B. LES DISPOSITIFS D'EMPLOI AIDÉS FINANCÉS PAR LA MISSION FONT TOUS L'OBJET DE DIMINUTIONS DE CRÉDITS

1. La suppression des emplois francs se confirme, la disparition des contrats aidés se poursuit

Deux mesures conséquentes du projet de loi de finances pour 2025 consistent en la suppression de deux dispositifs d'emploi aidé : les contrats aidés dans le secteur marchand, d'une part, et les emplois francs, d'autre part. Cette suppression fait suite aux constats répétés de la faible efficience de ces dispositifs, voire d'effets d'aubaines importants.

Ainsi, il est reconnu que, pour les contrats aidés dans le secteur marchand (les « contrats uniques d'insertion » et « contrats initiatives emploi » - CUI et CIE), l'effet d'aubaine17(*) était supérieur à celui observable pour les contrats aidés dans le secteur non-marchand (dits « parcours emplois compétences » - PEC).

Une étude de 2023 a ainsi estimé l'effet d'aubaine des contrats aidés à 26 % dans le secteur non-marchand, mais jusqu'à 61 % dans le secteur marchand18(*). En conséquence, la LFI pour 2025 a prévu l'extinction des CUI-CIE, dont les crédits ont chuté à 1 million d'euros en AE et 3 millions d'euros en CP, des montants résiduels traduisant la fin du dispositif.

Poursuivant dans cette voie, le projet de loi de finances pour 2026 prévoit une baisse très significative des crédits dédiés aux contrats aidés dans le secteur non-marchand, puisqu'ils passeraient de 228,8 millions d'euros en AE et 111,8 millions d'euros en CP à 33,7 millions d'euros en AE et 23,3 millions d'euros en CP dans le secteur non-marchand, soit une diminution de 85 % en AE et de 79 % en CP. En conséquence, le nombre d'entrées en PEC en 2026 serait de 16 000, alors qu'il était de 50 000 en 2025 (soit une baisse de 68 %). Il s'agit, selon la rapporteure spéciale Ghislaine Senée, d'une véritable régression, pour les bénéficiaires des PEC comme pour le secteur non-marchand, en particulier les collectivités territoriales.

Les emplois francs sont quant à eux un dispositif réglementaire19(*) consistant en une aide à l'embauche pour les employeurs recrutant des salariés résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), visant à lever les freins qu'ils rencontrent dans l'accès à l'emploi et notamment les discriminations à l'embauche dont ils font l'objet. Ayant fait l'objet de revues de dépenses en 202420(*), ce dispositif a été jugé « peu dynamique, avec un nombre d'entrées faible », sans « effet concluant sur l'accès à l'emploi des habitants de QPV », et présentant « des effets d'aubaines importants ».

La réduction des crédits dédiés aux emplois francs dans le PLF 2026 (nuls en AE et de 52,1 millions d'euros en CP pour solder les contrats déjà signés) traduit la décision du Gouvernement d'abandonner entièrement ce dispositif compte tenu des effets d'aubaine importants (77 %) qu'il génère21(*).

2. Les moyens alloués à l'insertion par l'activité économique (IAE) connaitraient la plus forte baisse de leur histoire

Les crédits dédiés à l'insertion par l'activité économique (IAE) sont, prévus en baisse pour 2026. Ils s'établiraient en effet à 1 293,0 millions d'euros en AE et à 1 909,6 millions d'euros en CP dans le présent projet de loi de finances, soit une nette diminution par rapport aux crédits budgétés dans la LFI pour 2025 (- 31 % en AE et - 12,9 % en CP).

Surtout, l'ensemble des structures d'insertion par l'activité économique serait concerné par cette diminution, qui n'épargnerait aucun dispositif.

En effet, les crédits de paiement dédiés à chaque catégorie de structure d'IAE diminueraient en 2025, de - 15,2 % pour les entreprises d'insertion (EI) à - 10 % pour les ateliers et chantiers d'insertion (ACI).

