B. DES LIGNES ROUGES FRANÇAISES AUXQUELLES IL N'A ÉTÉ QU'IMPARFAITEMENT RÉPONDU

À la suite de la remise du rapport de la commission d'évaluation du projet d'accord UE-Mercosur en 20203(*), le Gouvernement a indiqué que la France ne pourrait approuver un tel accord que sous trois conditions :

- l'accord ne doit pas entraîner une augmentation de la déforestation importée au sein de l'Union européenne ;

les politiques publiques des pays du Mercosur doivent être pleinement conformes avec leurs engagements au titre de l'Accord de Paris, qui font partie intégrante de l'accord ;

les produits agroalimentaires importés bénéficiant d'un accès préférentiel au marché de l'Union européenne doivent respecter, de droit et de fait, les normes sanitaires et environnementales de l'Union européenne.

En dépit de modifications apportées à la première version de l'accord, force est de constater que ces lignes rouges françaises n'ont été que partiellement satisfaites.

1. Des « avancées » en matière environnementale et de déforestation en partie contrebalancées par la mise en place d'un mécanisme de rééquilibrage

Les négociations complémentaires menées en 2023 et 2024 ont permis plusieurs avancées en matière environnementale.

Il est ainsi prévu que les parties mettent en oeuvre l'accord de Paris sur le changement climatique, lequel constitue un élément essentiel de l'accord de partenariat UE-Mercosur et de l'accord commercial intérimaire. En cas de retrait d'une partie de l'accord de Paris, ou si celle-ci cessait d'en être partie « de bonne foi », une suspension de l'accord pourrait être envisagée. Si cette mention permet de viser la situation dans laquelle une partie demeurerait formellement membre de l'accord de Paris sans en respecter les obligations, l'expression « de bonne foi » demeure sujette à interprétation. Par ailleurs, comme l'a relevé M. Alan Hervé lors de son audition, d'une part, « très rares sont les décisions ayant effectivement fait l'usage de ces dispositifs, à la fois pour des raisons économiques et diplomatiques », d'autre part, « la décision de suspendre l'accord pourrait éventuellement faire l'objet d'une contestation au titre du mécanisme bilatéral de règlement des différends prévu en matière commerciale ».

Le chapitre sur le commerce et le développement durable (CDD) de l'accord de 2019 a en outre été complété par une annexe prévoyant des engagements en matière de déforestation. Bien que juridiquement contraignants, ces engagements ne sont pas assortis de sanctions commerciales susceptibles d'être prononcées dans le cadre du mécanisme de règlement des différends, à la différence de ce qui a pu être prévu dans les accords avec le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande.

Par ailleurs, en contrepartie de l'ajout de ces stipulations, les États du Mercosur ont obtenu la mise en place d'un « mécanisme de rééquilibrage », inspiré du dispositif de « plainte en situation de non-violation » inscrit à l'article XXIII de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1947 (General agreement on tariffs and trade - GATT). Ce mécanisme permet à une partie qui estimerait qu'une mesure prise par l'autre partie serait de nature à annuler ou compromettre gravement les avantages qui lui reviennent en vertu de l'accord, que cette mesure soit ou non contraire aux dispositions de l'accord, de demander une compensation. Une note figurant dans l'accord précise : « il est entendu que le terme “ mesure ” englobe les omissions et les actes législatifs qui n'ont pas été pleinement mis en oeuvre au moment de la conclusion des négociations concernant le présent accord ainsi que les actes d'exécution s'y rapportant ». Plusieurs législations européennes, telles que le règlement sur la déforestation, pourraient ainsi être contestées dans ce cadre.

Par ailleurs, en dépit de cette précision, la notion de « mesure » fait l'objet d'interprétations divergentes entre les parties : s'agit-il des seules mesures qui n'étaient pas prévisibles au 6 décembre 2024 (position européenne) ou certaines mesures mettant en oeuvre des réglementations adoptées entre 2019 et 2023 et concernant des chapitres n'ayant pas fait l'objet de négociations complémentaires sont-elles également concernées (position brésilienne notamment) ? De plus, comme l'a relevé M. Alan Hervé lors de son audition « le libellé des dispositions conventionnelles relatives aux mesures de rééquilibrage manque de clarté et d'intelligibilité », soulevant la question de la compatibilité de ces stipulations avec le principe de sécurité juridique.

