Audition de M.
Gérard LARCHER,
Ministre délégué à
l'emploi, au travail
et à l'insertion professionnelle des
jeunes
(15 mars 2006)
Présidence de M. Bernard FRIMAT, vice-président
M. Bernard Frimat, président .- Nous recevons M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, que nous remercions d'avoir répondu à l'invitation de la commission d'enquête.
Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Gérard Larcher prête serment
M. Bernard Frimat, président .- Acte est pris de votre serment. Le plus simple, monsieur le ministre, est de commencer l'audition par un exposé liminaire, après quoi nous pourrons évoquer les questions qui ont été directement posées par le secrétariat et le rapporteur et donner la parole aux membres de cette commission d'enquête.
Monsieur le ministre, c'est très volontiers que je vous cède la parole.
M. Gérard Larcher .- Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, j'essaierai de répondre aux différentes questions qui m'ont été posées et à celles qui viendront ensuite, et c'est naturellement au travers du regard du ministère du travail et de l'emploi que j'aborderai ces différents sujets, sachant que d'autres ministères sont également concernés.
Les mouvements migratoires de grande ampleur que nous connaissons actuellement dans le monde ont de multiples causes : les déséquilibres de développement, les conflits régionaux ou locaux (on le voit par exemple avec les phénomènes liés à la crise du Darfour) qui entraînent des déplacements de personnes, les déficits démographiques de certaines zones ou pays riches créant une attractivité d'immigration et le développement des moyens de communication, notamment des moyens de transport.
Ces flux me paraissent s'accélérer en raison d'une mondialisation de l'économie qui -on le sait- n'a pas trouvé son point d'équilibre et qui génère des inégalités, qui s'approfondissent parfois, entre les ensembles régionaux. Deux frontières sont particulièrement fragiles (j'y reviendrai en conclusion en évoquant la Conférence 5+5) : la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis et l'arc méditerranéen qui sépare les continents asiatique et africain de l'Union européenne. Il existe d'autres points de sensibilité, mais je voulais citer les deux principaux.
La France et les pays d'Europe ne sont pas les seuls confrontés à la question de l'immigration clandestine. Les Etats-Unis comptent sur leur territoire une population estimée à plus de 10 millions de migrants illégaux ou sans papiers. Nous avons d'ailleurs reçu très récemment au ministère du travail la visite du Government Accountability Office (GAO), organisme de recherche du Congrès des Etats-Unis, venu en mission en France pour étudier les conditions de lutte contre l'immigration clandestine et le travail illégal. Au-delà de la France, il prévoyait une tournée dans l'ensemble des pays européens, en s'intéressant à ceux qui ont un déficit démographique.
Lorsque les flux d'immigration deviennent massifs, ils sont de nature à contribuer à la déstabilisation des sociétés pour un certain nombre de raisons, sans ordre d'importance :
- ils créent les conditions d'une concurrence faussée sur le marché du travail, en mettant les illégaux dans une situation de fragilité et de dépendance propice à leur exploitation par des employeurs indélicats ;
- ils rendent difficile la mise en place d'une immigration maîtrisée car les flux d'immigration sont parasités par des trafics illégaux ;
- ils font perdre confiance dans le caractère nécessaire et juste des politiques d'asile.
De manière plus générale, les flux d'immigration illégale viennent s'ajouter aux craintes que suscite la mondialisation des économies chez nos concitoyens.
Avant d'aborder devant votre commission le contrôle de l'immigration illégale dans le domaine du travail, je souhaite rappeler brièvement la politique de la France concernant l'immigration de travail elle-même.
Notre pays a fait le choix, et il le confirme, d'une politique d'immigration de travail maîtrisée. La procédure d'introduction de main d'oeuvre étrangère est d'abord à l'initiative des entreprises et en fonction de leurs besoins. Le recours à la main d'oeuvre étrangère est possible, après examen de la situation de l'emploi et vérification des règles d'égalité de traitement avec les salariés nationaux ou étrangers en situation régulière.
Cette politique répond aux spécificités de la France en matière de démographie, d'emploi et de flux migratoires.
Tout d'abord, il faut se rappeler que la France est dans une situation démographique plus favorable que la plupart des autres pays européens, car l'accroissement de sa population n'est que partiellement lié aux flux migratoires.
Ensuite, les ressources mobilisables sur le territoire national demeurent importantes en raison de la persistance, malgré des améliorations récentes, d'un taux de chômage qui demeure élevé, notamment chez les jeunes, les seniors et les étrangers en situation régulière.
Enfin, nous avons la volonté de développer une politique d'attractivité de la France pour l'accueil des étudiants étrangers à fort potentiel et de cadres de haut niveau.
Cette politique d'immigration de travail intègre une autre spécificité nationale. Je tiens à rappeler en effet que, chaque année, près de 100.000 étrangers accèdent de plein droit au marché du travail au titre du rapprochement du conjoint, du regroupement familial, de l'asile ou en raison des liens personnels ou familiaux qu'ils ont créés en France. En contrepartie de cette immigration de travail légale et relativement nombreuse, comme vous pouvez le constater, le Gouvernement et l'administration ont le devoir de veiller à ce que ne se développe pas une immigration illégale de travail.
Depuis que, sous l'autorité de Jean-Louis Borloo, j'assume la responsabilité de la politique du travail, j'ai fait de la lutte contre le travail illégal une priorité afin de préserver notre ordre public social et de lutter contre cette forme de dumping social qui désorganise la concurrence entre les entreprises et qui met en cause le modèle social auquel nos concitoyens sont attachés.
Nous avons donc réactivé la coordination des administrations au sein de la commission nationale de lutte contre le travail illégal, que nous avons réunie en 2004, alors qu'elle ne l'avait jamais été au cours des six années précédentes.
