B. DES ARTICULATIONS DÉLICATES

Votre rapporteur partage largement le diagnostic des insuffisances de l'ONDAM tel que l'exercice a été pratiqué tout au long de la précédente législature.

Aussi votre commission avait-elle rejoint par avance la position du groupe de travail qui a estimé qu'il serait sans doute préférable « de faire l'économie de l'ONDAM, plutôt que de conserver les procédures d'élaboration actuellement en vigueur » .

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, elle avait proposé au Sénat de « faire l'économie » de l'ONDAM proposé par le Gouvernement.

Elle le faisait en ces termes :

« Constitué à l'origine sous la forme nécessairement d'un agrégat comptable, l'ONDAM est resté, cinq ans plus tard, ce même agrégat comptable.

« Entre temps, il a dérivé, le Gouvernement l'a « rebasé », lui a appliqué mécaniquement des pourcentages de progression arbitraire.

« Dépourvu de tout contenu en santé publique, il est aujourd'hui un arbitrage comptable, inévitablement contesté, entre les contraintes financières de l'assurance maladie et le souci des pouvoirs publics d'apaiser les tensions que connaît notre système de soins.

« L'ONDAM 2000 est le résumé de trois ans d'errements : « rebasé » pour prendre acte du dépassement constaté l'année précédente, il n'en a pas moins dérivé » à nouveau. De surcroît, sans estimer utile d'en saisir le Parlement, le Gouvernement l'a majoré de son propre chef, pour les besoins d'une « nouvelle étape » de sa politique hospitalière improvisée en mars 2000, trois mois après le vote définitif de la loi de financement de la sécurité sociale.

« Dans ce contexte, votre commission a pris une décision fondée mais d'une exceptionnelle gravité : celle d'opposer une sorte de « question préalable » à l'ONDAM 2001, c'est-à-dire un rejet solennel.

« C'est une décision fondée car la Commission ne souhaite pas ratifier la dérive de l'ONDAM 2000, ne serait-ce qu'implicitement au travers du « rebasage » de l'ONDAM 2001.

« Elle se déclare en outre hors d'état de prétendre qu'un ONDAM de 693,3 milliards de francs permettra de soigner correctement les Français en 2001.

« Elle se refuse enfin à engager l'autorité du Sénat en lui demandant d'approuver un objectif dont le Gouvernement s'empressera de s'affranchir quelques mois plus tard.

« Mais c'est également une décision d'une exceptionnelle gravité parce que l'ONDAM représente l'élément central des lois de financement.

« Votre commission l'a prise en connaissance de cause tant la dérive observée depuis quatre ans lui semble traduire le dévoiement de l'ONDAM et devoir être sanctionnée clairement ; ce n'est pas en effet seulement un « agrégat » qui dérive, mais avec lui notre système de soins et le débat démocratique autour de la sécurité sociale. » 38 ( * )

Il reste que l'articulation proposée par le groupe de travail pour l'élaboration de l'ONDAM médicalisé appelle une attention particulière quant à la place et au rôle du Parlement qui in fine donne sa légitimité démocratique à l'objectif.

1. Préciser le rôle de la représentation nationale

L'une des recommandations du rapport vise précisément à « préciser le rôle de la représentation nationale ». Celle-ci se prononcerait :

« - en amont, pour définir les objectifs et les priorités de santé publique, après un examen de l'état sanitaire de la nation, déterminant ainsi le champ d'application de la prise en charge collective obligatoire « brute » des dépenses de santé, avant l'intervention des actions correctrices ;

« - et en aval, lors de l'examen et du vote de la loi de financement de la sécurité sociale, après que la Conférence nationale de la santé lui aura transmis son rapport, et après avoir pris en compte le contexte économique, ainsi que les arbitrages entre fonctions collectives, sur le champ d'application de la prise en charge collective obligatoire « nette » des dépenses de santé, après l'intervention des actions correctrices. »

De fait, l'enchaînement simplifié des propositions du groupe de travail conduit à envisager successivement :

