C. APRÈS UNE FORTE BAISSE EN 2025, LE SOUTIEN PUBLIC À L'APPRENTISSAGE POURRAIT BÉNÉFICIER D'UNE RELATIVE STABILITÉ
1. La stabilité du barème de l'aide à l'embauche des apprentis n'est pas garantie dans la situation actuelle
a) L'aide exceptionnelle aux employeurs d'apprentis a constitué le principal moteur de la dynamique de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur
Jusqu'en 2019, les aides aux employeurs d'apprentis prenaient des formes diverses : prime à l'apprentissage, aide spécifique aux très petites entreprises, crédit d'impôt, exonération de cotisations sociales. En 2019, ce régime d'aide a été simplifié et la plupart d'entre elles ont été remplacées par une aide unique ciblée sur les entreprises de moins de 250 salariés et les diplômes de niveau inférieur ou égal au baccalauréat.
Dans le contexte de la crise sanitaire, en juillet 2020, une aide exceptionnelle beaucoup plus large et plus avantageuse que l'aide unique a été mise en place. Elle concerne toutes les entreprises, y compris, sous certaines conditions, celles de plus de 250 salariés, et les formations allant jusqu'au niveau bac + 5.
Le décret du 29 décembre 202237(*) a procédé à une « fusion » de l'aide unique avec l'aide exceptionnelle, dont les montants sont désormais identiques bien que les deux dispositifs restent formellement distincts.
L'aide unique demeure réservée aux entreprises de moins de 250 salariés, uniquement pour l'embauche en contrat d'apprentissage pour la préparation d'un diplôme ou d'un titre à finalité professionnelle de niveau inférieur ou égal au baccalauréat. L'aide exceptionnelle, qui concerne potentiellement toutes les entreprises, est désormais versée aux entreprises de moins de 250 salariés pour la signature d'un contrat d'apprentissage entre les niveaux bac + 2 et bac + 5, et aux entreprises de plus de 250 salariés38(*) jusqu'au niveau bac + 5.
Les aides à l'embauche sont usuellement ciblées dans le but d'ajouter une incitation au recrutement d'un profil particulier de salarié. Les jeunes sortant prématurément du système scolaire sont classiquement l'objectif prioritaire de cette politique, car c'est pour insérer ce public dans l'emploi que l'apprentissage est le plus efficace.
L'aide exceptionnelle instaurée dans le cadre de la crise sanitaire et depuis reconduite a cependant été conçue selon une autre logique : elle est accessible à la quasi-totalité des apprentis, et seuls les étudiants préparant un diplôme d'un niveau supérieur à bac + 5 (Master) et les entreprises de plus de 250 salariés dont les effectifs n'incluent pas assez d'alternants sont exclus.
Un tel niveau de subvention est inédit. Il constitue le principal accélérateur de la croissance de l'apprentissage39(*), notamment dans l'enseignement supérieur. En dix ans, le nombre d'étudiants apprentis est passé de 139 000 à 636 000, ce qui correspond à une hausse de 360 % et à près d'un demi-million d'étudiants supplémentaires.
L'efficience de l'apprentissage dépend néanmoins largement des niveaux de qualification : la littérature économique et administrative met ainsi en évidence la meilleure intégration des apprentis de CAP et de BTS par rapport aux simples bacheliers dans l'emploi salarié40(*). Cet effet est d'autant plus important que les qualifications concernées sont faibles : le taux de chômage est en effet plus élevé pour les moins diplômés.
Or l'évaluation de la politique de l'apprentissage à l'aune de l'intégration dans l'emploi des apprentis fait apparaître une efficience relativement faible du dispositif, dans la mesure où les étudiants du supérieur « n'ont pas besoin de ce type de coups de pouce financiers étant donné que c'est le diplôme qu'ils obtiennent qui est déterminant pour leur employabilité, et non pas qu'il ait été acquis par la voie de l'apprentissage ou à l'issue d'un cursus classique. »41(*)
b) Après la modification du barème de l'aide à l'embauche en 2025, un secteur de l'apprentissage en quête de stabilité
Début 2025, le Gouvernement a pris un décret42(*) réformant le barème de l'aide à l'embauche des apprentis, dans lequel il en modifiait le barème afin de réaliser des économies.
