION PRÉVOYANT UN RETOUR À L'ÉQUILIBRE À MOYEN TERME ET RÉALISER UN NOUVEAU TRANSFERT DE DETTE À LA CADES

1. Les prévisions à moyen terme des LFSS : contrairement à ce que prévoit la lettre de la loi organique, un scénario ne prenant en compte que les mesures déjà connues (sauf pour l'Ondam)

La portée des prévisions annexées au PLFSS ne doit pas être exagérée.

Certes, l'hypothèse retenue en matière de croissance de l'Ondam a été systématiquement optimiste de 2020 à 2024. Toutefois sous cette réserve, et abstraction faite de l'optimisme systématique du Gouvernement pour l'hypothèse de croissance, cette annexe est bien une prévision à politiques inchangées, ne prenant en compte que les mesures déjà connues ou prévues.

Pourtant, l'article L.O. 111-4 précité du code de la sécurité sociale indique que le rapport décrit, « pour les quatre années à venir, les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses des régimes obligatoires de base ». Ce rapport n'a donc pas une vocation purement prévisionnelle, sur la base des mesures existantes ou prévues, mais doit bien correspondre à une programmation, indiquant clairement « où on va ».

2. L'absence de programmation à moyen terme des finances sociales

Comme indiqué supra, la réforme du pacte de stabilité d'avril 2024 remplace les programmes de stabilité et les programmes nationaux de réforme (PNR) par un document unique : les plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme (PSMT), devant être transmis tous les quatre ans.

Toutefois, contrairement aux anciens programmes de stabilité, le plan budgétaire et structurel à moyen terme (ou PSMT) ne comprend pas de programmation dans le cas des administrations de sécurité sociale (Asso).

Les lois de programmation des finances publiques pourraient en théorie suppléer ce manque. Cependant, la loi de programmation des finances publiques actuellement en vigueur (celle de décembre 2023)94(*) a été caduque à peine votée.

3. La nécessité de se doter rapidement d'une véritable programmation à moyen terme pour la sécurité sociale
a) Se doter rapidement d'une véritable programmation à moyen terme prévoyant le retour de la sécurité sociale à l'équilibre

La situation actuelle, où coexistent des prévisions pluriannuelles annexées aux LFSS, ne prenant en compte que les mesures connues ou prévues, et des textes programmatiques relatifs à l'ensemble des administrations publiques (lois de programmation des finances publiques, PSMT), plus volontaristes, fait perdre toute lisibilité à la programmation des finances sociales.

Aussi, le « point d'accord » n° 4 des rapporteures du récent rapport95(*) de la Mecss sur le retour de la sécurité sociale à l'équilibre consiste à « adopter rapidement, éventuellement dans l'annexe à la LFSS 2026, une trajectoire crédible de solde de la sécurité sociale, garantissant un retour à l'équilibre structurel si possible en 2029 et au plus tard en 2035 ».

Le « point d'accord » n° 6 consiste quant à lui à « adopter annuellement, éventuellement dans l'annexe à la LFSS, une programmation (et non une simple prévision à politiques inchangées) à moyen terme de recettes, de dépenses et de solde de la sécurité sociale ».

b) La mention dans le projet d'annexe à la LFSS pour 2026 de l'objectif de retour de la sécurité sociale à l'équilibre en 2029 : une avancée dont il faut se féliciter mais qui ne saurait suffire

Le projet d'annexe à la LFSS comprend un III ainsi rédigé :

« III. - D'ici 2029, des efforts supplémentaires conséquents seront à mettre en oeuvre pour revenir à l'équilibre.

Les comptes de la sécurité sociale devront être ramenés à l'équilibre d'ici 2029 afin de garantir sa pérennité. Il conviendra également de prévoir le remboursement de la dette supplémentaire constituée dans l'intervalle, à un horizon suffisamment rapproché pour ne pas peser sur les générations suivantes.

Le retour à l'équilibre des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale à cet horizon requiert un effort supplémentaire de [18,3]96(*) milliards d'euros sur quatre ans, par rapport à la trajectoire résultant de la présente loi et décrite ci-dessus. »

Jusqu'alors aucun document public, a fortiori législatif, n'indiquait clairement que l'objectif était de revenir à l'équilibre en 2029.

