N° 139

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2026,

Par M. Jean-François HUSSON, 

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 4
AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS : PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS

Rapporteurs spéciaux : MM. Michel CANÉVET et Raphaël DAUBET

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, M. Georges Patient, Mme Sophie Primas, M. Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1906, 1990, 1996, 2006, 2043, 2047, 2048, 2060, 2063 et T.A. 180

Sénat : 138 et 139 à 145 (2025-2026)

L'ESSENTIEL

I. AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT ANNÉE ZÉRO?

A. UNE TRÈS FORTE MISE À CONTRIBUTION DE LA MISSION AU REDRESSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES

Les exercices 2024 et 2025 ont conduit à une réduction significative du volume de la mission « Aide publique au développement ». Au total, entre la loi de finances pour 2024 et la loi de finances pour 2025, les crédits de la mission ont diminué, à périmètre constant, de 28 % en autorisations d'engagements et de 35 % en crédits de paiement.

Évolution des crédits de la mission sur la période 2018-2026

(en millions d'euros - en autorisation d'engagement et en crédits de paiement)

Note : à compter de la loi de finances pour 2025, les crédits de la mission intègrent la rebudgétisation du fonds de solidarité pour le développement à 738 millions d'euros.

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Pour 2026, les crédits demandés au titre de la mission « Aide publique au développement » représentent 4,43 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 3,67 milliards d'euros en crédits de paiement. Par comparaison, les crédits inscrits en LFI 2025 s'élevaient à 5,12 milliards d'euros en AE et 4,37 milliards d'euros en CP. Le budget 2026 équivaudrait ainsi à une baisse de 13,6 % en AE et de 16,1 % en CP.

Ce recul de l'aide publique au développement en France ne constitue en rien une exception, dans un environnement international en profonde mutation, où cette politique publique est remise en cause tant dans de son architecture financière que dans ses présupposés politiques (solidarité internationale et multilatéralisme).

Il importe toutefois de pondérer l'analyse de l'évolution des crédits de la mission à plus long terme.

D'une part, à périmètre constant hors dépenses de titre 2 et en intégrant les crédits du fonds de solidarité pour le développement (FSD), les dépenses de la mission sont, dans le projet de loi de finances, en hausse de 20 % par rapport à l'exécution 2017. Si l'on retraite les effets de l'inflation sur l'évolution de la mission1(*), celle-ci est stable en volume entre 2017 et 2026.

D'autre part, il paraît nécessaire, pour véritablement raisonner de manière constante, de retraiter de l'évolution des crédits le Fonds européen pour le développement (FED), placé en extinction. Les versements au FED sont par conséquent décroissants, permettant de dégager de nouvelles marges de manoeuvre sur le programme 209 où sont inscrites ces contributions2(*). Après ce retraitement, et corrigée de l'inflation, la progression de la mission est de 31 % sur la période 2017-2026.

B. L'AMORCE DE NOUVELLES ORIENTATIONS POUR NOTRE POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT

Trois réflexions peuvent être engagées à l'aune de ce budget 2026.

Premièrement, en l'état actuel, l'aide au développement de la France paraît insuffisamment ciblée à la fois sur un plan géographique et sur un plan thématique.

En dépit de cibles géographiques fixées par le comité interministériel de la coopération et du développement international, l'APD française fait l'objet d'une très forte dispersion géographique qui l'expose, à mesure de la réduction de son enveloppe budgétaire, à un risque de dilution. Notre APD bilatérale, qui intervient dans 124 pays (contre 60 pour l'Allemagne), représente en moyenne 5 % de l'APD reçue par les pays bénéficiaires. L'objectif de concentrer 60 % de notre aide dans les pays les moins avancés (PMA) et vulnérables n'est pas respecté.

