Audition du Général Claude VICAIRE,
sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière
à la direction générale de la gendarmerie nationale
(31  janvier 2006)

Présidence de M. Alain GOURNAC, vice-président

M. Alain Gournac, président .- Nous vous remercions de votre présence, mon général, à cette commission d'enquête.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, le général Claude Vicaire prête serment.

M. Alain Gournac, président .- Je vous propose de commencer par un exposé liminaire, après quoi les commissaires vous poseront des questions.

Général Claude Vicaire .- Merci, monsieur le président. Mon propos sera relativement bref et s'articulera autour de trois points d'une manière très classique : dans un premier temps, je présenterai les centres de rétention administrative gérés par la gendarmerie, j'évoquerai ensuite le bilan de notre activité en matière de lutte contre l'immigration irrégulière et, enfin, j'aborderai les perspectives et les mesures que nous allons prendre pour améliorer encore nos résultats dans ce domaine.

Nous avons actuellement trois centres de rétention administrative : Mesnil-Amelot, Geispolsheim et Rivesaltes, pour une capacité d'accueil de 198 places au total et un taux d'occupation de 90 %, alors que le taux d'occupation moyen national est de 83 %.

D'ici 2008, nous allons quasiment tripler cette capacité, puisque nous allons construire trois centres nouveaux, l'un à Metz, l'autre à Rennes et le troisième à Mesnil-Amelot -le centre Mesnil-Amelot 2 qui aura une capacité de 240 places, ce qui devrait globalement nous amener à une capacité de 481 personnes.

Voilà ce qu'est notre dispositif, avec les conséquences que cela implique pour la gendarmerie, en termes budgétaires pour la construction et en personnels pour la garde et les escortes des personnes retenues dans nos centres. Il est évident que les personnels que nous consacrons à cette mission sont distraits d'autres missions.

J'en viens à nos résultats en matière de lutte contre l'immigration irrégulière. Ces résultats sont bons pour l'instant puisque, entre 2001 et 2005, ils ont augmenté de 125 %. Nos résultats de 2005 par rapport à 2004 sont très contrastés selon qu'on les analyse au plan métropolitain ou, d'une manière plus globale, en y incluant les DOM-COM.

Au plan métropolitain, nous sommes passés globalement de 3.300 infractions à 6.528, soit une augmentation de 96 %, qui est très importante pour l'organisation de la gendarmerie puisque nous avons plutôt recours à des polyvalents et non pas à des services dédiés comme ceux de la police aux frontières qui se consacrent uniquement et exclusivement à cette mission.

Ces résultats métropolitains ne doivent pas cacher l'élément beaucoup plus contrasté qui est attaché aux DOM-COM. En effet, nous devons actuellement faire face à une situation délicate, en particulier à Mayotte et en Guyane, ce qui se traduit par une diminution de nos résultats d'environ 12 %.

Je commencerai par la Guadeloupe, où nous sommes passés de 278 infractions à la législation sur les étrangers (ILE) en 2004 à pratiquement 631 en 2005, soit une augmentation de près de 127 %. Nous sommes partis de bas et nous arrivons à un chiffre important, sachant que nos dispositifs sont beaucoup plus opérationnels et que nous cherchons à interpeller les immigrés clandestins dès qu'ils arrivent sur les côtes. Ce n'est pas exclusif d'une action sur le terrain, notamment en matière de lutte contre le travail illégal, puisqu'une partie de cette immigration nourrit une économie locale, ce qui induit parfois quelques freins à notre action.

S'agissant de Mayotte, nous avons enregistré une chute de 14 %, en raison d'un manque de moyens pour ramener les clandestins chez eux. Les deux embarcations qui assuraient cette mission auparavant ont été rendues inutilisables ou, en tout cas, ne présentaient plus les garanties de sécurité nécessaires pour poursuivre ces missions. Il ne restait donc plus que la voie aérienne. Cette situation est en train d'évoluer avec l'arrivée de la Marie Galante et l'ouverture d'une deuxième voie aérienne. En décembre, les résultats se sont envolés.

