C. LA RÉDUCTION PRÉCIPITÉE DES EFFECTIFS DE VOIES NAVIGABLES DE FRANCE MENACE LA RÉFORME STRUCTURELLE DE L'OPÉRATEUR ET LES GAINS DE PERFORMANCE QUI EN SONT ATTENDUS
1. Depuis 2025, Voies navigables de France (VNF) est confronté à une réduction imprévue de ses effectifs
Voies navigables de France (VNF), établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère chargé de la transition écologique, gère le réseau de voies navigables. Il est chargé de son exploitation, de son entretien, de sa maintenance, de son amélioration ainsi que de son extension. Le réseau géré par l'établissement comprend 6 700 kilomètres de voies navigables, plus de 3 000 ouvrages d'art et 40 000 hectares de domaine public en bordure de voie d'eau.
Le 22 décembre 2023, l'État et VNF ont conclu un contrat d'objectifs et de performance pour la période 2023-2032. Ce contrat inclut notamment une trajectoire financière prévisionnelle sur l'ensemble de la période couverte. Il prévoit un renforcement des investissements, une hausse des ressources de l'opérateur, principalement via les subventions versées par l'AFITF ainsi que de l'affectation du produit de la redevance domaniale de prise et de rejet d'eau, dite « redevance hydraulique ». Le contrat prévoyait aussi une stabilisation de ses effectifs jusqu'en 2026, un engagement qui n'a cependant pas été tenu par l'État, les emplois de l'opérateur ayant été réduits dès 2025 (voir infra). Ce contrat, ainsi que la trajectoire financière qui lui est associée, a pour principale finalité d'accélérer la régénération et la modernisation du réseau fluvial.
Après une période de diminution, le plafond d'emplois de VNF s'était stabilisé entre 2023 et 2024 à 4 028 ETPT. Comme précisé supra, cette stabilité avait été garantie jusqu'en 2026, par le contrat d'objectifs et de performance de l'opérateur. Néanmoins, la loi de finances pour 2025 a réduit les effectifs de l'établissement de 38 ETPT. Cette diminution s'inscrivait dans le cadre d'une mesure plus générale de réduction des emplois des opérateurs adoptée au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2025 à l'initiative du Gouvernement. Le présent projet de loi de finances prévoit une nouvelle réduction de 40 ETPT des effectifs de VNF. Aussi, en 2026, le plafond d'emploi de l'opérateur représenterait 3 950 ETPT, soit 88 de moins que le niveau prévu par le contrat d'objectifs et de performance (4 028 ETPT).
Évolution du plafond d'emplois de VNF (2015-2026)
(en ETPT)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Dans le cadre d'un plan de modernisation ambitieux, VNF entend réaliser des gains de productivité permettant à terme de réduire ses effectifs permanents, en particulier en déployant des postes de commande centralisés60(*). Cependant, une réduction des emplois de l'opérateur excessive et trop précoce pourrait faire courir le risque de retarder la mise en oeuvre de ce programme et l'amélioration de la performance qui doit en résulter. C'était pour cette raison, afin de synchroniser l'évolution des effectifs et le déploiement du plan de modernisation, que le contrat d'objectifs et de performance avait prévu une stabilisation du plafond d'emplois de l'opérateur jusqu'en 2026. À compter de 2027, pour tirer les bénéfices des gains de productivité induits par le programme de modernisation, le contrat de performance prévoyait une reprise de la baisse des effectifs de VNF à hauteur de 60 ETPT par an.
Alors que ce programme de modernisation de VNF n'est pas achevé et que les gains de performance qui doivent en résulter ne se sont donc pas tous matérialisés, ces réductions prématurées d'effectifs conduisent à supprimer des postes qui restent pourtant encore indispensables à la gestion des voies navigables, notamment sur le réseau de petit gabarit. Aussi, aujourd'hui, se traduisent-elles très concrètement par la suspension de la navigation sur certaines voies d'eau une partie de l'année61(*).