Part de l'aide française à destination des pays les moins avancés
sur la période 2019-2023

(en millions d'euros courants et en pourcentage)

 

2019

2020

2021

2022

2023

Aide en millions d'euros courants

2 593

3 327

3 394

3 322

3 418

Pourcentage du total de l'aide de la France

25 %

24 %

25 %

21 %

24 %

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Deuxièmement, si notre aide bilatérale progresse en proportion et passe de 57 % à 65 % du total de notre APD dans le PLF 2026, la France pourrait encore renforcer la sélectivité de ses contributions internationales. Les remarques formulées par la Cour des comptes3(*) et la commission des finances4(*) n'ont pas été toutes mises en oeuvre : il n'existe toujours pas de doctrine d'articulation entre les canaux bilatéraux et multilatéraux de notre aide.

En outre, la plus-value de certaines contributions internationales peut interroger. En particulier, les fonds verticaux dans le domaine de l'environnement soulèvent plusieurs difficultés. Leur nombre est trop important et encourage un phénomène de redondance, tandis que les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure en sont les principaux bénéficiaires. La Chine est ainsi devenue la principale bénéficiaire du Fonds pour l'environnement mondial pour lequel la France se réengage pour 100 millions d'euros dans le présent PLF.

Troisièmement, l'évaluation de notre politique d'aide au développement est insuffisante. La commission d'évaluation de l'APD, créée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, n'a toujours pas commencé ses travaux.

II. DES MESURES D'ÉCONOMIES RÉPARTIES SUR L'ENSEMBLE DE LA MISSION, À L'EXCEPTION DU PROGRAMME 384, SANCTUARISÉ

A. UNE TENTATIVE DE REPRISE EN MAIN DES ENGAGEMENTS PLURIANNUELS SUR LE PROGRAMME 110

Le programme 110 « Aide économique et financière au développement » retrace les crédits confiés au ministère de l'économie et des finances. Les montants de crédits demandés diminuent de 1,1 milliard d'euros en AE et de 223,6 millions d'euros en CP, soit respectivement une baisse de 45 % et de 15 %.

Le programme 110 se distingue par le volume très élevé des restes-à-payer découlant d'engagements pluriannuels, le montant des crédits de paiement n'étant jamais équivalent au montant des autorisations d'engagement.

Il porte en effet une part conséquente de contributions internationales à des institutions multilatérales de développement pour lesquels les engagements portent généralement sur trois ans.

Pour 2026, des contributions jugées moins essentielles ont été diminuées ou supprimées. Par exemple, la contribution au Fonds africain de développement a ainsi été réduite de 50 %.

Par ailleurs, plusieurs contributions obligatoires n'ont pas été honorées dans le calendrier prévu en 2025. Les décaissements ne pourront être réalisés qu'en 2026.

Toutefois, la France s'est réengagée dans plusieurs fonds verticaux.

Restes à payer sur les autorisations d'engagement antérieures à 2026
du programme 110

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

B. UNE BILATÉRALISATION RENFORCÉE DU PROGRAMME 209

Le programme 209 « Solidarité avec les pays en développement » retrace les crédits gérés par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Comme en 2025, le programme porte l'essentiel de l'effort de réduction des crédits de la mission. Ses dépenses, plus pilotables, sont réduites de 36 % en AE et de 22 % en CP.

Le PLF 2026 réduit ainsi de 300 millions d'euros l'aide bilatérale mise en oeuvre par l'Agence française de développement (220,5 millions d'euros sur le don-projet et 62,5 millions d'euros sur le don-ONG) et rationalise les contributions internationales volontaires.

Pour la deuxième année consécutive, l'aide humanitaire diminue fortement (- 41 %).

Évolution des crédits liés à l'aide humanitaire entre 2018 et 2026

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

C. LE REGROUPEMENT D'UNE PART SIGNIFICATIVE DE NOS CONTRIBUTIONS INTERNATIONALES SUR LE PROGRAMME 384

Créé par la loi de finances pour 2025 pour assurer la rebudgétisation du Fonds de solidarité pour le développement (FSD), le programme 384 regroupe des contributions internationales en matière de santé et de climat. Pour 2026, le programme s'est vu transférer plusieurs contributions multilatérales auparavant inscrites sur le programme 209.

III. LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS « PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS »

Le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » retrace les prêts consentis à des États dans une logique d'aide publique au développement, à l'exception du compte 854 relatif à la participation de la France au désendettement de la Grèce et qui ne supporte plus aucune dépense. Ces crédits évoluent faiblement en 2026 et n'appellent pas d'observation particulière.

Réunie le 6 novembre 2025, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

Réunie à nouveau le mercredi 26 novembre 2025, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Aide publique au développement » tels que modifiés par son amendement visant à ramener les crédits de la mission à leur niveau de 2019, corrigé de l'inflation.

L'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, les rapporteurs spéciaux avaient reçu 0 % des réponses.

À la date d'examen en commission du rapport le 6 novembre, ils ont obtenu 92 % des réponses.

I. LES GRANDS ÉQUILIBRES DE LA MISSION : AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT, ANNÉE ZÉRO ?

A. PRINCIPES ET STRUCTURES DE L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

1. Définir l'aide publique au développement

La notion d'aide publique au développement (APD) est née dans les années 1960. Selon Hubert de Milly5(*), actuellement conseiller scientifique auprès de l'Agence française de développement (AFD), le concept d'une politique d'aide publique au développement (APD) a émergé de quatre champs de réflexion :

- une réflexion économique, qui repose sur le constat d'un déficit d'épargne domestique dans les pays dits « sous-développés » ;

- une réflexion morale sur la redistribution des richesses entre « Nord » et « Sud » ;

- une réflexion géopolitique, qui perçoit l'aide au développement comme un levier d'influence ;

- une réflexion « territoriale », qui vise à mettre en valeur les territoires des pays en développement.

L'aide publique au développement (APD) constitue un agrégat statistique défini par le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE. Elle est ainsi constituée de tous les apports en ressources - monétaire, en expertise ou en nature - qui sont fournis aux pays et territoires figurant sur une liste des bénéficiaires de l'APD (aide bilatérale) ou à des institutions multilatérales (aide multilatérale).

En outre, l'aide doit répondre aux conditions suivantes :

- émaner d'organismes publics ou agissant pour leur compte ;

- avoir pour objectif essentiel de favoriser le développement économique et l'amélioration du niveau de vie des pays bénéficiaires ;

- être assortie de conditions d'octroi favorables, plus particulièrement dans le cas de prêts.

L'APD peut prendre plusieurs formes et notamment :

- l'octroi de subventions directes ;

- l'octroi de prêts à conditions préférentielles (« prêts concessionnels ») ;

- l'allègement de dette d'un débiteur ;

- la réalisation de projets au profit d'un bénéficiaire ;

- la prestation de ressources techniques ou d'expertise ;

- la prise en charge du coût représenté par l'accueil de réfugiés ressortissants des pays bénéficiaires de l'APD ;

- la prise en charge du coût de l'accueil et de la scolarisation d'étudiants ressortissants de pays bénéficiaires.

La comptabilisation de l'APD réalisée au titre d'une année incombe à chaque pays dans le cadre fixé par le CAD de l'OCDE. Par ailleurs, l'organisation procède à la collecte et à l'agrégation des données relatives à l'APD par pays afin de mesurer et de comparer l'effort réalisé ainsi que la nature et la destination des aides.

2. Un environnement international marqué par un recul de l'aide au développement...

Si l'aide au développement des pays du Comité de l'aide au développement (CAD) de l'OCDE a largement progressé entre 2015 et 2023, elle a amorcé une baisse sensible à compter de 2023-2024, qui devrait se poursuivre en 2025-2026. Selon les données transmises aux rapporteurs spéciaux, le volume d'APD des 32 États du CAD a décru pour la première fois en six ans : de 6 % par rapport à 2023 en versements et de 7,1 % en équivalent-don.

