N° 249
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 décembre 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances,
Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, M. Georges Patient, Mme Sophie Primas, M. Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
Voir les numéros :
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Assemblée nationale (17ème législ.) : |
2269, 2271 et T.A. 207 |
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Sénat : |
248 (2025-2026) |
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L'ESSENTIEL
La commission des finances a examiné le rapport de Jean-François HUSSON, rapporteur général, sur le projet de loi spéciale pour 2026 prévue par l'article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale ce 23 décembre 2025.
Pour la deuxième année consécutive, le Gouvernement présente un projet de loi spéciale permettant d'autoriser la perception des impôts et le recours à l'emprunt dans l'attente de l'adoption de la loi de finances de l'année.
Le projet de loi spéciale comprend trois articles
L'article premier autorise la perception des impôts existants.
L'article 2 évalue le montant des prélèvements opérés sur les recettes de l'État au profit des collectivités territoriales. Il a été modifié par un amendement rédactionnel adopté par l'Assemblée nationale.
L'article 3 autorise l'État à recourir à l'emprunt.
Ces trois articles s'appliquent jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2026.
I. UN TEXTE SIMILAIRE À L'AN PASSÉ, DANS UN CONTEXTE DIFFÉRENT ET AVEC UN CALENDRIER BEAUCOUP PLUS CONTRAINT
Si le présent projet de loi spéciale est très proche de celui présenté l'an passé, il est présenté dans des circonstances très différentes.
En 2024, le dépôt d'un projet de loi spéciale a résulté de l'adoption par l'Assemblée nationale, le 4 décembre 2024, d'une motion de censure à l'encontre du Gouvernement, qui avait engagé sa responsabilité, en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, sur les conclusions de la commission mixte paritaire relative au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
La démission du Gouvernement qui en a résulté a suspendu les travaux relatifs au projet de loi de finances, comme à ceux relatifs au projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En conséquence, le Gouvernement démissionnaire a présenté, le 11 décembre 2024, un projet de loi spéciale qui prévoyait non seulement la perception des impôts et le recours à l'emprunt pour l'État, mais également le recours à l'emprunt pour l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et d'autres administrations de sécurité sociale.
Le présent projet de loi spéciale présente donc deux différences majeures avec celui de l'année dernière :
- d'une part, il ne comporte pas d'autorisation d'emprunt pour les organismes de sécurité sociale. En effet, le projet de loi de financement de la sécurité sociale a cette année achevé son parcours parlementaire avec une adoption définitive le 15 décembre 2025. Il devrait être promulgué avant la fin de l'année, sous réserve de sa validation par le Conseil constitutionnel, saisi le 18 décembre en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution ;
- d'autre part, les délais d'examen du présent projet de loi par le Parlement sont exceptionnellement contraints.
En effet, alors que le projet de loi spéciale pour 2025 a été déposé le 11 décembre 2024, examiné en séance publique par l'Assemblée nationale le 16 décembre et par le Sénat le 18 décembre, soit une durée totale d'examen parlementaire d'une semaine, cette année le projet de loi spéciale n'a été présenté par le Gouvernement que le 22 décembre au soir et doit être examiné par les deux assemblées, aussi bien en commission qu'en séance plénière, au cours de la journée du 23 décembre, soit en 24 heures.
Le Gouvernement avait pourtant été informé dès le vendredi 19 décembre au matin que la commission mixte paritaire n'était pas parvenue à l'adoption d'un texte commun. Dès ce moment, la nécessité de présenter une loi spéciale ne faisait aucun doute et sa rédaction ne présentait aucune difficulté, puisqu'elle reprend celle de la loi spéciale pour 2025.
Les conditions d'examen imposées au Parlement pour un texte nécessaire à la continuité de la vie nationale résultent d'un incompréhensible retard imputable à une défaillance de pilotage du Gouvernement.
II. LE DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI SPÉCIALE EST LIMITÉ À DES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES ET, COMME L'AN DERNIER, N'EST PAS EXPLICITEMENT PRÉVU PAR LA CONSTITUTION ET LA LOI ORGANIQUE
La situation actuelle n'est pas directement prévue par les textes constitutionnel et organique.
L'article 47 de la Constitution prévoit deux procédures dérogatoires d'adoption du projet de loi de finances.
1° Le troisième alinéa de l'article 47 prévoit que les dispositions du projet de loi peuvent être mises en vigueur par ordonnance dans le cas où le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours. Ce délai expire le mardi 23 décembre, mais la promulgation par ordonnance est une simple faculté laissée au Gouvernement, et non une obligation.
2° Aux termes du quatrième alinéa du même article, le Gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés si la loi de finances fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice.
L'application de la seconde hypothèse est précisée par l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)1(*). En particulier, avant le 19 décembre, ou quelle que soit la date en cas de censure de la loi de finances par le Conseil constitutionnel2(*), le Gouvernement peut déposer un projet de loi de finances spéciale l'autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année.
Dans les deux cas, s'agissant des dépenses, le Gouvernement prend des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés, comme il l'a fait fin 19793(*) et fin 20244(*).
La loi de finances n'a pas pu être promulguée avant le 31 décembre de l'année précédente à trois reprises au cours de la Cinquième République :
- en 1962, à la suite de l'adoption d'une motion de censure et de l'organisation de nouvelles élections législatives, un texte limité à la première partie de la loi de finances a été soumis le 11 décembre au Parlement5(*), adopté par les deux assemblées et promulgué le 22 décembre 1962, autorisant notamment la perception des recettes. Un autre texte comprenant la seconde partie a été examiné au début de 1963 et promulgué le 23 février ;
- en 1979, la loi de finances pour 1980 a été censurée intégralement par le Conseil constitutionnel le 24 décembre 1979. Un projet de loi spéciale contenant un seul article autorisant la perception des recettes a été déposé en urgence et promulgué le 30 décembre. La loi de finances de l'année, pour sa part, a été redéposée en termes presque identiques et promulguée dès le 18 janvier 1980 ;
- en 2024, comme indiqué précédemment, une motion de censure a été adoptée à une date trop tardive pour que les travaux relatifs à la loi de finances puissent être achevés avant la fin de l'année.