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Régime des aides à l'embauche des apprentis |
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Avant 2023 - Juxtaposition de l'aide unique et de l'aide exceptionnelle |
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Aide unique |
Aide exceptionnelle |
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Contrats conclus à compter du 1er janvier 2019 |
Contrats conclus entre le 1er juillet 2020 et le 31 décembre 2022 |
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Entreprises du secteur privé de moins de 250 salariés |
Entreprises du secteur privé : - de moins de 250 salariés ; - de plus de 250 salariés atteignant le seuil de 5 % de contrats favorisant l'insertion professionnelle* ou de 3 % d'alternants** avec une progression de 10 % sur un an |
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Contrat d'apprentissage pour la préparation d'un diplôme ou d'un titre à finalité professionnelle de niveau inférieur ou égal au bac |
Contrat d'apprentissage pour la préparation d'un diplôme ou d'un titre à finalité professionnelle jusqu'au niveau bac + 5 |
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4 125 euros la 1ère année 2 000 euros la 2ème année 1 200 euros la 3ème année |
Uniquement la 1ère année du contrat 5 000 euros pour un mineur 8 000 euros pour un majeur À compter de la 2e année, seules perçoivent une aide les entreprises éligibles à l'aide unique |
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À compter de 2023 - « Fusion » de l'aide unique et de l'aide exceptionnelle |
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Contrats conclus après le 1er janvier 2023 |
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Entreprises du secteur privé de moins de 250 salariés |
Entreprises du secteur privé : - de moins de 250 salariés : entre le niveau bac + 2 et le niveau bac + 5 ; - de plus de 250 salariés atteignant le seuil de 5 % de contrats favorisant l'insertion professionnelle* ou de 3 % d'alternants** avec une progression de 10 % sur un an : jusqu'au niveau bac + 5 |
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Contrat d'apprentissage pour la préparation d'un diplôme ou d'un titre à finalité professionnelle de niveau inférieur ou égal au bac |
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Uniquement la 1ère année du contrat 6 000 euros |
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À compter de 2025 - Révision du barème de l'aide fusionnée |
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Contrats conclus après le 22 février 2025 |
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Uniquement la 1ère année du contrat 5 000 euros pour les entreprises du secteur privé de moins de 250 salariés 2 000 euros pour les entreprises du secteur privé de plus de 250 salariés 6 000 euros pour les embauches de personnes reconnues travailleurs handicapés |
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* Salariés en contrats d'apprentissage et de professionnalisation, volontariat international en entreprise (VIE), convention industrielle de formation par la recherche (Cifre).
** Salariés en contrats d'apprentissage et de professionnalisation.
Source : commission des finances du Sénat
La baisse du niveau de l'aide qui en a résulté a surtout concerné les entreprises de plus de 250 salariés, les PME étant globalement préservées, le barème distinguant :
- les entreprises de moins de 250 salariés, pour lesquelles le montant de l'aide était réduit de 6 000 euros à 5 000 euros ;
- les entreprises de plus de 250 salariés, pour lesquelles le montant de l'aide était réduit de 6 000 euros à 2 000 euros.
Cette mesure a conduit à diminuer sensiblement le niveau des crédits dédiés à l'aide à l'embauche pour 2025, mais uniquement en AE : cette baisse a été de - 663 millions d'euros (soit - 17 %) par rapport à la LFI 2024, mais plus importantes encore par rapport à la tendance haussière qui était prévue, l'écart avec le contrefactuel étant d'environ 1,2 milliard d'euros selon le cabinet de la ministre de l'époque. La diminution des CP a en revanche été négligeable, l'effet d'une telle mesure la première année étant très faible (- 65 millions d'euros, soit - 1,8 %).
En 2026 en revanche, la baisse des crédits dédiés à l'aide à l'embauche est également significative en AE (- 969 millions d'euros) et en CP (- 1 063 millions d'euros), puisqu'ils reculeraient de 31 %. Selon le cabinet du ministre du travail, cette diminution résulte non d'une nouvelle mesure paramétrique sur le montant de l'aide à l'embauche, mais simplement de l'effet en année pleine de la baisse du montant décidée l'année précédente et des prévisions d'entrées en apprentissage en 2026 selon une hypothèse de diminution de 10 % des entrées.
