B. EN 2026, UN RENFORCEMENT AFFIRMÉ, Y COMPRIS BUDGÉTAIREMENT, DE LA PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE ET DE L'ENTRAÎNEMENT À L'ENGAGEMENT MAJEUR

Dans un contexte de nouvelle dégradation du contexte stratégique constatée par la RNS 2025, le budget pour 2026 porte une volonté de renforcer l'entraînement à l'engagement majeur en haute intensité. Elle se manifeste notamment par une hausse des crédits dédiés à l'entretien programmé du matériel (EPM, ou MCO) et par le durcissement des exercices.

1. Une hausse des crédits pour le maintien en condition opérationnelle des équipements

Depuis plusieurs années, les budgets successifs de la mission « Défense » accordent opportunément des moyens croissants au maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels militaires.

En 2026, les crédits d'entretien programmé du matériel (EPM), y compris dissuasion nucléaire, augmentent de 589 millions d'euros par rapport à 2025, soit de + 9 %54(*). Le taux de croissance annuel moyen des dépenses d'EPM s'établirait ainsi à 7,8 % sur la période 2020-2026.

Évolution des crédits en faveur de l'entretien programmé des matériels,
y compris dissuasion nucléaire

(en millions d'euros, en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

Le rapporteur spécial ne peut que saluer cette évolution, qui est sur le principe de nature à permettre d'améliorer la disponibilité des matériels et donc le niveau d'activité et d'entraînement des forces. Elle est en outre réalisée au profit de la constitution de stocks, notamment de pièces de recharges, nécessaires en cas d'engagement majeur.

Néanmoins, comme l'a montré le rapporteur spécial55(*), la portée de la hausse des crédits est limitée par le fait que les coûts moyens de maintenance ne cessent de progresser, ce qui s'explique notamment par la sophistication croissante des matériels militaires et par la hausse du coût des intrants. Par ailleurs, comme le manifestent les éléments recueillis par le rapporteur spécial, la hausse est en partie attribuable en 2026 à un renchérissement très significatif de l'entretien de l'équipements de certains matériels, par exemple s'agissant de celui des avions C130H et E-3F (AWACS) relevant d'industriels américains.

2. Un durcissement de l'entraînement

Par ailleurs, les armées déploient une stratégie de durcissement des entraînements, tant d'un point de vue qualitatif, y compris en matière de normes d'engagement applicables, que quantitatif.

Cette logique s'applique à l'exercice majeur de haute intensité qui aura lieu en 2026, à savoir ORION 2026. Interarmées et interallié, il se déroulera dans un environnement durci, multi-milieux et multi-champs. Il vise à éprouver la capacité des armées françaises et de leurs soutiens à conduire un engagement majeur, à démontrer la crédibilité de la France en tant que nation-cadre capable de planifier et de diriger des opérations d'envergure sous un préavis court, et à renforcer la coordination interministérielle. L'exercice aura également pour ambition de tester la résilience nationale en mobilisant les forces armées, les services de l'État et les citoyens autour d'un scénario simulant un conflit de haute intensité.

EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ

ARTICLE 68

Validation législative de certaines décisions de rejet relatives à l'allocation spéciale des ingénieurs civils de la défense et à l'indemnité de fonctions techniques des techniciens supérieurs d'études et de fabrications

Le présent article vise à valider rétroactivement les décisions administratives de rejet des demandes indemnitaires présentées par certains ingénieurs civils de la défense (ICD) et techniciens supérieurs d'études et de fabrications (TSEF), tendant à revendiquer le bénéfice d'un cumul de primes anciennes avec un régime indemnitaire général instauré en 2016, en raison d'une omission d'abrogation des dispositions concernées par le pouvoir réglementaire jusqu'en avril 2023.

Cette validation, limitée à la période comprise entre le 1er décembre 2016 et le 19 avril 2023, et excluant toute décision de justice définitive, vise en particulier à prévenir une potentielle dépense indue estimée à 147 millions d'euros.

La commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.