Alors que les aspects les plus ambitieux et les plus sensibles de la réforme organisationnelle visant à la modernisation de VNF sont en pleine phase de négociations avec les organisations syndicales, cette réduction d'effectifs par laquelle l'État s'exonère des engagements qu'il avait pris auprès de l'opérateur et de son corps social dans le cadre du contrat d'objectifs et de performance, intervient au plus mauvais moment. Elle pourrait compromettre, ou tout au moins retarder, la mise en oeuvre d'un programme de modernisation ambitieux et inédit dans l'histoire de l'établissement qui implique notamment une rationalisation très significative de ses implantations62(*), des changements substantiels de nombreuses fiches de postes63(*) ainsi que des déplacements géographiques pour environ 400 agents. Les gains de performance attendus sont à ce prix. La remise en cause ou le gel de ces réformes déclencherait une sorte de cercle vicieux dans lequel l'opérateur ne réaliserait pas les gains d'efficience attendus et continuerait de subir les réductions de ses effectifs sans pouvoir les absorber par une amélioration structurelle de sa performance.
Afin de ne pas compromettre la mise en oeuvre de son plan de modernisation, VNF est prêt à réduire le montant de sa subvention annuelle à la hauteur du coût des ETP que le présent projet de loi de finances propose de lui retirer, et ce, afin que la préservation de ces effectifs n'ait pas d'incidence sur les prévisions de solde public en 2026. Les rapporteurs, attachés à ce que VNF puisse réaliser les réformes pour lesquelles il s'est engagé, estiment que cette proposition est à la fois raisonnable, responsable et légitime. C'est pour cette raison qu'ils prennent l'initiative de déposer deux amendements, l'un à l'article 55 visant à relever à hauteur de 35 ETPT le plafond d'emplois de VNF prévu par le présent PLF et l'autre (FINC.2), sur les crédits du programme 203, visant à réduire de 3 millions d'euros la subvention versée à l'opérateur, pour la fixer à 249,7 millions d'euros.
En 2025, les dépenses de personnel de VNF devraient représenter 282,8 millions d'euros, soit une augmentation de 9,2 millions d'euros par rapport à 2024, principalement du fait du phénomène de glissement vieillesse technicité (GVT). Le budget prévisionnel 2026 de l'opérateur prévoit à ce stade une nouvelle augmentation de 4,2 millions d'euros de ces charges. Celles-ci pourraient ainsi atteindre 287 millions d'euros au cours de l'année à venir.
Hors charges de personnel, les dépenses de fonctionnement de VNF devraient atteindre 163,6 millions d'euros en 202564(*), soit une hausse de 9,3 millions d'euros en un an. En 2026, elles devraient se réduire de 4,5 millions d'euros, pour s'établir à 159,1 millions d'euros.
Depuis 2023, la subvention pour charges de service public (SCSP) de VNF s'est globalement stabilisée en volume à environ 253 millions d'euros. La trajectoire financière prévisionnelle incluse dans le contrat d'objectifs et de performance de l'opérateur prévoit même sa stabilisation sur l'ensemble de la période 2023-2032.
Évolution de la SCSP de VNF inscrite en loi de finances initiale
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
Conformément à la trajectoire prévue par le contrat d'objectifs et de performance, l'article 36 du présent projet de loi de finances prévoit de relever de 7,2 millions d'euros, à 150,3 millions d'euros, le plafond d'affectation à VNF du produit de la redevance hydraulique. Dans la mesure où cette redevance représente la principale ressource propre de l'établissement, sa revalorisation constitue l'un des éléments essentiels de la trajectoire financière prévisionnelle que VNF a contractualisée avec l'État. En 2026, l'établissement anticipe cependant le versement d'une somme complémentaire de 22 millions d'euros au titre de cette redevance dans le cadre d'un contentieux avec Électricité de France (EDF). En l'état actuel du projet de loi de finances, si le plafond d'affectation de la redevance hydraulique n'était pas relevé d'autant en 2026, cette somme serait reversée au budget général de l'État. Alors que cette redevance domaniale n'a pas en théorie pour vocation d'alimenter le budget de l'État, VNF demande a minima à ce que son plafond d'affectation soit relevé à 172 millions d'euros en 2026.