M. Alain Gournac, président .- Pouvez-vous nous redonner le nombre de personnes interpellées à Mayotte, mon général ?

Général Claude Vicaire .- A Mayotte, nous avons dressé 2.384 infractions à la législation sur les étrangers en 2005, contre 2.768 en 2004, soit une diminution de 13,87 %.

J'en viens à la Guyane où la diminution a été de l'ordre de 22,5 % : nous sommes passés en effet de 3.334 infractions à la législation sur les étrangers en 2004 à 2.586 en 2005. Cette chute est la conséquence paradoxale des opérations « Anaconda ». En effet, les premières opérations « Anaconda » qui portaient sur des sites d'orpaillage imposants, très visibles et regroupant de nombreuses personnes, se sont avérées très efficaces. A partir du moment où les garimperos ont pris conscience de nos modes d'action et les ont intégrés, ils se sont adaptés fort naturellement, se sont étalés, ont camouflé leurs sites et ont pris un certain nombre de mesures pour être moins vulnérables aux actions de la gendarmerie.

La gendarmerie ne peut consacrer que cinq escadrons à la Guyane, ce qui est déjà énorme pour elle, et elle n'a pas la possibilité de tenir le terrain. A travers le jeu des questions-réponses, j'évoquerai le dispositif qui pourrait être envisagé pour apporter une réponse à ce phénomène.

Il me reste à dresser les perspectives pour l'année 2006. Je pense qu'elles sont très bonnes. En tout cas, nous avons engagé à l'échelon national d'importantes actions de formation de nos personnels qui, comme je l'ai dit précédemment, ont une vocation plutôt horizontale et générale alors que nous sommes ici sur des missions très précises sur les plans technique, juridique et réglementaire. Cela nécessite d'avoir un certain nombre de spécialistes dans chacun de nos groupements. En 2005, nous avons formé 1.071 formateurs relais immigration irrégulière (FRIR) de telle sorte que chacun de nos groupements compte quelques agents plus spécialement formés et maîtrisant le droit des étrangers.

Nous avons dégagé des moyens matériels supplémentaires au bénéfice notamment de la Guadeloupe. La situation de cette collectivité, comme vous devez parfaitement le savoir, est caractérisée par l'immigration qui vient d'Haïti par Saint-Domingue et la Dominique. A partir d'une base parfaitement connue à la Dominique avec un organisateur identifié et pour lequel des commissions rogatoires internationales ont déjà été délivrées, le transit se fait par yoles extrêmement rapides, ce qui nous interdit d'agir sur la phase aller, les gens risquant d'être mis à la mer, mais ce qui ne nous interdit pas de le faire sur la phase retour.

Compte tenu de la rapidité de ces embarcations, nous avons envisagé de procéder à des tirs sur les moteurs à partir d'hélicoptères. Pour cela, nous avons envoyé sur place une mission d'expertise du GIGN au cours du mois de novembre. Elle a conclu, juridiquement, à la faiblesse du dispositif et, techniquement, à sa difficulté. Nous avons donc abandonné cette piste.

Nous travaillons actuellement sur une autre piste, dans le cadre d'un rapport du SGMer : l'interception par la force, sur la phase retour de ces yoles, au moyen d'un intercepteur que la douane va mettre à notre disposition. Nous allons former nos équipages à l'abordage de vive force, qui demande une technique de pilotage extrêmement pointue, et une fois que nos personnels seront formés, nous lancerons cette expérimentation pour juger de sa faisabilité et de ses effets.

Dans l'hypothèse où l'efficacité de ce dispositif serait démontrée, la gendarmerie consentirait un effort financier important pour acquérir un intercepteur de ce type.

M. Alain Gournac, président .- Merci, mon général. Nous allons d'abord demander au rapporteur s'il souhaite vous poser une question, après quoi je donnerai la parole aux uns et aux autres.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Mon général, vous avez abordé la situation de la Guyane et des personnels qui sont sur place. Cette situation est incontestablement extraordinaire. Quels moyens faudrait-il réunir pour tenter d'enrayer l'immigration irrégulière ?

Général Claude Vicaire .- L'analyse est très simple. Contrairement aux membres de cette commission, je ne connais pas la Guyane et je vais donc vous faire une analyse d'école de guerre, pour rester modeste... (Rires.) Du moins, je vais essayer d'être à la hauteur de la formation qui a été la mienne.