I. LE DROIT EXISTANT : UN CUMUL DE PRIMES SPÉCIFIQUES RENDU POSSIBLE PAR UNE ERREUR RÉGLEMENTAIRE

Le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP), institué par un décret du 20 mai 201456(*), avait pour objet de rationaliser et d'unifier les primes versées aux fonctionnaires de l'État. Ce dispositif repose sur une indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE), destinée à se substituer à l'ensemble des régimes indemnitaires de même nature. Elle exclut le cumul avec d'autres primes similaires et tient compte à la fois des fonctions exercées et de l'expérience professionnelle.

Deux arrêtés du 14 novembre 2016 ont mis en oeuvre ce régime pour les ingénieurs civils de la défense (ICD)57(*) et les techniciens supérieurs d'études et de fabrications (TSEF)58(*) du ministère de la défense. À compter du 1er décembre 2016, date d'entrée en vigueur de ces arrêtés, les différentes primes alors perçues par ces agents - prime de rendement, prime informatique, allocation spéciale pour les ICD, indemnité de fonctions techniques pour les TSEF - ont été intégrées dans le montant de l'IFSE.

Toutefois, la mise en place du RIFSEEP n'a pas été accompagnée de l'abrogation formelle des dispositions des deux décrets du 18 octobre 1989 instituant l'allocation spéciale pour les ICD59(*), d'une part, et l'indemnité de fonctions techniques pour les TSEF60(*), d'autre part.

Cette omission a conduit plusieurs agents à revendiquer le cumul de ces indemnités anciennes avec l'IFSE, estimant que les textes les fondant restaient en vigueur. Saisi de ces recours, le juge administratif a considéré que l'instauration du RIFSEEP n'avait pas abrogé implicitement les décrets antérieurs. Par un arrêt du 11 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a ainsi condamné le ministère des armées à verser l'allocation spéciale à un ingénieur civil de la défense61(*).

À la suite de cette décision, selon le Gouvernement, une cinquantaine de recours administratifs ont été déposés par des ICD, dont quarante-cinq ont donné lieu à des contentieux toujours pendants, ainsi que deux recours de TSEF. Deux actions en reconnaissance de droits ont par ailleurs été introduites devant le Conseil d'État, le 13 octobre 2023, par une organisation syndicale, tendant à obtenir le versement des deux indemnités à l'ensemble des agents concernés.

Un décret du 17 avril 202362(*), publié au journal officiel le 19 avril 2023 et entré en vigueur le lendemain, a finalement abrogé les dispositions des décrets de 1989 instituant l'allocation spéciale pour les ICD et l'indemnité de fonctions techniques pour les TSEF. Ces abrogations, sans effet rétroactif, laissent toutefois ouverte la possibilité de réclamations pour la période comprise entre le 1er décembre 2016 et le 19 avril 2023.

II. LE DROIT PROPOSÉ : UNE VALIDATION LÉGISLATIVE CIRCONSCRITE DES DÉCISIONS ADMINISTRATIVES DE REJET DES DEMANDES DE VERSEMENT

Le présent article procède à la validation des décisions administratives de rejet des demandes tendant à obtenir le versement, de l'allocation spéciale pour les ICD ou de l'indemnité de fonctions techniques pour les TSEF, sous réserve que trois conditions cumulatives soient remplies.

Premièrement, la validation concerne les seules décisions de rejet des demandes de versement formulées au titre de la période comprise entre le 1er décembre 2016 et le 19 avril 2023, soit la période durant laquelle les décrets instituant l'allocation spéciale et l'indemnité de fonctions techniques sont restés en vigueur en dépit de la mise en oeuvre de l'IFSE.

Deuxièmement, elle ne s'applique que dans les cas où la légalité du rejet est contestée au motif que ces décrets n'auraient été abrogés qu'à compter du 20 avril 2023.

