B. DES INVESTISSEMENTS DE LA DSNA EN RETRAIT PAR RAPPORT AUX ENGAGEMENTS PRIS AUPRÈS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE ET DES COMPAGNIES AÉRIENNES
1. La remise en cause de la trajectoire d'investissements sur laquelle s'est engagée la DSNA auprès de l'Union européenne et des compagnies pourrait entraîner de très regrettables déconvenues
En 2026, les dépenses d'investissement du BACEA devraient progresser de 46 millions d'euros pour atteindre 437 millions d'euros. Cette augmentation s'explique principalement par la hausse des dépenses d'investissement de la DSNA.
Les dépenses d'investissement du BACEA (en CP) inscrites en LFI depuis 2013
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Le programme 612 « Navigation aérienne » représente à lui seul environ 85 % des dépenses d'investissement effective du BACEA, avec 367 millions d'euros de CP prévus en 2026, soit une hausse de 21 millions d'euros par rapport à 2025.
Évolution des CP inscrits en loi de
finances initiale
sur le programme 612
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Cette augmentation fait suite à des hausses plus substantielles observées en 2024 et en 2025. Ce dynamisme traduit la mise en oeuvre de la trajectoire d'investissement pluriannuelle revalorisée de la DSNA qui s'inscrit dans le nouveau plan de performance RP4 négocié avec la commission européenne pour la période 2025-2029.
Cependant, en 2025 comme en 2026, les crédits d'investissements prévus sont en retrait par rapport à la trajectoire qui avait été définie en 2023 et aux engagements pris à l'égard de l'Union européenne et des compagnies aériennes dans le cadre du plan de performance RP4. Dans un contexte d'augmentation du trafic aérien, notamment s'agissant du survol du territoire, face au retard technologique du contrôle aérien français et à la situation d'obsolescence de certaines infrastructures, parfois extrêmement critiques, de la DSNA, cette situation ne peut qu'être source d'inquiétude.
Ainsi, le décret d'annulation du 25 avril 202536(*) est-il venu annuler 72 millions d'euros d'AE et 32 millions de CP au cours de la gestion 2025 sur le budget annexe. Afin de ne pas compromettre la mise en oeuvre des mesures prévues par le protocole social sur lequel la DGAC s'était engagée l'année passée auprès de ses personnels, la majeure partie des annulations de crédits a affecté les dépenses d'investissements de la DSNA. Ainsi, 47 millions d'euros des annulations en AE, soit 65 % du total, et 22 millions d'euros des annulations en CP, soit 70 % du total, ont-elles été imputées sur les dépenses d'investissements du programme 612.
Cette situation est loin d'être sans conséquences. Elle a conduit la DSNA à annuler ou à lisser dans le temps des opérations d'investissements dont certaines s'avèrent pourtant extrêmement critiques.
En 2025, la DSNA a ainsi suspendu des projets de modernisation des outils du contrôle aérien en Polynésie française et dans l'océan indien. Elle a également dû renoncer à plusieurs investissements immobiliers, notamment en termes de rénovation de locaux.
Cependant, la situation la plus préoccupante concerne les opérations de modernisation de la chaîne radio, c'est-à-dire le système de communication qui sert à établir le contact entre les contrôleurs et les pilotes. Installé dans les années 1990, le système utilisé dans les CRNA et les tours de contrôle des aéroports parisiens est très vieillissant et sujet à des risques d'obsolescence. Aussi, son remplacement présente-t-il un caractère d'urgence majeur. De par son objet, ce projet, baptisé NCVS37(*), est donc particulièrement sensible. Or, du fait des contraintes budgétaires rencontrées en 2025, le déploiement du nouveau système au CRNA de Reims a été décalé d'un an en 2026. Alors que la DSNA ne dispose plus que de trois ans de pièces de rechange pour assurer la maintenance des chaînes radio vieillissantes actuelles, soit exactement le délai nécessaire pour achever le déploiement du nouveau système, elle ne dispose plus d'aucune marge de manoeuvre sur ce programme. Tout nouveau retard serait désormais susceptible d'entraîner des conséquences absolument gravissimes.
Ainsi, d'après la DGAC, « l'absence de financement en 2025 pour cette modernisation, impose un glissement calendaire qui augmente significativement le risque d'indisponibilité ou de défaillance de ces équipements, pouvant entrainer des restrictions de trafic, des retards en cascade et une dégradation du niveau de sécurité aboutissant à une fermeture de centre. À titre d'illustration, si un CRNA devait fermer pour raison de sécurité, 30 % des vols seulement pourraient être déportés sur les autres centres, et les annulations de vols coûteraient environ 41 millions d'euros par jour aux compagnies aériennes sans compter les coûts liés aux retards de 127 euros par minute ». Ce scénario catastrophe serait d'autant plus grave que si un centre en route venait à perdre son infrastructure radio, il devrait fermer plusieurs mois en attendant l'installation du nouveau système. Massives, les conséquences financières sur le secteur se chiffreraient alors au moins en centaines de millions d'euros.