1. les propositions de la Conférence nationale de santé en matière de priorités et d'objectifs de santé publique ;

2. une intervention « en amont » du Parlement au printemps pour définir (ou ratifier ?) ces objectifs et priorités ;

3. la fixation qui en découle du champ d'application de la prise en charge collective obligatoire « brute » des dépenses de santé ;

4. l'évaluation par la Conférence nationale de santé des actions correctrices qui ont été appliquées par « le délégataire de gestion de l'assurance maladie, par la convention, et les pouvoirs publics, par le règlement, (...) en concertation avec l'ensemble des acteurs de la santé » ;

5. la fixation qui en découle du champs d'application de la prise en charge obligatoire et collective « nette » des dépenses de santé ;

6. la prise en considération par le Parlement « lors de l'examen et du vote de la loi de financement de la sécurité sociale » du « contexte économique et des arbitrages entre missions collectives » permettant d'afficher le concept de « dépenses de santé collectives » qui, après application des différents taux de remboursement , conduit à la fixation d'un ONDAM médicalisé.

Ce cheminement appelle plusieurs observations.

- Il semble opportun a priori de distinguer une démarche de santé publique (réflexion sur les déterminants fondamentaux des dépenses de santé, les objectifs et les priorités de santé publique) de la prise en compte des contraintes économiques ou financières.

- Il reste que le cheminement vertueux auquel le Parlement participe en amont par un débat de printemps sur les objectifs et priorités de santé publique - lesquels devront s'inscrire nécessairement dans la démarche pluri-annuelle de la future loi sur la santé publique - s'interrompt au moment de la seconde intervention du Parlement qui, in fine , va faire valoir « la prise en considération du contexte économique et les arbitrages entre missions collectives » , avec semble-t-il, - le rapport n'est pas totalement clair sur ce point - notamment une variable d'ajustement qui est le taux de remboursement.

- Il en ressort un ONDAM médicalisé en réalité d'inspiration mixte, franchement sanitaire dans la première partie de son élaboration mais quasiment comptable dans la dernière ligne droite.

- On observera en outre que le Parlement est saisi d'un projet de loi comportant la fixation de l'ONDAM et qu'il appartiendra au Gouvernement, à l'issue d'arbitrages interministériels et préalablement au débat législatif, de proposer lui-même une première « prise en considération du contexte économique et des arbitrages entre missions collectives » .

- Dès lors, soit la logique du groupe de travail repose sur la conviction que des préoccupations exogènes à la santé publique ne pourront remettre en cause « le champ d'application de la prise en charge obligatoire et collective « nette » des dépenses de santé » , soit il conviendrait d'envisager - ce que le calendrier ne permet guère - une sorte d'itération qui consisterait à reprendre l'exercice en amont, voire à ses débuts, pour accentuer par exemple les actions correctrices.

Votre commission avait envisagé que le Parlement puisse être saisi, d'une part, d'une évolution « spontanée » de l'ONDAM et, d'autre part, de l'impact des mesures correctrices qui lui seraient applicables (en dépenses nouvelles nécessaires ou en économie possible) et qui, naturellement, devraient être cohérentes avec les priorités et les objectifs de santé préalablement définis.

Lors de son audition devant votre Commission, M. Alain Coulomb avait considéré que le mécanisme proposé par le groupe correspondait exactement à la démarche envisagée par la commission 39 ( * ) .

Il semble toutefois à votre rapporteur, qu'à la lecture attentive du rapport, le Parlement apparaisse en marge des « actions correctrices », intervenant précisément « en amont » ou « en aval ».

2. Préciser la logique de l'opposabilité

On comprend bien la logique des propositions du groupe de travail. Dès lors que l'ONDAM médicalisé est élaboré à la suite d'un processus faisant intervenir une large concertation et traduit une préoccupation exclusivement tournée vers la qualité des soins et de la prise en charge, il se voit conférer une légitimité qu' a priori ne lui a pas donné jusqu'à ce jour le vote du Parlement, qui rend à la fois légitime son opposabilité et spontané son respect.