Selon le comité de l'aide au développement de l'OCDE, pour l'année 2025, le recul de l'aide au développement internationale devrait se poursuivre, dans une proportion comprise entre 9 % et 17 %, ce qui devrait ramener le total de l'aide de 186 milliards de dollars à 170 milliards de dollars6(*). Les flux d'aide au développement à destination de certaines zones géographiques et catégories d'État devraient reculer dans une proportion encore plus significative, avec :

- d'une part, une baisse de 13 à 25 % de l'aide bilatérale des pays du CAD à destination des pays les moins avancés (PMA) ;

- d'autre part, une baisse de 16 à 28 % de cette même aide pour les pays subsahariens.

Évolution des contributions à l'aide au développement portées par les États membres du comité d'aide au développement de l'OCDE

(en millions de dollars constants)

Source : Le Grand Continent

En particulier, la décision de l'administration américaine de réduire drastiquement les moyens administratifs de l'Agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development, USAID)7(*) et de mettre fin à 83 % de ses programmes devrait en effet se répercuter à compter de l'année 2025.

De fait, l'USAID constituait jusqu'alors l'un des principaux bailleurs internationaux, avec près de 44 milliards de dollars d'engagements pour la période 2024-2025. Selon les données publiées par l'agence, la baisse de ses financements devrait représenter un total de 23 milliards de dollars, soit l'équivalent de 10 % des dépenses d'APD de l'ensemble des donateurs du CAD en 2023. Compte tenu de l'importance de cette réduction, il semble peu probable que d'autres bailleurs soient en mesure de la compenser en volume.

Selon une étude de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi), le démantèlement de l'USAID devrait avoir d'importantes conséquences pour les pays bénéficiaires8(*) :

- tout d'abord, une partie significative des financements de l'USAID (26 %) était destinée aux pays les moins avancés (PMA). Si les financements humanitaires pourraient être maintenus, la réduction de cette manne financière pour des États dont les économies se trouvent dans une situation particulièrement précaire ne sera pas sans effet ;

- ensuite, la majorité des financements de l'USAID (58 %) était dirigée vers des pays en conflit, dont la stabilité pourrait se trouver affectée par ces coupes budgétaires. En 2023, l'aide à destination de l'Ukraine représentait 11 milliards de dollars ;

- de plus, la remise en cause de programmes de long terme pourrait remettre en cause les avancées obtenues, en particulier dans le domaine de la santé. La directrice exécutive du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (Onusida) Winifred Byanyima a ainsi indiqué en mars 2025 que le nombre de décès liés au VIH devrait progresser de 6,3 millions sur les cinq prochaines années sans rétablissement des financements ;

- enfin, l'écosystème des organisations de la société civile, opérateurs majeurs des programmes de développement, pourrait se trouver largement affecté.

Il importe cependant de souligner qu'il serait irréaliste d'envisager, pour l'Union européenne comme pour ses États membres, de compenser le retrait américain. Si la Commission européenne a bien mené un travail de cartographie des secteurs prioritaires dans lesquels une intervention de l'Union pourrait être envisagée en réponse au retrait américain, l'engagement européen ne saurait y répondre seul.

Au-delà de la décision américaine, motivée par une volonté d'aligner l'aide au développement sur des intérêts géopolitiques et géoéconomiques, d'autres bailleurs internationaux ont fait le choix de revoir à la baisse leurs ambitions financières en matière d'APD dans la période récente. En particulier, dans un contexte budgétaire contraint, plusieurs pays européens ont pris la décision, comme la France, de réduire le montant de leur aide :

- l'Allemagne a ainsi réduit son aide au développement d'un milliard d'euros en 2025, pour passer de 0,67 % de son RNB en 2024 à environ 0,57 % en 2025 ;

- les Pays-Bas ont minoré d'un milliard d'euros leur budget pluriannuel 2026-2030 en matière d'APD, soit une baisse de 71,4 % du budget de cette politique ;

- le Royaume-Uni, entre 2020 et 2021, a réduit le volume de son aide de 21 %, notamment au travers d'une réduction de ses contributions multilatérales ;

- la Belgique a décidé en janvier 2025 de réduire son budget d'APD de 25 % entre 2025 et 2029 ;

- la Suède, après avoir abandonné son objectif de ratio d'APD/RNB de 1% en 2022 puis mené des restrictions sur son budget 2023-2026, a annoncé de nouvelles économies à compter de 2026.