Le directeur général de l'aviation civile a indiqué au rapporteur vouloir remettre à plat et donner désormais la priorité absolue au déploiement du nouveau système radio dans les CRNA dont il entend sécuriser le calendrier en urgence.
La panne qui a paralysé l'aéroport d'Orly les 18 et 19 mai 2025 a constitué une première alerte des conséquences de l'obsolescence de certaines des infrastructures et systèmes informatiques de la DSNA.
Le rapporteur note également qu'en raison de la régulation européenne des investissements dans les outils du contrôle aérien et de leurs modalités de financement par les compagnies aériennes, les annulations ou reports de certains projets prévus dans le cadre du plan de performance RP4 pourraient conduire non seulement à des remboursements aux compagnies aériennes, à 80 % étrangères, pour les investissements non réalisés, mais également au paiement de pénalités en cas de retard dans le déploiement des projets qui auraient pour conséquence de fragiliser l'atteinte des objectifs de gestion du trafic compris dans ce même plan de performance.
Par ailleurs, de façon plus générale, de nouveaux retards dans la modernisation des outils du contrôle aérien risquent de fragiliser encore davantage la capacité de la DSNA à faire face à la croissance du trafic et de compromettre ses chances d'améliorer la performance du contrôle aérien français qui reste aujourd'hui encore notoirement médiocre par rapport à celle de ses homologues européens.
Pour combler le retard technologique accumulé sur ses homologues et dans la perspective d'améliorer le service rendu par le contrôle aérien, la DSNA poursuit le déploiement d'une série de programmes d'investissements qui n'ont malheureusement cessés d'accumuler déboires, délais et surcoûts financiers. Cette situation a conduit à ce que certains de ces programmes soient délivrés avec tant de retard qu'ils apparaissent comme déjà pratiquement dépassés et n'offrent pas des gains de performance à la hauteur des attentes qui avaient été placés en eux. C'est notamment par exemple le cas de l'outil 4-Flight dont les performances sont manifestement insuffisantes pour répondre aux évolutions majeures du trafic qui ont eu lieu durant son interminable gestation (voir infra).
Le coût total cumulé des programmes de modernisation du contrôle de la navigation aérienne atteint 2,4 milliards d'euros. Sur ce montant, 705,4 millions d'euros devraient encore rester à dépenser après le 31 décembre 2025.
Coût des programmes de modernisation
du
contrôle de la navigation aérienne
(en millions d'euros)
|
Programme |
Durée du programme |
Dépenses cumulées fin 2024 |
Dépenses programmées en 2025 |
Dépenses programmées en 2026 |
Dépenses programmées après 2026 |
Coût total programme |
|
4-Flight |
2011-2026 |
857,4 |
19,0 |
20,0 |
4,5 |
900,9 |
|
4-Flight Révolution |
2024-2030 |
36,4 |
67,3 |
62,1 |
176,2 |
342,0 |
|
Coflight |
2003-2025 |
286,7 |
28,7 |
0,0 |
0,0 |
315,4 |
|
Sysat |
2012-2032 |
155,4 |
23,4 |
36,4 |
215,9 |
431,0 |
|
NVCS38(*) |
2012-2027 |
82,0 |
4,5 |
9,6 |
22,8 |
118,8 |
|
CATIA |
2020-2025 |
16,2 |
10,2 |
13,0 |
52,1 |
91,5 |
|
Seaflight |
2012-2029 |
28,7 |
2,8 |
8,2 |
26,7 |
66,3 |
|
E-CDM39(*) |
2012-2029 |
66,6 |
8,0 |
9,0 |
30,4 |
114,0 |
|
2017-2029 |
24,3 |
5,0 |
6,5 |
12,0 |
47,8 |
|
|
Total |
- |
1 553,7 |
168,9 |
164,8 |
540,6 |
2 427,7 |
Source : commission des finances, d'après le projet annuel de performances du BACEA
2. 4-Flight et Sysat, deux programmes emblématiques de la modernisation des outils du contrôle aérien
a) 4-Flight révolution constitue le prolongement du programme 4-Flight
4-Flight a longtemps été le « porte étendard » de la modernisation du contrôle aérien. À l'origine, son déploiement devait être achevé en 2015. Dix ans et de considérables surcoûts plus tard, celui-ci n'est toujours pas achevé. Déployé à ce jour dans trois des cinq centres en-route de la navigation aérienne (CRNA) que compte la DSNA, il était envisagé l'année dernière qu'il puisse être mis en service dans les deux centres restants, Bordeaux et Brest, d'ici à la fin de l'année 2026. Cependant un conflit social dans le centre de Bordeaux a occasionné un nouveau délai et le calendrier des dernières étapes du déploiement, toujours entouré d'incertitudes, est encore à ce jour en phase de reprogrammation par la DSNA. Une hypothèse étudiée par la DSNA serait d'installer une version ultérieure de 4-Flight, la V3 (voir infra) à un horizon qui reste à déterminer mais qui n'interviendra pas avant 2027.