Comme l'indique le groupe, l'ONDAM médicalisé « ne pourra plus apparaître comme une contrainte artificielle et proposée par les pouvoirs publics qui plus est à partir d'éléments étrangers à l'activité médicale » .

M. Alain Coulomb confiait ainsi à votre commission que « les acteurs professionnels regardent la fabrication de l'ONDAM un peu comme ils regarderaient un magicien sortant un lapin de son chapeau ».

Il estimait encore, avec un certain sens de la formule : « la loi n'était pas appliquée parce que les acteurs professionnels n'étaient pas impliqués. »

En outre, le groupe prend soin, comme il a été dit précédemment, de préciser que cette opposabilité n'aurait qu'un « caractère relatif » car une partie de l'évolution des dépenses résulte soit de « facteurs exogènes » soit de « déterminants objectifs ».

Aussi le groupe considère-t-il que les acteurs de santé « ne sauraient se voir opposer un pourcentage d'évolution des dépenses qui ne leur serait pas totalement imputable ».

Il reste que, si l'on voit bien l'impact des facteurs exogènes (initiatives réglementaires ou éléments d'ordre épidémiologique) et des déterminants objectifs (démographie, âge, progrès technique, etc.), qui expliqueraient près de la moitié de l'évolution actuelle des dépenses de santé, il est difficile de déterminer, au sein des dépenses sur lesquelles « une action volontariste peut avoir une certaine portée » celles qui sont « totalement imputables » aux professionnels de santé.

On comprend bien également que la « voie royale », et probablement la seule, de l'opposabilité est celle de la « contractualisation » de l'évolution des dépenses de santé « dans un cadre conventionnel qui deviendrait le substrat du suivi de l'ONDAM » .

Il reste que la conséquence extrême de l'opposabilité de l'ONDAM est la mise en place de procédures en cas de dépassement.

Le groupe de travail n'évacue certes pas cette problématique mais la traite avec prudence : « Pour ce qui est des procédures à mettre en place en cas de dépassement de l'ONDAM médicalisé, il appartiendra aux partenaires conventionnels et à l'Etat, chacun pour ce qui les concerne, d'en décider la teneur, étant entendu que le suivi doit produire ses effets tout au long de l'année ».

Le groupe évoque, en outre, la « pluriannualité de l'ONDAM » . Cette caractéristique résulte « inéluctablement » de « la prise en considération d'éléments d'ordre médical ou organisationnel complexes ainsi que le constat de cycle dans l'évolution des dépenses » ; de surcroît, elle découle « logiquement de l'intervention de la prochaine loi quinquennale de programmation de santé publique 40 ( * ) ».

Il en résulte implicitement que les dépassements de l'ONDAM doivent également être appréciés dans un cadre pluriannuel, ce qui donne naturellement davantage de souplesse.

Enfin, et non sans un hiatus logique, le groupe évoque l'intervention, le cas échéant, du Parlement « à l'occasion d'un collectif social rectificatif, en cas de non-respect des prévisions de l'exercice » .

Au regard du mode d'intervention du Parlement tel qu'il résulte du mécanisme proposé par le groupe, on discerne mal quelle serait alors la marge de manoeuvre de la représentation nationale sauf à retenir une démarche qui pourrait être qualifiée de comptable ou à entériner le dépassement prévisible.

*

* *

Le mérite du rapport Coulomb est de proposer une chaîne concertée médicalisée et vertueuse de « l'évaluation de l'évolution des dépenses de santé ».

Mais si, en amont, le cheminement apparaît clairement, en aval, le bouclage d'une forme d'opposabilité repose essentiellement sur le renouveau du processus conventionnel, tandis que la phase proprement parlementaire n'est pas sans présenter quelques ambiguïtés alors même qu'elle donne à l'ONDAM sinon sa force juridique, du moins sa légitimité démocratique.

* 38 Rapport Sénat n° 67 (2000-2001) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, tome IV, p. 188.

* 39 Cf compte rendu des auditions annexé au présent rapport.

* 40 Projet de loi AN n° 877 (12 e législature) relatif à la santé publique.

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