Aucun de ces précédents ne correspond exactement à la situation actuelle. Toutefois, il apparaît que l'adoption du projet de loi de finances pour 2026 avant la fin de l'année selon la procédure normale apparaît impossible.
En conséquence, la mise en oeuvre d'une loi de finances spéciale, dans un certain silence de la Constitution et de la loi organique, paraît justifiée par la nécessité de la continuité de la vie nationale.
Le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi sur la loi spéciale pour 2025 et ne s'est donc pas prononcé sur son contenu. Toutefois, il avait admis la nécessité de la loi spéciale de fin 1979 en indiquant qu'en « l'absence de dispositions constitutionnelles ou organiques directement applicables, il appartient, de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale »6(*). Tel semble être, une fois de plus, le cas aujourd'hui.
III. LE CHAMP TRÈS LIMITÉ DU PROJET DE LOI DE FINANCES SPÉCIALE
Une loi spéciale a le caractère de loi de finances, en application du 5° de l'article 1er de la LOLF.
Son domaine n'est toutefois pas défini avec la même précision que celui des autres catégories de lois de finances. La seule indication donnée par le quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution est que cette loi contient l'autorisation de percevoir les impôts, ce que l'article 45 de la LOLF précise en indiquant que le projet de loi spéciale autorise le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts « existants », et ce « jusqu'au vote de la loi de finances de l'année ». Par ailleurs, l'article 45 de la LOLF limite le projet de loi spéciale aux dispositions relatives aux recettes, les mesures relevant des dépenses devant être prises par décret par le Gouvernement.
La loi spéciale est prise pour assurer la continuité de la vie nationale, ce qui justifie d'y inscrire, outre l'autorisation de percevoir les impôts, l'autorisation du recours à l'emprunt pour l'État ou, l'an passé, pour les administrations de sécurité sociale. Il convient toutefois d'en limiter strictement le domaine, étant donné son caractère extrêmement dérogatoire, dont les conditions de son adoption cette année encore attestent.
En particulier, conformément à un avis rendu par le Conseil d'État en 2024 sur le projet de loi spéciale7(*), l'indexation sur l'inflation du barème de l'impôt ne saurait être réalisée par une loi spéciale. Cette mesure, qui n'est pas prise chaque année, n'est pas nécessaire à la continuité de la vie nationale ; elle était d'ailleurs absente du projet de loi de finances pour 2026 dans sa version initiale.
Les crédits d'impôts arrivant à échéance à la fin de l'année avaient donné lieu à un communiqué publié le 31 décembre 2024 par Gouvernement, indiquant les dépenses fiscales dont la prorogation était prévue. Cette communication visait à en permettre par la suite la validation rétroactive dans la future loi de finances. Une procédure similaire est envisageable cette année et ces dispositions n'ont pas leur place dans la loi spéciale.
IV. L'OUVERTURE DE CRÉDITS SERA LIMITÉE AUX « SERVICES VOTÉS » ET L'ADOPTION RAPIDE D'UNE LOI DE FINANCES INITIALE EST INDISPENSABLE
Après le vote d'une loi de finances spéciale à la fin de 2025, le Gouvernement devra ouvrir par décrets les crédits se rapportant aux « services votés », conformément au 4e alinéa de l'article 47 de la Constitution.
L'article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) précise cette notion : « Les services votés, au sens du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, représentent le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement. Ils ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année ».
A. LE MONTANT DES SERVICES VOTÉS A ÉTÉ, L'AN PASSÉ, LIMITÉ STRICTEMENT AUX CRÉDITS OUVERTS EN LOI DE FINANCES INITIALE POUR 2024
La notion de services votés a été reprise de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances8(*), laquelle distinguait, dans la procédure ordinaire, la fixation par la loi de finances du montant global des crédits applicables aux services votés et des dépenses applicables aux autorisations nouvelles par titre et par ministère.
Dans la mesure où la notion de services votés n'a pas eu à s'appliquer entre l'entrée en vigueur de la LOLF et l'année 2024, le Secrétariat général du Gouvernement a constaté dans une note datée d'août 2024 qu'« il existe aujourd'hui une incertitude sur le périmètre des « crédits se rapportant aux services votés » pouvant être prévus par décret »9(*). Il citait une analyse selon laquelle l'expression « dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement » signifie qu'il s'agit de « maintenir, dans les limites de montant résultant de la dernière phrase de l'article 45, la continuité des services publics et de l'action publique telles qu'elles avaient été antérieurement « périmétrées » et approuvées par le Parlement, l'année précédente ».
En pratique, le décret de services votés pris l'an passé a ouvert, pour chaque programme budgétaire, des crédits strictement égaux en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, à l'euro près, à ceux ouverts par la loi de finances initiale pour 202410(*).
Il convient donc de noter que les augmentations de crédits prévues par les lois de programmation sectorielles ne devraient pas être prises en compte parmi les services votés, car ces lois n'ont pas d'effet contraignant.
L'augmentation des crédits de 6,6 milliards d'euros prévue pour la mission « Défense » ne pourra pas être mise en oeuvre dans le cadre de la loi spéciale et des services votés.
