EXAMEN PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En première lecture, l'Assemblée nationale n'ayant pas adopté la première partie du projet de loi, celui-ci est considéré comme rejeté en application du troisième alinéa de l'article 119 du Règlement de l'Assemblée nationale.

En conséquence, sont considérés comme rejetés les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ».

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 29 octobre 2025, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de MM. Laurent Somon et Thomas Dossus, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Investir pour la France de 2030 ».

M. Claude Raynal, président. - Nous allons maintenant examiner le rapport spécial sur la mission « Investir pour la France de 2030 », au sein du projet de loi de finances pour 2026.

M. Thomas Dossus, rapporteur spécial de la mission « Investir pour la France de 2030 ». - Si la mission que nous examinons comprend les crédits de décaissement des aides du troisième volet du programme d'investissement d'avenir (PIA 3), qui ont été entièrement attribuées, je concentrerai mon propos sur les programmes 424 « Financement des investissements stratégiques » et 425 « Financement structurel des écosystèmes d'innovation », qui représentent 93 % des crédits de la mission et qui servent à financer les aides du plan France 2030.

En préambule, je rappelle que les crédits de la mission ne sont pas des crédits budgétaires conventionnels. En effet, elle relève d'un cadre extrabudgétaire, fixé par la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, qui prévoit une dérogation au principe d'annualité pour les investissements d'avenir. Ce cadre extrabudgétaire a été prolongé au-delà du PIA 3 et il s'applique aux aides du plan France 2030.

Le principe de ce cadre d'exception est d'isoler le « cycle opérationnel » de déploiement des aides. Ce dernier, qui repose sur l'identification et la contractualisation avec les bénéficiaires finaux du plan, est confié intégralement et indépendamment des crédits votés annuellement à quatre opérateurs : l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), l'Agence nationale de la recherche (ANR), Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

L'ouverture des crédits de paiement (CP) intervient dans un second temps, dans le cadre d'un « cycle budgétaire » qui a pour support la mission « Investir pour la France de 2030 », et dont la particularité est que la grande majorité des crédits ouverts ont vocation à couvrir des engagements datant de plusieurs années qui ont été contractualisés par les opérateurs.

En premier lieu, les données transmises par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) font état de l'attribution, au 30 juin 2025, d'un montant total de 39,5 milliards d'euros d'aides au titre du plan France 2030, soit 74 % de l'enveloppe totale du plan. Or seuls 14,1 milliards d'euros ont déjà fait l'objet d'un décaissement au 30 juin 2025, soit 26 % du total. Si ces aides ont permis de soutenir 5 500 porteurs distincts de projets, il existe une disparité dans le rythme de déploiement selon les secteurs concernés. Ainsi, dans le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche, le niveau d'attribution des aides atteint 77 % et le niveau de décaissement 61 %. A contrario, pour les grands fonds marins, seulement 6 % des aides ont été décaissées après bientôt cinq années de déploiement.

En second lieu, j'en viens aux crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2026 et au schéma de financement auquel ils correspondent. Le montant total des crédits de paiement inscrits sur les programmes 424 et 425 atteint 5,1 milliards d'euros, un montant élevé, mais inférieur aux prévisions du SGPI en matière de besoins de décaissement pour l'année 2026. Par conséquent, le Gouvernement a fait le choix de répliquer en 2026 une méthode qui aurait déjà dû être exécutée cette année, selon les informations qui nous avaient été transmises à l'automne dernier : la normalisation du niveau de trésorerie des opérateurs du plan France 2030.

En effet, du fait du mécanisme extrabudgétaire que j'ai mentionné précédemment, les fonds de la mission sont versés sur les comptes des opérateurs du plan chargés de réaliser le versement au profit du bénéficiaire final. Or du fait d'un écart entre les besoins de décaissement et le calibrage initial des crédits, les opérateurs ont accumulé un niveau élevé de trésorerie, à hauteur de 5,8 milliards d'euros à la fin de l'exercice 2024. Selon le SGPI, ce niveau devrait être ramené à 2,4 milliards d'euros disponibles à la fin de cette année.

Par conséquent, le Gouvernement a fait le choix pour l'exercice 2026 de financer 75 % des besoins de décaissement par l'ouverture des 5,1 milliards d'euros de crédits de paiement sur les programmes 424 et 425 et de financer les 25 % restants, c'est-à-dire 1,7 milliard d'euros, par la mobilisation de la trésorerie excédentaire des opérateurs.