L'heure est donc à la stabilité de l'aide à l'embauche des apprentis, du moins en principe, ce dont les rapporteurs spéciaux se félicitent compte-tenu de la teneur des auditions cette année.
En effet, l'équilibre financier de la mission repose largement sur deux hypothèses qui pourraient ne pas se réaliser :
- d'abord, l'hypothèse d'une baisse de 10 % des entrées en apprentissage entre 2024 et 2025. Or, les personnes auditionnées par les rapporteurs spéciaux ont plutôt fait état, au vu des derniers chiffres disponibles - qui sont néanmoins sujets à caution compte-tenu de la volatilité de la situation - des entrées en baisse entre - 5 % et - 8 %. Cette mesure d'économies est donc, à ce stade, partiellement non-documentée ;
- ensuite, l'hypothèse de l'adoption de la mesure, prévue à l'article 36 du présent PLF, supprimant l'exonération de taxe d'apprentissage dont bénéficie le secteur non-lucratif. Cette mesure augmente les ressources de France compétences de 220 millions d'euros, diminuant d'autant le montant de la dotation inscrite sur la mission ;
- enfin, l'hypothèse de l'adoption de la mesure, prévue dans le PLFSS pour 2026, supprimant l'exonération de cotisations salariales dont bénéficient les apprentis à hauteur de 50 % du Smic. Cette exonération étant compensée à la sécurité sociale par des crédits inscrits sur la mission, son maintien aurait pour effet d'en rehausser mécaniquement les dépenses d'environ 400 millions d'euros.
Si l'une ou plusieurs de ces hypothèses devait ne pas se réaliser - ce qui ne saurait être écarté compte-tenu du rythme des entrées en apprentissage et du vote de l'Assemblée nationale maintenant l'exonération de cotisations des apprentis - l'équilibre financier de la mission devrait être réalisé par d'autres moyens. Or, à ce stade, le Gouvernement n'a pas formellement exclu de modifier à nouveau le barème ou d'autres paramètres réglementaires de l'aide à l'embauche d'apprentis.
Si un tel scénario devait effectivement échoir, les rapporteurs spéciaux renouvellent leur préférence pour un ciblage des aides à l'apprentissage à la fois en fonction de la taille de l'entreprise et du niveau de qualification des apprentis, tel qu'adopté l'année dernière par le Sénat43(*). Ils ajoutent qu'en fonction du quantum d'économies visé, la diminution de l'aide à l'embauche pourrait également permettre de compenser la suppression du dispositif de « reste à charge » (cf. infra), sur lequel les retours des professionnels sont globalement négatifs.
2. Les mesures de régulation des coûts pédagogiques des CFA ayant porté leurs fruits, une période de stabilité semble nécessaire
Depuis la réforme de l'apprentissage, l'offre de places en centres de formation d'apprentis (CFA) n'est plus contingentée. Chaque contrat d'apprentissage donne lieu à une prise en charge financière par l'opérateur de compétences dont relève l'entreprise d'accueil. Celle-ci est financée par France compétences. Le niveau de prise en charge (NPEC) est déterminé à l'échelon national par la branche professionnelle (ou, à défaut, par l'État), dans le cadre de recommandations établies par France compétences.
Selon les inspections générales des finances (IGF) et des affaires sociales (Igas)44(*), en 2022, les CFA ont enregistré un total de 7,1 milliards d'euros de charges et 8,0 milliards d'euros de produits, dégageant un résultat net de 852 millions d'euros. En ne considérant que les recettes issues des NPEC et les charges qu'ils ont vocation à couvrir, le résultat de l'exercice 2022 s'est élevé à 904 millions d'euros et le taux de marge moyen des CFA atteignait 11,5 %.
Dans ce contexte, et en application des recommandations d'un rapport remis au Gouvernement en juillet 2023 sur les modalités de financement des CFA45(*) par les inspections, il a été procédé à trois baisses successives des niveaux de prise en charge (NPEC) des contrats d'apprentissage. La première baisse, à l'été 2022, a généré 300 millions d'euros d'économies ; la seconde baisse, de 5 % en moyenne46(*), a été conduite en 2023 et aurait eu un impact d'environ 550 millions d'euros en année pleine. La troisième, réalisée en 2024, avait été spécifiquement ciblée sur les niveaux élevés de qualification (master et doctorat notamment) et était censée, selon les données qui figuraient sur les amendements gouvernementaux au PLF pour 2025, engendrer 225 millions d'euros en AE et en CP.