Au total, l'OCDE a indiqué en juin 2025 qu'onze membres du CAD ont d'ores et déjà annoncé des réductions de leur APD pour la période 2025-2027 (Allemagne, Autriche, Belgique, États-Unis, Finlande, France, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse). Le total de l'aide de ces onze États représenterait près des trois quarts de l'APD totale en 2024 tandis que l'aide combinée de seulement quatre d'entre eux (Allemagne, États-Unis, France et Royaume-Uni) équivaudrait aux deux tiers de l'aide totale au cours de la dernière décennie.

Ainsi, la baisse des crédits de l'aide publique au développement en France ne constitue en rien une exception dans un environnement international en profonde mutation où la contestation de cette politique est une remise en cause tant de son architecture financière que de ses présupposés politiques (solidarité internationale et multilatéralisme).

3. ...dans lequel la France demeure le cinquième bailleur international pour l'année 2024

Dans un contexte international de baisse de l'investissement des grands bailleurs d'aide au développement, la France maintient, pour l'année 2024, son rang en tant que cinquième donateur parmi les États du CAD pour la deuxième année consécutive, avec 15,6 milliards d'euros (0,48 % de son RNB). Pour rappel, elle avait atteint la quatrième place, devant le Royaume-Uni en 2022.

Si l'on comptabilise l'aide versée en termes de proportion du revenu national brut, la France, avec une APD équivalente à 0,48 % de son RNB excède la moyenne des pays du CAD (0,33 %). Elle est au troisième rang des pays du G7 en pourcentage de RNB, derrière l'Allemagne (0,67 %) et le Royaume-Uni (0,50 %).

Classement des pays donateurs d'aide publique
au développement en 2024 en fonction des montants engagés

(en milliards de dollars)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

La position française découle d'un important effort consenti pour augmenter les dépenses d'APD, toutes missions confondues, entre 2017 et 2023. Pour la seule mission « Aide publique au développement », les crédits avaient ainsi progressé de 40 % sur la période, après plusieurs années de baisse entre 2010 et 2015.

Pour autant, compte tenu de la diminution significative de notre aide à compter de 2025, la France devrait encore reculer dans le classement des grands donateurs.

4. Une mission budgétaire qui ne regroupe qu'une partie des dépenses françaises en matière d'aide au développement

Au total, les crédits de la mission APD, d'un montant de 5,8 milliards d'euros, ne représentent qu'une minorité (41 %) du volume de l'aide au développement de la France en 2024, prise au sens large.

Les canaux de financement de l'aide publique au développement de la France

(en millions d'euros et en pourcentage)

 

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

Crédits budgétaires

7 706

8 914

9 308

10 546

9 689

9 041

8 719

Mission Aide publiques au développement (hors prêts)

2 726

3 117

3 918

4 664

4 615

4 051

3 678

Prêts bilatéraux de l'AFD au secteur public

1 364

2 280

1 722

1 822

1 301

1 558

1 374

Instruments du secteur privé (prêts, prises de participation)

564

571

918

621

198

227

307

Autres missions budgétaires

3 052

2 946

2 750

3 439

3 575

3 205

3 360

Autres prêts

146

334

261

424

273

213

213

Contrats de désendettement (décaissements)

366

139

117

151

289

288

280

Contribution financée par le budget de l'Union européenne

1 451

1 658

1 948

2 486

2 495

3 268

2 981

Allègement de dette

18

333

5

-

101

-

Dons de doses de vaccins contre le covid- 19

269

255

65

-

-

Fonds de solidarité pour le développement

733

494

663

747

738

738

-

Total budget de l'État et de ses agences

10 421

11 872

12 565

14 613

13 549

13 650

12 193

Collectivités territoriales et agences de l'eau

138

138

144

190

199

214

217

Frais administratifs de l'AFD hors rémunération des opérations de l'AFD pour le compte de l'État

349

384

402

425

461

540

602

Total de l'aide publique au développement

10 908

12 394

13 112

15 228

14 209

14 404

13 012

En % du revenu national brut

0,44

0,53

0,51

0,56

0,50

0,48

0,43

Source : document de politique transversale consacré à la politique d'aide au développement annexé au projet de loi de finances

Cette comptabilisation au sens large des dépenses d'aide publique au développement permet d'afficher la stabilité relative du total de l'aide au développement française et a tendance à masquer les fortes mesures d'économies décidées au cours des exercices 2024 et 2025 et proposées pour l'exercice 2026.