Cet objectif n'avait fait l'objet que de déclarations. Ainsi, la ministre chargée des comptes publics avait déclaré, le 19 avril 2025, que l'objectif était de ramener la sécurité sociale à l'équilibre en 2028-202997(*). Elle l'avait confirmé au Sénat le 28 mai 2025, lors des questions d'actualité au Gouvernement98(*), puis le 23 juin 2025, lors de l'examen du projet de loi d'approbation des comptes (Placss) pour 202499(*). L'objectif de retour à l'équilibre en 2029 avait ensuite été affirmé par le Premier ministre100(*).

On peut toutefois se demander si le III précité, relativement discret et peu précis, suffira à rassurer les créanciers de la France, et en particulier de l'Acoss.

Aussi, la commission propose, dans l'attente d'une véritable programmation, de le rédiger de manière plus concrète, en précisant qu'il faudra réaliser sur la période 2027-2029 environ 30 milliards d'euros d'économies101(*), soit 10 milliards d'euros d'économies par an.

4. Réaliser de nouveaux transferts de dette à la Cades

L'élaboration d'une véritable programmation pluriannuelle des finances de la sécurité sociale (et non une projection sur la base des seules mesures prévues, comme actuellement), prévoyant un retour à l'équilibre, est un préalable à la réalisation de nouveaux transferts de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

Les modalités d'amortissement de la dette sociale par la Cades sont fixées par l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.

En conséquence de la forte dégradation de la situation des finances sociales résultant de la crise sanitaire, la loi organique n° 2020-991 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie a modifié l'article 4 bis102(*) de l'ordonnance précitée afin de prévoir un amortissement de la dette sociale d'ici le 31 décembre 2033103(*). Pour mémoire, cette échéance, fixée en 1998 à 2014, avait progressivement été repoussée jusqu'en 2024.

La loi (ordinaire) n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie a modifié l'article 4 de l'ordonnance précitée pour prévoir de nouveaux transferts de dette à la Cades, d'un montant total de 136 milliards d'euros.

Ce plafond a été atteint en 2024. Par ailleurs, aucun transfert de dette à la Cades n'est prévu pour les déficits postérieurs à 2023.

a) À droit inchangé, la dette sociale s'accumulerait à l'Acoss

À droit inchangé, selon l'annexe 2 au PLFSS, la dette portée par la Cades atteindrait 121,7 milliards d'euros en 2025, puis diminuerait jusqu'à son amortissement, actuellement prévu pour 2032 selon le scénario figurant à l'annexe 3 du PLFSS.

En revanche, les déficits de la sécurité sociale s'accumuleraient à l'Acoss.

Le graphique ci-après, issu d'une récente communication de la Cour des comptes à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, montre qu'en l'absence de mesures de redressement supplémentaires à celles proposées par le PLFSS et de nouveau transfert de dette à la Cades, la dette sociale serait à partir de 2027 majoritairement détenue par l'Acoss.

Projection de la dette sociale à l'horizon 2029

(en milliards d'euros)

Source : Cour des comptes, La situation financière de la sécurité sociale - Une perspective de redressement fragile en 2026, une impasse de financement préoccupante, communication à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, octobre 2025

Une telle perspective n'est pas acceptable.

En particulier, selon l'article L. 139-3 du code de la sécurité sociale, l'Acoss ne peut s'endetter qu'à court terme (deux ans au maximum depuis l'article 39 de la LFSS pour 2025), ce qui lui impose de se financer quotidiennement sur les marchés, avec un nombre limité d'investisseurs potentiels.

Comme indiqué supra, laisser la dette s'accumuler à l'Acoss pourrait susciter un risque de liquidité, et mettre en péril, par exemple, le paiement des pensions. La crise de financement de 2020 montre qu'il ne s'agit pas d'un risque théorique.

Tel serait d'autant plus le cas si la France devait connaître une nouvelle crise majeure, économique ou sanitaire par exemple.

b) Sécuriser le financement d'une dette sociale qui va continuer à croître

Il importe donc de sécuriser le financement de la dette sociale.