M. Laurent Somon, rapporteur spécial de la mission « Investir pour la France de 2030 ». - Pour compléter les propos de Thomas Dossus, j'attire votre attention sur le risque de débudgétisation que représente le plan France 2030. Depuis le lancement du premier volet du programme d'investissement d'avenir (PIA 1), par la loi de finances rectificative pour 2010, la commission des finances du Sénat a constamment été attentive à ce que les PIA, puis France 2030 ne deviennent pas une voie de contournement de l'autorisation parlementaire.

Or nos contrôles, en 2024, sur l'objectif de décarbonation de l'industrie, puis en 2025, sur le soutien à la recherche aéronautique civile, avec le concours de Jean-François Rapin, font apparaître l'existence d'un risque majeur d'utilisation du plan France 2030 par le Gouvernement pour contourner le contrôle parlementaire légitime sur la dépense publique.

Ainsi, le décret du 28 novembre 2024 a procédé au transfert de 1,1 million d'euros depuis le programme 424 de la mission « Investir pour la France de 2030 » vers le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » de la mission « Action extérieure de l'État ». La justification donnée par le Gouvernement est de consommer des crédits du plan France 2030 pour participer au financement du sommet sur l'intelligence artificielle qui s'est tenu à Paris en février 2025.

Or sans remettre en cause l'utilité de ce sommet pour le rayonnement de la France, nous sommes en droit de nous demander pourquoi de telles dépenses de fonctionnement conventionnelles seraient financées par une mission théoriquement réservée à des investissements d'avenir. Ce décret de transfert me semble bien illustrer le comportement que le Gouvernement adopte avec l'enveloppe du plan France 2030. Ainsi, de manière orthogonale par rapport à la doctrine d'utilisation du plan, qui prévoit l'étanchéité entre les enveloppes du plan France 2030 et les enveloppes budgétaires classiques, les lignes de France 2030 sont utilisées comme des compléments pour combler des lacunes des plans de financement.

Par ailleurs, j'insiste sur le défaut de transparence dont le Gouvernement fait preuve à l'égard du Parlement sur le déploiement du plan France 2030. Tout d'abord, nous ne sommes pas informés des réallocations de crédits entre les différentes verticales du plan France 2030. Ainsi, alors que la maquette opérationnelle de répartition entre les dix-sept objectifs et leviers constitue un élément majeur de suivi sur le plan politique, puisqu'il établit les priorités du Gouvernement en matière d'investissement, elle n'est pas transmise régulièrement au Parlement et nous ne sommes pas spontanément tenu au courant lors de ses mises à jour.

Je relève, sur ce point, qu'une nouvelle maquette de répartition entre les verticales a été arrêtée par le Gouvernement lors d'une réunion le 1er avril dernier. Pour autant, par négligence peut-être, le Gouvernement ne la fait pas apparaître dans le bilan financier trimestriel établi à l'intention du Parlement au début du mois d'octobre 2025. Par conséquent les informations relèvent de l'ancienne maquette de répartition, qui date de décembre 2023.

Ensuite, le Parlement n'est pas informé de l'état des trésoreries des opérateurs du plan. Or, comme l'a expliqué Thomas Dossus, ces derniers ont accumulé des niveaux importants de trésorerie depuis 2021. Or un suivi effectif suppose de connaître cette information, qui ne figure pas dans les bilans financiers trimestriels transmis au Parlement alors même que la loi prévoit expressément la transmission de cette information à la commission des finances de chaque assemblée.

Pour compléter cet état des lieux, le comité de surveillance des investissements d'avenir (CSIA), que nous avons auditionné, n'a pas remis de rapport annuel en 2024. Nous serons, par conséquent, particulièrement attentifs au rapport de suivi du déploiement du plan qui doit être publié par le CSIA au mois de décembre 2025, et qui sera le premier rapport d'évaluation globale publié par le comité depuis juin 2023.

Enfin, je relève le choix du Gouvernement de ralentir le déploiement du plan. En effet, en 2021, la programmation initiale du plan France 2030 prévoyait que l'intégralité des aides du plan serait attribuée avant la fin de l'exercice 2026. Or cet objectif a été abandonné lorsque le Gouvernement a commencé à réduire, au cours de l'exercice 2024, le rythme de déploiement du plan. Pour l'exercice 2026, le Gouvernement décélère encore, les 3,5 milliards d'euros de nouvelles aides programmées représentant une baisse de 30 % par rapport à 2025 et de 55 % par rapport à 2024. En qualité de rapporteurs spéciaux, nous en prenons acte.