Je vais prendre une image météorologique : en Guyane, nous sommes dans une zone de basse pression entourée de deux zones de haute pression. Tant que nous n'arriverons pas à rétablir l'équilibre, nous ne serons pas crédibles.

Au Surinam, il y a deux mois, une opération de police contre des orpailleurs s'est mal terminée : deux policiers ont été tués. Le gouvernement surinamien a alors décidé de réagir en engageant l'armée. La conséquence ne s'est pas fait attendre : les orpailleurs du Surinam sont venus en Guyane.

Un film sur les opérations de la gendarmerie est passé la semaine dernière à la télévision.

M. Alain Gournac, président .- Nous l'avons vu. Il était très intéressant et très bien fait.

Général Claude Vicaire .- Oui. Vous vous souvenez peut-être qu'à un moment donné, dans ce film, un Brésilien dit en quelque sorte : « Ce que j'apprécie en Guyane avec les gendarmes, c'est qu'ils ne nous frappent pas et qu'ils ne nous tirent pas dessus. » Il est évident que les modes d'action des polices et des armées surinamienne et brésilienne font que, pour quelqu'un qui est dans la misère et qui cherche à gagner sa vie ou à nourrir sa famille, le moindre risque est de venir sur le territoire guyanais, parce que l'approche du droit et du respect de la personne humaine fait que, globalement, ce sera moins dangereux pour lui.

La deuxième difficulté à laquelle nous sommes confrontés, c'est le contrôle du terrain. Nous ne sommes pas capables, actuellement, de contrôler le terrain, c'est-à-dire de faire de la Guyane une zone de haute pression ou, au moins, de pression équivalente à celle des deux pays qui « exportent » leurs orpailleurs. Tant que nous n'arriverons pas à rétablir cet équilibre, nous ne pourrons que vider l'océan avec une petite cuiller.

La troisième difficulté c'est que la Guyane représente, pour la France et pour l'Europe, au travers de Kourou, un enjeu stratégique dont tout le monde est conscient mais qui est rarement évoqué par écrit. Je crois donc qu'il faudrait analyser la situation non pas à l'aune de ce qu'elle est actuellement mais des conséquences à dix ou quinze ans de l'immigration irrégulière, en se demandant ce que deviendrait Cayenne et, plus spécifiquement, Kourou, dès lors que nous laisserions s'organiser autour de ces deux villes des zones de favelas telles qu'elles existent au Brésil et dans lesquelles l'armée a des difficultés à entrer alors que c'est un lieu considéré comme stratégique pour notre pays. Je pose la question.

M. Alain Gournac, président .- Ce que vous nous dites là est tout à fait intéressant, effectivement.

M. Jean-Claude Peyronnet .- C'est effectivement très intéressant, mon général, mais vous devez avoir parfois l'impression d'être comme Sisyphe, car il s'agit aussi d'une zone de basse pression démographique. En dehors de l'orpaillage, qui est, je vous le concède, un problème dont on ne sait pas bien comment se sortir autrement que par la répression, nous avons été frappés, en allant en Guyane et en Guadeloupe, même si nous ne pouvons pas dire que nous les connaissons parfaitement, par la grande complicité des populations locales, qu'elles soient françaises ou récemment régularisées. Ces personnes trouvent du travail clandestin. Si elles n'en trouvaient pas, il y aurait peu de chances qu'elles viennent.

Autrement dit, n'avez-vous pas l'impression -c'est au citoyen que je m'adresse- qu'il faudrait recourir à d'autres solutions internes à chacun de ces départements, pour ce type d'immigration, que celle de la simple répression et de l'arrêt aux frontières ?

Général Claude Vicaire .- C'est une question complexe que vous me posez là et qui, en tout cas, échappe à mon domaine de compétence. Je ne répondrai donc pas en tant qu'officier de gendarmerie et me contenterai d'une réponse de citoyen. A mon avis, il serait intéressant d'analyser le taux de chômage en Guyane et en Guadeloupe et de mesurer a contrario le nombre d'immigrés clandestins dans ces pays. Il est possible que certains de nos concitoyens préfèrent employer un clandestin pour faire le travail qu'eux-mêmes ne veulent plus accomplir et de toucher des indemnités de chômage, mais cela relève d'une problématique dont vous comprendrez bien que je ne suis pas armé pour y répondre.