En tout état de cause, comme l'indique le présent projet de résolution européenne, ce mécanisme pourrait limiter la capacité de l'UE à prendre de nouvelles mesures environnementales, en contradiction, d'une part, avec les dispositions des articles 11, 168, 169 et 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), des articles 35, 37 et 38 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et d'autre part, avec le principe d'autonomie du droit de l'Union. En droit interne, l'effet dissuasif de ce mécanisme pourrait être considéré comme une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale4(*) et devrait, de ce fait, être considéré comme contraire à la Constitution. Ce mécanisme constitue par conséquent un précédent regrettable dont nos partenaires pourront chercher à se prévaloir dans le cadre de négociations d'accords futurs.

Enfin, s'il est fait référence au principe de précaution5(*) dans l'accord6(*), son champ d'application (« un risque de dommages grave pour l'environnement ou pour la santé et la sécurité au travail ») apparaît particulièrement restreint en ce qu'il ne couvre, à tout le moins explicitement, ni la sécurité sanitaire des aliments ni la santé humaine.

2. Un accès au marché commun qui n'est toujours pas conditionné au respect de l'ensemble des normes de production européennes : une absence de clauses miroirs défavorable à l'agriculture européenne

Le site de la représentation de la commission européenne en France reconnaît que : « tous les produits mis sur le marché de l'UE - produits dans l'Union ou importés de pays tiers - doivent respecter les normes sanitaires et phytosanitaires. Ces dernières garantissent que les denrées alimentaires doivent être sûres quelle que soit leur origine, à l'intérieur ou à l'extérieur du territoire de l'UE. Cela ne signifie toutefois pas que les normes de production soient exactement les mêmes entre un pays tiers et les pays de l'Union européenne ».

En d'autres termes, sauf exceptions pour les réglementations européennes comprenant un article « miroir » (c'est-à-dire étendant l'application aux importations), telles que l'interdiction des antibiotiques et antimicrobiens utilisés comme activateurs de croissance, le respect des règles de production européennes ne sera pas imposé aux importations en provenance des États du Mercosur.

Cette situation, à l'origine d'une distorsion de concurrence au détriment de nos agriculteurs, n'est pas acceptable.

La vérification du respect des normes sanitaires et phytosanitaires européennes nécessite en outre un contrôle à deux niveaux :

- sur le territoire des pays du Mercosur, par les services de ces États. Or, les dispositifs mis en place peuvent présenter d'importantes lacunes. Un audit conduit par la Commission européenne en 2024 a ainsi alerté sur le manque de traçabilité de la viande bovine que le Brésil exporte vers l'Union européenne, conduisant à suspendre les exportations de viande de génisse brésilienne. Le nombre d'audits réalisés dans les pays tiers demeure en outre limité. Pour les pays du Mercosur, qui fait partie du champ des audits menés par la Commission depuis 2021, seuls 21 audits ont été menés ;

- à l'entrée sur le territoire européen, par les services douaniers, vétérinaires et phytosanitaires de chaque État membre, avec la question de l'hétérogénéité des dispositifs nationaux de contrôle.


* 3 https://www.info.gouv.fr/communique/11745-remise-du-rapport-de-la-commission-d-evaluation-du-projet-d-accord-ue-mercosur

* 4 Décision n° 2005-524/525 DC du 13 octobre 2005.

* 5 Le principe de précaution est inscrit à l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui dispose : « La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur ».

* 6 « Dans les cas où les données ou informations scientifiques sont insuffisantes ou non concluantes et où il existe un risque de dommage grave pour l'environnement ou pour la santé et la sécurité au travail sur son territoire, une partie peut adopter des mesures sur la base du principe de précaution ».

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