Ce sont ainsi près d'un milliard d'euros d'économies qui ont été réalisées en trois ans.
Cependant, selon le directeur général des France compétences, les travaux de préparation de la troisième baisse comme les derniers rapports de revue des dépenses ont depuis mis en évidence qu'il n'y avait plus de marge d'économies et qu'une proportion importante (désormais majoritaire) des NPEC était désormais inférieure aux coûts observés, fragilisant ainsi le modèle économique de l'apprentissage dans de nombreux CFA.
Il semble donc, aux dires de l'ensemble des personnes auditionnées par les rapporteurs spéciaux, qu'une nouvelle baisse des NPEC soit à exclure et que, là aussi, le secteur soit en quête de stabilité.
Enfin, les personnes entendues par les rapporteurs spéciaux leur ont indiqué ne pas soutenir la mise en place, en vertu de l'article 192 de la loi de finances pour 2025 d'un mécanisme de « reste à charge », introduit dans le texte en commission mixte paritaire, en vertu duquel tout employeur souhaitant embaucher un apprenti visant un diplôme ou une certification inscrite au niveau 6 ou 7 (soit Bac + 3 et au-delà) du cadre national des certifications professionnelles, devra participer au financement d'une partie du niveau de prise en charge (NPEC) du contrat d'apprentissage.
Un décret47(*) est depuis intervenu pour fixer cette participation des employeurs à la somme forfaitaire de 750 euros, applicable au 1er juillet 2025. Cette mesure, qui a permis alléger les dépenses de France compétences de 375 millions d'euros en CP en 2025 - qui rémunère aujourd'hui les CFA pour l'intégralité du niveau de prise en charge - est notamment contestée dans son application, qui nécessite que les CFA facturent directement les entreprises, une procédure complexe à laquelle ces structures ne sont pas habituées.
Les professionnels du secteur ont demandé la suppression de cette mesure, quitte à diminuer le barème de l'aide à l'embauche afin d'en compenser l'impact financier sur France compétences. Ainsi, si une nouvelle mesure devait être prise sur l'aide à l'embauche (cf. supra), les rapporteurs spéciaux soutiendraient cette évolution.
* 37 Décret n° 2022-1714 du 29 décembre 2022 relatif à l'aide unique aux employeurs d'apprentis et à l'aide exceptionnelle aux employeurs d'apprentis et de salariés en contrat de professionnalisation.
* 38 Il s'agit des entreprises de plus de 250 salariés atteignant le seuil de 5 % de contrats favorisant l'insertion professionnelle ou de 3 % d'alternants avec une progression de 10 % sur un an.
* 39 Coquet B., « Apprentissage : un bilan des années folles », OFCE Policy Brief n° 117, juin 2023.
* 40 Antoine R., Fauchon A., DEPP et DARES, Note d'Information, n° 23.26, juin 2023 et Antoine R., Fauchon A., DEPP et DARES, Note d'information, n° 23.27, juin 2023 note que les anciens lycéens professionnels de niveau CAP à BTS sont 57 % à être en emploi salarié deux ans après la fin de leurs études, alors que cette proportion est de 73 % pour les anciens apprentis de même niveau.
* 41 Coquet B., OFCE Policy Brief, « Apprentissage : quatre leviers pour reprendre le contrôle » n° 135, 12 septembre 2024.
* 42 Décret n° 2025-174 du 22 février 2025 relatif à l'aide unique aux employeurs d'apprentis et à l'aide exceptionnelle aux employeurs d'apprentis.
* 43 Amendement n° II-9 rect. de M. Emmanuel Capus et Mme Ghislaine Senée au nom de la commission des finances.
* 44 IGF-Igas, Les modalités de financement des centres de formation d'apprentis, juillet 2023.
* 45 Ibid.
* 46 Afin d'éviter un choc trop brutal pour certains CFA, aucune baisse de NPEC de plus de 10 % n'a été recommandée par France Compétences.
* 47 Décret n° 2025-585 du 27 juin 2025 relatif à la prise en charge des actions de formation par apprentissage