III. CERTES DYNAMIQUES, LES DÉPENSES DU BACEA N'EN SONT PAS MOINS AFFECTÉES PAR LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE

A. UNE HAUSSE DES CHARGES DE PERSONNEL SOUTENUE PAR LES MESURES CATÉGORIELLES DU PROTOCOLE SOCIAL ET DES RECRUTEMENTS DE NOUVEAUX CONTRÔLEURS SENSÉS DEVOIR FAIRE FACE À LA CROISSANCE DU TRAFIC

1. Dynamique, le recrutement de nouveaux contrôleurs aériens sera-t-il pour autant suffisant pour absorber le double choc de la hausse du trafic et d'une vague massive de départs à la retraite ?

Après des réductions d'effectifs pendant la crise, le solde annuel des créations d'emplois à la DGAC est positif depuis 2024. Cette situation s'explique par le besoin de recruter rapidement de nouveaux contrôleurs afin de faire face à la reprise du trafic aérien et à la perspective d'une vague importante de départ à la retraite à l'horizon de la fin de la décennie. L'anticipation de cette vague de départs à la retraite est d'autant plus nécessaire que la formation d'un contrôleur s'étend sur une période de cinq années.

En 2025, le total des flux prévisionnels devrait représenter 479 ETP en entrées et 357 ETP en sorties. Le solde prévisionnel devrait ainsi, comme prévu par la loi de finances pour 2025, être positif à hauteur de 122 ETP. L'effectif des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA) augmenterait de 128 ETP en raison de l'entrée en formation à l'ENAC de 4 nouvelles promotions de contrôleurs stagiaires au cours de l'année.

Détail du schéma d'emplois 2025 de la DGAC

(en ETP)

 

Départ

Arrivées

Schéma d'emploi

Administratifs/cadres

168

174

+ 6

ICNA

39

167

+ 128

IESSA-TSEAC

121

132

+ 11

Ouvriers

29

6

- 23

Total

357

479

+ 122

IESS : ingénieurs électroniciens des systèmes de la sécurité aérienne.

TSEAC : techniciens supérieurs des études et de l'exploitation de l'aviation.

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

En 2026, à l'échelle du BACEA, le présent projet de loi de finances prévoit quant à lui un schéma d'emploi positif à hauteur de 78 ETP. Cette augmentation d'effectifs devra permettre le recrutement de nouveaux contrôleurs aériens avec quatre nouvelles promotions de quarante élèves chacune prévue pour l'année à venir. En 2026, l'augmentation des effectifs d'ICNA devrait ainsi représenter 110 ETP.

Détail du schéma d'emplois 2026 de la DGAC

(en ETP)

 

Schéma d'emploi

Administratifs/cadres

- 1

ICNA

+ 110

IESSA-TSEEAC

- 21

Ouvriers

- 10

Total

+ 78

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Cette évolution s'inscrit dans la mise en oeuvre d'une trajectoire de recrutement pluriannuelle destinée à pallier une vague importante de départs à la retraite qui doit intervenir en fin de décennie ainsi que l'enjeu capacitaire lié à la reprise du trafic aérien. Cette trajectoire devait se traduire par 150 à 160 recrutements de nouveaux ICNA par an jusqu'en 2027, des recrutements qui devaient notamment être partiellement compensés par des réductions d'effectifs prévues pour les cadres des IESSA et des TSEEAC ainsi que pour les ouvriers d'État.

Cette trajectoire prévoyait ainsi, pour le BACEA dans son ensemble, des schémas d'emplois positifs de 132 ETP en 2025, 88 ETP en 2026 et de 79 ETP en 2027. En 2025 comme en 2026, le schéma d'emploi est inférieur de 10 ETP à la trajectoire qui avait été prédéfinie.

Alors que l'augmentation du trafic de survol est plus forte et plus rapide qu'anticipé, que le nombre de vols à contrôler ne cesse de s'accroître et qu'une vague inédite de départs à la retraite se profile, le rapporteur craint que les nouveaux recrutements envisagés aujourd'hui, et dont les effets sur la capacité de contrôle effective ne se feront ressentir qu'avec un décalage de cinq années environ, soient insuffisants pour faire passer le trafic aérien dans des conditions acceptables. Dès à présent, la DGAC a alerté le rapporteur sur la très grande tension de la capacité de contrôle aérien en Polynésie française ainsi que dans les Antilles.