Nous vous proposons de rendre un avis favorable sur l'adoption des crédits de la mission. Toutefois, à titre individuel, j'indique que cette position devra être réexaminée au regard du texte transmis, notamment de sa partie fiscale. En effet, si l'on comprend la volonté du Gouvernement de soutenir, au travers du plan France 2030, l'innovation et l'émergence de nouveaux champions dans notre tissu productif, ce soutien ne doit pas intervenir à n'importe quelles conditions. Ainsi, dans l'hypothèse où le texte transmis prévoirait une aggravation lourde de la fiscalité des entreprises, nous aurions le devoir de nous interroger sur le risque de déstabilisation de nos champions actuels, qui se sont patiemment construits dans plusieurs secteurs industriels de pointe, au motif d'en faire émerger de nouveaux. Nous restons donc dans l'attente du texte qui nous sera transmis par nos collègues de l'Assemblée nationale.

Après avoir présenté les crédits de la mission, je vous propose à titre individuel un amendement tendant à suivre un double objectif de responsabilité budgétaire et de mise en application des recommandations d'un de nos rapports.

Tout d'abord, serait dégagée une économie de 365 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) sur les crédits de la mission. En effet, le Gouvernement propose d'utiliser le projet de loi de finances pour 2026 comme véhicule pour porter un abondement additionnel à l'enveloppe du plan France 2030 à hauteur de 450 millions d'euros, qui s'ajouterait à l'enveloppe pluriannuelle déjà existante de 54 milliards d'euros. Prévoir 450 millions d'euros supplémentaires, à l'heure où nous cherchons des économies dans tous les programmes, est donc à contretemps. Nous proposons de neutraliser cette hausse.

Ensuite, certains sujets stratégiques méritent d'être traités en priorité, dont la recherche industrielle dans le secteur aéronautique. Comme nous l'avions rappelé dans le rapport d'information sur le Financement public de la recherche aéronautique civile, que j'ai présenté avec nos collègues Thomas Dossus et Jean-François Rapin en juillet dernier, il s'agit d'un secteur d'excellence que nous devons préserver. La cible de 300 millions d'euros de financement annuel du guichet du Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac) doit donc être tenue, alors que le projet de loi de finances ne prévoit qu'un financement de 215 millions d'euros. Voilà pourquoi cet amendement, suivant la première recommandation de notre rapport, ouvre 85 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 8,5 millions d'euros de crédits de paiement (CP).

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je ressens l'inquiétude de nos rapporteurs spéciaux quant au fonctionnement du dispositif France 2030. La dotation de 54 milliards d'euros dépasse largement l'épaisseur du trait du crayon. Pour autant, nous constatons un manque flagrant de transparence sur ce sujet.

Or, moins j'ai d'informations, plus je me pose de questions... Je ne suis pas rassuré par le fonctionnement de l'organisme qui gère ces fonds. Les remarques des deux rapporteurs sur le manque de transparence me préoccupent.

Il est crucial de remédier rapidement à cette situation. De plus, vu le contexte, alors que nous avons une connaissance imparfaite de l'utilisation des fonds et que l'enveloppe globale se monte à 54 milliards d'euros, il est déplacé de demander presque un demi-milliard d'euros supplémentaire. Ce n'est ni raisonnable ni responsable, et ressemble un peu à un moment d'égarement.

M. Claude Raynal, président. - Je comprends, messieurs les rapporteurs spéciaux, votre intention d'atteindre la cible de 300 millions d'euros pour le Corac. En revanche, pourquoi les crédits de paiement n'équivalent-ils qu'à 10 % du montant des autorisations d'engagement ? En effet, il me semblait que le Corac consommait ses crédits assez rapidement.

M. Vincent Delahaye. - Tout comme le rapporteur général, je m'étonne de cette absence de transparence et de communication. Les rapporteurs spéciaux se sont-ils rendus au ministère pour procéder à un contrôle sur pièces, l'un des rares pouvoirs dont nous disposons ? Le Gouvernement ne peut pas refuser de transmettre des informations, alors que celles qui l'ont été semblent insuffisantes compte tenu des montants en jeu.

Le rythme de décaissement des aides mentionné dans la note de synthèse ne porte que sur quatre ans. J'aurais souhaité une vision d'ensemble depuis le départ, mais aussi sur les années à venir, étant donné que l'on a accordé 39 milliards d'euros d'aides et que l'on n'en a décaissé que 14 milliards d'euros.

Sur la trésorerie des opérateurs, si nous exigeons l'information, je ne vois pas comment on pourrait nous la refuser.

