Audition de M. Michel
PÉLISSIER,
président de la Société nationale de
construction
pour les travailleurs (SONACOTRA)
(25 janvier 2006)
Présidence de M. Georges OTHILY, président
M. Georges Othily, président.- Monsieur le président, merci d'avoir répondu à notre invitation.
Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Michel Pélissier prête serment.
M. Georges Othily, président.- Nous écoutons votre exposé liminaire, après quoi mes collègues et moi-même vous poserons des questions.
M. Michel Pélissier.- Monsieur le président, mesdames et messieurs, j'ai bien évidemment accepté votre demande de venir devant cette commission tout en me disant qu'a priori, l'organisme que je préside, la Sonacotra, était peu concerné par l'immigration clandestine puisque, par définition, nous sommes censés ne loger que des personnes en situation régulière. Pour répondre néanmoins à votre demande, je me permettrai de présenter en quelques minutes l'entreprise Sonacotra et de faire état de trois problématiques qui peuvent être en relation avec les préoccupations de cette commission.
Comme vous le savez sans doute, la Sonacotra a été créée par la loi en 1956 à l'initiative de Claudius Petit, ancien ministre de la reconstruction, sous forme d'une société d'économie mixte dont l'Etat détenait la majorité du capital et l'actionnariat privé une forte minorité, avec pour objet, sous le nom de Sonacotral (Société nationale de construction pour les travailleurs algériens), de loger les Algériens qui n'étaient pas encore étrangers et dont l'économie avait besoin pour assurer la reconstruction du pays.
La Sonacotral, avec l'aide de cinq filiales HLM, a construit des foyers pour loger les célibataires et des appartements pour loger ceux qui avaient effectué le regroupement familial, participant ainsi à la résorption des bidonvilles qui s'étaient créés aux périphéries des grandes villes, notamment en région parisienne, à Nanterre et Saint-Denis, ou en région lyonnaise, par exemple à Givors.
A la suite d'une grave crise qui a frappé l'entreprise à la fin des années 80 et qui était liée à la fois à l'arrêt de l'immigration autorisée, en 1974, et à des problèmes d'entretien des foyers, l'entreprise a connu une décennie difficile. La situation financière précaire a justifié alors, en 1993, une recapitalisation qui a fait entrer la Caisse des dépôts et consignations et le Crédit foncier au capital, l'Etat étant aujourd'hui actionnaire majoritaire à 57 %, la Caisse des dépôts à 28 % et le Crédit foncier à 10 %.
L'objet social a également été étendu au logement non plus des seuls immigrés mais de l'ensemble des personnes défavorisées.
La Sonacotra, qui s'est entre-temps séparée de ses filiales locatives, loge aujourd'hui 73 000 personnes dans des logements meublés répartis dans 450 foyers de travailleurs migrants ou résidences sociales.
Pour mémoire, les foyers de travailleurs migrants, comme tous les foyers de logement (foyers de jeunes travailleurs ou autres), ont vocation à disparaître au fur et à mesure de leur rénovation pour être transformés en résidences sociales. Les deux différences essentielles tiennent à la conception du produit : les foyers sont, sur le modèle des cités universitaires, des chambres avec des éléments de confort (lavabo, douches et cuisines) partagés et ils accueillent tous les publics sans aucun critère d'admission particulier ; les résidences sociales sont généralement des appartements certes meublés, mais qui n'ont pas de différence de nature avec des logements HLM, en ce sens que ce sont de véritables logements.
Celles de la Sonacotra sont meublées et elles n'accueillent des personnes que pour autant que le projet social le permette. Nous avons ainsi des résidences sociales destinées plus particulièrement à un public âgé, à un public de jeunes décohabitant ou à toute autre catégorie de population.
Nous sommes présents sur soixante départements et la Sonacotra a constaté une triple évolution de sa clientèle qui s'est diversifiée et paupérisée et qui a vieilli.
Après avoir eu 100 % d'Algériens, nous en sommes aujourd'hui à 52 % de personnes possédant la nationalité d'un des trois pays du Maghreb puisque, bien évidemment, nous ne nous intéressons dans nos statistiques qu'à la nationalité, en nous interdisant de regarder l'origine. Nous avons par ailleurs 16 % de nationalités des pays d'Afrique sub-saharienne, essentiellement Mauritanie, Sénégal et Mali. Nous avons enfin 27 % de personnes de nationalité française.
