II. LE PROGRAMME 183 « PROTECTION MALADIE » : DES DÉPENSES D'AIDE MÉDICALE DE L'ÉTAT SOUS-BUDGÉTÉES ET MAL MAITRISÉES

A. UNE BUDGÉTISATION INSINCÈRE DES DÉPENSES RÉELLES D'AIDE MÉDICALE DE L'ÉTAT

Le programme 183 « Protection maladie » est quasi-exclusivement constitué des crédits destinés à l'aide médicale d'État (AME), créée en 19993(*).

Les différents dispositifs d'aide médicale d'État

L'aide médicale d'État (AME) recouvre plusieurs dispositifs :

1. L'AME de droit commun est consacrée à la protection de la santé des personnes étrangères vivant en France depuis au moins trois mois consécutifs en situation irrégulière et, de ce fait, non éligibles à la protection universelle maladie (PUMa). Ces personnes ne doivent pas disposer de ressources dépassant un certain plafond annuel (10 339 euros pour une personne seule en métropole en 2025). Elle permet un accès de ce public à des soins préventifs et curatifs et doit permettre de juguler le risque d'extension d'affections contagieuses non soignées au sein de la population. Gérée par l'Assurance maladie, elle représente 1 137,3 millions d'euros dans le présent projet de loi de finances, soit 93,5 % des crédits de l'action n° 2 ;

2. l'AME pour soins urgents concerne les étrangers en situation irrégulière, sans condition de résidence, dès lors que leur pronostic vital est engagé ou qu'ils sont victimes d'une altération grave et durable de leur état de santé. Les soins sont réglés par l'Assurance maladie, qui bénéficie d'une subvention forfaitaire versée par l'État. Cette dotation a été portée à 70 millions d'euros en 2022, pour s'ajuster aux dépenses effectivement constatées, et son montant est inchangé pour 2026 ;

3. Enfin, de manière beaucoup plus limitée et pour un montant évalué à 1 million d'euros pour 2026, identique à celui de 2025, sont financées par l'AME :

- l'AME humanitaire, qui vise les prises en charge ponctuelles de soins hospitaliers de personnes françaises ou étrangères ne résidant pas sur le territoire. Cette couverture est accordée au cas par cas par le ministère chargé de l'action sociale et doit permettre, chaque année, à une centaine de personnes disposant de faibles revenus de régler une dette hospitalière ;

l'aide médicale accordée aux personnes gardées à vue qui se limite à la prise en charge des médicaments - si l'intéressé ne dispose pas des moyens nécessaires à leur acquisition - et aux actes infirmiers prescrits, ainsi que l'aide médicale fournie aux personnes placées en rétention administrative pour les soins prodigués à l'extérieur des lieux de rétention.

Ces deux dispositifs donnent lieu à des délégations de crédits aux directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités.

Source : commission des finances du Sénat

1. Une stabilisation en trompe-l'oeil des dépenses d'aide médicale d'État

La hausse des dépenses d'AME, constante depuis quelques années, a tendance à ralentir entre 2023 et 2024. L'exécution des crédits s'élève à 1,159 milliard d'euros en 2024, soit 1,1 % de plus qu'en 2023. Les dépenses liées à l'AME avaient pourtant progressé de 10,3 % entre 2022 et 2023.

Ces dépenses n'augmenteraient que de 4,3 % entre 2024 et 2025, et seraient stables entre 2025 et 2026.

Évolution des dépenses de l'aide médicale de l'État dans le budget de l'État

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les dépenses d'AME sont toutefois plus élevées que celles qu'affiche le budget de l'État.

D'une part, l'État ne prend en charge qu'une partie de l'AME pour soins urgents, à hauteur d'une dotation de 70 millions d'euros en 2024 par exemple, le reste (61,8 millions d'euros en 2024) étant pris en charge par l'Assurance maladie.

Par ailleurs, malgré la formulation très explicite de l'article L. 253-2 du code de l'action sociale et des familles selon laquelle les dépenses d'AME de droit commun sont financées par l'État, les dépenses de l'aide médicale de l'État de droit commun n'ont pas toujours été prises en charge intégralement par l'État. Or l'AME est une dépense de guichet. Les remboursements versés aux bénéficiaires de l'AME sont ainsi effectués quel que soit le niveau de crédits budgétaires provisionnés par le gouvernement, qui doit rembourser la Sécurité sociale des frais qu'elle a avancés aux professionnels médicaux. Si l'État ne programme pas suffisamment de crédits budgétaires pour financer l'intégralité des dépenses d'AME de droit commun, alors une dette à l'égard de la Sécurité sociale est créée.