M. Bernard Frimat .- Vous évoquez, mon général, les infractions à la législation sur les étrangers, mais il ne s'agit là que du constat de l'infraction. Ensuite, cette infraction a une traduction à travers l'invitation à quitter le territoire ou l'arrêté de reconduite à la frontière. A cet égard, nous avons vu travailler les gendarmes et nous avons pu mesurer l'étendue de leur tâche, pour utiliser une litote. Je ne peux d'ailleurs que reprendre votre expression de la petite cuiller, car c'est vraiment le sentiment que cela nous donne. Quelles sont les suites réservées aux infractions relevées par la gendarmerie ?

Général Claude Vicaire .- Tout dépend de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Sur le territoire métropolitain, cela se traduit par une décision de conduite en centre de rétention administrative puis de reconduite dans le pays d'origine, pour autant que les autorités consulaires de ces pays veuillent bien reconnaître les personnes en question.

Je n'ai pas le chiffre exact parce que ce n'est pas véritablement mon domaine, mais je crois qu'actuellement, on peut considérer que 30 à 35 % des étrangers qui sont mis en centre de rétention et sont reconduits dans leur pays.

M. Alain Gournac, président .- Cela veut-il dire que les autres restent ?

Général Claude Vicaire .- Oui. L'un des choix qui a été fait, compte tenu des contraintes juridiques -nous sommes dans un Etat de droit- qui encadrent ce dispositif, a été d'augmenter le nombre de places en CRA pour agir sur le nombre de reconduites. Une autre voie pourrait être de diminuer le pourcentage du nombre de personnes qui ne sont pas reconduites, mais cela devient compliqué car il faut alors faire appel à des dispositifs réglementaires et législatifs dont nous n'avons pas la maîtrise.

M. Bernard Frimat .- Et sur les DOM ?

Général Claude Vicaire .- Vous avez vu qu'en Guyane, il est difficile de remettre des invitations à quitter le territoire à des personnes qui vivent en pleine jungle.

En revanche, l'un des bons modes d'action est de détruire le cycle économique. Les orpailleurs clandestins s'endettent pour acquérir du matériel qu'ils amènent ensuite sur le territoire guyanais pour procéder à leurs investigations. Il y a donc une logique économique dans tout cela. À partir du moment où le matériel qui est trouvé est détruit et où nous cassons l'intérêt économique à venir prospecter sur le territoire national, cela peut avoir un impact, sans compter la lutte contre les atteintes à l'environnement que ces opérations peuvent avoir. On n'en mesure pas les conséquences actuellement, mais je pense qu'à terme, on en saura un peu plus.

M. Alain Gournac, président .- On commence à le savoir, quand même.

Général Claude Vicaire .- Vous m'avez par ailleurs demandé s'il y avait un lien direct entre la lutte contre l'orpaillage, qui est liée à l'efficacité des opérations « Anaconda », et le développement d'une sorte de délinquance ou de criminalité en Guyane en général et en périphérie des villes en particulier. Je ne peux que répondre positivement, bien sûr. En effet, même si c'est une réaction un peu paradoxale, l'efficacité des actions en jungle et la destruction des matériels incitent un certain nombre de ces orpailleurs à venir en zone urbaine pour voler des véhicules, récupérer les moteurs, les désosser et récréer une capacité d'extraction.

M. Alain Gournac, président .- Ils font aussi quelques hold-up en passant.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Disposez-vous de statistiques sur les comportements criminels des orpailleurs clandestins et sur le nombre d'affaires en cours ou élucidées ? De même, pouvez-vous nous parler des difficultés rencontrées par les personnels de gendarmerie dans la lutte contre cette criminalité, y compris les agressions physiques ?

M. Alain Gournac, président .- Un gendarme est décédé récemment..

Général Claude Vicaire .- Un commandant de brigade est effectivement décédé il y a peu de temps dans une opération.