Par ailleurs, ces dernières années, répondant à la demande des pouvoirs publics, nous avons accueilli dans nos structures, ou dans des structures créées à cet effet, des demandeurs d'asile. Nous offrons aujourd'hui un peu plus de 5 000 places pour les demandeurs d'asile, soit un tiers des capacités d'accueil du pays. Cela fait de la Sonacotra le premier opérateur sur la demande d'asile.
La deuxième caractéristique, à côté de cette diversification, c'est la paupérisation. Nous envisageons d'ailleurs de changer de nom, parce que la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs ne loge plus que 35 % de salariés. Les autres sont bénéficiaires du RMI ou autres minima sociaux à hauteur de 15 %, sont des chômeurs à hauteur de 18 % et sont des retraités ou pensionnés à hauteur de 25 %.
Cette présence importante de retraités illustre la troisième caractéristique : le vieillissement. Les travailleurs d'origine maghrébine ou maghrébins qui sont venus dans les années 60 et jusqu'en 1974 ne sont pas, contrairement aux espérances, repartis au pays et ils vieillissent sur place. 20 % des clients logés par la Sonacotra ont plus de 65 ans et 50 % plus de 55 ans.
Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, nous sommes peu concernés par l'immigration illégale puisque, en application d'un texte qui date de l'après-guerre, nous devons, en tant que logeurs de meublés, faire remplir des fiches de police et exiger les pièces d'identité de toutes les personnes qui sollicitent un logement chez nous. Cela veut dire que nous vérifions la régularité des titres de séjour au moment de l'admission dans les foyers.
Nous avons trois problématiques qui, néanmoins, nous amènent près du sujet qui vous préoccupe.
La première est le problème du vieillissement.
Les vieux qui sont dans nos établissements sont tous en situation régulière, la plupart bénéficiant d'une pension de retraite, et nous conduisons deux actions à leur sujet.
Il s'agit tout d'abord de leur permettre de vieillir, s'ils le souhaitent, dans notre pays, car nous estimons qu'après avoir travaillé un temps suffisant pour bénéficier d'une pension de retraite ou du minimum vieillesse, ils ont bien le droit d'y demeurer si tel est leur souhait. A cet égard, nous menons une action dans deux directions : d'une part, transformer et réhabiliter les foyers qui le nécessitent pour permettre leur accessibilité à des personnes à mobilité réduite ou vieillissante ; d'autre part, en partenariat avec les services départementaux et municipaux, faire en sorte que les dispositifs de soins infirmiers à domicile, de portage de repas et d'aide à domicile puissent s'appliquer également dans des foyers et des résidences sociales, comme elles s'appliquent à l'ensemble du pays.
Il s'agit ensuite de travailler sur l'aller-retour. Je précise que tous nos foyers sont éligibles à l'aide personnalisée au logement (APL) qui nécessite huit mois de présence sur le territoire. Or un certain nombre de ces vieux Maghrébins sont dans l'aller-retour et passent donc plus de quatre mois dans le pays d'origine, ce qui les met ou risque de les mettre en infraction par rapport aux caisses d'allocations familiales. Pour eux, nous développons le concept de chambres partagées, c'est-à-dire que, moyennant un abonnement mensuel et en abandonnant l'APL, ils peuvent passer trois mois en France, le reste au pays, ce qui fait qu'une même chambre est louée tour à tour par plusieurs personnes et nettoyée entre-temps. Il s'agit, en gros, d'hôtellerie très sociale.
Cela permet de répondre à la pression et de libérer des places pour réhabiliter les foyers. En effet, il faut savoir que, lorsque nous transformons un foyer avec des petites chambres en résidence avec des appartements, nous perdons entre la moitié et les deux tiers des capacités. Or les besoins en logement, qu'il s'agisse de logement normal ou de logement des immigrés, sont grands et nous sommes confrontés aujourd'hui à une insuffisance des capacités pour faire face à la demande.
C'est un problème en voie de diminution puisque ces travailleurs âgés, malheureusement, sont de moins en moins nombreux en valeur absolue, même si, en pourcentage, leur proportion augmente.
