B. LE FINANCEMENT DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE, DONT LA VOILURE A DÉJÀ ÉTÉ SENSIBLEMENT RÉDUITE, POURRAIT ENCORE ÊTRE RATIONALISÉ
1. De multiples mesures de régulation financière du CPF depuis 2022, qui se poursuivraient jusqu'en 2026
Les droits à la formation professionnelle sont monétisés depuis la réforme de 2018 et peuvent être directement mobilisés par les titulaires du compte personnel de formation (CPF). Comme l'a souligné la Cour des comptes, ce dispositif, qui constitue l'un des deux principaux postes de dépenses de France compétences, s'inscrit « dans une logique dite « de guichet », contrairement aux autres dispositifs, financés par des enveloppes budgétaires fermées (...) »30(*). Les dépenses liées à l'utilisation du CPF et financées par France compétences sont passées de 740 millions d'euros en 2018 à 1,9 milliard d'euros en 2025, après un pic de 2,7 milliards d'euros en 202131(*).
Pour freiner cette très forte dynamique dépensière, plusieurs mesures ont été prises ces dernières années afin de lutter contre la fraude, de maîtriser les dépenses et de renforcer les exigences de qualité des certifications éligibles au CPF.
De nombreux déréférencements sont d'abord intervenus et les taux de refus d'éligibilité des formations au CPF ont fortement augmenté en 2022. L'usage du CPF a également été sécurisé par l'obligation, depuis octobre 2022, d'utiliser le dispositif FranceConnect +, répondant à des exigences de sécurité renforcées, pour accéder au service dématérialisé géré par la Caisse des dépôts et consignations.
Ensuite, l'article 212 de la loi de finances pour 2023 a introduit le principe d'une participation financière des bénéficiaires du CPF au financement de leur formation, par le biais d'une sorte de « reste à charge » dont serait exemptés les demandeurs d'emploi et les bénéficiaires pour lesquels l'employeur prend en charge une partie des coûts de la formation. Un an plus tard, cette disposition n'était toujours pas mise en oeuvre, faute de décret d'application. Ce décret est paru fin avril 202432(*) et a fixé le « reste à charge CPF » à la somme forfaitaire de cent euros. Les économies générées pour France Compétences par cette mesure ont permis de diminuer la subvention versée par l'État.
La loi de finances pour 2025 a en outre prévu, dans son article 190, de supprimer l'éligibilité de droit des formations à l'entrepreneuriat pour les créateurs et repreneurs d'entreprises (ACRE) au financement par le CPF. Seules les formations « ACRE » certifiantes sont donc désormais éligibles. Les moindres dépenses engendrées par cette mesure sont estimées à 100 millions d'euros en 2025 selon le cabinet du ministre du travail et des solidarités.
Dans une veine similaire, l'article 81 du présent projet de loi de finances propose de supprimer l'éligibilité au financement par le CPF des bilans de compétences, dont le coût pour les finances publiques apparaît excessif au regard de son impact sur la sécurisation des parcours professionnels, les bilans de compétences étant par nature des actions non-certifiantes. Le même article propose également de plafonner les montants qui peuvent être mobilisés au titre de CPF pour les autres formations éligibles non-certifiantes (permis de conduire, validation des acquis de l'expérience, etc.). Le rendement attendu de ces mesures varie, selon le niveau des plafonds qui seront fixés par décret, autour de 280 millions d'euros en AE et 100 millions d'euros en CP.
2. Le plan d'investissement dans les compétences (PIC) : un suivi rendu difficile par la dispersion des financements
La majorité des dépenses liées au PIC sont budgétées au sein de la mission « Travail et emploi ». Outre le volet national, des pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC) ont également été contractualisés avec les régions. Les crédits dédiés au volet national connaitraient une diminution en 2026 : ils s'établiraient ainsi à 311,1 millions d'euros en AE (- 45,7 %) et 480 millions d'euros en CP (- 28,2 %).
L'attention des rapporteurs spéciaux a notamment été attirée sur le sort des crédits du « PIC-IAE », c'est-à-dire des crédits du PIC destinés à la formation des bénéficiaires de l'insertion par l'activité économique, dont le statut hybride les rend éligibles à ce dispositif de formation des demandeurs d'emploi. Interrogée en ce sens par les rapporteurs spéciaux, l'administration a indiqué que la diminution exacte des crédits du PIC-IAE n'était pas encore connue.