B. LA MISE EN oeUVRE DES SERVICES VOTÉS A ÉTÉ TRÈS ENCADRÉE EN DÉBUT D'ANNÉE 2025 MAIS ELLE N'A TOUJOURS PAS FAIT L'OBJET D'UNE ÉVALUATION
Début 2025, le Gouvernement a mis en place des modalités particulières de gestion budgétaire11(*). 75 % des crédits ont été bloqués en début d'année, alors que la réserve de précaution n'est habituellement que de 3 à 5 %. Les décrets de virement et de transfert étaient impossibles. Les recrutements étaient limités au strict nécessaire et les créations nettes d'emploi étaient interdites.
Au total, la période d'application des services votés, entre le 1er janvier et le 14 février 2025, a limité les marges de manoeuvre de l'administration, qui a dû retarder le lancement de nouveaux projets, tout en garantissant la continuité des services publics.
Aucune évaluation précise n'a été conduite par le Gouvernement. Les ministres, interrogés à ce sujet devant la commission12(*), n'ont pu apporter que des considérations très générales.
Les conséquences de la période de
services votés sont réelles mais incertaines.
Elles n'ont
fait l'objet d'aucune évaluation précise par le Gouvernement
en 2025.
C. LES SERVICES VOTÉS NE SONT QU'UN DISPOSITIF DE COURT TERME DANS L'ATTENTE DU VOTE DE LA LOI DE FINANCES DE L'ANNÉE
Au total, la reconduction des crédits de « services votés » est conçue comme un dispositif temporaire, dans l'attente de l'adoption d'une loi de finances.
S'il devait se prolonger sur plusieurs mois, les difficultés deviendrait de plus en plus sérieuses, voire insurmontables au fur et à mesure de l'avancée de l'année. Il serait de plus en plus difficile de financer les aides publiques si les besoins dépassent ceux de l'année précédente, ou encore les rémunérations des agents de l'État en cas de glissement vieillesse-technicité (GVT) positif. Le financement de certains programmes dépend de reports de crédits qui ne pourront pas avoir lieu si la loi de finances n'est pas promulguée d'ici au 15 mars. Un retard encore plus important pourrait rendre difficile le versement de la dotation globale de fonctionnement (DGF) aux collectivités territoriales.
Il demeure donc impératif de parvenir, le plus rapidement possible, à l'adoption d'une loi de finances pour 2026.
EXAMEN DES ARTICLES
ARTICLE 1er
Autorisation de percevoir les impôts existants
Le présent article autorise, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2026, la perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'État.
La commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
I.LE DROIT EXISTANT : L'AUTORISATION BUDGÉTAIRE EST SOUMISE AU PRINCIPE D'ANNUALITÉ
Le principe du consentement à l'impôt trouve son fondement dans l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui prévoit que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
Ce principe d'autorisation de l'impôt est renforcé par le principe d'annualité, en application duquel l'autorisation doit être renouvelée chaque année. L'article 34 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) prévoit ainsi que la loi de finances de l'année « autorise, pour l'année, la perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'État ».
Une disposition est donc nécessaire dans chaque loi de finances initiale afin de renouveler l'autorisation de perception de l'impôt. À défaut, la perception des ressources de l'État et des impositions de toutes natures se trouve dépourvue de base juridique et donc impossible.
Lorsque la loi de finances n'a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution et l'article 45 de la LOLF prévoient que cette autorisation peut être prévue par une loi spéciale. Le Conseil constitutionnel a jugé en 1979 que, dans des situations similaires, même non prévues par les textes constitutionnel ou organique, le Parlement et le Gouvernement peuvent prendre toutes les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale et s'inspirer à cette fin des règles prévues en cas de dépôt tardif du projet de loi de finances13(*).
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : AUTORISER, JUSQU'À L'ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA LOI DE FINANCES POUR 2026, LA PERCEPTION DE L'IMPÔT
Le présent article autorise la perception des ressources de l'État et des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'État, conformément aux lois et règlements.
Il reprend la rédaction retenue habituellement au début du premier article de chaque loi de finances, en précisant toutefois que cette autorisation ne s'applique que jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2026.
*
* *
L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : ADOPTER CET ARTICLE SANS MODIFICATION
Cet article traduit le principe du consentement à l'impôt, mais seulement conformément aux lois et règlements existants. Il reprend la rédaction de l'article 1er de la loi spéciale pour 202514(*).
Alors que l'article 47 de la Constitution et l'article 45 de la LOLF prévoient seulement que la loi spéciale autorise le Gouvernement à percevoir « les impôts existants », formulation restrictive, cet article inclut dans l'autorisation l'ensemble des ressources de l'État et des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'État.
Le I de l'article 2 de la LOLF distingue les ressources budgétaires et les ressources de trésorerie. Les ressources budgétaires de l'État comprennent les impositions de toutes natures, mais aussi des revenus divers (activités industrielles et commerciales, domaines, participations financières...), des fonds de concours, des remboursements de prêts et avances, des produits de cession et des produits exceptionnels.
Les ressources de trésorerie ne font pas partie des ressources couvertes par l'autorisation accordée par le présent article. En effet, le Gouvernement a posé l'an passé au Conseil d'État plusieurs questions sur la portée de cette disposition, dans la mesure où elle s'applique non seulement aux ressources de l'État, mais aussi aux impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'État.
Il ressortait de la réponse apportée par le Conseil15(*) que :
- les lois et règlements en vigueur doivent être considérés au 1er janvier de l'exercice concerné, c'est-à-dire au 1er janvier 2026, ce qui inclut le cas échéant des dispositions de nature fiscale adoptées postérieurement à la loi de finances initiale pour 2025 ;
- l'autorisation porte sur l'ensemble des ressources, notamment fiscales, de l'État, ainsi que sur les impositions de toutes natures affectées à d'autres personnes morales que celui-ci.
