AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La réunion de la commission mixte paritaire du lundi 15 novembre 1999
ayant abouti à un constat d'échec, l'Assemblée nationale a
examiné, en nouvelle lecture, le projet de loi
relatif à la
réduction négociée du temps de travail
, et l'a
adopté avec modification le mardi 7 décembre 1999.
A l'issue de la première lecture au Sénat, 40 articles
étaient en navette. L'Assemblée nationale a supprimé six
articles additionnels introduits par le Sénat
1(
*
)
.
Elle a rétabli huit articles dans le texte qu'elle avait adopté
en première lecture
2(
*
)
et
en a modifié vingt-quatre
3(
*
)
.
Elle a, par ailleurs, adopté conforme un article additionnel
inséré par le Sénat (article 14 bis) et supprimé
conforme un article supprimé par le Sénat (article premier bis).
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté deux articles additionnels
(article 12 sexies et 21).
L'Assemblée nationale a ainsi rétabli son texte, notamment dans
toutes ses dispositions relatives à l'abaissement de la durée
légale du travail à 35 heures.
Néanmoins, ces rétablissements n'ont pas été sans
de nombreux remords ou ajustements de dispositifs déjà
particulièrement complexes.
On peut s'interroger à cet égard sur le sens et
l'intérêt de certaines dispositions ajoutées en nouvelle
lecture au regard notamment de l'article 34 de la Constitution qui
prévoit que "
la loi détermine les principes
généraux
(...) du droit du travail
".
Le paragraphe IV bis de l'article premier précise ainsi que "
si
le décompte des heures de travail effectuées par chaque
salarié est assuré par un système d'enregistrement
automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable
".
Il convient d'observer qu'
a
contrario
, lorsque l'Assemblée
nationale a bien voulu s'inspirer des travaux du Sénat, le
résultat obtenu a souvent permis d'apporter des réponses
raisonnables à des questions dont il convient toutefois de se demander
si elles devaient être posées à la hâte.
L'exemple le plus marquant réside sans doute dans le régime
applicable aux temps d'habillage et de déshabillage. En première
lecture, l'Assemblée nationale avait, dans un article additionnel,
modifié l'article L. 212-4 du code du travail de telle façon que
les temps relatifs à l'habillage et au déshabillage, lorsqu'ils
étaient prévus par une norme légale, conventionnelle ou
contractuelle, devaient être considérés comme du travail
effectif. Cela signifiait que, dans de nombreux secteurs d'activités
(agro-alimentaire, nucléaire, parcs d'attraction, " industries
sensibles "...), la durée collective du travail allait être
abaissée, dans un premier temps, à 35 heures pour tenir compte de
la nouvelle durée légale du travail, puis dans un deuxième
temps, à 32 ou 33 heures de travail productif pour tenir compte des
temps d'habillage et de déshabillage.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rebroussé chemin
pour s'en tenir à la position du Sénat qui avait proposé
une solution de bon sens consistant à prévoir que ces temps
d'habillage et de déshabillage feraient l'objet de contreparties mais ne
constituaient pas du travail effectif.
Votre commission souhaite par ailleurs insister en particulier sur les suites
données par l'Assemblée nationale à l'article premier bis
B introduit par le Sénat qui prévoyait des dispositions
particulières applicables aux établissements soumis à la
procédure d'agrément dans le secteur social et
médico-social.
Bien que Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité,
ait considéré que cet article était "
sans
objet
" lors du débat au Sénat
4(
*
)
, l'Assemblée nationale a repris
la préoccupation exprimée par la Haute Assemblée aux
articles 2 et 11 sous une autre forme.
On ne peut que regretter, dans ces conditions, que les points de convergence
entre nos deux assemblées aient été si peu nombreux.
Force est même de constater que plusieurs articles ont fait l'objet de
détails supplémentaires apportés par l'Assemblée
nationale qui renforcent l'aspect pointilleux, directif et complexe de ce
texte. Une modification apportée à l'article 6 relatif au travail
à temps partiel a ainsi prévu que "
Le contrat de travail
détermine également les modalités selon lesquelles les
horaires de travail pour chaque journée travaillée sont
communiqués par écrit au salarié
".