La deuxième problématique à laquelle nous sommes confrontés est liée à l'immigration sénégalo-malienne, qui concerne essentiellement des populations d'origine soninké qui, à la différence d'autres populations africaines, manifestent un fort souhait de vie communautaire. Pour eux, le foyer est la solution qui permet la migration alternée et la noria entre le pays d'origine et la France.
Cela entraîne un problème lié à la sur-occupation : au nom du principe d'hospitalité, tout titulaire d'une chambre dans un foyer accueille les frères, les cousins et les amis de passage et le passage peut durer longtemps. Ces foyers, essentiellement situés en région parisienne, servent de lieu de regroupement pour la communauté villageoise à l'occasion des fêtes ou le dimanche. C'est dans les salles du foyer que se maintient et se perpétue à Paris la vie du village. D'où des activités dites informelles qui n'ont d'informel que le fait qu'elles ne sont pas déclarées, mais qui sont néanmoins des activités économiques : l'essentiel des boubous et des colifichets vendus sur les plages de France est produit dans les foyers parisiens.
La difficulté pour le gestionnaire est double : d'une part, la résorption de la sur-occupation ne peut pas être résolue par l'augmentation des logements, et j'en donnerai un exemple ; d'autre part, le gestionnaire est dans l'incapacité absolue de savoir si les personnes qui résident chez lui et qui sont hébergées par des clients titulaires de la chambre et parfaitement en règle au plan du séjour sont ou non des immigrés clandestins. Le titulaire de la chambre a toujours un titre de séjour, mais nous en sommes moins sûrs pour ce qui est des colocataires.
Je disais que la solution ne réside pas dans l'augmentation du nombre de logements parce que nous avons fait une expérience, à la demande des autorités municipales de Saint-Denis, qui possédaient sur leur territoire un foyer géré par une association dont la capacité était théoriquement de 300 places et dans lequel on a dénombré 700 personnes en règle sur le plan du séjour, plus une centaine qui ne l'étaient pas. La ville nous a demandé de racheter ce foyer en très mauvais état, de le raser et de construire autant de logements qu'il en faudrait pour loger toutes les personnes qui habitaient sur le site et qui avaient des papiers. La préfecture a régularisé tous ceux qui étaient régularisables et qui n'avaient pas de papiers mais qui auraient pu en avoir au motif qu'il s'agissait de Dionysiens.
Nous avons donc acheté un premier établissement, un foyer de la Poste, construit un deuxième établissement et loué à l'hôpital des bâtiments inoccupés et nous avons deux autres foyers en construction, l'objectif étant de produire autant de places. Or nous constatons que, sur les premiers foyers livrés, la sur-occupation se produit. Cela veut dire que les premiers qui ont été relogés dans la dignité se sont empressés de faire venir un certain nombre de leurs proches.
Sauf à tomber dans des solutions de gardiennage extrêmement onéreuses et peu compatibles avec la vie dans un logement, nous n'avons pas d'autres recours que la justice qui consiste, pour notre entreprise, à demander au juge l'autorisation de faire assister les huissiers par les forces de police pour aller contrôler au petit matin si les personnes qui sont dans les logements sont bien celles qui devraient y être et qu'il n'y a que ceux qui devraient y être et, après avoir fait ce constat, de saisir à nouveau la justice pour obtenir la résiliation du contrat de location. Bien évidemment, lorsque tout cela est fait, les personnes restent sur place parce qu'aucune force de police ne souhaite les mettre à la rue.
Aussi avons-nous entrepris une action de rénovation approfondie en transformant les foyers en logements ordinaires où les problèmes de sur-occupation relèvent d'une autre nature.
La troisième problématique dont je voudrais dire un mot est celle des demandeurs d'asile.
J'ai dit tout à l'heure que la Sonacotra était le premier opérateur pour l'accueil des demandeurs d'asile. Au 31 décembre 2005, les chiffres étaient les suivants : 6 100 places pour les demandeurs d'asile, 3 400 places dans 50 centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), 1 500 places dans 34 établissements sous forme d'accueil d'urgence (c'est notamment dans les établissements de la Sonacotra que sont orientés tous les malheureux qui essaient de passer par Calais depuis que l'on a fermé Sangatte) et un certain nombre de dispositifs locaux mis en place pour les DDASS.