Je n'ai pas d'éléments précis sur les conséquences à l'égard de la gendarmerie. J'évoquerai néanmoins deux éléments qui ont été indiqués dans le film dont nous parlions il y a quelques instants.

Le premier est l'augmentation des atteintes aux personnes et, notamment, des meurtres. Les chiffres montrent qu'entre l'année 2004, début de l'efficacité des opérations « Anaconda », et l'année 2005, les faits de voie publique ont augmenté d'environ 40 %.

M. Alain Gournac, président .- Il y a aussi des mutilations et des tortures et non pas seulement des meurtres.

Général Claude Vicaire .- Je ne suis pas entré dans le détail. En revanche, j'ai constaté, dans des comptes rendus des opérations qui ont été menées dernièrement pour détruire des carbets construits illégalement sur le domaine de l'Etat, une sorte de réaction organisée et violente des personnes qui occupent illégalement le territoire de l'Etat et qui, d'une part, s'opposent aux forces de l'ordre, d'autre part, menacent les personnes qui apportent leur concours pour détruire ces carbets et mettent leurs menaces à exécution.

Lors d'une opération, il a fallu employer un grutier qui, lorsqu'il est intervenu, a été menacé à la fois physiquement et sur ses biens. Après l'opération, alors que la gendarmerie avait mis un dispositif de protection autour de sa maison, dans la nuit, du fait d'un événement qui a eu lieu à quelques centaines de mètres de l'endroit où habitait ce grutier, les agents chargés de la protection de son domicile ont dû intervenir sur ce qui s'est avéré n'être en fait qu'une diversion et, pendant ce temps-là, le carbet du grutier a été détruit. Cela a l'air banal, mais je ne crois pas que ce soit le cas, car cela veut dire qu'en face, il y a une organisation et une capacité d'adaptation et de mettre des menaces à exécution.

Mme Gisèle Gautier .- Vous avez fait référence tout à l'heure à une émission que nous connaissons tous, Des racines et des ailes , que nous avons eu l'occasion de voir les uns et les autres, mais j'ai été un peu étonnée, pour ne pas dire atterrée, par ce que j'ai vu là-bas. On nous parle beaucoup d'un déficit d'effectifs militaires et de gendarmerie, mais je vais vous relater un fait que nous avons eu l'occasion de constater. Alors qu'une rixe s'était produite dans la forêt entre immigrants dans un environnement d'alcool et de drogue, bien évidemment, et qu'une des deux personnes en cause avait été poignardée et était morte, nous avons suivi le processus des forces de police qui ont traversé la rivière pendant des jours et des jours, avec les difficultés et les coûts que cela représente, pour pouvoir non pas rétablir l'ordre mais se faire respecter un minimum.

M. Alain Gournac, président .- Nous avons constaté à cette occasion que les gendarmes étaient très respectés à leur arrivée.

Mme Gisèle Gautier .- Je me suis donc légitimement posé une question que je vais vous poser, même si elle est sans doute très mauvaise. Du fait de la carence d'effectifs que nous constatons, la priorité des priorités n'est-elle pas ailleurs, même s'il faut faire respecter l'Etat de droit sur notre territoire ? J'ai trouvé qu'en l'occurrence, on dépensait énormément de temps et d'argent et que nous devions avoir d'autres priorités. C'est le sens de ma question et je voudrais savoir ce que vous en pensez, parce qu'on n'a pas abouti à grand-chose, en fait.

M. Alain Gournac, président .- Ils ont pris le gars, quand même, grâce à des aides sur place, d'ailleurs.

Mme Gisèle Gautier .- C'est vrai, mais pour combien d'énergie et d'argent ?

M. Alain Gournac, président .- Si on laisse faire, il n'y a plus d'autorité, mais je ne veux pas répondre à votre place, mon général.

Général Claude Vicaire .- Votre question pose en filigrane une question beaucoup plus profonde. Certains pays, notamment anglo-saxons, analysent le coût et l'efficacité d'une enquête et, dès lors qu'ils considèrent qu'elle coûte trop cher à la société au regard de ce qu'elle va apporter, ils ne la font pas. Nous ne sommes pas encore, Dieu merci, dans cette logique et je crois que, dès lors qu'un délit ou un crime, à plus forte raison, est commis sur le territoire de la République, il appartient à l'Etat, parce que c'est un devoir régalien, d'y apporter une réponse. Si vous me le permettez, j'en resterai là.