Quant aux crédits des PRIC, ils seraient nuls en AE, les CP budgétés étant fixés à 148 millions d'euros au titre de restes à payer. Ils seraient néanmoins, comme chaque année, complétés par des crédits de fonds de concours versés par France compétences. En 2026, cette participation s'établit à un niveau de 626 millions d'euros en AE et 570 millions d'euros en CP. Les rapporteurs spéciaux relèvent que la légitimité d'un financement des PRIC par France compétences est contestable, dans la mesure où cette charge n'est associée à aucune ressource correspondante. Ils rappellent également que le déficit cumulé de France compétences correspond, peu ou prou, à ce financement cumulé.
3. Mettre fin au sous-financement de la formation professionnelle tout en préservant les incitations à l'embauche en apprentissage
La Cour des comptes33(*), les inspections en 202334(*) puis en 202435(*) et la commission des affaires sociales du Sénat dans son rapport sur France Compétences ont également recommandé de mobiliser des leviers en recettes pour financer les dépenses de l'opérateur.
Les inspections proposent en particulier d'engager le travail de rationalisation des dérogations concernant la taxe d'apprentissage. Il en va ainsi de la suppression du taux réduit de taxe d'apprentissage en Alsace-Moselle, qui pourrait rapporter 53 millions d'euros. Avancée l'année dernière par les rapporteurs spéciaux en leur nom propre, cette proposition n'avait pas prospéré.
En revanche, un amendement du rapporteur spécial Emmanuel Capus, déposé en son nom propre, afin de supprimer l'exonération de taxe d'apprentissage dont bénéficiaient les mutuelles, avait été adopté, pour un rendement d'environ 10 millions d'euros.
Le présent PLF prévoit, à son article 36, de supprimer l'exonération de taxe d'apprentissage dont bénéficient les associations, fondations, fonds de dotation, congrégations, syndicats et autres organismes à activités non lucratives, mettant ainsi en oeuvre l'une des recommandations avancées par l'ensemble des rapports précités. Le rendement attendu de cette mesure est de 220 millions d'euros.
Si le rapporteur spécial Emmanuel Capus regrette l'assujettissement proposé des associations à la taxe d'apprentissage, il souligne que l'impact négatif de cette mesure peut être relativisé en raison du faible taux de cette imposition (0,68 %) et de l'exonération maintenue pour les plus petites structures36(*), la rapporteure spéciale Ghislaine Senée s'opposera à cette évolution fiscale, défavorable à un secteur qui connait déjà, par ailleurs, de grandes difficultés.
La rapporteure spéciale Ghislaine Senée relève en revanche que les inspections recommandent aussi de redynamiser la contribution supplémentaire à l'apprentissage (CSA) pour en augmenter le rendement et maintenir une logique d'incitation au recrutement d'apprentis. La CSA est en effet due par les entreprises de plus de 250 salariés redevables de la taxe d'apprentissage, à un taux dégressif en fonction de la part de contrats d'insertion professionnelle dans les effectifs de l'entreprise.
Or, la progression du nombre d'apprentis a mécaniquement fait baisser le rendement de la CSA. Il serait donc possible de rehausser les taux de la CSA pour augmenter son rendement et son caractère incitatif. Le rendement supplémentaire de la CSA pourrait être de 74 millions d'euros en cas de hausse des taux de 40 %.
* 30 Référé précité du 5 avril 2022.
* 31 Cour des comptes, France compétences, une situation financière préoccupante, 5 avril 2022.
* 32 Décret n° 2024-394 du 29 avril 2024 relatif à la participation obligatoire au financement des formations éligibles au compte personnel de formation.
* 33 Cour des comptes, La formation en alternance. Une voie en plein essor, un financement à définir, juin 2022.
* 34 IGF-Igas, rapport précité, juillet 2023.
* 35 IGF-Igas, « Revue des dépenses publiques d'apprentissage et de formation professionnelle », mars 2024.
* 36 Exonération prévue par le IV de l'article L. 6241-1 du code du travail.