Dans ces centres d'accueil pour demandeurs d'asile, on observe les chiffres suivants : en moyenne 68 % des personnes qui sont accueillis en CADA obtiennent le statut de réfugiés alors que ce statut n'est obtenu que par 17 % des demandeurs d'asile, ce qui montre que les personnes qui sont hébergées dans un centre ont objectivement plus de chances de voir reconnaître leur situation, tout simplement parce qu'ils peuvent se poser et qu'ils bénéficient de l'aide des travailleurs sociaux qui sont dans les centres pour monter leur dossier.
Le problème auquel nous sommes confrontés, malgré les efforts du gouvernement, c'est la longueur des procédures. La durée moyenne de séjour, si elle a diminué pour tomber à 18 mois, était encore de 24 mois il y a un an. L'objectif du gouvernement est de passer à huit mois, mais il est clair que, lorsqu'on met deux ans pour examiner la situation d'un demandeur d'asile, on crée ipso facto des immigrés clandestins puisque, en deux ans, les femmes ont le temps d'accoucher sur le territoire et que les immigrés ne sont alors ni régularisables, ni expulsables. La réduction de la durée des procédures devrait, en ce sens, améliorer la situation.
Néanmoins deux autres problèmes se présentent : les réfugiés statutaires se trouvent en concurrence, pour l'accès au logement, avec les autres publics prioritaires sur les contingents de réservation, qu'ils soient préfectoraux, municipaux ou patronaux, ce qui entraîne un engorgement puisque 20 % des places sont occupées par des personnes qui, ayant obtenu le statut de réfugiés, n'ont plus rien à faire dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile puisqu'ils sont passés du statut de demandeur au statut de réfugié.
De la même façon, lorsque les familles sont déboutées, nous sommes dans une situation encore plus difficile puisque nous avons des immigrés qui sont devenus clandestins mais que tout le monde connaît puisqu'ils ont déposé un dossier. Lorsqu'ils sont célibataires, on arrive à peu près à les convaincre de partir, mais quand il s'agit de familles avec enfants, c'est un peu plus compliqué. Là aussi, 20 % des places sont occupées par des demandeurs d'asiles qui, normalement, devraient avoir regagné leur pays en toute logique puisque leur statut de réfugiés politiques n'a pas été reconnu.
Voilà très brièvement présentées à la fois l'activité de la Sonacotra et les problématiques auxquelles elle est confrontée en lien avec les préoccupations de votre commission.
M. Georges Othily, président.- Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Je donne la parole à Monsieur le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur.- J'ai entendu beaucoup de choses qui répondaient à mes préoccupations.
M. Georges Othily, président.- Pas d'autres questions, mes chers collègues ?
M. Michel Pélissier.- Avec votre autorisation, et pour faciliter le travail de la commission, je vous propose de laisser à Monsieur le rapporteur à la fois le contrat d'objectif qui lie la Sonacotra et l'Etat pour les cinq prochaines années et qui contient un certain nombre de chiffres de détail, et notre dernier rapport d'activité. Malheureusement, celui de 2005 n'est pas encore édité, mais il contient plus de documentations et plus de chiffres que je n'ai pu donner.
M. François-Noël Buffet, rapporteur.- Une dernière question quand même : la situation de vos occupants permet-elle le regroupement familial ?
M. Michel Pélissier.- Les demandes de regroupement familial ne peuvent pas se faire dans nos structures puisque celles-ci, par définition, ne sont pas faites pour accueillir des familles. Lorsque, par hasard, le regroupement se fait de façon sauvage, nous nous retrouvons avec des familles dans des chambres ou des studios qui n'ont pas été faits pour cela, ce qui nous pose le problème de la sortie, mais nous le faisons toujours, bien évidemment, comme notre statut nous y oblige, dans le strict respect des gens, c'est-à-dire par la voie judiciaire.
La raison qui fait que nous sommes très attentifs à la régularité du séjour, c'est qu'il est arrivé dans le passé que l'un de nos gestionnaires soit condamné sur la base de l'aide au séjour irrégulier. La police avait trouvé dans le foyer des étrangers en situation irrégulière qui s'étaient mal comportés et le juge a estimé que cela ne pouvait pas avoir échappé à la vigilance de notre gestionnaire local.
M. Georges Othily, président .- Merci beaucoup, monsieur le président.