C'est d'ailleurs la légitimité même du plafond de la redevance hydraulique que conteste VNF ainsi que la DGITM. Cette analyse a récemment été confirmée et défendue également par la Cour des comptes dans un rapport publié en février 202565(*) : « au regard du fait que cette recette constitue bien une redevance domaniale et non plus une taxe, il n'y a plus lieu de fixer de plafond budgétaire annuellement ». La quatrième des recommandations de ce rapport vise ainsi à « supprimer le plafond de la redevance hydraulique fixé en loi de finances ». À minima, les rapporteurs sont favorables à ce que le plafond d'affectation de la redevance soit relevé en 2026 de façon à ce que les sommes collectées soient bien allouées à la gestion des voies navigables.
Outre le sujet de son plafonnement, des travaux ont par ailleurs été initiés dans la perspective d'une révision plus profonde du cadre de cette redevance. Cette dernière se caractérise aujourd'hui par certaines imperfections qui ont trait notamment à sa base étroite puisqu'elle repose essentiellement sur quelques gros contributeurs, au premier rang desquels l'entreprise Électricité de France (EDF)66(*), au titre de la ressource en eau qu'elle prélève et rejette pour refroidir ses centrales nucléaires, ainsi que les principaux services publics d'eau et d'assainissement (SPEA). À eux seuls, EDF et les principaux SPEA représentent 82 % du rendement prévisionnel de la redevance en 2025. Cette situation est notamment source de contentieux.
Par ailleurs, aujourd'hui, le niveau de tarification de cette redevance dépend des volumes prélevables et/ou rejetables et non de la valeur économique ajoutée liée à l'utilisation de l'eau, un modèle qui n'incite pas à une consommation vertueuse de la ressource en eau. L'établissement a signalé aux rapporteurs que ces travaux s'inscrivent aussi dans la volonté d'élargir la place et le rendement de cette ressource propre dans le schéma de financement de VNF.
Pour 2025, les ressources propres de l'établissement67(*) devraient s'établir à 70,6 millions d'euros.
En 2025, l'opérateur devrait par ailleurs recevoir 118,5 millions d'euros en provenance, d'une part des collectivités territoriales dans le cadre de la mise en oeuvre des CPER et, d'autre part, en provenance de l'Union européenne (UE) dans le cadre du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE).
2. Des investissements conformes au contrat d'objectifs et de performance mais insuffisants par rapport aux besoins
Les dépenses d'investissement de VNF dans le réseau fluvial se déclinent en trois volets :
- la régénération vise au maintien en état des voies navigables par des opérations de gros entretien, de réparation ou de sécurité ;
- la modernisation a pour objet d'assurer l'exploitation des voies navigables par des dispositifs centralisés ou automatisés, à développer une politique de maintenance préventive, à moderniser la gestion hydraulique et à optimiser la gestion du trafic ;
- le développement consiste à construire de nouvelles infrastructures, ou à aménager des infrastructures existantes pour en améliorer la capacité ou les fonctionnalités.
La LOM avait prévu une augmentation progressive des subventions versées par l'AFITF à VNF en faveur de la régénération et de la modernisation du réseau fluvial. Cet objectif a été traduit depuis dans les trajectoires financières prévues par les contrats d'objectifs et de performance. En 2024, cette subvention avait ainsi été augmentée de près de 40 millions d'euros pour atteindre un montant de 166 millions d'euros. Depuis 2025, elle représente 167 millions d'euros. Ce montant doit être reconduit à l'identique en 2026.