En particulier, la contribution de la France au budget de l'Union européenne lui permet, dans une certaine mesure, de maintenir un niveau élevé d'aide au développement mais qui n'a pas les mêmes effets en termes de visibilité pour la France. De fait, une partie significative de la participation française, qui transite par le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, peut être comptabilisée en APD. Cela correspond à notre quote-part au sein du budget de l'action extérieure de l'UE, dont l'enveloppe a doublé depuis 2017 et qui correspond principalement à l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (Neighborhood, Development and International Cooperation Instrument, Ndici) et à la Facilité pour l'Ukraine.

Évolution du montant de la contribution de la France au budget
de l'Union européenne pour le développement sur la période 2017-2025

(en millions d'euros courants, à gauche, et en pourcentage, à droite)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Selon la direction générale du Trésor, cette croissance est portée par une combinaison de facteurs, parmi lesquels :

- une augmentation sensible des crédits de l'action extérieure de l'Union dans le cadre financier pluriannuel (CFP) pour les années 2021 à 2027 par rapport au précédent CFP ;

- la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, qui a conduit à augmenter la quote-part de la France dans ce budget ;

- un effet de décaissement, les montants étant plus élevés en fin d'exercice.

5. Une doctrine française évolutive en matière d'APD
a) Une gouvernance « présidentialisée » de l'aide publique au développement

Le pilotage de la politique française de développement repose sur deux instances : le Conseil présidentiel du développement et le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid).

Réuni pour la première fois en décembre 2020, le Conseil présidentiel du développement a été institué par le Cicid du 8 février 2018 pour renforcer le pilotage de la politique de développement de la France. Il arbitre, sous la direction du président de la République, les décisions stratégiques de la politique de développement.

Institué par le décret n° 98-66 du 4 février 1998, le Cicid définit les grandes orientations de la politique de développement. Présidé par la Première ministre, il réunit les principaux ministères concernés par la politique de développement. Son secrétariat est assuré conjointement par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances et le ministère de l'intérieur. L'AFD peut être associée à ses réunions.

Organisation de la gouvernance de l'aide publique au développement

Note : ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), ministère de l'économie et des finances (ex-ministère de l'économie, des finances et de la relance - MEFR), coordination nationale des conseils de développement (CNCD), conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI).

Source : OCDE, Examens de l'OCDE sur la coopération pour le développement, Évaluation par les pairs, France, 2024

Complexe sur le papier, cette organisation se montre également peu efficiente en termes de pilotage de notre politique de développement. Deux facteurs contribuent à ces résultats décevants :

- d'une part, la grande faiblesse du niveau interministériel, pourtant indispensable face à une politique partagée entre deux ministères et un opérateur aussi important que l'AFD. Le Cicid fait figure de chambre d'enregistrement des décisions prises par le conseil présidentiel. Ses réunions sont sporadiques, la dernière ayant eu lieu en juillet 2023. Dans sa revue des pairs sur la politique d'APD de la France, l'OCDE note ainsi à propos du pilotage de cette politique qu'au « niveau du Cicid, cette faiblesse s'explique par le manque de régularité des réunions, le niveau de participation et les outils à disposition pour assurer ce pilotage. »9(*) En l'absence de secrétariat permanent, la plus-value de cette instance est limitée et les échanges qui y ont lieu paraissent avant tout formels ;

- d'autre part, notre politique de développement est confrontée à l'intervention fréquente de l'échelon présidentiel. Le rapport d'enquête de la Cour des comptes remis à la commission des finances sur le financement de l'action multilatérale de la France a confirmé l'absence de Matignon dans la coordination interministérielle de la politique de développement et une concentration excessive des arbitrages au sein de la cellule diplomatique de la présidence de la République10(*).