Il m'est apparu en effet très important qu'une mobilisation de tous les services de l'Etat, l'inspection du travail, bien sûr, mais aussi les forces de l'ordre, les douanes, l'inspection des impôts et des URSSAF, se mettent à l'oeuvre sur cet enjeu à multiples facettes : les recettes fiscales et sociales (on parle de plus de 4 % du PIB qui nous échappent en termes de recettes), les droits des salariés, le respect de règles de concurrence loyales et, bien sûr, la maîtrise des flux migratoires.
Dès juin 2004, nous avons lancé le premier plan d'action qui vient d'être renouvelé avec de nouveaux objectifs. Je tiens à souligner les résultats les plus significatifs de cette mobilisation, dix-huit mois après son lancement : 60 000 entreprises contrôlées, 6 600 salariés rétablis dans leurs droits, des recouvrements de cotisations sociales en progression significative (dans les entreprises et dans les secteurs ciblés, elles ont doublé par rapport à la situation antérieure).
Le 26 janvier dernier, j'ai présenté un plan pour les années 2006-2007. Il retient les objectifs transversaux qui correspondent aux pratiques frauduleuses les plus rencontrées.
Dans le champ qui intéresse votre commission d'enquête, j'insisterai plus particulièrement sur deux types d'actions : d'une part, la lutte contre les prestations de services frauduleuses (le détachement irrégulier de salariés et la fausse sous-traitance étrangère) et, d'autre part, la lutte contre l'emploi d'étrangers sans titre. Ce sont les deux formes sous lesquelles peut se développer le recours illégal de l'emploi d'étrangers sur notre marché.
Parlons d'abord de la lutte contre les fraudes transnationales. Cela me renvoie au débat que nous avons eu il y a maintenant presque trois semaines avec la délégation pour l'Union européenne de votre assemblée, monsieur le président.
Je vous rappelle que la prestation de services fait intervenir une société étrangère avec ses propres salariés qu'elle détache en France pour remplir le service prévu. Il appartient donc aux autorités françaises de veiller à ce que cette prestation soit régulière. Si tel n'est pas le cas, nous serions en présence d'une immigration de travail temporaire irrégulière, bien sûr nocive pour nos systèmes sociaux, tirant la plupart du temps les salaires et les conditions de travail vers le bas et installant du dumping social.
Pour lutter contres les fraudes transnationales, il s'agit tout d'abord d'assurer la régularité du détachement des salariés par des prestataires étrangers afin que les règles de notre droit du travail soient respectées. La directive du 16 décembre 1996 prévoit que le droit du travail français doit être appliqué à ces salariés, en particulier les rémunérations qui ne doivent pas être inférieures au SMIC ou aux minima des conventions collectives en vigueur. Pour que tout cela soit parfaitement accessible à tous, nous avons complété et clarifié les règles du détachement dans la loi du 2 août 2005 en faveur des PME.
Les prestations de services peuvent aussi révéler -nous l'avons vu récemment encore- des problèmes de sous-traitance qu'il s'agit de régler. Nos services ont constaté des dérives qui favorisent le marchandage ou le prêt illicite de main d'oeuvre, ou encore la sous-traitance en cascade. Voilà pourquoi nous avons souhaité développer les chartes de bonnes pratiques, à l'image de celles que nous avons conclues avec le secteur professionnel du BTP.
Sur un chantier, par exemple, j'ai constaté que, sur un peu moins de 150 salariés (vous me pardonnerez mes chiffres approximatifs), il y avait 102 entreprises sous-traitantes différentes. Comment voulez-vous que nos services démêlent l'écheveau ?
La lutte contre l'emploi d'étrangers sans titre est le second volet de notre action dans le domaine du travail étranger illégal et c'est sans doute le point le plus important pour votre commission.
Les filières d'entrée et d'emploi irrégulier d'étrangers se sont structurées en Europe et dans notre pays. Ce développement est d'autant moins acceptable que les conditions d'emploi d'étrangers sans titre s'accompagnent de violations graves du droit du travail, dans la mesure où les personnes sont employées dans des conditions qui, très souvent, mettent en cause la dignité humaine, parfois très gravement. J'y reviendrai à l'occasion des questions.
A cet égard, je tiens à rappeler que, dans le cadre de l'interministérialité, le ministre de l'intérieur, qui était à l'époque Dominique de Villepin, le ministre de la défense et moi-même avons porté la mise en place de l'Office central de répression du travail illégal (OCLTI), structure de police judiciaire dédiée à la lutte contre le travail illégal, et introduit cette lutte dans les problématiques du Comité interministériel de contrôle de l'immigration (CICI). Il s'agit non seulement de mobiliser les services mais aussi de répondre aux problématiques posées par les fraudes transnationales et par les réseaux, contre lesquels lutte l'OCLTI qui, naturellement, travaille avec les autres offices de répression. C'est actuellement la gendarmerie qui en assure la coordination, en liaison avec les autres administrations et le ministère du travail.
La répression de l'infraction d'emploi de salariés étrangers sans titre représente 10 % de l'ensemble des infractions relevées, proportion assez stable depuis cinq ans, mais qui, pour nous, ne donne aucune indication sur la réalité du nombre d'immigrés clandestins présents sur notre territoire.
Il faut cependant souligner que cette infraction est présente de manière inégale suivant les secteurs. Pour l'année 2005 (dont je viens d'avoir les chiffres sous réserve des consolidations, puisque nous sommes à la mi-mars), l'estimation est de 15 % dans l'agriculture, de 8 % dans le bâtiment et les travaux publics et de 5 % dans l'hôtellerie, cafés et restauration, qui sont les secteurs que nous avions retenus en priorité, avec le spectacle vivant. Dans ces trois secteurs, à l'exception de celui du spectacle vivant, sévissent des pénuries de main d'oeuvre. Nous sommes donc sur des métiers en tension, avec un niveau de qualification faible et un niveau de pénibilité qui n'est pas négligeable.