En conséquence, les crédits d'impôts arrivant à expiration à la fin 2025 ne seront pas prolongés au début 2026 tant qu'une loi ne les aura pas rétablis, le cas échéant. Toutefois, l'an passé, le Gouvernement avait publié une liste de dépenses fiscales dont le Gouvernement soutiendrait la prorogation16(*).
En outre, le Conseil d'État exclut de cette autorisation celle de recourir à l'emprunt. En conséquence, l'autorisation de recours à l'emprunt fait l'objet d'un article spécifique (voir infra, article 3).
La mention « jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2026 » permet de réaffirmer le caractère temporaire de la présente loi, qui ne peut constituer un support durable pour l'autorisation budgétaire. L'article 45 de la LOLF précise que le projet de loi spéciale n'autorise le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts existants que jusqu'au vote de la loi de finances de l'année.
Enfin, la mention « conformément aux lois et règlements » est présente dans l'article premier de chaque loi de finances initiale, où elle est complétée par la mention « et aux dispositions de la présente loi », ici non indispensable car la loi spéciale n'a pas vocation à contenir de dispositions de nature fiscale.
Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
ARTICLE
2
Évaluation des prélèvements opérés
sur les recettes de l'État au profit des collectivités
territoriales
Le présent article inscrit dans la loi spéciale les montants des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales tels qu'ils résultaient de l'article 122 de la loi de finances pour 2025.
L'Assemblée nationale a apporté une modification rédactionnelle à cet article.
Si elle doute de la nécessité d'inscrire cet article dans la loi spéciale tant sa normativité est sujette à débat, la commission des finances considère que la reconduction explicite du montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de 2025 pour 2026 peut être opportune.
Elle propose d'adopter cet article sans modification.
I. LE DROIT EXISTANT : AVANT LA LOI SPÉCIALE DU 20 DÉCEMBRE 2024, AUCUNE DISPOSITION RELATIVE AUX PRÉLÈVEMENTS SUR RECETTES N'AVAIT JUSQU'ALORS ÉTÉ INSCRITE DANS UNE TELLE LOI
La loi spéciale du 30 décembre 197917(*) ne comportait aucune disposition relative aux prélèvements sur recettes (PSR) au profit des collectivités territoriales, alors même que cette technique existait depuis 1969 et que la dotation globale de fonctionnement (DGF) avait été instituée par la loi du 3 janvier de cette même année18(*).
Cette situation aurait pu se répéter l'année dernière, dans la mesure où le projet de loi spéciale déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale ne comportait initialement aucune disposition relative aux PSR.
Toutefois, l'article 2 de la loi spéciale du 20 décembre 202419(*) a explicitement inscrit dans cette loi le montant évaluatif des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales par référence aux montants fixés dans la loi de finances pour 2024.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : RECONDUIRE LE PRÉCÉDENT DE 2024 ET INSCRIRE EXPLICITEMENT DANS LA LOI SPÉCIALE LES MONTANTS DES PSR PRÉVUS DANS LA LOI DE FINANCES POUR 2025
Le présent article inscrit explicitement dans la loi spéciale le montant évaluatif des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales par référence aux montants fixés dans la loi de finances pour 2025.
PSR au profit des collectivités territoriales dans la loi de finances pour 2025
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Intitulé du prélèvement |
Montant |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la dotation globale de fonctionnement |
27 394 686 833 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la dotation spéciale pour le logement des instituteurs |
4 253 232 |
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Dotation de compensation des pertes de bases de la taxe professionnelle et de redevance des mines des communes et de leurs groupements |
30 000 000 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au profit du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) |
7 654 000 000 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la compensation d'exonérations relatives à la fiscalité locale |
710 856 803 |
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Dotation pour transferts de compensations d'exonérations de fiscalité directe locale |
378 003 970 |
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Dotation élu local |
123 506 000 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au profit de la collectivité de Corse |
42 946 742 |
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Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion |
431 738 376 |
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Dotation départementale d'équipement des collèges |
326 317 000 |
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Dotation régionale d'équipement scolaire |
661 186 000 |
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Dotation globale de construction et d'équipement scolaire |
2 686 000 |
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Dotation de compensation de la réforme de la taxe sur les logements vacants pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale percevant la taxe d'habitation sur les logements vacants |
4 000 000 |
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Dotation de compensation liée au processus de départementalisation de Mayotte |
107 000 000 |
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Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (communes) |
187 975 518 |
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Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (établissements publics de coopération intercommunale) |
740 565 262 |
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Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (départements) |
1 204 315 500 |
|
Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (régions) |
278 463 770 |
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Dotation de garantie des reversements des fonds départementaux de taxe professionnelle |
214 278 401 |
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Fonds de compensation des nuisances aéroportuaires |
6 822 000 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la compensation des pertes de recettes liées au relèvement du seuil d'assujettissement des entreprises au versement transport |
48 020 650 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au profit de la collectivité territoriale de Guyane |
27 000 000 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au profit des régions au titre de la neutralisation financière de la réforme de l'apprentissage |
122 559 085 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la dotation globale d'autonomie de la Polynésie française |
90 552 000 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la compensation de la réduction de 50 % des valeurs locatives de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises des locaux industriels |
4 291 098 809 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la compensation des communes et établissements publics de coopération intercommunale contributeurs au fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) subissant une perte de base de cotisation foncière des entreprises |
3 000 000 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la compensation de la réforme de 2023 de la taxe sur les logements vacants pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale percevant la taxe d'habitation sur les logements vacants |
33 366 000 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État en faveur des communes nouvelles |
24 400 000 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la compensation et du lissage des pertes exceptionnelles de recettes de taxe foncière sur les propriétés bâties |
3 300 000 |
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Prélèvement sur les recettes de l'État compensant les pertes de recettes résultant du recentrage de l'assiette de taxe d'habitation sur les résidences secondaires |
85 000 000 |
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Prélèvements sur les recettes de l'État au profit des collectivités territoriales |
45 231 897 951 |
Source : article 122 de la loi de finances pour 2025 et article 2 du présent projet de loi spéciale
*
* *
L'Assemblée nationale a adopté cet article avec une modification rédactionnelle.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : MALGRÉ DES DOUTES SUR SON CARACTÈRE OPÉRANT, ADOPTER CET ARTICLE SANS MODIFICATION
Dans son avis interprétatif rendu l'année dernière, le Conseil d'État20(*) justifiait l'absence de disposition relative aux PSR par le fait que l'autorisation de percevoir les « ressources de l'État (...) conformément aux lois règlements » emporterait implicitement la reconduction des prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales, « soit pour un montant résultant des règles en vigueur qui leur sont applicables, soit pour celui fixé pour l'exercice précédent, en l'espèce 2024 ».