Lors du lancement du PIA 1, le Gouvernement a mis en place un mécanisme de financement non conventionnel : les dotations non consommables (DNC), mentionnées dans l'objet de l'amendement des rapporteurs spéciaux. Celles-ci représentent une recette de 7 milliards d'euros, provenant de l'ANR. Comment ce mécanisme fonctionne-t-il ? D'autres mouvements sont-ils prévus ? J'en comprends qu'il s'agit de dotations au rendement financier plus élevé que le coût de l'emprunt ayant permis de les financer. Toutefois, vu les taux d'intérêt actuels de la France, l'opération risque d'être difficile à reproduire... Quel est l'état actuel des DNC ? Les 7 milliards d'euros récupérés cette année sont-ils la totalité des sommes attendues ?

M. Marc Laménie. - Nos rapporteurs spéciaux soulèvent des problèmes essentiels, dont le manque de transparence. Leurs recommandations sont d'actualité et de qualité.

Je dresse un parallèle avec le travail important réalisé, au premier semestre 2025, au sein de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, présidée par Olivier Rietmann et dont Fabien Gay était le rapporteur. Pour le plan France 2030, pas moins de 39 milliards d'euros d'aides ont été attribués, ce qui contribue à créer des emplois et de l'activité économique. Ainsi quatre opérateurs - la CDC, Bpifrance, l'ANR et l'Ademe - sont face à 5 500 bénéficiaires. Quelle est la typologie des entreprises aidées ? Vu le niveau élevé de la trésorerie des opérateurs, il existe peut-être des moyens de réaliser encore des économies.

M. Michel Canévet. - Les trésoreries excédentaires des opérateurs pourraient donner à notre rapporteur général des idées de propositions à formuler pour cette année...

Comment les opérateurs peuvent-ils avoir de telles trésoreries, particulièrement l'Ademe et l'ANR, qui n'ont pas d'activités bancaires, contrairement à la CDC et à Bpifrance ?

Est-il pertinent de conserver le SGPI, qui est, finalement, un démembrement de l'État ? Ne serait-il pas plus efficace que l'État intervienne directement, vu l'état d'avancement du plan ? Des autorisations d'engagement supplémentaires ont-elles été proposées dans le cadre de ce projet de loi de finances ?

Il conviendrait de privilégier les avances remboursables par rapport aux subventions, notamment parce que ces dernières ont tendance à fausser la concurrence. Comment l'État arbitre-t-il entre ces deux modes d'intervention ?

Quel est le bilan de France 2030 ? Les objectifs sont-ils atteints, y compris en termes de consommation des crédits ? Pour ceux qui s'intéressent aux régions, il est apparu que l'on pousse parfois à la consommation pour financer des projets ne le nécessitant pas, afin de consommer l'enveloppe. Cet état d'esprit est-il bien présent ?

Enfin, quels sont les résultats concrets de cette politique, alors que des filières, comme celle des panneaux solaires, sont en difficulté ?

M. Jean-François Rapin. - Vu notre situation budgétaire, et alors que nous assistons à un concours Lépine de la dépense, nous devons peut-être réfléchir différemment et de manière plus pragmatique. Notre pays représente 0,8 % de la population mondiale et à peine 2,8 % du PIB mondial. Pouvons-nous nous permettre d'avoir les yeux plus gros que le ventre aujourd'hui ? Il faut arrêter le saupoudrage qui, d'ailleurs, provoque un sérieux problème : celui de la transparence, comme nous le dénonçons depuis des années.

Il faut donc nous concentrer sur les domaines où nous sommes champions, comme l'aéronautique, qui nous permet de réduire le déficit de la balance commerciale, avec 58 milliards d'euros de ventes à l'export en 2024. L'éparpillement est néfaste pour tous, y compris pour la recherche, puisque nous sous-investissons parfois dans les secteurs où nous excellons.

M. Pierre Barros. - Vivement 2030 ! Que le plan France 2030 se termine, car il soulève clairement des questions en termes de moyens et de méthode... Nous convergeons sur ce point, comme le montrent les commissions d'enquête sur les aides aux grandes entreprises, qui ont révélé le montant de 211 milliards d'euros d'aides, peut-être encore plus élevé en réalité, et sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. Dans le cadre de cette dernière, comme Christine Lavarde pourrait le confirmer, lorsque nous avions auditionné le SGPI, nous avions conclu que nous pouvions légitimement nous interroger sur son utilité, d'autant qu'il s'agit d'un opérateur d'opérateurs. Le SGPI, aujourd'hui, ne représente pas grand-chose, mais donne beaucoup de travail à tout le monde et engendre des dépenses.