En ce qui concerne les prestataires étrangers, le bilan annuel de la Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal (DILTI) relève que le nombre des entreprises étrangères non établies en France et contrôlées a été le suivant : 248 entreprises en 2004 et 562 en 2005 (c'est un chiffre estimé, mais l'objectif était la multiplication par deux et on en est à un coefficient multiplicateur de 2,3). L'objectif de 2006 est encore la multiplication par deux de ces contrôles.
Je dois dire que, dans ce domaine, nous bénéficions d'une bonne collaboration interministérielle et d'une bonne réactivité des services chargés de la mise en oeuvre des opérations de contrôle, chacun agissant dans le cadre de ses compétences. J'ai indiqué que l'inspection du travail n'est pas la police de l'air et des frontières et ai eu l'occasion de le rappeler, de manière très claire, récemment, lors de la présentation du plan de modernisation des moyens et des objectifs de l'inspection du travail.
Les opérations de grande envergure menées au cours du dernier trimestre 2005, dont nous avions demandé l'organisation sous l'autorité des préfets, nous paraissent avoir été positives. Il est encore trop tôt pour être en mesure d'exploiter les résultats des procès-verbaux réalisés à cette occasion, en raison du délai de transmission et d'analyse de ces données. Nous aurons le résultat de l'analyse dans quelques mois, mais nous reconduisons ces opérations en 2006 pour évaluer sur deux années leur impact statistique réel.
Sur 601 opérations, au cours desquelles 15.390 personnes ont été contrôlées, on a dénombré 786 travailleurs étrangers en situation irrégulière sur le plan du travail dont 609 l'étaient également sur le plan du séjour.
Vous comprendrez que ce n'est pas sur six mois que l'on peut juger un tel dispositif. Je vous livre les chiffres tels qu'ils sont, sans aller plus loin dans l'analyse parce qu'elle nécessite à la fois plus de temps et la répétition au moins sur la période de l'année 2006.
Par ailleurs, en termes d'exemplarité, je peux dire que les milieux professionnels concernés ont été coopératifs lors de ces opérations, dans la mesure où ils sont eux-mêmes très sensibles aux pratiques de travail illégal qui faussent la concurrence, et à effet dissuasif des sanctions à l'encontre de ceux qui ne respectent pas la réglementation.
Sans revenir sur toutes les initiatives prises depuis 2004 pour renforcer l'arsenal juridique et institutionnel dans ce domaine, je me permets d'insister sur le rôle des COLTI, les échelons stratégiques opérationnels au niveau des départements, qui sont placés sous l'autorité du procureur de la République assisté d'un secrétariat permanent (l'une de nos préoccupations est justement d'avoir un vrai secrétariat permanent car nous voyons bien que, dans les quelques endroits où il ne l'est pas, l'activité n'est pas de même qualité et de même niveau) et suffisamment diversifié, dans le cadre de l'interministérialité, pour coordonner l'action des différents corps de contrôle et accroître leur efficacité.
Je tiens à souligner également les progrès réalisés en matière de sanctions. De nouvelles dispositions renforcent les sanctions pénales et administratives relatives au travail illégal impliquant des étrangers :
- dans le cadre de la loi du 2 août 2005, un décret d'application qui est sorti le 23 février 2006 permet de refuser les aides publiques aux entreprises en infraction ;
- la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2006 prévoit le remboursement des exonérations de cotisations sociales dans ce cadre ;
- la circulaire interministérielle du 9 décembre 2005, qui a été préparée par la direction de la population et des migrations, rappelle tout l'intérêt de mettre en recouvrement la contribution spéciale qui est une pénalité financière particulièrement dissuasive en matière d'emploi d'étrangers sans titre de travail ;
- avec le ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, mon ministère a été associé à la préparation d'un décret permettant de demander aux employeurs d'étrangers sans titre de séjour et de travail une participation financière forfaitaire aux frais de réacheminement des intéressés dans leur pays.
Nous disposerons ainsi d'un éventail de sanctions administratives dont la rapidité d'application et l'effet de dissuasion s'ajouteront à l'arsenal des sanctions pénales, dont la mise en oeuvre pratique est jugée insuffisante.
Par ailleurs, je vous rappelle que, dans le cadre du plan de modernisation de l'inspection du travail, comme cela a été demandé d'ailleurs à l'occasion des rapports conduits par Jean Bessière et la mission de Jacques Rapoport, nous insistons sur le suivi de ces affaires par le ministère de la justice.
J'ai parlé d'outils de contrôle et d'outils de répression. Si nous voulons freiner l'immigration illégale, il faut aussi agir sur ses causes profondes.
Dans cette optique, une immigration choisie et maîtrisée qui participe au plus grand dynamisme de notre pays et remplit les besoins des entreprises est susceptible de freiner l'appel d'air sur l'immigration illégale.
Ma responsabilité première est de tout mettre en oeuvre pour faire fonctionner le plus harmonieusement possible notre marché du travail et pour faire retourner vers ces fractions du marché du travail en tension des catégories aujourd'hui exclues de l'emploi. Or les secteurs où le travail illégal est le plus présent sont aussi ceux qui rencontrent des pénuries de main d'oeuvre, ce qui rend nécessaires des politiques adaptées pour y attirer et former les jeunes dont le taux de chômage est le plus élevé, notamment dans les quartiers qui connaissent de grandes difficultés. Il faut donc que nous mobilisions notre main d'oeuvre disponible, en particulier sur des secteurs en pénurie qui, du fait de cette pénurie, attirent la main d'oeuvre illégale ou des prestataires irréguliers.