Outre les nécessaires améliorations de la performance du contrôle aérien, à travers la modernisation de ses outils et plus encore de son organisation du travail, le rapporteur craint que le déficit quantitatif de contrôleurs ne se traduise par une situation de sous-capacité chronique du contrôle de la navigation aérienne, qu'il sera très difficile et long à combler du fait de la durée de formation des contrôleurs. Cela risque de se traduire par des retards massifs non maîtrisés, sources de pertes financières colossales pour l'économie du transport aérien mais aussi, outre des pénalités, de moindres recettes substantielles pour le BACEA.

Difficile et lent à inverser dans la mesure où lorsque l'on en observe les effets il est déjà trop tard, ce « cercle vicieux » ne fera nécessairement que des perdants. Il résulte d'une vision court-termiste qui se focalise sur le seul coût de recrutement d'un contrôleur sans tenir compte de l'ensemble des conséquences économiques, potentiellement bien plus lourdes financièrement, induites par son non recrutement. Au regard du coût global pour le secteur aérien et, au-delà, pour l'économie nationale, d'un déficit durable de la capacité de contrôle, le risque financier du recrutement excessif de quelques contrôleurs, si les prévisions de trafics venaient à être revues à la baisse, apparaît incomparablement moins élevé au rapporteur que celui résultant de recrutements sous-dimensionnés par rapport au volume de trafic réellement constaté.

Un rapport de la commission européenne publié en mars 202532(*) souligne à ce titre qu'une capacité de contrôle même faiblement insuffisante par rapport au trafic effectif, induit une augmentation très significative des retards observés ; inversement, une capacité légèrement excédentaire provoque une forte baisse des retards constatés. Ainsi, les bénéfices économiques générés par une augmentation de la capacité de contrôle apparaissent comme particulièrement significatifs. Selon cette étude le coût marginal destiné à combler une capacité de contrôle manquante est faible au regard des bénéfices qu'elle génère pour l'économie aérienne.

Ce même rapport précise que les retards de vols provoqués en Europe par une inadéquation entre les capacités de contrôle et le trafic ont généré des pertes financières de 2,8 milliards d'euros pour les compagnies en 2024. Le contrôle aérien français à lui seul aurait généré 21 % de ces retards, correspondant à un coût de 600 millions d'euros. Il convient par ailleurs de préciser que la sous-performance des services du contrôle aérien génère d'autres coûts pour les compagnies en matière de carburants ou de quotas d'émissions dans la mesure où les vols ne peuvent pas suivre les trajectoires les plus optimales. Au total, en Europe, les impacts annuels du manque d'efficacité des services du contrôle aérien peuvent être estimés entre 4 et 6 milliards d'euros.

2. Alors que les performances du contrôle aérien sont plus mauvaises que jamais, l'effet des mesures d'efficience prévues par le protocole social reste imperceptible

En 2026, les dépenses de personnel de la DGAC, le principal poste de dépenses du budget annexe, devraient augmenter de 48 millions d'euros (+ 3 %) pour atteindre 1 442 millions d'euros. Les subventions à l'école nationale de l'aviation civile (ENAC) devraient également progresser de 8 millions d'euros en 2026.

Les charges de personnel du BACEA depuis 2012

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ces augmentations ont pour principale origine les mesures catégorielles accordées aux agents de la DGAC dans le cadre d'un accord social pluriannuel conclu au printemps 2024. Les mesures catégorielles, qui représentent 23 millions d'euros en 2026, expliquent ainsi la moitié de l'augmentation des charges de personnel du BACEA.