Évolution des crédits alloués aux structures d'insertion par l'activité économique entre la LFI 2025 et le PLF 2026

(en millions d'euros)

 

LFI 2025

PLF 2026

Évolution 2026/2025

 

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Ateliers et chantiers d'insertion (ACI)

1 319,4

1 036,3

916,3

924,2

- 30,6 %

- 10,8 %

Associations intermédiaires (AI)

36,7

29,3

22,4

22,6

- 39,0 %

- 22,9 %

Entreprises d'insertion (EI)

343,8

266,2

224,1

225,7

- 34,8 %

- 15,2 %

Entreprises de travail temporaire d'insertion (ETTI)

98,0

79,8

64,9

65,5

- 33,8 %

- 17,9 %

Entreprises d'insertion par le travail indépendant (EITI)

12,8

12,8

9,7

9,7

- 24,2 %

- 24,2 %

Autres dispositifs

72,8

72,6

55,6

55,9

- 23,6 %

- 23,0 %

TOTAL

1 883,5

1 497,0

1 293,0

1 303,6

- 31,3 %

- 12,9 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Entendue par les rapporteurs spéciaux, la fédération des entreprises d'insertion (FEI) considère qu'il s'agit d'une baisse sans précédent du budget de l'IAE, la plus forte de son histoire. Les crédits diminueraient en effet de 509 millions d'euros en AE et de 193 millions d'euros en CP.

Toujours selon la FEI, cette baisse de budget aurait pour conséquence directe la suppression de 20 058 ETP, soit environ 60 000 parcours en insertion, auxquels s'ajoutent les permanents qui accompagnent les salariés en insertion, ce qui représenterait un niveau équivalent à celui de 2020-2021.

Si cette baisse des financements de l'État est indéniable, sa sévérité peut néanmoins être quelque peu nuancée.

Interrogée, la DGEFP a souligné que, malgré la baisse des crédits prévue pour 2026, ce repli substantiel fait suite à une forte augmentation au titre des années précédentes, le financement des SIAE par l'État étant maintenu à un niveau 60 % supérieur à ce qu'il était en 2017. En outre, la diminution des AE entre la LFI 2025 et le PLF pour 2026 est partiellement due à l'ouverture, en 2025, « d'AE techniques », jeu d'écriture qui accentue la baisse entre 2025 et 2026. La DGEFP a ainsi indiqué qu'en neutralisant cet effet, les AE ne diminueraient plus « que » de 12 %.

En outre, l'observation de l'exécution des crédits de la mission lors des derniers exercices clos (2023 et 2024) montre une tendance à la sous-consommation des crédits ouverts au titre de l'IAE et la réalisation partielle des objectifs d'effectifs de l'IAE.

Ainsi, en 2024 sur les 1 456,6 millions d'euros en CP ouverts pour l'ensemble des dispositifs d'IAE, seuls 1 324,8 millions d'euros avaient été consommés (soit un écart de 131,8 millions d'euros et un taux de consommation de 91 %). La tendance est la même s'agissant des effectifs, puisque sur les 100 227 ETP prévus en 2024, seuls 84 614 ETP ont bien été accompagnés par les structures.

En comparant les prévisions pour 2026, non aux prévisions pour 2025, mais au réalisé en 2024, la sévérité des coupes budgétaires sur l'IAE apparaît moindre qu'anticipée : les crédits de paiement diminueraient non de 193 millions d'euros mais de « seulement » 77,1 millions d'euros ; de même, les effectifs ne diminueraient pas de 20 058 ETP mais « uniquement » de 4 445 ETP - soit des baisses de l'ordre de 6 %.