Ces objectifs de politique de l'emploi ne sont pas incompatibles avec le recours à une politique d'immigration choisie, mais, au contraire, celle-ci, en répondant aux besoins en recrutement de certains secteurs sous tension, évite les goulets d'étranglement qui ralentissent leur activité, donc la croissance globale de l'économie et, en fin de compte, l'emploi.
Cette analyse fonde les dispositions du projet de loi sur l'immigration et l'intégration. Ainsi, l'assouplissement du marché du travail aux travailleurs étrangers, tel qu'il est envisagé, doit profiter d'abord aux secteurs économiques qui connaissent des difficultés de recrutement.
C'est la raison d'être des modifications prévues par le cadre juridique de l'immigration pour motifs professionnels, au travers notamment du projet de création de titres de séjour nouveaux :
- la carte de séjour pluriannuelle qui sera accordée aux personnes qui, du fait de leurs talents et de leurs compétences, sont susceptibles de participer au développement de l'économie ou au rayonnement culturel de la France ;
- l'accès au marché du travail des étudiants étrangers à haut potentiel qui sera facilité dans le respect de l'intérêt de leur pays d'origine.
Parallèlement, je vous rappelle que le Gouvernement s'est prononcé, lors du comité interministériel du 13 mars, pour une ouverture maîtrisée et progressive de l'accès à notre marché du travail des ressortissants des nouveaux Etats membres de l'Union européenne. J'indique, à cet égard, que le rapport réalisé par la Commission européenne à ce sujet conclut au renforcement du travail illégal dans les Etats membres qui sont trop restrictifs. Ces analyses méritent d'être prises en compte. C'était d'ailleurs l'objet du Conseil des ministres de l'emploi qui a eu lieu vendredi dernier à Bruxelles et auquel j'ai participé.
Au-delà de la mise en place d'une immigration de travail maîtrisée, j'ai bien conscience que l'action contre les grands déséquilibres mondiaux et en faveur du développement des pays qui connaissent une émigration forte est le meilleur garant contre les flux migratoires incontrôlés. Dans ce cadre, nous poursuivons un dialogue, notamment avec les pays de l'arc méditerranéen, comme l'illustre la conférence du dialogue 5 + 5 qui s'est tenue à Paris les 9 et 10 novembre dernier et qui réunissait les ministres du travail et des affaires sociales des cinq pays de l'Union européenne placés sur l'arc méditerranéen et de cinq pays d'Afrique du nord pour examiner la question des migrations en Méditerranée occidentale.
Bien que n'étant pas méditerranéenne, la Mauritanie a été associée à cette conférence dans la mesure où elle est un pays de transit vers la Méditerranée. Vendredi dernier, les autorités espagnoles m'ont indiqué qu'après les phénomènes de Ceuta et de Mellila, c'est aujourd'hui en Mauritanie que se trouvent bon nombre de ceux qui avaient tenté, à Ceuta et Mellila, d'entrer dans l'espace de l'Union européenne.
Cette conférence a examiné les questions de gestion des flux et de contrôle du travail illégal, mais aussi de co-développement. Nous nous retrouverons sur ce sujet dans quelques mois pour évoquer un certain nombre de propositions, parce que les pays de l'arc méditerranéen, notamment, ne sont pas que des pays émetteurs d'émigration mais des pays traversés et recevant parfois cette immigration.
Voilà les points que je tenais à souligner, monsieur le président. Je vous prie de me pardonner d'avoir été un peu long, mais vous constaterez que ce sont des sujets qui, au ministère du travail et de l'emploi, ne sont pas connexes. Ils ont une dimension européenne et parfois mondiale parce que, au travers des prestataires de services, un certain nombre de salariés viennent non pas des Vingt-cinq mais d'un certain nombre d'autres pays et peuvent être détachés par des entreprises prestataires de services du fait de l'application de la directive de 1996.
M. Bernard Frimat, président .- Merci, monsieur le ministre.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Je vous remercie, monsieur le ministre, de l'intervention que vous venez de faire et de ce que vous avez dit. Pour débuter, j'aurai deux questions à vous poser.
La première relève d'un constat que la commission a pu faire : dans le cadre du contrôle du travail clandestin, les services de l'inspection du travail font ce qu'ils doivent faire, notamment régulariser la situation des salariés sur le plan social, mais avez-vous des éléments sur les suites judiciaires données à ces contrôles ? Je pose cette question parce que nous avons eu le sentiment qu'une fois que l'aspect social était réglé, l'aspect judiciaire, notamment pénal, ne l'était pas. Nous souhaiterions donc avoir quelques éclaircissements de votre part sur ce point.
Ma deuxième question concerne les travailleurs saisonniers, en particulier dans le domaine de l'agriculture. On nous dit qu'il serait nécessaire d'établir un visa un peu particulier pour eux, de telle sorte qu'ils puissent venir travailler sur le territoire, repartir dans leur pays d'origine et être assurés de pouvoir revenir la saison suivante. C'est en effet l'un des éléments générateurs d'immigration illégale sur notre territoire.
M. Gérard Larcher .- Sur notre activité, d'une manière générale, nous avons 6 200 procès-verbaux par an. Combien sont-ils suivis par la justice ? Je ne suis pas en mesure de vous le dire, mais nous pourrons vous transmettre ces éléments. Au-delà des chiffres, je tiens à vous faire part de notre préoccupation, qui n'est pas seulement celle de l'inspection du travail. En effet, il faut bien mesurer que nous sommes dans un travail d'interministérialité. Je parle ici de mémoire, mais le premier agent de constatation en matière de travail illégal est la gendarmerie, le deuxième est l'inspection du travail et viennent ensuite les URSSAF, la police et le service des douanes.