Dans le même ordre d'idée, une modification introduite en nouvelle
lecture oblige, à l'article 11, l'employeur à "
tenir
à disposition aux fins de contrôle tous documents justificatifs du
droit à allégement
". Il est vrai que lors de son
intervention dans la discussion générale à
l'Assemblée nationale, la ministre avait prévenu :
"
il faudra aller plus loin dans le contrôle et les
sanctions
"
5(
*
)
.
*
* *
Ainsi
saisie du présent projet de loi en nouvelle lecture, votre commission a
tenu à rappeler que le Sénat, tant lors du vote de la loi
" de Robien " en 1996, que de l'examen de la loi " Aubry
I " l'an dernier, s'était montré résolument favorable
à une réduction de la durée effective du travail sur la
base d'une démarche négociée entre les partenaires sociaux
et adaptée à la situation de chaque secteur d'activité et
de chaque entreprise.
En revanche, la Haute Assemblée s'était vivement opposée
à la démarche retenue par le Gouvernement d'une baisse
générale et autoritaire de la durée légale du
travail.
Votre commission a constaté que cette démarche isole notre pays
en Europe, risque de lui faire perdre le bénéfice qu'il est en
droit d'attendre de la croissance mondiale et ouvre, de surcroît, un
certain nombre de
" boîtes de Pandore ",
telles la
revalorisation massive du SMIC et la perspective, dans les fonctions publiques,
d'une baisse de la durée du travail assortie de nouvelles
créations d'emplois grevant tant le budget général que les
finances locales et les comptes sociaux.
Le financement des exonérations de charges consenties lui a
semblé, en outre, fragile et paradoxal.
En effet, il repose essentiellement sur les droits sur les tabacs et sur les
alcools, la taxation des heures supplémentaires et la taxe
générale sur les activités polluantes.
Or, ces impositions présentent le point commun d'avoir pour vocation
moins le rendement que la disparition de l'assiette sur laquelle elles sont
assises, c'est-à-dire la lutte contre les
" pratiques
addictives "
-au rang desquelles le Gouvernement place probablement
les heures supplémentaires- et les activités polluantes.
De surcroît, ce financement, à terme, n'est pas assuré pour
le tiers environ du coût supplémentaire du projet de loi.
Votre commission a souligné, dans ces conditions, que l'impact du
dispositif d'exonération de charges sociales institué est
impossible à évaluer, notamment quant à ses
conséquences sur l'emploi, car la clef de son financement et donc la
nature des transferts de charges qu'il entraînera entre les agents
économiques restent indéterminées.
Elle a considéré, de surcroît, que la réduction de
la durée légale du travail conduit le Gouvernement à
mettre en place une garantie mensuelle de rémunération au niveau
du SMIC et à accepter, par avance, une revalorisation massive de son
taux horaire.
Elle a constaté qu'en dépit des aides qu'il comporte, le projet
de loi aura au total pour effet un renchérissement du coût du
travail peu qualifié et rendra plus difficile l'insertion des
populations les plus fragiles et les moins formées, celles qui,
précisément, bénéficient le moins des effets de la
croissance.
Enfin, votre commission s'est inquiétée des multiples atteintes
que comporte le projet de loi au principe d'égalité tant entre
les entreprises qu'entre les salariés. Elle déplore, en outre, le
peu de cas qui est fait du droit à la négociation collective
reconnu par le préambule de la Constitution de 1946.
Elle regrette enfin que ce texte, dont le Gouvernement considère qu'il
est "
l'occasion de s'interroger sur l'organisation de la
société
", soit examiné dans l'urgence et n'ait
pas donné lieu, comme le prévoit l'article 69 de la Constitution,
à un avis du Conseil économique et social.
Aussi, votre commission a-t-elle décidé de proposer au
Sénat l'adoption d'une motion signifiant le rejet de l'impasse dans
laquelle le Gouvernement s'obstine à engager notre pays depuis deux
ans.