L'article 4 bis de l'ordonnance n° 96-50 précitée, qui a valeur organique104(*), prévoit que « tout nouveau transfert de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale est accompagné d'une augmentation de ses recettes permettant de ne pas accroître la durée d'amortissement de la dette sociale au-delà du 31 décembre 2033 ». Par ailleurs, si l'annexe 3 au présent PLFSS prévoit que l'amortissement de la dette transférée à la Cades s'achèverait dès 2032, il s'agit d'un simple scénario médian, qui doit être appréhendé avec prudence, compte tenu de sa dépendance à la croissance du PIB et au niveau des taux d'intérêt.

Jusqu'à récemment, la position du Sénat était qu'il convenait de respecter la date limite d'amortissement de la dette sociale actuellement fixée par l'article 4 bis précité, c'est-à-dire le 31 décembre 2033.

Si les dettes correspondant aux déficits d'ici 2029 étaient transférées au fur et à mesure à la Cades, il est évident qu'aucun transfert de recettes ne permettrait l'amortissement d'ici 2033 d'une dette qui ne ferait de toute façon que croître.

Il faudrait alors nécessairement repousser à nouveau l'échéance d'amortissement de la dette confiée à la Cades, ce qui impliquerait l'adoption d'une disposition organique.

Aussi, les rapporteures du rapport précité de la Mecss préconisent, dans leur « point d'accord » n° 5, de « réviser rapidement l'article 4 bis (à valeur organique) de l'ordonnance de 1996 sur la Cades, afin de permettre un nouveau transfert de dette de l'Acoss à la Cades ».

c) Dans l'immédiat : transférer 20 milliards d'euros à la Cades pour donner une année de répit à la sécurité sociale ?

Selon les indications fournies par la Cades, la fin de l'amortissement aurait vraisemblablement lieu au second semestre 2032, alors que l'article 4 bis de l'ordonnance n° 96-50 précitée prévoit une fin d'amortissement de la dette sociale le 31 décembre 2023. Il pourrait donc exister une marge pour réaliser un transfert de dette vers la Cades.

La capacité d'amortissement annuelle de la Cades étant d'environ 16 milliards d'euros, un transfert d'une vingtaine de milliards d'euros est envisageable. Un tel transfert permettrait à l'Acoss de disposer d'une année de répit, avant le « véritable » transfert de dette, vraisemblablement postérieur à la prochaine élection présidentielle et dont le montant pourrait dépasser la centaine de milliards d'euros.

Ainsi, selon une note de bas de page d'une récente communication105(*) de la Cour des comptes à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, « le rythme de remboursement actuel de la Cades est plus rapide que prévu, ce qui devrait éteindre la dette dont elle a la charge au cours du second semestre 2032, au lieu du 31 décembre 2033 (dégageant une ressource non affectée de l'ordre de 20 milliards d'euros, pouvant ouvrir la voie à une reprise partielle de dette dont les conditions juridiques doivent être précisées) ».

Jusqu'à présent la commission a été réservée au sujet d'une telle éventualité, considérant qu'en l'absence de perspective crédible de retour de la sécurité sociale à l'équilibre à moyen terme, un tel « petit » transfert de dette pourrait avoir pour principal effet d'inquiéter les marchés. Toutefois plus le temps passe, plus le statu quo est risqué.

Un tel transfert devrait vraisemblablement s'accompagner de celui de ressources supplémentaires :

- d'un point de vue juridique, c'est ce que peut suggérer une lecture stricte des deux premiers alinéas de l'article 4 bis de l'ordonnance n° 96-50 précitée (cf. encadré ci-après), qui pourraient être compris comme impliquant l'affectation à la Cades d'une fraction supplémentaire de CSG ou une augmentation de la CRDS106(*) ;

- la dette supplémentaire ne pourrait être amortie qu'à partir de 2032, d'où une charge d'intérêt supplémentaire d'ici là (environ 0,6 milliard d'euros107(*)) ;

- les créanciers de la Cades considéreraient vraisemblablement que transférer une dette supplémentaire à la Cades sans lui donner de ressources supplémentaires implique un risque plus élevé, et donc des taux plus élevés.