En 2025, les investissements de VNF dans le réseau fluvial, initialement prévus à 296 millions d'euros, devraient finalement représenter 338 millions d'euros. Le budget prévisionnel 2026 prévoit quant à lui d'allouer 285 millions d'euros aux investissements.
Évolution des dépenses
d'investissement totales de VNF
dans les infrastructures du réseau
fluvial (2019-2025)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire budgétaire
Si les investissements prévus dans les infrastructures fluviales existantes respectent les trajectoires financières du contrat d'objectifs et de performance de VNF, le rapport de la Cour des comptes de février 2025 précité a souligné que les dépenses consacrées au patrimoine confié à l'opérateur sont aujourd'hui nettement insuffisantes pour éviter sa dégradation. Ce rapport a ainsi pointé que « le patrimoine confié à VNF reste, pour une bonne part, dans un état préoccupant en lien avec l'insuffisance historique des moyens consacrés à son entretien ». La dégradation des infrastructures qui en résulte n'est pas sans conséquences, la Cour des comptes observe qu'elle « se traduit concrètement par des pannes d'écluses, des pertes d'étanchéité, des non-conformités aux règles de sécurité hydraulique ou de continuité écologique. Elle se reflète aussi dans des restrictions croissantes de navigation ».
La Cour des comptes évalue à 1,1 milliard d'euros la dette grise accumulée par le réseau fluvial. Si le rapport reconnaît que le contrat d'objectifs et de performance prévoit une revalorisation bienvenue de la trajectoire pluriannuelle des investissements dans le réseau des voies navigables, il estime que cette augmentation n'est pas encore à la hauteur des enjeux. En effet, si le contrat permet d'augmenter d'environ 50 % les investissements dans les infrastructures fluviales entre 2023 et 2033, dont le montant total devrait représenter 2,5 milliards d'euros, la Cour des comptes considère que sur cette période de dix ans, 3 milliards d'euros seraient nécessaires pour stabiliser l'état actuel du réseau et 3,8 milliards d'euros pour réellement le remettre à niveau.
Les conclusions de la conférence de financement des mobilités, « ambition France transports » ont confirmé ces constats et recommandé d'augmenter de 200 millions d'euros par an68(*) les investissements de VNF, 100 millions d'euros pour les besoins du fret fluvial et 100 millions d'euros relatifs aux enjeux de gestion de l'eau, d'environnement et de prévention des risques, notamment d'inondations.
Concernant les premiers 100 millions d'euros relatifs aux transports, le contrat d'objectifs et de performance prévoit déjà d'atteindre la moitié de cette cible à compter de 2028 via une augmentation de 50 millions de la subvention versée à VNF par l'AFITF pour la régénération et la modernisation du réseau des voies navigables.
S'agissant des montants nécessaires pour financer des opérations en lien avec la gestion de l'eau, l'environnement et la prévention des risques, les rapporteurs ont été informés que la réforme de la redevance hydraulique, qui pourrait conduire à une hausse d'environ 40 millions d'euros par an de son rendement, ainsi que la création d'une taxe de soutien à la gestion de l'eau sont à ce jour les pistes de financement qui font l'objet des réflexions les plus avancées.
* 60 Permettant la « téléconduite ».
* 61 C'est notamment le cas sur les canaux de Bourgogne.
* 62 Le plan prévoit de les réduire de moitié, les faisant passer à terme de 200 à 100.
* 63 Pour environ 1 900 agents de l'opérateur.
* 64 Dont 118,3 millions d'euros doivent être directement affectés aux dépenses d'entretien et d'exploitation du réseau.
* 65 L'entretien des voies navigables : l'exemple de VNF, février 2025.
* 66 62 % du produit de la redevance en 2025.
* 67 Qui comprennent les péages pour le fret et le tourisme, les redevances domaniales et diverses autres recettes croissantes tirées d'activités hydroélectriques.
* 68 En euros constants de 2023.