La préoccupation qui est partagée par tous porte sur la nécessaire traçabilité de ce qui se passe au niveau du ministère de la justice. L'un des intérêts de la remise en route des travaux de la commission est de travailler dans l'interministérialité. La chancellerie est aujourd'hui réellement un partenaire (il y a des magistrats à l'intérieur de la DILTI) et il faut souligner toute l'importance des COLTI sur le terrain et tout l'intérêt d'avoir des indicateurs de suivi. C'est ce que nous avons demandé et le ministère de la justice s'est engagé, à l'occasion de la dernière réunion, le 26 janvier, à assurer cette traçabilité du suivi.
En effet, au-delà de la juste sanction qui doit être prononcée, l'effet pédagogique de la sanction est extrêmement fort, d'autant plus que les branches professionnelles sont aujourd'hui de vrais collaborateurs. Avec les secteurs du BTP et du déménagement, par exemple, nous avons établi un ensemble de bonnes pratiques et de coopérations qui fait l'objet de documents et qui met tout le monde en garde dans les entreprises.
Nous n'avons donc pas aujourd'hui un corps d'inspection qui serait en conflit avec les entreprises. Les entreprises qui respectent la loi, les accords professionnels et les règlements ont tout intérêt à ce que le dumping social n'introduise pas des distorsions de concurrence.
Cela me permet d'évoquer un problème que j'ai peu développé et qui fait partie de la directive de 1996.
M. Bernard Frimat, président .- Les détachements ?
M. Gérard Larcher .- Exactement. Comme on doit continuer à payer les cotisations sociales à l'organisme de sécurité sociale du pays d'origine, cela crée une distorsion, parce que cela coûte en général plutôt moins cher. Certes, c'est le SMIC français qui s'applique mais sur la partie sociale, les coûts sont inférieurs, d'où l'importance de revoir, dans le cadre des directives « services » un certain nombre de conditions d'applications.
J'en viens au sujet des saisonniers. Je vais vous donner deux chiffres très intéressants, qu'il faudra demander à M. Butor de vous confirmer : ceux du Languedoc-Roussillon et de la vallée du Rhône, chiffres que vous retrouverez dans le débat que nous avons eu dans le cadre de la libre circulation des travailleurs au sein de l'Union européenne, il y a trois semaines. Il y a quelques années, dans le secteur de l'agriculture, qui correspond à l'essentiel du travail saisonnier, nous avions 16.000 travailleurs saisonniers (ce sont des chiffres arrondis) dont la quasi-totalité provenait d'Afrique du nord. Aujourd'hui, 50 % proviennent d'Europe centrale et orientale et, dans les dispositions qui ont été arrêtées lundi dernier et qui restent à traduire sur le papier, c'est naturellement une forme de préférence communautaire qui est appliquée.
Par ailleurs, alors que l'on constate que ces travailleurs saisonniers repartent, je vous rappelle que, dans le projet de loi sur l'immigration et l'intégration, le visa pluriannuel est proposé pour les saisonniers.
Nous avons également mené d'autres réflexions sur les saisonniers en nous penchant notamment sur les distorsions de concurrence à l'égard des saisonniers polonais entre ceux qui se trouvent en République fédérale d'Allemagne et ceux qui se trouvent en région Alsace. En effet, du fait de l'application d'accords antérieurs qui datent de l'époque de la RDA, le saisonnier polonais dans le pays de Bade coûte beaucoup moins cher que celui qui se trouve en Alsace, ce qui introduit des distorsions de concurrence, par exemple dans le maraîchage, entre l'ouest et l'est du Rhin. Nous sommes peut-être loin des préoccupations de votre commission d'enquête, mais cela fait partie des réalités et du vécu et je tenais à vous le signaler.
Mme Alima Boumediene-Thiery .- Monsieur le ministre, j'ai écouté attentivement votre exposé et j'aimerais revenir sur trois points que vous avez évoqués.
Tout d'abord, vous nous avez dit, en ce qui concerne la répression, que la sanction prévue envers les donneurs d'ordre était supérieure lorsque des travailleurs étrangers étaient impliqués. Cela m'étonne un peu parce que, d'une part, d'autres personnes, dans d'autres auditions, nous ont dit que le travail illégal était plus souvent le fait de personnes en situation régulière que de personnes en situation irrégulière et que, d'autre part, un travailleur illégal en reste un, qu'il soit avec ou sans papiers. J'ai donc du mal à comprendre pourquoi il y a cette différence, à moins que j'aie mal compris vos propos.
Ensuite, vous avez parlé d'un accès facilité pour les travailleurs membres de l'Union européenne, une mesure qui obéit à une directive européenne et qui suit certains calendriers puisque, même pour les nouveaux pays arrivant, le calendrier est progressif dans l'accès à la liberté de circulation puis à la liberté d'installation et de travail.
Une directive a aussi été votée en mai 2004 sur l'accès au marché du travail et la liberté de séjour et d'installation des personnes non membres de l'Union européenne mais y résidant régulièrement. Ces personnes seront-elles prises en compte dans ce projet de loi dont vous viendrez nous parler en temps utile ou bien continueront-elles à vivre une situation différente, alors que ce sont des résidants réguliers qui risquent de se retrouver irréguliers lorsqu'ils changent d'Etat européen ? Il est possible qu'une personne en situation régulière en Belgique qui vient travailler en France soit irrégulière parce que son autorisation lui permet de travailler en Belgique, mais non pas en France. Vous voyez la complication que cela pose.