Au début de l'année 2025, 4-Flight a été déployé dans le CRNA Nord, à Athis Mons. Au cours du premier trimestre de l'année, les CRNA d'Aix-en-Provence et de Reims ont quant-à-eux migré sur une nouvelle version du programme qui doit être installée au CRNA Nord cet automne.
Les futures évolutions de l'outil s'intègreront ensuite dans le programme dit « 4-Flight Révolution » qui vise à concevoir, développer et déployer, pour l'horizon 2030, les versions successives d'amélioration et de maintien en condition opérationnelle du système 4-Flight, dans la perspective de permettre à cet horizon à la DSNA de rattraper ses homologues et enfin pouvoir s'inscrire dans les feuilles de route industrielles du secteur afin de partager, avec d'autres prestataires de services de la navigation aérienne (PSNA), les frais de maintenance et d'évolution extrêmement élevés de ce type d'outils. En effet, à long terme le coût de la maintenance et des évolutions d'un système propre à la DSNA, estimé à plus de 70 millions d'euros par an, n'est pas soutenable financièrement.
Lorsqu'elle sera déployée dans l'ensemble des centres, la première évolution du système 4-Flight s'intégrant dans ce nouveau programme, la version 4-Flight V3, permettra en outre de décommissionner définitivement dans les CRNA le système historique Cautra dont le maintien en condition opérationnelle doit coûter 13 millions d'euros en 2026. À ce jour, la DSNA envisage d'installer cette V3 dans les centres de Reims et d'Aix-en-Provence au printemps 2026.
Le programme « 4-Flight révolution »
Ce programme a pour objectif de concevoir, développer et déployer, pour l'horizon 2030, les versions successives d'amélioration et de maintien en condition opérationnelle du système 4-Flight déployé dans une version commune dite « V2 » dans les cinq centres en route de la DSNA entre 2024 et 2029.
Faisant suite au programme initial de déploiement du nouveau système, le présent programme vise à :
- mutualiser le coût de possession du système en s'inscrivant dans une démarche de convergence avec des partenaires PSNA ;
- accompagner la stratégie d'amélioration des performances des opérations de la DSNA en introduisant de nouvelles fonctionnalités ;
- contribuer à la rationalisation de l'architecture des systèmes de la DSNA en s'appuyant le cas échéant sur la centralisation et la virtualisation des applications ;
- rejoindre les feuilles de route des industriels des outils du contrôle aérien.
Source : projet annuel de performances du BACEA
b) Le programme Sysat de modernisation des tours et centres d'approche
Le programme Sysat a été lancé en 2011 pour moderniser les centres d'approche et les tours de contrôle avec un volet pour la région parisienne (Sysat G1) et un autre pour la province (Sysat G2).
Sysat G1 devait à l'origine passer par l'acquisition « sur étagère » d'un système standard. Cependant la DSNA, avait conçu un cahier des charges de 10 000 pages, excluant de fait tout produit industriel existant. Cette sur spécification a finalement abouti à l'échec du programme qui a dû être entièrement repensé. Après une révision du contrat initial, un nouveau système de tour, commandé « sur étagère » a été mis en service à Orly en 2024. Le système de tour de Roissy doit quant-à-lui être modernisé d'ici à 2028. La procédure visant à moderniser les systèmes de contrôle des centres d'approche en région parisienne est toujours en cours avec pour objectif de notifier un marché en 2027.
S'agissant de la modernisation des grandes tours et centres d'approches de province prévue par le programme Sysat G2, l'appel d'offres lancé en 2023 a été concrétisé en 2025 par les notifications d'un accord cadre ainsi que d'un premier marché subséquent prévoyant le déploiement du nouveau système dans les tours de Nice, Lyon, Marseille, Toulouse et Bâle-Mulhouse. Le calendrier volontariste prévoit un déploiement du système dans ces cinq tours d'ici à 2030.
* 36 Décret n° 2025-374 du 25 avril 2025 portant annulation de crédits.
* 37 New voice communication system.
* 38 Pour « New Voice Communication System ».
* 39 Pour « extended collaborative decision making ».
* 40 Pour « aeronautical information management ».
* 41 Projet visant à créer une nouvelle base de données d'information aéronautique.