Conclusions du conseil présidentiel pour les partenariats internationaux d'avril 2025

Dans le prolongement des réunions du conseil présidentiel du développement en mai 2023 et du Cicid en juillet 2023, un conseil présidentiel pour les partenariats internationaux (CPPI, nouvelle dénomination du CPD) s'est tenu en avril 2025. Si ses conclusions ont fait évoluer plusieurs paramètres de notre politique d'aide, le CPPI a confirmé les dix objectifs prioritaires, faisant l'objet d'indicateurs et de résultats à attendre, identifiés en 2023, à savoir :

- accélérer la sortie du charbon et financer les énergies renouvelables dans les pays en développement et émergents pour limiter le réchauffement climatique global à 1,5° C ;

- protéger les réserves les plus vitales de carbone et de biodiversité, dans les forêts et l'Océan, pour préserver la planète ;

- investir dans la jeunesse en soutenant l'éducation et la formation des professeurs dans les pays en développement ;

- renforcer la résilience face aux risques sanitaires, y compris les pandémies, en investissant dans les systèmes de santé primaires et en appuyant la formation des soignants dans les pays fragiles ;

- promouvoir l'innovation et l'entreprenariat africain qui participent au destin partagé entre les jeunesses d'Europe et d'Afrique ;

- mobiliser l'expertise et les financements privés et publics pour les infrastructures stratégiques, de qualité et durables dans les pays en développement ;

- renforcer la souveraineté alimentaire, notamment en Afrique ;

- soutenir partout les droits humains, la démocratie et lutter contre la désinformation ;

- promouvoir les droits des femmes et l'égalité femmes-hommes, notamment en soutenant les organisations féministes et les institutions de promotion des droits des femmes ;

- aider nos partenaires à lutter contre l'immigration irrégulière et les filières clandestines.

Source : relevé de décisions du conseil présidentiel pour les partenariats internationaux

b) Une nouvelle évolution des priorités géographiques de l'APD : l'inclusion des pays vulnérables

Pour la seconde fois en moins de trois ans, les objectifs géographiques assignés à notre politique d'aide au développement ont évolué.

Pour rappel, entre 2013 et 2023, les réunions successives du comité interministériel de la coopération internationale et du développement11(*) ont identifié une liste de pays prioritaires de l'aide au développement de la France. En dernier lieu, la réunion du 8 février 2018 a dressé une liste de dix-neuf pays prioritaires, essentiellement situés en Afrique et appartenant tous à la catégorie des pays les moins avancés12(*).

La loi de programmation du 4 août 2021 a donné aux « pays prioritaires de la politique française de développement » un fondement législatif et a fixé, à son article 2, une cible de concentration de 25 % de l'aide pays programmable sur ces États. Elle a également intégré la liste des dix-neuf pays, identifiée par le Cicid de 2018 dans son rapport annexé.

Pour autant, le CICID du 18 juillet 2023 a acté la suppression de la liste des dix-neuf pays prioritaires de l'aide au développement fixée par le CICID du 8 février 201813(*), d'une part, et l'a remplacée par une cible de concentration de l'effort financier bilatéral de l'État à destination des pays les moins avancés (PMA) à hauteur de 50 %.

Les pays les moins avancés (PMA) constituent une catégorie d'États, établie depuis 1971 par les Nations unies, regroupant des États jugés très défavorisés dans leur processus de développement. La qualification de PMA repose sur trois critères principaux : le revenu brut par habitant, le capital humain et la durabilité économique. Ces États sont particulièrement exposés à la pauvreté et au risque de sous-développement. Cette situation les rend également fortement sensibles aux chocs économiques, aux catastrophes naturelles et aux troubles politiques14(*).