J'ai un troisième point. N'y voyez pas de polémique particulière, mais j'essaie de comprendre les choses. Vous nous avez dit qu'il fallait « freiner l'appel d'air et faire revenir à l'emploi les personnes exclues de l'emploi, notamment celles qui sont issues des quartiers difficiles » et vous avez récemment déclaré dans la presse que « l'une des causes de la discrimination raciale sur le marché du travail qui rendait les employeurs réticents à embaucher des jeunes venant de ces quartiers difficiles était la polygamie ». Je ne fais que lire les déclarations qu'on m'a données.
J'aimerais savoir si c'est la polygamie ou les sans-papiers qui l'empêchent ou s'il n'y a pas plutôt d'autres raisons, notamment la recherche du profit par les entreprises. A mon sens, il vaudrait mieux voir la réalité en face que d'essayer de trouver des excuses.
Voilà les trois points sur lesquels je souhaitais intervenir.
M. Gérard Larcher .- Pour le travailleur en situation irrégulière, je vous rappelle que l'amende est de 15.000 euros par personne et qu'elle est de 45 000 euros pour l'ensemble de l'entreprise. Cela vous montre qu'une forte pénalisation est possible. Dans une entreprise qui a, comme je l'ai vu récemment, 17 situations de travailleurs irréguliers, cela veut dire qu'il faut multiplier 17 par 15.000, sans compter les contributions ANAEM. Vous voyez donc que c'est bien prévu. C'est la première de mes réponses.
Sur les résidents réguliers, vous abordez la question de la liberté de circulation...
Mme Alima Boumediene-Thiery .- ...et d'installation...
M. Gérard Larcher .- ...à l'intérieur de l'Union européenne. Si le principe de la liberté de circulation a été arrêté lundi, il n'est pas encore détaillé et nous avons jusqu'au 30 avril pour remettre nos propositions à la Commission. C'est donc un sujet que nous essaierons d'aborder d'ici là, sachant que nous allons nous retrouver dans des situations de plus en plus complexes, dans la mesure où seules l'Autriche, l'Allemagne et la Belgique vont avoir des restrictions à la liberté de circulation.
Quant à la liberté d'installation, c'est un sujet qui ne relève pas du ministère du travail.
Mme Alima Boumediene-Thiery .- J'ai évoqué ce point parce que le droit du travail est compris dans la liberté d'installation.
M. Gérard Larcher .- Naturellement, mais c'est la direction des populations et des migrations qui décide la liberté d'installation à laquelle est lié le droit du travail.
Sur le troisième point, je vous renvoie à une lecture plus attentive du script de l'interview que j'ai donnée à Radio Monte-Carlo, que je vous adresserai, dans lequel je faisais état de bien d'autres facteurs. J'avais simplement cité ce qui avait été dit par un certain nombre de préfets, mais je n'ai jamais dit que la polygamie est un facteur de non-emploi. Je sais ce que j'ai raconté au journaliste de Radio Monte-Carlo au travers de discussions à bâtons rompus. Le Herald Tribune avait d'ailleurs retenu tout autre chose de l'entretien que j'avais eu avec les journaux étrangers. Je vous renverrai donc le script de cette interview.
Le vrai sujet qui est posé, c'est que des enfants et des jeunes qui n'ont pas de références familiales et qui sont en rupture scolaire, qu'ils soient issus de familles monogames ou monoparentales ou de structures familiales classiques, connaissent des difficultés d'entrée, ce qui nous renvoie au débat sur la filière professionnelle, l'orientation précoce et ces réalités dont nous avons discuté pendant un certain nombre d'heures dans cette assemblée.
M. Christian Demuynck .- Monsieur le ministre, je souhaitais vous interroger sur la circulaire que vous avez fait parvenir aux préfets suite à la réunion interministérielle de juillet 2005, mais vous avez déjà très largement répondu sur ce point et j'ai entendu les informations que vous nous avez données, en parlant de 601 opérations au cours desquelles on avait relevé 786 travailleurs en situation irrégulière sur le plan du travail et 609 sur le plan du séjour.
Vous avez évoqué aussi dans votre propos l'exemplarité de ces mesures. Pourriez-vous en dire quelques mots ? Après ces contrôles multiples qui ont été engagés depuis juillet 2005, y a-t-il moins de constatations effectuées par les fonctionnaires et pouvez-vous nous dire si l'exemplarité fonctionne ?
M. Gérard Larcher .- Très sincèrement, je ne peux pas encore vous dire que l'exemplarité fonctionne, même si j'ai plaidé tout à l'heure en ce sens. Je sais simplement ce que les préfets attendent de la justice sur l'aspect de l'exemplarité. C'est une demande forte de leur part.
Parmi les réseaux dont nous avons à connaître dans le cadre des actions que nous menons et que nous devons encore approfondir, je souhaite évoquer la situation d'un certain nombre de réseaux d'origine asiatique qui imposent des droits d'entrée et un rapport au travail qui s'apparente au travail forcé et à des formes qui ne sont pas éloignées de l'esclavage. C'est un sujet qui relève plus du ministère de l'intérieur et du ministère de la justice, mais vous imaginez toutes les infractions au travail que cela implique. J'ai le souvenir d'un dossier particulièrement lourd de la région Provence Alpes Côte d'Azur qui impliquait à la fois des travailleurs en situation irrégulière et beaucoup de situations d'enfants, de « travailleurs » de moins de 15 ans, de moins de 14 ans, voire de moins de 13 ans, le tout dans des conditions de logement et de travail inacceptables.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Je reste sur les filières, monsieur le ministre. Pourrait-on dire qu'elles sont à peu près connues, identifiées ou ciblées par métier, par origine de pays ou, carrément, par système mafieux ? Comment les choses s'organisent-elles ?
M. Gérard Larcher .- L'Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) a été créé pour s'adapter à des systèmes de fraude qui ne cessent de changer. A chaque fois que l'on réussit à briser un système qui s'organise, il s'en monte un autre. L'un des grands intérêts de l'OCLTI est donc d'avoir des outils à la hauteur des enjeux et d'être un instrument de coordination.