Comme la commission l'a souligné dans son récent rapport108(*) sur le financement de la sécurité sociale, en l'absence de recettes supplémentaires, la Cades ne pourrait commencer à amortir un prochain « gros transfert » de dette qu'à partir de la fin de l'amortissement de son stock de dette actuel, ce qui pourrait conduire à un délai entre le transfert et la fin de l'amortissement nettement plus long que celui des transferts précédents. Conserver une durée d'amortissement raisonnable (d'une dizaine d'années) impliquerait donc vraisemblablement des recettes supplémentaires.

Article 4 bis de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996
relative au remboursement de la dette sociale

« Tout nouveau transfert de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale est accompagné d'une augmentation de ses recettes permettant de ne pas accroître la durée d'amortissement de la dette sociale au-delà du 31 décembre 2033.

Les recettes mentionnées au premier alinéa correspondent au produit d'impositions de toute nature dont l'assiette porte sur l'ensemble des revenus perçus par les contribuables personnes physiques. Des prélèvements sur les fonds des organismes chargés de la mise en réserve de recettes au profit des régimes obligatoires de base de sécurité sociale peuvent également être affectés à l'amortissement de cette dette.

La loi de financement de la sécurité sociale assure, chaque année, le respect de la règle définie au même premier alinéa. Les annexes mentionnées au 3° de l'article L.O. 111-4-1 du code de la sécurité sociale et au 8° de l'article L.O. 111-4-4 du même code comportent les informations nécessaires pour le vérifier.

Pour l'application du présent article, la durée d'amortissement est appréciée au vu des éléments présentés par la caisse dans ses estimations publiques. »


* 94 Loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

* 95 Élisabeth Doineau, Raymonde Poncet Monge, Sécurité sociale : la boîte à outils du Sénat, rapport d'information n° 901 (2024-2025), Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat, commission des affaires sociales, 23 septembre 2025.

* 96 Ce montant n'a pas été actualisé par rapport au texte déposé le 14 octobre.

* 97 « En juin, le conclave sur les retraites se termine. On se penchera alors sur la sécurité sociale et ses 22 milliards d'euros de déficit. L'objectif est un retour à l'équilibre en 2028-2029 » (Amélie de Montchalin, interview au Parisien, 19 avril 2025).

* 98 « Nous nous fixons comme objectif de revenir à l'équilibre avant 2029 » (compte rendu intégral des débats, séance du 28 mai 2025).

* 99 « Nous sommes parvenus à rééquilibrer les comptes sociaux entre 2010 et 2019 ; entre 2020 et 2028, ou au plus tard en 2029, nous devrons avoir reconstruit une telle trajectoire » (compte rendu intégral des débats, séance du 23 juin 2025).

* 100 15 juillet 2025.

* 101 Si on considère que le respect de l'Ondam implique des économies de 4 milliards d'euros par an par rapport au tendanciel.

* 102 Auquel le Conseil constitutionnel a conféré une valeur organique dans sa décision n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005.

* 103 « Tout nouveau transfert de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale est accompagné d'une augmentation de ses recettes permettant de ne pas accroître la durée d'amortissement de la dette sociale au-delà du 31 décembre 2033 ».

* 104 Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005 relative à la Lolfss, a reconnu la valeur organique de cet article 4 bis. En effet, cet article, qui prévoyait alors que « tout nouveau transfert de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale est accompagné d'une augmentation des recettes de la caisse permettant de ne pas accroître la durée d'amortissement de la dette sociale », avait été inséré par l'article 20 de la Lolfss.

* 105 Cour des comptes, La situation financière de la sécurité sociale - Une perspective de redressement fragile en 2026, une impasse de financement préoccupante, communication à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, octobre 2025.

* 106 Inversement, on pourrait considérer que le maintien de la CRDS, alors même que le stock actuel de dette sociale transférée à la Cades aurait été amorti, peut être assimilé à une recette supplémentaire.

* 107 En supposant un transfert de 20 milliards d'euros et un taux d'intérêt de 3 %.

* 108 Élisabeth Doineau, Raymonde Poncet Monge, Sécurité sociale : la boîte à outils du Sénat, rapport d'information n° 901 (2024-2025), Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat, commission des affaires sociales, 23 septembre 2025.

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