Or, en particulier en 2024, comme le relève également la Cour des comptes4(*), le décret d'annulation du 21 février 20245(*) a supprimé près de 50 millions d'euros de crédits au titre de l'aide médicale de l'État (AME), alors que la direction de la sécurité sociale avait déjà indiqué qu'elle prévoyait une dépense d'AME supérieure à celle qui a été budgétée en loi de finances initiale pour 2024.

Les dépenses d'AME de droit commun s'élèvent en réalité à 1,255 milliard d'euros en 2024, soit une hausse de 15 % des dépenses par rapport à 2023, représentant 181 millions d'euros. Pour 2025, la dépense réelle d'AME de droit commun pourrait s'élever à 1,314 milliard d'euros au total. Elle est au 31 août 2025 de 859,8 millions d'euros.

2. La création d'une dette à l'égard de la sécurité sociale

En conséquence, les crédits ouverts en 2024 au titre de l'AME sont largement inférieurs aux dépenses effectives, à la charge de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). L'État a ainsi contracté une dette à l'égard de la CNAM, d'un montant total de 185,1 millions d'euros à fin 2024. L'ampleur de la dette de l'État à l'égard de la CNAM au titre des dépenses d'AME est inédite en 2024, puisqu'elle n'avait atteint que le maximum de 50 millions d'euros en 2017.

Montant annuel et cumulé de dette de l'État vis-à-vis de la CNAM
au titre de l'aide médicale de l'État

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette situation risque de s'aggraver en 2025 : en effet, en LFI 2025, les dépenses prévues au titre du programme 183 « Protection maladie », qui finance l'AME, ont été figées à 1,208 milliard d'euros, soit au même niveau qu'en 2025. Le projet de loi de finances initiale pour 2025 prévoyait pourtant des dépenses de 1,319 milliard d'euros, dont 1,248 milliard d'euros pour l'aide médicale de l'État de droit commun. Au titre de 2025, au vu des dépenses envisagées, une nouvelle dette d'un montant de 177 millions d'euros pourrait finalement être créée. Pour autant, aucune réforme structurelle pouvant permettre de maitriser les dépenses d'AME, n'a été prise, ni par voie législative, ni par voie règlementaire, malgré des annonces en ce sens du Gouvernement Bayrou.

Une telle situation n'est pas acceptable : une budgétisation sincère et fiable des dépenses réelles d'aide médicale de l'État est absolument indispensable.

Le rapporteur spécial considère qu'il est particulièrement dommageable de prévoir des baisses de crédits, comme cela a été fait en 2024 via le décret d'annulation précité, sans y associer de réforme structurelle de l'AME, nécessaire pour maitriser le niveau réel des dépenses.

Par ailleurs, il est remarquable que sur les 167,8 millions d'euros non financés par l'État de dépenses d'aide médicale de l'État en 2024, seuls 50 millions d'euros sont liés à une annulation par voie décrétale. Ainsi, près de 117,8 millions d'euros ont été dépensés sans avoir été budgétés, en raison d'une erreur de prévision. Il serait souhaitable qu'une amélioration de la méthodologie de prévision soit mise en oeuvre, afin d'éviter de telles erreurs à l'avenir.

La Cour des comptes6(*) recommande de « revoir la méthode de prévision des dépenses d'AME dans un but de transparence budgétaire et afin de faciliter le pilotage des crédits », recommandation à laquelle le rapporteur spécial s'associe. En effet, les dépenses d'AME semblent mal suivies : seul un relevé trimestriel des dépenses et du nombre de bénéficiaires est disponible à ce stade, et ce avec plus de 4 mois de retard, au mieux. Un suivi plus régulier parait absolument nécessaire, en vue de fiabiliser la programmation budgétaire, alors que la direction de la sécurité sociale rencontre des difficultés dans ses prévisions, comme l'a d'ailleurs recommandé le rapporteur spécial dans un rapport7(*) récent.


* 3 Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 concernant la couverture maladie universelle.

* 4 Note d'exécution budgétaire, mission « Santé » du budget général de l'État, avril 2024.

* 5 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 6  Note d'exécution budgétaire, mission « Santé » du budget général de l'État, avril 2024.

* 7 Rapport d'information n° 841 (2024-2025) sur l'Aide médicale d'État, déposé le 9 juillet 2025 par M. Vincent DELAHAYE au nom de la commission des finances.

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