Cela dit, je voudrais insister sur quelques points qui touchent à ces sujets : les accords bilatéraux que nous sommes en train de signer avec un certain nombre de pays en matière de lutte contre le travail illégal et la procédure de déclaration préalable au détachement. En effet, nous souhaitons établir des règles de procédure en matière de déclarations préalables qui soient compréhensibles par nos services de contrôle.
Dans la préparation du plan de modernisation de l'inspection, j'ai constaté, en allant sur le terrain, que des documents arrivaient dans une préfecture dans une langue qui n'était souvent pas comprise par beaucoup de gens à l'intérieur du territoire de cette préfecture, n'avaient aucune référence compréhensible et faisaient état d'indications de versements financiers difficiles à suivre. En effet, quand on nous dit que les salaires sont versés dans tel ou tel organisme bancaire, il faut que nous mettions en place le contrôle, y compris par l'intermédiaire de nos relations bilatérales, du salaire réellement versé.
Cela a été le cas de la Pologne. Au cours de l'été dernier, par exemple, sur les chantiers de Saint-Nazaire, que Mme Gautier connaît bien, nous avons dû prendre l'attache de banques polonaises pour savoir si les salariés étaient dûment payés et si cela correspondait bien aux comptes qui étaient indiqués.
Cela montre que la solution se trouve non seulement dans les accords bilatéraux à l'intérieur de l'Union européenne, mais aussi dans l'approfondissement de nos relations avec un certain nombre de pays. C'est l'intérêt de la Conférence 5+5. Que faisons-nous avec le Maroc, l'Algérie, la Mauritanie et la Libye, qui est un fort pays émetteur, comment coopérons-nous avec l'Espagne, l'Italie et la Grèce, des pays qui reçoivent énormément de population en situation irrégulière à l'intérieur de l'arc méditerranéen et comment mettons-nous en place cet ensemble de procédures ?
Voilà pourquoi, à l'occasion de la réunion interministérielle, il nous a été demandé d'accélérer les accords bilatéraux. J'ai travaillé notamment avec les pays du groupe de Visegrad, actuellement présidé par la Hongrie, à la préparation de ces accords et la DILTI a travaillé avec la Pologne. La Hongrie, qui est sans doute le pays le plus sensible au droit du travail des pays du groupe de Visegrad et qui a une tradition sociale d'ordre public me semble aujourd'hui pouvoir porter un travail et une collaboration extrêmement fructueux. J'ai rencontré vendredi le ministre hongrois pour établir des accords bilatéraux, avant la fin de l'année 2006, et les procédures de déclaration préalable. Autrement dit, même si le sujet qui est le vôtre va bien au-delà de l'Union européenne, vous voyez que c'est une bonne collaboration à l'intérieur des pays de l'Union européenne qui nous permet de maîtriser les choses.
Il me reste à donner à Mme Boumediene-Thiery une dernière information que je viens d'obtenir de mes services, au sujet de la carte de séjour temporaire portant la mention de l'activité professionnelle pour laquelle la personne a obtenu l'autorisation préalablement requise en vertu de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cela nous renvoie à la directive sur la résidence de longue durée que nous devrions transposer dans le projet de loi sur l'immigration et l'intégration. J'aurai répondu ainsi à la totalité de votre question.
Mme Gisèle Gautier .- J'ai une dernière question à vous poser, monsieur le ministre. Dans le cadre des déplacements que nous avons faits en Guyane dans le cadre de notre commission d'enquête sur l'immigration clandestine, nous avons auditionné beaucoup de personnes et de personnalités, notamment un haut fonctionnaire, qui nous a dit sans ambages (cela nous a heurtés profondément) qu'il ne connaissait personne du pays, quelles que soient ses fonctions ou ses responsabilités, qui ne faisait travailler un jardinier haïtien pour tondre ses pelouses ou une femme de ménage surinamienne, sans les déclarer, bien sûr, à un prix tout à fait dérisoire, ce qui est vraiment choquant.
Quelles mesures pouvons-nous imaginer de prendre pour faire en sorte que ces hauts fonctionnaires servent au moins d'exemple ? Outre-mer, c'est apparemment une pratique courante.
M. Bernard Frimat, président .- Cela rejoint la première question qu'a posée le rapporteur et je comptais effectivement demander au ministre d'y revenir en guise de conclusion. Nous avons eu en effet le sentiment d'une certaine accoutumance locale à l'existence ordinaire d'un travail clandestin, ce qui rejoint la question que posait initialement le rapporteur sur la réelle volonté exprimée par le ministère de la justice d'aller au-delà de la simple régularisation des dettes sociales que vous évoquiez au début. Je parle sous le contrôle du rapporteur, mais on nous a donné des exemples d'infractions, que je qualifierai de « majestueuses », au droit du travail dont se rendent coupables les entreprises sur des nombres très importants de personnes et qui ont entraîné bien évidemment la régularisation des dettes sociales, suivie, dans un délai relativement court, d'un classement sans suite. Cela nous avait fort interpellés, de la même façon que l'anecdote que ma collègue vient de rappeler.
M. Gérard Larcher .- Je commencerai par rappeler que la loi de la République s'applique dans le département de la Guyane comme dans les Yvelines.
Ensuite, on ne peut pas ignorer des situations particulières. Je vous rappelle que, pour Mayotte, le projet de loi sur l'immigration et l'intégration propose que l'inspection du travail puisse pénétrer dans les domiciles. N'est-ce pas la voie à suivre pour combattre des situations exceptionnelles ?