Par ailleurs, je rejoins notre collègue Canévet sur la question de l'évaluation. Certains éléments montrent que le dispositif ne fonctionne pas si bien que cela. Je me souviens notamment du cas de STMicroelectronics, qui, à coups de milliards, a bénéficié de moyens très importants pour créer de l'emploi et des usines. Or, plutôt que 1 000 emplois créés, nous avons obtenu 1 000 emplois supprimés. Le milliard d'euros investi par le SGPI n'a donc pas abouti à une réalisation concrète. Ce machin est hors de contrôle. Il faudrait faire disparaître cette structure, car il y a mieux à faire.

En revanche, il y a un véritable travail d'accompagnement économique à mener. Nous le faisons déjà, à mon sens, à de nombreux niveaux, et certainement de manière beaucoup plus efficace et plus qualitative. En tout cas, nous ne devrions pas attendre 2030 pour que cela s'arrête.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je ne puis qu'encourager les rapporteurs à utiliser tous les moyens à leur disposition pour approfondir leurs travaux. En effet, ce que vous avez dénoncé aujourd'hui, vous le dénoncez chaque année.

La Cour des comptes a d'ailleurs fait de même s'agissant des difficultés à contrôler ce processus, en raison à la fois de sa gouvernance, du niveau de complexité des circuits financiers, de l'insuffisante transparence et de la multitude d'intervenants dans le processus. A été également souligné le choix d'intervenir principalement sous forme de subventions plutôt que d'avances remboursables ou d'investissement en fonds propres, dans une forme de socialisation des pertes et de privatisation des profits.

La recherche dans le domaine de la défense bénéficie-t-elle de France 2030 ?

Enfin, si je suis favorable à votre amendement, je m'interroge sur l'opportunité de rejeter l'ensemble des crédits, afin d'émettre un signal.

M. Stéphane Fouassin. - Le plan France 2030 a notamment pour objet de rattraper le retard industriel français, d'investir massivement dans les technologies innovantes et de soutenir la transition écologique. Pourtant, je ne vois pas les outre-mer sur la cartographie qui nous est présentée. En bénéficient-ils ?

M. Vincent Capo-Canellas. - S'agissant des crédits du Corac, je soutiens évidemment la proposition qui est faite de tenir l'engagement pris à l'égard de la filière de l'aviation civile par les précédents gouvernements. C'est l'un des derniers éléments de compétitivité, avec le crédit d'impôt recherche (CIR), qui lui permette d'envisager son avenir chez nous, malgré le niveau des charges et les faibles incitations à maintenir les chaînes industrielles.

De nombreux engagements existent sur ce sujet, notamment sur la décarbonation et sur la succession de l'A320. Nous devons montrer à la filière que nous savons tenir nos engagements.

M. Christian Bilhac. - Nous sommes tous d'accord pour investir pour l'avenir, parce que l'on ne peut gérer un pays au fil de l'eau. Le problème, cependant, c'est le flou qui entoure cet investissement. Quels sont les objectifs ? Quelles sont les cibles ? Quels sont les critères ?

Face à ces questions, nous avons quatre opérateurs, avec leurs propres sous-directions et leurs marottes. Je rejoins Jean-François Rapin : tout cela relève du saupoudrage, du gaspillage, et nous manquons nos cibles. Les objectifs, que nous ne connaissons pas, sont-ils atteints ? Qui contrôle ? En tout cas, ce n'est pas nous ! Je doute même que qui que ce soit le fasse.

Pour ma part, j'ai la nostalgie du Plan, tel qu'on l'appelait à l'époque du général de Gaulle. Ainsi, dans ce qui était encore le Languedoc-Roussillon, il avait été décidé d'aménager le littoral avec la mission Racine, nommée d'après Pierre Racine, son patron : il fixait les objectifs, il décidait et on avançait. Et en cinq ans, ce fut fait ! Voilà ce qu'est une planification, une vision d'avenir. Mais aujourd'hui, nous ne savons pas où nous allons.

Nous l'avons vu lors de la présentation par Christine Lavarde de son rapport sur l'écotaxe, intitulé Soutien de l'État à la prévention et la valorisation des déchets ainsi qu'à l'économie circulaire. La taxe créée pour financer l'économie circulaire ne suffisant pas, on triple la participation de l'État, avec quatre ministères pour contrôler, pour évaluer, pour sanctionner, mais sans communication entre eux. Là encore, on gaspille.