Cette interprétation avait toutefois été jugée insuffisamment sécurisante pour les collectivités, ce qui avait poussé l'Assemblée nationale à adopter un amendement21(*) visant à inscrire explicitement le montant évaluatif de l'ensemble des PSR au profit des collectivités territoriales dans la loi spéciale.
Ni l'interprétation du Conseil d'État ni la solution retenue dans la loi spéciale du 20 décembre 2024 ne suscitent toutefois la pleine adhésion de la commission des finances du Sénat.
A. L'INSCRIPTION DU MONTANT DES PSR DANS LA LOI SPÉCIALE EST SUPERFLUE POUR LA QUASI-TOTALITÉ D'ENTRE EUX
Dans son avis interprétatif, le Conseil d'État considérait que l'autorisation de percevoir les « ressources de l'État (...) conformément aux lois règlements » emportait la reconduction des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales.
Dès lors, la reconduction des prélèvements sur recettes dont la loi de finances se borne à « évaluer » le montant n'apparaît aucunement nécessaire, dans la mesure où ces prélèvements sont prévus par des dispositions permanentes22(*). Ainsi, la loi de finances pour 1979 n'avait pas prévu de disposition relative aux prélèvements sur recettes ; cela n'était en effet pas nécessaire dans la mesure où le montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF), tout juste créée, résultait à l'époque de dispositions permanentes codifiées à l'article L. 234-1 du code des communes23(*).
La très grande majorité des prélèvements sur recettes en faveur des collectivités territoriales se trouvent encore aujourd'hui dans ce cas, ce qui rend superflue leur reconduction par la loi spéciale.
La commission relève par ailleurs que les montants évaluatifs fixés dans la loi de finances pour 2025 ne correspondront pas à la réalité pour de nombreux PSR dont le montant évolue spontanément ; il en ira sans doute ainsi, par exemple, des montants du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ou de la compensation de l'abattement de 50 % des valeurs locatives des établissements industriels, dit « PSR VLEI », qui devraient varier - à législation et règlementation constante - entre 2025 et 2026.
Pour la quasi-totalité des PSR, la « reconduction » des montants évaluatifs de 2025 n'a donc guère de sens.
B. DANS LE CAS PARTICULIER DE LA DGF, UNE INSCRIPTION QUI POURRAIT ÊTRE OPPORTUNE SI ELLE EMPORTAIT UN EFFET NORMATIF CERTAIN
La commission considère néanmoins que la reconduction explicite du montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) - qui constitue à ce titre un cas particulier - pourrait être opportune.
En effet, l'interprétation du Conseil d'État, selon laquelle la reconduction des ressources de l'État « conformément aux lois et règlements » emporte la reconduction de ce PSR dans son montant de l'année précédente suscite une certaine perplexité.
En effet, la loi de finances doit préciser le montant applicable chaque année pour certains PSR, et notamment, sous l'empire du droit actuel, de la dotation globale de fonctionnement : l'article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales dispose que « le montant de la dotation globale de fonctionnement est fixé chaque année par la loi de finances » et que « en 2025, ce montant est égal à 27 394 686 833 € », ce montant ne valant donc pas pour 2026.
Or, compte tenu de la place importante qu'occupe la dotation globale de fonctionnement parmi les ressources des collectivités24(*), son versement effectif pourrait raisonnablement relever de la « continuité de la vie nationale » telle que définie par le Conseil constitutionnel25(*). Le Conseil d'État justifie d'ailleurs la reconduction des PSR « pour les motifs énoncés au point 6 » de son avis, c'est-à-dire la continuité de la vie nationale.
L'absence de montant fixé pour 2026 serait sans effet sur les premiers versements de DGF l'année, les douzièmes versés de janvier à juin de l'année étant encore fondés sur le montant fixé dans la loi de finances de l'année précédente26(*). Toutefois, la possibilité qu'aucune loi de finances ne soit votée avant juin 2026 ne saurait à ce stade être écartée. Le montant de la DGF ne pouvant, aux termes des dispositions combinées des articles 6 et 34 de la LOLF27(*), qu'être fixé par une loi de finances, l'inscription du montant de la DGF dans le projet de loi spéciale peut à cet égard sembler opportune.
Si la commission émet des doutes sur le caractère opérant de cet article28(*), elle ne propose pas de le modifier dans la mesure où celui-ci traduit suffisamment la volonté du législateur de reconduire, jusqu'à l'adoption de la loi de finances pour 2026, le montant de la DGF de 2025.
Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
ARTICLE 3
Autorisation de l'État à recourir à l'emprunt
Le présent article autorise le Gouvernement à procéder, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2026, aux opérations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'État.
La commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
I. LE DROIT EXISTANT : LES EMPRUNTS ET LE PLACEMENT DES DISPONIBILITÉS DE L'ÉTAT REQUIÈRENT UNE AUTORISATION EN LOI DE FINANCES
L'article 25 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) décrit quatre catégories d'opérations relatives aux ressources et aux charges de trésorerie :
- le mouvement des disponibilités de l'État ;
- l'escompte et l'encaissement des effets de toute nature émis au profit de l'État ;
- la gestion des fonds déposés par des correspondants ;
- l'émission, la conversion, la gestion et le remboursement des emprunts et autres dettes de l'État, y compris les primes et décotes à l'émission.
Certaines de ces opérations ne seront pas possibles en 2026 tant qu'une autorisation n'est pas accordée en loi de finances, en application de l'article 26 de la même loi qui dispose notamment que « le placement des disponibilités de l'État est effectué conformément aux autorisations annuelles générales ou particulières données par la loi de finances de l'année » et que « l'émission, la conversion et la gestion des emprunts sont effectuées conformément aux autorisations annuelles générales ou particulières données par la loi de finances de l'année ». La loi de finances doit également préciser explicitement si l'État est autorisé à émettre des emprunts dans une devise autre que l'euro.
Ces autorisations relèvent normalement du domaine de la loi de finances de l'année dans sa première partie, en application du début du 8° du I de l'article 34 de la loi organique. Comme ces mesures dépendent du montant global des recettes et des dépenses de l'État, elles sont habituellement regroupées avec d'autres dispositions relatives à l'équilibre général du budget et au financement de l'État dans l'article dit « d'équilibre » qui clôt la première partie du projet de loi de finances. Le 2° du II de cet article autorise ainsi le ministre des finances, dans le projet de loi de finances pour 2026 comme dans les lois de finances précédentes, à procéder :
- à des emprunts à long, moyen et court termes pour couvrir l'ensemble des charges de trésorerie ou pour renforcer les réserves de change ;
- à l'attribution directe de titres de dette publique négociable à la Caisse de la dette publique ;
- à des conversions facultatives, à des opérations de pension sur titres d'État ;
- à des opérations de dépôts de liquidités auprès de différents organismes29(*) ;
- à des souscriptions de titres de créances négociables émis par des établissements publics administratifs, à des rachats, à des échanges d'emprunts, à des échanges de devises ou de taux d'intérêt, à l'achat ou à la vente d'options, de contrats à terme sur titres d'État ou d'autres instruments financiers à terme.
Le Gouvernement a demandé l'an passé au Conseil d'État si l'autorisation de continuer à percevoir les impôts existants, mise en oeuvre par l'article premier du présent projet de loi spéciale, permettait également, tant à l'État qu'aux organismes des différents régimes de sécurité sociale, de recourir à l'emprunt.
Le Conseil d'État, dans son avis rendu le 9 décembre 202430(*), a répondu par la négative, ce qui a eu pour effet l'insertion dans la loi spéciale pour 2025, puis dans le présent projet de loi spéciale, d'un article qui autorise explicitement le recours à l'emprunt pour l'État.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : AUTORISER LE MINISTÈRE DES FINANCES À PROCÉDER AUX EMPRUNTS ET AUX OPÉRATIONS DE GESTION DE LA DETTE OU DE LA TRÉSORERIE DE L'ÉTAT
Le présent article autorise le ministre chargé des finances à procéder, d'une part, à des emprunts tendant à couvrir l'ensemble des charges de trésorerie ou à renforcer les réserves de change et, d'autre part, à toute opération de gestion de la dette ou de la trésorerie de l'État.
Cette autorisation est limitée à la période s'étendant entre le 1er janvier 2026 et l'entrée en vigueur de la loi de finances pour cette année.
Selon l'exposé des motifs, l'article autorise le ministre chargé des finances à procéder aux opérations de gestion de la dette et de la trésorerie de l'État, ainsi qu'à la réalisation d'opérations d'échange de taux d'intérêt et sur instruments à terme, destinées à permettre la réalisation des opérations de couverture financière des variations de change ou de coûts de matières premières.
*
* *
L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : ADOPTER CET ARTICLE SANS MODIFICATION
La commission des finances constate que l'autorisation d'emprunt de l'État présente un caractère de nécessité qui justifie son insertion dans le présent projet de loi spéciale.
A. L'AUTORISATION DE L'EMPRUNT EST UNE NÉCESSITÉ POUR LE FINANCEMENT DES DÉPENSES DE L'ÉTAT AU DÉBUT DE 2026
L'État doit assumer dès le début de l'année des dépenses importantes, qui se sont établies à quelque 40 milliards d'euros en moyenne au mois de janvier au cours des trois dernières années. Ces dépenses doivent notamment couvrir l'avance sur crédits et réductions d'impôt sur le revenu versée aux contribuables (pour environ 5,7 milliards d'euros) et les dépenses de personnel (pour environ 13 milliards d'euros par mois).
Or, les recettes fiscales sont perçues de manière beaucoup plus progressive. Par exemple, l'État verse aux collectivités territoriales des avances sur le produit des recettes fiscales locales, alors que ces recettes sont collectées pour une grande part dans la deuxième moitié de l'année. Il faut également attendre le mois de décembre pour percevoir une part importante des rentrées d'impôt sur les sociétés. Le solde budgétaire se dégrade donc structurellement au cours des premiers mois de l'année avant de se stabiliser, voire de s'améliorer dans les derniers mois.