Enfin, ce n'est évidemment pas acceptable en tant que tel, mais cela nous renvoie à la première question : le ministère de la justice doit être saisi et c'est tout l'intérêt de la remise en route, depuis le mois de juin 2004, de cette fameuse commission interministérielle. Nous nous confrontons à tout cela et, naturellement, le rapport que vous allez établir fait partie des éléments que nous allons transmettre aux membres de la commission. Les observations que vous ferez seront donc importantes. Comme j'ai eu l'occasion de le dire sur un tout autre sujet devant la commission d'enquête sur l'amiante de l'Assemblée nationale, ce sont des éléments dont nous allons discuter, parce qu'il est vrai que la vitesse de traitement de ce type de dossier, sans porter de jugement, peut jouer un rôle en matière d'exemplarité.
Par ailleurs, mes services me rappellent que le chèque emploi-service universel devrait nous permettre de limiter le recours au travail non déclaré et que la jurisprudence récente à Mayotte s'est également durcie, puisqu'il a été prononcé plusieurs mois d'emprisonnement pour un emploi d'étranger en situation irrégulière.
En tout cas, ce que vous allez nous dire a pour nous une grande importance et je puis vous assurer qu'après la publication de votre rapport, je ne manquerai pas de vous rendre compte de la transmission qui en aura été faite à la commission qui se réunira sur ce sujet. Mes collaborateurs qui suivent les travaux de la commission ont bien enregistré ce que je viens de dire de la manière la plus officielle.
M. Bernard Frimat, président .- Merci, monsieur le ministre. Une dernière question, monsieur le rapporteur ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Ce sera plus une observation qu'une question. Il apparaît que, notamment pour l'outre-mer, les services de l'inspection du travail que nous avons rencontrés sont déterminés mais qu'ils ont besoin -c'est en tout cas ce que je préconiserai dans le rapport- de disposer de moyens renforcés, notamment en termes humains et non pas seulement matériels, compte tenu aussi des problèmes de déplacement, sur lesquels je ne reviens pas en détail. Nous avons vu des gens prêts à faire leur travail, mais aussi un peu débordés par la tâche.
M. Gérard Larcher .- Cela me renvoie au renforcement des moyens de l'inspection que j'ai annoncé en fonction d'opérations ciblées, mais aussi de la nécessité de définir des politiques nationales et, en même temps, des politiques qui sont déterminées au plan régional ou par secteur d'activité.
C'est l'un des objectifs que nous avons, dans le respect du principe de l'indépendance de l'inspection du travail, posé par la convention 81 de l'Organisation internationale du travail. Je vous rappelle en effet que l'inspection n'obéit pas aux préfets et qu'elle a sa part d'indépendance.
Pourquoi une déclinaison régionale ? Parce que nous voyons bien qu'on ne peut pas traiter la collectivité de Mayotte ou de la Guyane de la même manière que d'autres départements, sans en citer un en particulier pour éviter de faire de la discrimination. Par conséquent, en fonction des ciblages et des priorités, mais aussi en fonction des projets, nous avons prévu d'affecter les moyens, à partir de cette année, autour d'un certain nombre de priorités qui seront déterminées à la fois au plan national et au plan régional.
Parmi celles-ci, il peut y avoir tout à fait celles que vous venez de décrire. Je vous rappelle en effet que, pour 2006, nous avons prévu de mettre au concours 100 postes d'inspecteurs du travail et 131 postes de contrôleur du travail et que nous allons créer 700 postes en plus entre 2007 et 2010. Aujourd'hui, nous avons 1.367 inspecteurs et contrôleurs du travail en poste et nous allons augmenter les effectifs de 50 %.
Nous allons également élargir la formation puisqu'il se pose aussi des questions de formation. En effet, on ne peut pas être formé tout à fait de la même manière entre la formation initiale et la formation permanente, parce que les situations ne sont pas les mêmes. Dans certains lieux, la situation des travailleurs transfrontaliers nécessite de faire des contrôles, toutes nos frontières n'étant pas dans l'Union européenne, même si ceci est très limité. Nous avons donc réellement une volonté à cet égard.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le rapporteur et mesdames et messieurs les sénateurs, je tiens à vous dire que la politique du travail est une vraie priorité du ministère, qu'il s'agisse de la politique de la santé au travail, de la lutte contre le travail illégal ou du respect des normes sociales.
Dans quelques instants, je vais avoir l'occasion de rendre compte de l'enquête Sumer sur l'état de la santé au travail. Nous voyons bien que l'un des problèmes des illégaux, c'est qu'ils sont exploités dans des conditions qui aggravent leur exposition aux risques de manière majeure, en dehors même des conditions sociales d'insécurité qui leur sont faites. Quand nous découvrons que, dans telle activité clandestine, ils sont exposés aux produits les plus nocifs sans avoir reçu de formation, sans s'être protégés et sans avoir été incités à le faire, nous sommes devant la pire des situations.
C'est pourquoi, je vous le rappelle, l'inspection du travail n'est pas la police de l'air et des frontières ni une police de l'immigration. Sa priorité, naturellement, est de lutter contre le travail illégal, qu'elle qu'en soit la forme, et c'est autour de cela que le ministère du travail et de l'emploi est totalement engagé. Le projet de loi qui sera examiné par le Parlement dans les semaines qui viennent, et dont vous pouvez constater qu'une partie procède à la transposition de directives européennes, traite de questions comme la saisonnalité, un sujet que nous avons abordé tout à l'heure, avec l'idée en même temps d'élaborer une politique d'immigration du travail, car il ne faut pas oublier que ce sont les étrangers en situation régulière, avec les seniors et les jeunes, qui sont les plus frappés par le chômage et les difficultés liées à l'absence d'emploi.
M. Bernard Frimat, président .- Monsieur le ministre, je vous remercie de cette audition.