Tant que nous continuerons à multiplier les opérateurs, les machins, les trucs et les bidules, cela nous coûtera énormément. Jean-Louis Borloo parle de 150 milliards d'euros par an qui se perdent en suradministration, de doublons, de triplons. Peut-être ce montant est-il surestimé, mais si nous pouvions économiser ne serait-ce que 80 milliards d'euros, ce ne serait pas mal...

Il faut donc, d'une manière ou d'une autre, supprimer toutes ces dépenses de structure. En effet, à l'issue d'un coup de rabot budgétaire, la seule chose qui n'est pas affectée, ce sont les frais d'administration. On ne diminue que les versements opérationnels. Par conséquent, plus on rabote, moins on est efficace, et plus la part de la technostructure augmente !

M. Raphaël Daubet. - Je souscris, bien évidemment, aux critiques sur la transparence, qui fait défaut, sur la gouvernance, floue, et sur l'absence de secteurs ciblés, surtout compte tenu de nos contraintes budgétaires.

Cependant, je voudrais émettre une réserve : il est important de soutenir certaines filières. La recherche et l'innovation sont essentielles, et ce dans d'autres secteurs que l'aéronautique. Je songe en particulier, dans mon département du Lot, aux mobilités décarbonées. Ainsi, des PME de 200 ou 300 employés travaillent sur les moteurs électriques, produisent des objets de haute technologie ou exercent dans le domaine de l'intelligence artificielle et de la robotique. Les soutenir est un défi, même si ces plans n'ont peut-être pas fait la preuve de leur efficacité.

M. Claude Raynal, président. - La tonalité de notre discussion est quelque peu rude pour France 2030. Certes, les critiques sur la transparence, la visibilité et le suivi ne font pas débat. Toutefois, je rappelle que le dispositif avait été créé pour accélérer des dynamiques par trop lentes dans certains domaines, dont l'innovation. L'idée n'est donc pas à rejeter, alors que, dans certains cas, elle a permis d'avancer utilement. N'oublions pas qu'auparavant, nous déplorions notre incapacité à lancer des projets...

Il faut aussi écouter les entreprises, qui considèrent que France 2030 a été bénéfique pour leur projet. Certes, ce type de formule entraîne sans doute plus d'échecs que d'autres, plus classiques, mais l'échec fait partie de l'innovation - à condition, évidemment, qu'il n'y ait pas que des échecs. C'est là qu'intervient la notion de bilan. Il y a donc des choses à améliorer, mais gardons à l'esprit que la démarche n'est pas inutile.

M. Laurent Somon, rapporteur spécial. - Le principe de France 2030 était de soutenir l'innovation, au moyen d'un cadre pluriannuel tout à fait exceptionnel, nécessaire pour la visibilité des entreprises qui investissent dans des technologies d'avenir. Comme cela a été dit, monsieur Barros, en matière d'innovation, il y a toujours un risque d'échec. Cependant, des efforts sont faits, même dans des situations complexes. Dans mon département de la Somme, certains acteurs, soutenus par France 2030, peinent à trouver un marché mature, mais nous savons que, demain, ce marché existera. Ne jetons donc pas le bébé avec l'eau du bain.

Pour revenir à la question du président Raynal, nous nous sommes renseignés auprès de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) qui nous a confirmé qu'environ 10 % des autorisations d'engagement (AE) consommées par les aides du guichet Corac pendant un exercice donnait lieu à une consommation de crédits de paiement pendant le même exercice.

M. Thomas Dossus, rapporteur spécial. - Je m'associe aux propos sur la vision globale de France 2030, qui relève d'une bonne philosophie : disposer d'une enveloppe propre à l'innovation, préservée des aléas budgétaires et permettant de financer sur le long terme. La question du pilotage et de la transparence des informations est, en revanche, le coeur du problème. Le CSIA, où siègent des parlementaires, devrait nous rendre un rapport d'évaluation à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine.

Le fonctionnement du SGPI, directement relié au Premier ministre, est particulier : il peut faire preuve à la fois de souplesse, de rapidité à instruire des dossiers et d'une capacité à débloquer très rapidement des appels d'offres. En contrepartie, il pose le problème du contrôle et de la transparence. Concernant le pilotage financier, le SGPI ne dispose que de quelques personnes, ce qui est peu pour suivre les trésoreries au mois le mois, d'autant qu'il s'agit de financer l'incertitude.