Moins de deux ans après cette première évolution, et sans que l'on puisse disposer d'aucun recul ni évaluation, le conseil présidentiel des partenariats internationaux d'avril 2025 a fait de nouveau évoluer nos priorités géographiques en élargissant la cible aux pays vulnérables et en augmentant le ciblage de notre aide de 50 % à 60 %.

Ce choix visait à inclure dans les priorités de notre aide des pays qui, bien que ne faisant pas partie de la catégorie des PMA, présentent une forte vulnérabilité. L'identification de ces pays devrait s'appuyer sur l'indice de vulnérabilité multidimensionnelle des Nations unies (MVI). Le choix d'un critère de vulnérabilité permet notamment d'inclure parmi les pays prioritaires de notre aide l'Ukraine.


* 1 De l'ordre de 21,1 % entre 2017 et 2026 selon les données de l'Insee.

* 2 Sans compter que les dépenses de personnel concourant au programme 209 ont été transférées en 2025 sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » de la mission « Action extérieure de l'État », dans un souci de centralisation des dépenses de titre 2 relevant du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sur un même programme support.

* 3 Cour des comptes, Le financement des actions multilatérales de la France, Communication à la commission des finances du Sénat, juillet 2023.

* 4 Rapport d'information n° 779 (2023-2024) de MM. Michel Canévet et Raphaël Daubet, au nom de la commission des finances pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le financement des actions multilatérales de la France - exercices 2017 à 2023.

* 5 Hubert de Milly, Les déterminants institutionnels de l'impact de l'aide publique au développement sur l'économie rurale des pays "à régime d'aide" : l'APD, pièce d'un équilibre de faible niveau ou incitation au développement ? thèse de doctorat, 2002, Institut national agronomique Paris-Grignon.

* 6 OCDE, Réductions de l'aide publique au développement : projections de l'OCDE pour 2025 et à court terme, Note de synthèse, juillet 2025.

* 7 Le secrétaire d'État Marco Rubio a pris les fonctions d'administrateur de l'agence tandis que tous les programmes d'aide ont désormais vocation à être directement gérés par le Département d'État.

* 8 Matthieu Boussichas, Bruno Cabrillac, Clara Pugnet, « Comment la fermeture de l'USAID va affecter l'allocation de l'aide publique au développement mondiale », Fondation pour les études et recherches sur le développement international, Note brève n° 284, juin 2025.

* 9 OCDE, Examens de l'OCDE sur la coopération pour le développement, Évaluation par les pairs, France, 2024.

* 10 Cour des comptes, Le financement des actions multilatérales de la France, Communication à la commission des finances du Sénat, juillet 2023.

* 11 Plus précisément, trois réunions du 31 juillet 2013, du 30 novembre 2016 et du 8 février 2018.

* 12 Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Djibouti, Éthiopie, Gambie, Guinée, Haïti, Liberia, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo.

* 13 L'objectif d'orientation de l'aide vers les dix-neuf pays prioritaires n'était en tout état de cause pas respecté. En 2020, aucun de ces pays ne percevait une aide bilatérale de la France supérieure à celle octroyée au dixième pays bénéficiaire en termes de volume d'aide bilatérale, à savoir la Turquie.

* 14 Actuellement, 44 États sont considérés comme des PMA par le Comité des politiques de développement (CPD), un organe subsidiaire du Conseil économique et social des Nations unies : Afghanistan, Angola, Bangladesh, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Tchad, Comores, Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Haïti, Îles Salomons, Kiribati, Lesotho, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Myanmar, Népal, Niger, Rwanda, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan du Sud, Soudan, Timor oriental, Togo, Tuvalu, Ouganda, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République démocratique populaire Lao, République unie de Tanzanie, Yémen, Zambie.

Depuis 1971, seuls huit États sont sortis de la liste des PMA : le Botswana en 1994, le Cap-Vert en 2007, les Maldives en 2011, Samoa en 2014, la Guinée équatoriale en 2017, Vanuatu en 2020, le Bhoutan en 2023 et Sao Tomé-et-Principe en 2024.

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