Évolution des crédits et des effectifs de l'IAE entre le PLF 2026
et les dernières exécutions connues

(en millions d'euros et en pourcentage)

 

2023

2024

2026

Évolution PLF 2026 / réalisé 2024

 

Prévu

Réalisé

Prévu

Réalisé

Prévu

M €

%

Ateliers et chantiers d'insertion (ACI)

Crédits (CP)

891,1

958,7

1 053,2

982,6

924,2

- 58,4

- 5,9 %

Effectifs

37 073

38 647

42 257

38 815

36 220

- 2 595

- 6,7 %

Associations intermédiaires (AI)

Crédits (CP)

31,9

23,9

30,4

24,6

22,6

- 2,0

- 8,1 %

Effectifs

19 609

14 718

18 027

13 546

13 200

- 346

- 2,6 %

Entreprises d'insertion (EI) et entreprises de travail temporaire d'insertion (ETTI)

Crédits (CP)

314,5

276,1

360,0

306,4

291,2

- 15,2

- 5,0 %

Effectifs

36 911

30 481

37 955

30 767

28 949

- 1 818

- 5,9 %

Entreprises d'insertion par le travail indépendant (EITI)

Crédits (CP)

7,9

0,4

13,0

11,2

9,7

- 1,5

- 13,4 %

Effectifs

1 189

1 219

1 988

1 486

1 800

+ 314,0

+ 21,1 %

TOTAL

 

 

 

 

 

 

 

Crédits (CP)

1 245,4

1 259,1

1 456,6

1 324,8

1 247,7

- 77,1

- 5,8 %

Effectifs

94 782

85 065

100 227

84 614

80 169

- 4 445

- 5,3 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et la note d'exécution budgétaire 2024

Si l'ampleur des coupes budgétaires peut donc être mise en perspective, leur réalité ne peut être niée. En l'absence d'une atténuation de l'effort demandées au SIAE - que la rapporteure spéciale Ghislaine Senée appelle de ses voeux - les rapporteurs spéciaux s'accordent pour considérer qu'il convient a minima que l'administration tienne ses engagements de suivre au plus près du terrain la situation des structures afin de garantir que les conditions de prise en charge et d'accompagnement demeurent satisfaisantes - sans quoi les taux d'insertion en pâtiront certainement.

3. La pérennisation de l'expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée » pose la question de son financement dans la durée

L'expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée (ETCLD) a été créée par la loi du 29 février 201622(*), avec comme objectif de recruter les « personnes privées durablement d'emploi » (PPDE) qui le souhaitent, pour mobiliser leurs compétences dans le cadre d'activités socialement utiles dans lesquelles ces personnes souhaitent s'engager. Avec la loi de 2016, dix territoires avaient été sélectionnés pour participer à l'expérimentation. Avec la loi du 14 décembre 202023(*), l'expérimentation a été étendue : elle concerne désormais jusqu'à 60 territoires volontaires, y compris les dix territoires initiaux.

L'expérimentation s'appuie sur des entreprises à but d'emploi (EBE) qui reçoivent des financements des collectivités territoriales concernées et du mécénat, ainsi que de leurs clients via leur chiffre d'affaires. Des financements proviennent également de l'Association ETCLD qui elle-même est financée par les départements concernés (à hauteur d'au moins 15 %) et par l'État, via la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP).

En 2026, les financements de l'État s'élèveraient à 68,8 millions d'euros en AE et en CP, afin de financer :

la contribution au développement de l'emploi (CDE), qui correspond à la contribution financière de l'État à la production supplémentaire d'emplois par les EBE. L'hypothèse retenue pour 2026 est celle d'une CDE à hauteur de 95 % du salaire minimum de croissance (Smic) appliquée à 3 069 ETPT ;

la dotation d'amorçage, qui représente un financement supplémentaire pour chaque nouvel ETP l'année de sa création. Étant fixée à 30 % du Smic, elle permettrait la création de 247 nouveaux ETP en 2026 ; les effectifs continueraient donc leur progression, mais celle-ci serait ralentie.

le complément temporaire d'équilibre (CTE), destiné à compenser en tout ou partie le déficit d'exploitation courant de l'EBE au cours d'une année déterminée.