En effet, des appels d'offres sont lancés avec des objectifs précis. Le cas de STMicroelectronics est un bon exemple, avec un investissement fort de France 2030 en Isère, à Crolles, pour construire une usine de puces électroniques. Or le partenaire américain a décidé de décaler ses investissements. La somme provisionnée ne correspondant pas aux besoins initiaux et il faut s'adapter.

Il en va de même, à Dunkerque, pour ArcelorMittal, qui a lui-même suspendu l'apport de 850 millions d'euros de France 2030. Cependant, l'Ademe continue de disposer de fonds provisionnés en cas de revirement du groupe sur la décarbonation de ses hauts fourneaux. Dans ce cas, l'Agence doit pouvoir les décaisser dès que nécessaire. C'est ce décalage entre les appels d'offres et les décaissements qui crée un flou sur la trésorerie des opérateurs. Je suis d'accord, toutefois, sur l'éparpillement des objectifs, qui devra nous mobiliser pour les années à venir.

En France, le secteur privé ne finance ni le risque ni l'innovation, qui dépend donc de fonds publics. L'écosystème de financement n'est pas le même aux États-Unis, par exemple. En France, les premiers risques que prennent les start-ups sont financés par le public et par France 2030. Cette question pose donc bien problème. S'agissant du type d'entreprise financée, nous sommes à 19 % de PME, 33 % de grandes entreprises, 3 % d'ETI, 22 % d'organismes de recherche de collectivités ou d'établissements public et 23 % pour d'autres entités. Le dispositif est donc assez équilibré.

Une attention particulière est portée sur l'ensemble des territoires, y compris d'outre-mer, bel et bien concernés par France 2030.

Concernant les opérateurs et leurs frais de gestion, ils instruisent les appels d'offres, les publient et les contractualisent. L'Ademe nous a ainsi indiqué hier, en audition, que ses frais de gestion étaient plafonnés à 2,5 % de l'enveloppe d'aides sous gestion.

Selon moi, nous devons conserver cet outil, important pour financer ce qui ne l'est pas ailleurs. En revanche, dix-sept objectifs et 5 500 bénéficiaires, c'est beaucoup. Peut-être y a-t-il là matière à travailler sur un recentrage du fonds.

M. Vincent Delahaye. - Les bénéficiaires sont-ils satisfaits des aides ?

M. Laurent Somon, rapporteur spécial. - Le SGPI a procédé à une enquête de satisfaction auprès des opérateurs et des entreprises qui ont reçu des aides, ou à qui elles ont été refusées. La plupart des entités étaient plutôt satisfaites lorsqu'elles avaient reçu une aide, tandis que d'autres avaient trouvé le montage financier trop complexe. Il semblerait donc que le bilan, qui doit encore nous être transmis, soit globalement positif.

Le dispositif des intérêts des dotations non consommables (IDNC) s'est avéré fort curieux. Créé en 2010, il a consisté en une dotation pour quinze ans, dont les intérêts, d'environ 2 à 3 %, permettaient de financer certaines aides des investissements d'avenir. Le dispositif se termine au 31 décembre 2025 pour les dotations dévolues à l'Agence nationale de la recherche (ANR). Désormais, l'État a privilégié l'ouverture d'une nouvelle ligne de crédit. Je vous ai demandé de ne pas voter cette mesure, car elle conduit à augmenter les autorisations d'engagement, alors que le montant global de l'enveloppe du plan France 2030 atteint déjà 54 milliards d'euros.

Concernant l'organisation, nous avons demandé au SGPI dans quelle mesure il était possible de se recentrer sur certaines priorités, par exemple en puisant sur une thématique pour en financer une autre. Il nous a cependant été répondu que ce n'était pas envisagé, tout en précisant qu'un arbitrage du Premier ministre pouvait quasiment constituer une injonction à satisfaire une priorité nouvellement identifiée. Ainsi, abonder les autorisations d'engagement pour compenser la fin des IDNC semble illogique, alors qu'il faudrait déployer l'enveloppe existante.

En outre, les instituts financés par les IDNC savaient depuis 2010 que, au terme de quinze ans, ils n'auraient plus accès à ce financement, qui atteignait 600 millions d'euros par an depuis 2021. L'ouverture de crédits proposée, de 450 millions d'euros, servirait à verser chaque année 150 millions d'euros à ces instituts.

Concernant la trésorerie des opérateurs, je vous rappelle que, l'année dernière, nous avions déjà essayé de procéder à une ponction pour équilibrer le budget et rendre une copie budgétaire cohérente.