M. Alain Gournac, président .- J'ai une question à vous poser sur l'arrestation de passeurs, mon général. D'une façon globale -et je quitte ici les seuls DOM-COM- dans les résultats que vous nous avez donnés tout à l'heure, y a-t-il de bons résultats en ce qui concerne les passeurs ?

Général Claude Vicaire .- Je n'ai pas de détails mais, notamment en Guadeloupe, plusieurs organisations complètes d'immigration clandestine ont été démantelées, dont l'une au mois de juin ou de juillet dernier.

M. Alain Gournac, président .- C'est vraiment important.

Général Claude Vicaire .- Chaque DOM-COM a sa réalité et sa logique. La situation de la Guyane est totalement différente de celle de la Guadeloupe. En Guadeloupe, nous commencerons à être vraiment efficaces quand nous serons en mesure d'intercepter les yoles à la mer. Lorsque nous incarcérerons les passeurs et détruirons les yoles et les moteurs, nous commencerons à casser le flux. Pour la Guadeloupe, ce sont les vecteurs qui alimentent le flux.

En Guyane, la réponse me paraît être d'une toute autre nature. Comme je le disais, il s'agit de faire en sorte que la Guyane devienne une zone de haute pression. Pour cela, il faut tenir le terrain, être dissuasif et, par conséquent, mieux organiser nos forces. Pour y parvenir, il faudrait développer une nouvelle conception d'action des forces armées, principalement de l'armée de terre et de la gendarmerie, et trouver un autre mode de fonctionnement. En effet, il y a deux forces, dont l'une est importante par ses effectifs : les forces armées guyanaises de l'armée de terre (principalement les légionnaires) et les unités et compagnies tournantes, qui pourraient être utilisées de manière mieux coordonnée avec la gendarmerie et constituer un dispositif complémentaire pour tenir le terrain.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Dans l'esprit de ce que vous venez de dire, le maire de Saint-Laurent du Maroni a demandé que les forces de la légion étrangère soient mobilisées pour marquer les esprits. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Général Claude Vicaire .- Je serai plus réservé à cet égard. Le territoire national est réparti en deux zones. Pour prendre une image, c'est une panthère ou un tigre, les tâches étant la police nationale et le pelage étant la gendarmerie. La police nationale a sous sa responsabilité 5 % du territoire et 50 % de la population ; la gendarmerie a sous sa responsabilité 95 % du territoire et les 50 autres pour cent de la population. Nous gérons l'espace et la police nationale gère les concentrations de personnes avec tout ce que cela peut comporter : plus vous mettez de monde à un endroit, plus cela génère de problèmes.

En dehors de ces deux zones, qui relèvent de la police et de la gendarmerie, il n'y a pas une troisième zone qui serait dédiée aux armées. Dès lors que les armées doivent intervenir dans l'une de ces deux zones, elles ne peuvent le faire que sous une sorte de contrôle opérationnel de celui qui a la responsabilité de cette zone et je pense qu'il faudra trouver un système complémentaire et efficace pour mettre en place un mode d'action qui permette aux armées d'agir dans le respect de leurs règles, mais au profit de ceux qui ont la responsabilité des zones dans lesquelles ils interviennent, c'est-à-dire la gendarmerie.

M. Alain Gournac, président .- Si j'ai bien compris, vous pensez que cela n'est pas assez bien organisé aujourd'hui ?

Général Claude Vicaire .- Je ne dis pas cela. Je dis simplement que cela pourrait être mieux organisé.

M. Alain Gournac, président .- Bien sûr. Vous voulez dire en fait qu'il est possible de mieux travailler et de trouver des améliorations en termes d'organisation.

Général Claude Vicaire .- Je peux vous apporter une information : le directeur de la gendarmerie va être reçu par le chef d'état-major des armées aujourd'hui pour aborder cette question. Cela veut dire qu'il y a une véritable prise de conscience, de part et d'autre, de la nécessité d'une nouvelle coopération ou collaboration, même si je ne sais pas comment cela va se conclure.