Troisièmement, sont expressément exclues du champ de la validation les demandes ayant donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UNE DISPOSITION NÉCESSAIRE POUR PRÉVENIR UNE DÉPENSE BUDGÉTAIRE INDUE

Le dispositif proposé poursuit un double objectif, à savoir prévenir une dépense budgétaire indue estimée par le Gouvernement à 147 millions d'euros en cas de condamnation par le juge (en prenant en compte la prescription quadriennale) et éviter un enrichissement sans cause des requérants, les indemnités réclamées ayant déjà été intégrées dans l'IFSE. Le coût unitaire d'un éventuel versement serait particulièrement élevé, puisqu'il s'établirait à environ 31 380 euros pour un ingénieur civil de la défense divisionnaire, 27 273 euros pour un ingénieur civil, 24 761 euros pour un TSEF de première ou deuxième classe, et 20 661 euros pour un TSEF de troisième classe.

La mesure relève du domaine des lois de finances, dès lors qu'elle affecte directement le niveau des dépenses de l'État pour l'exercice 2026.

La validation législative rétroactive de décisions administratives est toutefois strictement encadrée par la jurisprudence constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel estime ainsi que « si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée (...) que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie. »63(*)

Ces critères semblent être remplis en l'espèce. Premièrement, les décisions de justice ayant force de chose jugée sont exclues des effets du présent article.

Deuxièmement, l'atteinte aux droits des personnes serait justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. Selon le Conseil constitutionnel, une mesure de validation tendant à « éviter une multiplication des réclamations fondées sur une malfaçon législative » peut par exemple remplir ce critère lorsque ces réclamations tendent « au remboursement d'impositions déjà versées »64(*). En outre, le présent article éviterait un coût budgétaire conséquent et des désordres administratifs associés à l'examen de recours potentiellement nombreux, 11 494 personnels ICD ou TSEF ayant été rémunérés pendant la période. Enfin, elle préviendrait un effet d'aubaine des requérants, qui avaient été informés, selon le Gouvernement, de manière claire et univoque du fait que l'IFSE remplaçait les anciennes primes.

Troisièmement, le présent article ne semble méconnaître, outre la garantie des droits, aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, tandis que sa portée est strictement définie, tant dans sa portée temporelle que matérielle.

Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.


* 54 Hors dissuasion nucléaire, la hausse est de 609 millions d'euros, voir supra.

* 55 Rapport d'information n° 4 (2024-2025), déposé le 2 octobre 2024, fait au nom de la commission des finances, sur le maintien en condition opérationnelle des équipements militaires, M. Dominique de Legge.

* 56 Décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'Etat.

* 57 Anciennement le corps des ingénieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense. Arrêté du 14 novembre 2016 pris pour l'application au corps des ingénieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense des dispositions du décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'État.

* 58 Arrêté du 14 novembre 2016 pris pour l'application au corps des techniciens supérieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense des dispositions du décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'État.

* 59 Décret n°89-755 du 18 octobre 1989 relatif à l'attribution d'une allocation spéciale aux ingénieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense.

* 60 Décret n°89-752 du 18 octobre 1989 portant attribution d'une indemnité de fonctions techniques aux techniciens supérieurs d'études et de fabrications et à certains contractuels de l'ordre technique du ministère de la défense.

* 61 CAA de Bordeaux, 11 octobre 2021, ministère des Armées contre Mme Cazenave.

* 62 Décret n° 2023-280 du 17 avril 2023 modifiant le décret n° 89-752 du 18 octobre 1989 portant attribution d'une indemnité de fonctions techniques aux techniciens supérieurs d'études et de fabrications et à certains contractuels de l'ordre technique du ministère de la défense et le décret n° 2001-878 du 24 septembre 2001 portant attribution d'une indemnité compensatrice à certains ingénieurs civils de la défense du ministère de la défense et abrogeant certains décrets relatifs au régime indemnitaire des ingénieurs civils de la défense, des techniciens supérieurs d'études et de fabrication et des ingénieurs des travaux maritimes.

* 63 Décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014. SELARL PJA, ès qualités de liquidateur de la société Maflow France.

* 64 Idem.

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