On nous a expliqué que le SGPI gère l'imprévisible et que cette imprévisibilité rendait complexe le suivi détaillé de la trésorerie des opérateurs. Quand un conventionnement est signé, s'impose l'obligation de prévoir les paiements au fur et à mesure que les projets évolueront. Or ils sont plus souvent en retard qu'en avance, d'où une trésorerie qui s'accumule.

Nous pouvons prendre l'exemple du projet d'ArcelorMittal, pour lequel un décaissement de 850 millions d'euros étalé dans le temps était prévu. Compte tenu des annonces que ce groupe a faites, sa convention pourrait devenir caduque au 31 décembre. C'est une illustration des événements imprévus qui peuvent perturber les trajectoires de décaissement des projets et qui ont un impact sur la trésorerie des opérateurs.

Des ponctions de ces trésoreries ont déjà eu lieu, et pourraient se reproduire. Sur les informations relatives à la trésorerie prévisionnelle des opérateurs en fin d'année, nous n'avons obtenu de données fines sur ce point qu'après avoir insisté auprès du SGPI. Par conséquent, monsieur Delahaye, nous n'avons pas procédé à un contrôle sur place et sur pièces. Nous aurions toutefois pu le faire si nous n'avions pas reçu ces données.

La gouvernance est, en effet, complexe. Pour le SGPI, les changements successifs de Premier ministre nuisent au fonctionnement et à la fluidité du dispositif. Concernant la problématique des opérateurs, la direction générale des entreprises (DGE) pourrait tout aussi bien gérer ces dispositifs. Surtout, le SGPI sert parfois de bouée de sauvetage sur demande du Premier ministre.

La recherche dans le domaine de la défense n'est pas incluse dans le périmètre de France 2030 comme étant l'un des dix-sept objectifs et leviers, même si certaines verticales d'investissement du plan ont un caractère dual dont notamment les domaines de la santé, de l'aéronautique ou du spatial.

Enfin, sur le mode d'intervention, les industriels préfèrent les subventions, qui représentent une forte proportion des aides. Le SGPI nous a confirmé tendre vers un niveau de 50 % d'avances remboursables et 50 % de subventions. Cela dépend toutefois des entreprises : il est plus difficile, pour une start-up, d'envisager des avances remboursables, car l'innovation comporte des risques.

Article 49

L'amendement II-17(FINC.1) est adopté.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 », sous réserve de l'adoption de son amendement.

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Réunie à nouveau le mercredi 26 novembre 2025, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'examen définitif de l'équilibre, des missions, des budgets annexes, des comptes spéciaux et des articles rattachés de la seconde partie.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Réunie le 29 octobre, la commission des finances a adopté les crédits de la mission tels que modifiés par un amendement.

Je vous propose, en complément des économies proposées par notre rapporteur spécial Laurent Somon, un amendement tendant à réduire le déficit du budget de l'État à hauteur de 1 milliard d'euros. Cette économie est obtenue principalement par l'instauration d'une « année blanche » pour le plan France 2030, c'est-à-dire par la suspension de l'attribution de nouvelles aides à partir du 1er janvier prochain.

Il restera au sein de la mission une enveloppe de 4,3 milliards d'euros après prise en compte de mon amendement, qui contient également des économies sur la trésorerie des opérateurs du plan France 2030. Par conséquent, les aides attribuées jusqu'à la fin de l'année 2025 pourront bien faire l'objet de décaissement et l'année blanche ne concernera que les nouveaux projets.

M. Thomas Dossus, rapporteur spécial de la mission « Investir pour la France de 2030 ». - Je découvre l'amendement de notre rapporteur général. Les auditions que nous avons menées ont montré que les opérateurs du plan étaient plutôt à l'os pour décaisser les engagements pris. Cet amendement est de nature à mettre en danger la politique de soutien à l'innovation en France dans un contexte de compétition économique internationale.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il ne vous aura pas échappé que la dérive des comptes publics vient notamment des exercices 2023 et 2024. Au cours de ces deux dernières années, le Gouvernement a systématiquement surestimé les besoins des décaissements des opérateurs du plan France 2030. Il a proposé l'annulation de 1,2 milliard d'euros puis de 1,6 milliard d'euros de crédits de paiement (CP) en loi de finances de fin de gestion respectivement en 2024 et 2025. Tout en étant rigoureux, je veille à ne pas mettre en danger l'exécution du plan France 2030 : les deux derniers exercices démontrent qu'il y a des réserves. Une bonne gestion ne nuit pas au suivi de la qualité, par notre assemblée, de la mise en oeuvre du plan France 2030.

L'amendement II-19 (FINC.6) est adopté.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

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