M. Alain Gournac, président .- Pour ma part, au cours de ma visite à Mayotte, j'ai accompagné le préfet quand les services ont brûlé des yoles et des moteurs.

Général Claude Vicaire .- Cela se fait aussi en Guyane.

M. Alain Gournac, président .- Il y en avait beaucoup.

Général Claude Vicaire .- Economiquement, c'est très important, parce que cela fait très mal aux passeurs.

M. Bernard Frimat .- Si je vous ai bien compris, mon général, sur la Guyane, vous n'évoquez pas une militarisation. Vous ne préconisez pas que l'armée de terre mène des opérations de police mais que la gendarmerie continue à en avoir la gestion et puisse bénéficier simplement de soutiens humain et logistique de l'armée. Comme nous l'a dit le préfet de Guyane, à chaque fois qu'on a demandé à l'armée de faire une tâche de gendarmerie ou de police, cela n'a pas été forcément couronné de succès dans l'histoire française.

Cela dit, il nous est apparu que les gendarmes subissaient structurellement une faiblesse de moyens, notamment en termes médicaux. Même si la partie centrale de la Guyane est complètement irriguée et innervée et on conçoit que, lorsque huit gendarmes tombent sur un village de 800 personnes dont 200 sont armées, cela ne puisse pas se terminer en bataille rangée. C'est aussi leur comportement qui fait qu'ils se font moins tirer dessus que leurs collègues du Surinam, où la guerre est ouverte.

Général Claude Vicaire .- Je répondrai en plusieurs temps. Tout d'abord, la devise de la gendarmerie est « une force humaine » et elle s'applique dans chacune de ses actions. A cet égard, le film dont nous avons parlé me semble être très révélateur de la manière dont les gendarmes agissent sur le terrain dans le cadre de missions qui ne sont pas très faciles...

M. Alain Gournac, président .- Elles ne sont pas du tout faciles !

Général Claude Vicaire .- ... et essaient de le faire avec le plus d'humanité possible. De ce point de vue, tout le monde leur rend hommage. C'est mon premier point.

Je ne pense pas qu'il entre dans le rôle des forces armées de remplir des missions de police, d'abord parce qu'elles n'en ont pas les compétences ni le savoir-faire et, ensuite, parce que ce n'est pas leur métier.

En revanche, elles ont des capacités qu'elles sont seules à posséder. Vous avez fait allusion à leurs moyens techniques de transport et à leurs capacités de vie sur le terrain que nulle autre force ne possède. Je pense donc que la complémentarité pourrait être organisée autour de la capacité d'un certain nombre d'unités militaires à tenir le terrain, comme elles le font déjà d'une certaine manière, et à le contrôler. En termes militaires, le contrôle consiste à empêcher la libre utilisation d'une zone par un adversaire ou un ennemi. Cela s'applique exactement à la situation de la Guyane.

Cela veut dire que des petites unités de l'ordre du groupe ou de la section -ce n'est pas à moi d'entrer dans ce détail des opérations- pourraient patrouiller dans les zones aurifères et être dissuasives par leur présence permanente sur le terrain. De ce fait, dès lors qu'elles repèreraient quelque chose d'anormal, cela pourrait permettre à chacun, dans son domaine d'excellence et de compétence, d'agir au profit de la République. Cela me paraît d'une simplicité biblique.

M. Alain Gournac, président .- Il faut quand même que les gendarmes le fassent au final.

Général Claude Vicaire .- Ce sont en effet les seuls qui ont les compétences et qui sont officiers ou agents de police judiciaire. Les choses sont claires dans ce domaine.

M. Alain Gournac, président .- Mon général, nous sommes très contents de vous avoir reçu car vous nous avez apporté des informations précieuses. Nous sommes fiers de la gendarmerie et quand j'ai regardé cette émission, j'ai été vraiment heureux de voir ces gendarmes travailler dans des conditions difficiles. Nous vous remercions de nous avoir accordé un peu de temps et d'avoir répondu à notre convocation.

Général Claude Vicaire .- C'était un grand honneur pour moi.

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