Sur l'ensemble de l'année, le recours à l'emprunt est en tout état de cause indispensable, non seulement pour financer le déficit, mais aussi pour renouveler les titres de dette arrivés à échéance.
B. LA RÉDACTION PROPOSÉE PAR LE PRÉSENT ARTICLE DU PROJET DE LOI SPÉCIALE MET EN oeUVRE CETTE AUTORISATION D'EMPRUNT, PERMETTANT DE RÉALISER LE PROGRAMME DE FINANCEMENT DE L'ÉTAT DANS L'ATTENTE D'UNE LOI DE FINANCES
Au lieu de reprendre la rédaction contenue chaque année dans l'article d'équilibre de la loi de finances, qui prévoit cinq catégories d'opérations autorisées31(*), le présent article précise simplement que « jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2026, le ministre chargé des finances est autorisé à procéder à des emprunts à long, moyen et court termes libellés en euros ou en autres devises pour couvrir l'ensemble des charges de trésorerie ou pour renforcer les réserves de change, ainsi qu'à toute opération de gestion de la dette ou de la trésorerie de l'État ». Selon les éléments apportés l'an passé au rapporteur général par le Gouvernement, cette autorisation ouvrirait le droit de procéder aux mêmes opérations que celles mentionnées au 2° du II de l'article 48 du projet de loi de finances pour 2026, décrites supra.
Il paraît nécessaire de prévoir cette autorisation, cette année comme l'an dernier, puisque l'adoption définitive de la loi de finances ne surviendra manifestement pas dès les premiers jours de 2026. Dans son avis précité du 9 décembre 2024, le Conseil d'État a expressément admis la possibilité d'inscrire dans un projet de loi spéciale l'autorisation pour l'État de recourir à l'emprunt, bien que « eu égard à leur différence d'objet et de fondement juridique, l'autorisation de recourir à l'emprunt ne saurait être assimilée à l'autorisation de percevoir l'impôt ». En effet, le Conseil retient que « dès lors que les emprunts représentent, à l'heure actuelle, une part significative du total des ressources annuelles de l'État, cette autorisation conditionne la possibilité même pour le Gouvernement d'ouvrir par décret les crédits se rapportant aux services votés »32(*).
Pour autant, selon le Conseil d'État, l'autorisation pour l'État de recourir à l'emprunt inscrite dans le projet de loi spéciale doit être limitée, d'une part, au financement de l'écart entre les dépenses se rapportant aux services votés et le produit des impôts existants et, d'autre part, au refinancement des emprunts venus à échéance. Ainsi, la capacité d'emprunt de l'État ne serait pas affectée à court terme.
Néanmoins, le présent projet de loi spéciale ne comporte pas de tableau de financement, élément qui aurait permis de fonder sur des bases plus précises le cadre de l'autorisation pour l'État de recourir à l'emprunt.
C. LA FIXATION D'UN MONTANT MAXIMAL D'EMPRUNT N'APPARAÎT PAS OPPORTUNE DANS LE CADRE DE LA LOI SPÉCIALE
Si le principe de l'autorisation d'emprunt de l'État doit manifestement être approuvé afin d'assurer la continuité de son financement dans l'attente de la promulgation de la loi de finances, on pourrait se poser la question de la fixation d'un montant maximal d'endettement.
Le Gouvernement n'a en effet pas inclus de plafond pour les émissions d'emprunt à moyen et long terme, alors que la loi de finances de l'année fixe toujours le plafond de la variation nette de la dette négociable de l'État d'une durée supérieure à un an, en application du 9° du I de l'article 34 de la LOLF. Cette disposition limite en pratique le montant des émissions nettes d'OAT à la somme de ce plafond et du montant des OAT dont le remboursement intervient en cours d'année.
Toutefois, cette règle organique s'applique à la loi de finances initiale ainsi que, par renvoi depuis l'article 35 de la LOLF, aux lois de finances rectificatives et de fin de gestion, mais pas aux autres lois de finances (loi relative aux résultats de la gestion et lois spéciales de l'article 45 de la LOLF).
En outre, l'absence de plafond ne signifie pas que l'État serait libre d'emprunter sans contrainte tant que la loi de finances de l'année n'est pas adoptée. En effet, le présent article n'autorise l'emprunt que « pour couvrir l'ensemble des charges de trésorerie ou pour renforcer les réserves de change », formulation présente dans chaque loi de finances. En outre, l'article 26 de la LOLF exclut l'utilisation des emprunts émis par l'État ou toute autre personne morale de droit public pour payer une dépense publique.
En pratique, les emprunts à moyen et long termes suivent un programme d'émissions établi à l'avance par l'Agence France Trésor, qui suit des échéances régulières tout au long de l'année. C'est le stock de dette à court terme, et non à moyen et long terme, qui est ajusté pour couvrir les charges de trésorerie telles qu'elles apparaissent en cours d'année.
Fixer dans la loi spéciale un plafond de variation de l'endettement identique à celui de la loi de finances initiale pour 2025 paraît difficile à justifier car le niveau des recettes comme des dépenses est nécessairement différent, même dans une logique de services votés.
Par ailleurs, la variation du plafond d'endettement dépend d'éléments que la loi spéciale n'a pas vocation à fixer ou à évaluer, comme le montant des recettes (à législation constante), celui des dépenses (qui feront l'objet d'un décret relatif aux services votés), ainsi que les choix de mobilisation de la dette à court terme et des autres ressources de trésorerie.
La mention d'un plafond d'autorisation d'emprunt ne présente par ailleurs aucun caractère d'urgence et n'apparaît in fine pas opportune au sein du présent projet de loi spéciale.
Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITION DE M. ROLAND LESCURE, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE, ÉNERGÉTIQUE ET NUMÉRIQUE, ET MME AMÉLIE DE MONTCHALIN, MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS (23 DÉCEMBRE 2025)
Le compte rendu de la réunion peut être consulté sur le site du Sénat :
https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/finances.html
II. EXAMEN DU RAPPORT (23 DÉCEMBRE 2025)
Réunie le mardi 23 décembre 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur le projet de loi spéciale prévue à l'article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter sans modification le projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
Le compte rendu de la réunion peut être consulté sur le site du Sénat :
https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/finances.html
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl25-248.html
* 1 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
* 2 Le cas de la censure du texte, non prévu explicitement par la Constitution, a été inclus en 2001 dans la LOLF.
* 3 Décrets n° 79-1166 à 79-1200 du 30 décembre 1979 portant répartition des crédits ouverts par la loi de finances pour 1980, publiés au Journal officiel du 31 décembre 1979.
* 4 Décret n° 2024-1253 du 30 décembre 2024 portant répartition des crédits relatifs aux services votés pour 2025.
* 5 Cette procédure a été inscrite dans la LOLF (deuxième alinéa de l'article 45).
* 6 Décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, « Loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants ».
* 7 Avis relatif à l'interprétation de l'article 45 de la LOLF, pris pour l'application du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, Conseil d'État (section des finances), lundi 9 décembre 2024.
* 8 Ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, qui s'est inspirée du le décret du 19 juin 1956 déterminant le mode de présentation du budget.
* 9 Secrétariat général du Gouvernement, Note relative au PLF et au PLFSS pour 2025, août 2024.
* 10 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024. La seule exception concerne le programme « Cohésion » de la mission « Plan de relance », doté de 178,9 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2024, non reconduit dans le projet de loi de finances pour 2025 et dont les crédits n'ont pas été repris par la loi spéciale.
* 11 Arrêté du 30 décembre 2024 relatif à la gestion budgétaire pendant la période de mise en oeuvre de la loi n° 2024-1188 du 20 décembre 2024 spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances ; circulaire du 30 décembre 2024 relative à la gestion budgétaire de l'État et des organismes publics nationaux et opérateurs financés par l'État.
* 12 Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics, devant la commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2025, 12 novembre 2025.
* 13 Décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, « Loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants ».
* 14 Loi n° 2024-1188 du 20 décembre 2024 spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
* 15 Conseil d'État, section des finances, avis n° 409081 relatif à l'interprétation de l'article 45 de la LOLF, pris pour l'application du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, 9 décembre 2024.
* 16 Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, communiqué de presse, 31 décembre 2024.
* 17 Loi n° 79-1159 du 30 décembre 1979 autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants.
* 18 Loi n° 79-15 du 3 janvier 1979 instituant une dotation globale de fonctionnement versée par l'État aux collectivités locales et à certains de leurs groupements et aménageant le régime des impôts directs locaux pour 1979.
* 19 Loi n° 2024-1188 du 20 décembre 2024 spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
* 20 Conseil d'État, section des finances, avis n° 409081 relatif à l'interprétation de l'article 45 de la LOLF, pris pour l'application du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, 9 décembre 2024.
* 21 Amendement n° 29 de M. Stéphane Delautrette et du groupe socialiste.
* 22 C'est le cas, par exemple, du Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI), dont le montant est fixé par l'article L. 3334-16-2 du code général des collectivités territoriales.
* 23 Loi n° 79-15 du 3 janvier 1979 précitée.
* 24 Cour des comptes, La dotation globale de fonctionnement (DGF), S2024-1137, octobre 2024. En 2023, la DGF représentait 12,6 % des recettes réelles de fonctionnement des communes, 11,8 % de celles des intercommunalités et 11 % de celles des départements ; toutefois, pour les petites communes et les départements ruraux, elle représentait environ un cinquième de leurs recettes réelles de fonctionnement.
* 25 Décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, Loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants.
* 26 DGCL, Guide pratique - La dotation globale de fonctionnement, mars 2024, p. 13.
* 27 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
* 28 Dans la loi de finances pour 2024, le montant de la DGF est fixé par l'article 130 qui le codifie à l'article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales ; le tableau de l'article 137 se borne quant à lui à « évaluer » le montant de chaque prélèvement sur recettes conformément à l'article 34 de la LOLF.
* 29 Ces organismes sont la Caisse de la dette publique, des établissements publics nationaux dont la liste est établie par décret, la Société de prise de participations de l'État, le Fonds européen de stabilité financière, le Mécanisme européen de stabilité, les institutions et agences financières de l'Union européenne, le marché interbancaire de la zone euro, les États de la même zone et les organisations internationales.
* 30 Conseil d'État, section des finances, avis n° 409081 relatif à l'interprétation de l'article 45 de la LOLF, pris pour l'application du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, 9 décembre 2024.
* 31 À savoir : emprunts ; attribution de titres de dette publique négociable à la Caisse de la dette publique ; conversions facultatives et opérations de pension sur titres d'État ; opérations de dépôt de liquidités auprès de divers organismes ; opérations diverses relatives à des titres de créances et des instruments financiers.
* 32 Dans une note d'août 2024 relative aux projets de lois de finances et de financements de la sécurité sociale pour 2025, le secrétariat général du gouvernement considère que les autorisations d'emprunt de l'État « pourraient ne pas trouver leur place dans une loi spéciale ». Cependant, il conclut en indiquant que « le risque juridique (...) paraît pouvoir être pris » et que « la disposition sur l'autorisation d'emprunt, compte tenu du caractère indispensable de ce dernier pour le financement des politiques publiques, pourrait (...) trouver auprès du juge [constitutionnel] une oreille plus attentive que la fixation des PSR au profit des collectivités et de l'UE ».