La budgétisation de crédits au titre de ce dispositif en 2026 témoigne de la volonté du Gouvernement de pérenniser, ou a minima proroger, l'expérimentation « Zéro chômeur de longue durée », qui arrive à échéance au 1er juillet 2026. La proposition de loi du député Stéphane Viry24(*) prévoit ainsi la pérennisation et la généralisation de l'expérimentation et pourrait constituer le véhicule adéquat.

Les rapporteurs spéciaux considèrent néanmoins que la pérennisation et la généralisation de l'ETCLD posent au moins deux défis majeurs.

Le premier est celle de la gouvernance et de l'articulation entre les comités locaux pour l'emploi (CLE), qui pilotent l'expérimentation sur le terrain, et les comités territoriaux pour l'emploi (CTE) créés par la loi pour le plein emploi de 2023, qui réunissent les partenaires du réseau pour l'emploi (RTE) que sont l'État, les collectivités territoriales et le service public de l'emploi (SPE), dont France Travail. Sur ce point, le défi semble en voie d'être relevé, puisque le rapport du comité scientifique25(*) sur l'ETCLD indique que l'offre d'accompagnement proposée par l'expérimentation est « globalement complémentaire au SPE » et que « dans la grande majorité des cas, la crainte que TZCLD puisse concurrencer l'action locale du SPE a été levée au profit d'un travail de coopération ».

Le second est celui des économies associées à la création d'emploi en EBE, qui correspondent certes à des coûts importants (26 600 euros par an et par ETP) mais qui sont compensés par des coûts sociaux évités et des recettes fiscales et sociales additionnelles. Le rapport du comité scientifique indique que ces économies sont « bien réelles, même si certains effets sont difficiles à mesurer ». Les coûts évités seraient de l'ordre de 15 300 euros par an et par ETP, soit un « coût net » d'un emploi en EBE de 11 300 euros. Le même rapport précise toutefois que « ces calculs ne comprennent pas les dépenses complémentaires et certains coûts collectifs évités en lien avec le chômage de longue durée qui sont très difficiles à monétiser ». Pour la rapporteure spéciale Ghislaine Senée, la véritable ampleur des coûts du chômage n'est donc pas assez finement prise en compte, à ce stade, dans l'évaluation de l'expérimentation.

Il convient donc de mieux mesurer l'impact de « l'activation des dépenses passives » afin de mieux maîtriser le coût du dispositif.


* 17 «  Quels effet emploi et effets d'aubaine des contrats aidés ? Une évaluation à l'aune de la baisse de leur financement en 2017 », DARES Analyses, n° 45, juillet 2023.

* 18 Euzenat, D., « Estimation de l'effet d'aubaine des contrats aidés. Enseignements d'une expérience quasi naturelle en France », Dares, Documents d'études, n° 269, juillet 2023.

* 19 Décret n° 2019-1471 du 26 décembre 2019 portant généralisation des emplois francs et création d'une expérimentation à La Réunion.

* 20 Igas-IGF, « Revue de dépenses : dispositifs de soutien à l'emploi et à l'accompagnement des demandeurs d'emploi », avril 2024.

* 21 «  Les emplois francs incitent-ils à embaucher des personnes résidant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ? », DARES Analyses, n° 52, septembre 2023.

* 22 Loi n° 2016-231 du 29 février 2016 d'expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée.

* 23 Loi n° 2020-1577 du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ».

* 24 Proposition de loi n° 1326 visant à exercer l'accès à l'emploi, pérenniser et étendre progressivement l'expérimentation Territoires zéro chômeur longue durée comme solution de retour à l'emploi pour les personnes privées durablement d'emploi, déposée le 17 avril 2025.

* 25 Rapport d'évaluation de la deuxième phase de l'expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée » (TZCLD), Vers une garantie de l'emploi ? Comité scientifique (Dares, Haut-commissariat à la stratégie et au plan, septembre 2023.

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