Depuis la fin des années 1980, la DGAC se livre de façon régulière à un exercice de contractualisation atypique au sein de la fonction publique : la négociation avec les organisations syndicales de conventions pluriannuelles appelées « protocoles sociaux ». Cette pratique est profondément ancrée dans la culture de la DGAC, qu'il s'agisse de la direction elle-même, comme des syndicats représentatifs des personnels. La vocation originelle de cette pratique était de favoriser la « paix sociale ». Un nouveau protocole social a été conclu au printemps 2024 pour la période 2023-2027. Comme le rapporteur a pu l'observer dans un rapport d'information qu'il a présenté en octobre 202433(*), à la différence de ses prédécesseurs, ce protocole comprend de vraies mesures de performance telles qu'un programme de restructuration des implantations territoriales de la DSNA, des dispositifs d'optimisation de l'organisation du travail des contrôleurs et des équipes techniques ou encore une réduction de la période de formation des contrôleurs.

Pour accompagner le déploiement de ces mesures, le protocole 2023-2027 prévoit des contreparties financières (statutaires et indemnitaires) significatives pour l'ensemble des personnels de la DGAC. Au total, à l'horizon 2027, le rapporteur a estimé dans son rapport que cet accord augmentera de façon pérenne les charges de personnel de la DGAC à hauteur d'au moins 100 millions d'euros par an.

Il est nécessaire d'évaluer rapidement et de la façon la plus précise possible l'efficacité des mesures de performance, tout particulièrement en termes d'organisation du temps de travail des contrôleurs, qui ont été déployées dans le cadre du protocole. Le cas échéant, il conviendra de procéder à des ajustements pour, soit renforcer les dispositifs les plus efficients, soit au contraire réduire le recours à des mécanismes qui n'auraient pas fait la preuve de leur pertinence34(*).

Le rapporteur observe qu'aujourd'hui, l'amélioration de la performance qui devrait résulter de la mise en oeuvre de ces mesures n'est pas perceptible dans les statistiques, bien au contraire. Alors que le service rendu par la DSNA semble se dégrader de façon alarmante, l'impératif d'amélioration structurelle de sa performance doit rester une priorité absolue. Le contrôle aérien français est largement le principal contributeur de retards en Europe. Déjà catastrophique en 2024 (5,1 millions de minutes de retards cumulés sur l'année soit 37,5 % du total en Europe), la situation s'est dramatiquement aggravée en 2025 avec déjà 5,6 millions de minutes de retard causées par le contrôle aérien au cours des seuls huit premiers mois de l'année, soit une augmentation de 50 % par rapport à la même période en 2024. Dans le même temps, ailleurs en Europe, les performances des services de contrôle de la navigation aérienne s'améliorent et le deuxième pourvoyeur de retard, l'Allemagne, totalise moins de 2,5 millions de minutes de retard sur la même période.

En outre, afin de mettre en oeuvre la principale recommandation du rapport du bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) relatif à l'incident majeur qui avait eu lieu à l'aéroport de Bordeaux le 31 décembre 202235(*), la DGAC a entrepris d'installer un système de contrôle des présences des contrôleurs sur leur lieu de travail ainsi que sur leur position de contrôle. Des badgeuses biométriques ont déjà été installées dans les cinq centres en-route de la navigation aérienne (CRNA) ainsi que sur les sites de Roissy, Orly et Nice. Elles doivent être mises en service prochainement sur deux sites pilotes (le CRNA Nord et une tour de l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle). Le déploiement complet du dispositif est prévu d'ici à la fin du deuxième trimestre de l'année 2026.


* 32 Performance review report 2024, Eurocontrol, mars 2025.

* 33 DGAC : après des protocoles sociaux coûteux, enfin une vraie réforme ? Rapport d'information n° 5 (2024-2025) fait au nom de la commission des finances sur les protocoles sociaux, l'organisation du travail des personnels de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la performance du contrôle aérien français, par M. Vincent Capo-Canellas, octobre 2024.

* 34 Le rapporteur a appris qu'une évaluation était en cours afin d'estimer les effets de ces différentes mesures au cours de l'été aéronautique 2025.

* 35 Rapport d'enquête et de sécurité sur l'incident grave survenu entre l'AIRBUS A320 immatriculé OE-INE et le Robin DR400 immatriculé F-GTZY le 31 décembre 2022 sur l'aérodrome Bordeaux-Mérignac (33), bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA), décembre 2023.

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