DEUXIÈME
PARTIE
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
I. UN NIVEAU DE REPORT DE CHARGES ET DE RESTES À PAYER QUI CONTINUE DE PESER SUR LA SOUTENABILITÉ BUDGÉTAIRE DE LA MISSION « DÉFENSE »
A. UN NIVEAU DE REPORT DE CHARGES QUI DOIT ÊTRE MAÎTRISÉ
Ainsi que l'a récemment montré le rapporteur spécial dans un rapport de mai 202540(*), depuis la fin de l'exercice 2022, le stock de report de charges de la mission « Défense » connaît une progression rapide et continue. Ce stock regroupe les dépenses exigibles non réglées en fin d'exercice, qu'il s'agisse de charges à payer (prestations effectuées mais non encore payées) ou de dettes fournisseurs (factures non liquidées faute de crédits disponibles).
Le report de charges est passé de 3,88 milliards d'euros fin 2022 à environ 8,02 milliards d'euros fin 2024, soit plus du double en deux ans (+ 106,8 %). En proportion des crédits de la mission hors dépenses de personnel, il atteignait près de 24 % en 2024, contre 13,7 % en 2022.
Cette hausse, supérieure à une marche annuelle moyenne de crédits de paiement prévue par la LPM 2024-2030 (+ 3,3 milliards d'euros), résulte, dans un contexte de sauvegarde du programme d'acquisitions, de trois facteurs principaux :
- la hausse de l'inflation par rapport aux niveaux attendus en 2023 et 2024, qui a conduit à décaler certains paiements pour maintenir le niveau des livraisons prévues ;
- l'utilisation du report de charges comme variable d'ajustement en 2023 et 2024 ;
- et la volonté gouvernementale de contenir le déficit public fin 2023, traduite par le report de 1,65 milliard d'euros de crédits sur 2024.
Le programme 146 « Équipement des forces » concentre l'essentiel de la dégradation : son report de charges a augmenté de 1,9 milliard d'euros entre fin 2023 et fin 2024.
La LPM 2024-2030 ne fixe pas de trajectoire formelle de réduction de ce stock. Un plafond a néanmoins été établi par la Première ministre Elisabeth Borne à 20 % des crédits hors titre 2, contre 10 % dans la précédente LPM. Cette cible, déjà très élevée, a été dépassée de 3,9 points en 2024. Un objectif de retour progressif à 17 % en 2029 puis 13 % en 2030 a par ailleurs été récemment fixé.
Le rapporteur spécial souligne que le maintien d'un niveau aussi élevé de report de charges fragilise la soutenabilité budgétaire du ministère et pose trois difficultés principales. Sur le plan budgétaire, elle accroît la dette à court terme du ministère, dont le paiement devra être assuré dans les années à venir. Sur le plan financier, elle entraîne une hausse des intérêts moratoires versés aux fournisseurs, passés de 12,7 millions d'euros en 2022 à environ 60 millions d'euros en 2025, au 1er octobre41(*). Sur le plan industriel, elle transfère de facto une partie du financement des dépenses de défense vers les entreprises, notamment les sous-traitants de la BITD, dont la trésorerie se trouve fragilisée, en dépit des efforts effectués par le ministère pour épargner les petites et moyennes entreprises.
Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, le ministère des armées indique que le plafond du stock de report de charges est fixé à fin 2025 à 7,5 milliards d'euros, soit une baisse d'environ 500 millions d'euros par rapport à fin 2024. Ce niveau représenterait environ 20,5 % des CP (hors personnel) de l'année, contre 23,9 % en fin d'année 2024. En outre, le plafond de report de charges prévu pour fin 2026 serait de 8,6 milliards d'euros, « plafond actualisé au regard des hypothèses de budgétisation du PLF 2026 », établissant le taux à environ 20 % des CP à cet horizon, hors dépenses de personnel.
Évolution
du report de charges de la mission
« Défense »
en valeur et en pourcentage des
crédits (hors dépenses de personnel)
entre
fin 2019 et fin 2026
(en milliards d'euros) (en % des crédits, hors dépenses de personnel)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial
Il convient en outre de rester très prudent sur cette prévision, y compris pour 2025, en ce qu'elle est encore tributaire notamment d'annulation de crédits ou de reports de crédits de 2025 vers 2026. Le rapporteur spécial a ainsi eu l'occasion de constater les années précédentes que l'estimation fournie au moment de l'examen du projet de loi de finances initial de l'année n+1 pouvait être ultérieurement dépassée, parfois nettement.
Le rapporteur spécial considère que la réduction du report de charges doit constituer un objectif prioritaire du ministère des armées.
* 40 Les perspectives de financement des objectifs fixés par la loi de programmation militaire, rapport d'information n° 615 (2024-2025), déposé le 14 mai 2025, Dominique de Legge.
* 41 La période de « services votés » en début d'année y a également contribué, les montants disponibles étant plus faibles qu'anticipés pour régler les factures.

