Audition de Mme Catherine VAUTRIN,
ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité
(15 mars 2006)

Présidence de M. Bernard FRIMAT, vice-président

M. Bernard Frimat, président .- Madame la ministre, je vous remercie d'avoir accepté d'être entendue par notre commission d'enquête qui tient aujourd'hui sa dernière séance d'auditions.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Catherine Vautrin prête serment.

M. Bernard Frimat, président .- Madame la ministre, je vous donne la parole.

Mme Catherine Vautrin .- Merci de votre accueil, monsieur le président.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, nous savons tous que la définition des règles d'entrée et de séjour sur le territoire est un élément important et fondamental de la souveraineté d'un pays. L'ouverture croissante des Etats, les inégalités de richesse à travers le monde et le développement des moyens de transport ont engendré une forte immigration clandestine qui présente un certain nombre de difficultés pour notre cohésion sociale et nationale.

Notre Gouvernement s'attache à renforcer la lutte contre l'immigration clandestine, qui est un sujet que nous souhaitons tous aborder clairement et sans tabou. La constitution d'une commission d'enquête sur ce sujet par votre assemblée est d'ailleurs une marque de cette volonté.

A titre liminaire, je vous rappelle que la lutte contre l'immigration clandestine n'entre pas, comme vous le savez, dans mes attributions, à l'exception des dispositifs d'aide au retour qui constituent une alternative à la reconduite à la frontière. Cependant, ce sujet a un double impact sur les politiques qui relèvent de mes compétences.

Il a tout d'abord un impact sur le dispositif d'accueil et d'hébergement du fait de la mise à l'abri des personnes, notamment des familles, dont un certain nombre, je le mesure parfaitement, sont en situation irrégulière, pour des raisons humanitaires.

Il a aussi un impact sur l'efficacité de la politique que le Gouvernement mène en matière d'intégration. En effet, qu'on le veuille ou non, cette immigration clandestine entretien dans une partie de l'opinion une suspicion permanente et des amalgames à l'égard des étrangers en situation régulière, ce qui nuit à leur bonne intégration.

Après ces remarques préliminaires, je tiens à évoquer devant vous les réflexions et les réformes que nous avons engagées depuis 2003 en ce qui concerne la politique d'asile dans notre pays et, surtout, vous présenter les grandes lignes de notre politique d'intégration, à laquelle je suis particulièrement attachée.

Beaucoup de demandeurs d'asile viennent en France, qui totalise environ 18 % de l'ensemble des demandes d'asile enregistrées dans les pays de l'OCDE. Toutefois, les flux se réduisent un peu -ils ont diminué d'environ 10% en 2005- mais de façon limitée par rapport à d'autres pays européens.

Je vous livre un chiffre très encourageant : celui de janvier et février 2006, qui traduit une baisse de 24 % de la demande par rapport à janvier et février 2005. Cette baisse est à porter au crédit de notre réforme ambitieuse de l'asile de 2003, qui a associé le ministère que j'ai l'honneur de diriger à ceux des affaires étrangères et de l'intérieur.

Notre premier objectif a été d'accélérer la procédure d'instruction des demandes d'asile dans le respect de la Convention de Genève, aussi bien dans l'intérêt des réfugiés que pour dissuader ceux qui voudraient en abuser pour se maintenir sur le territoire national. Il était en effet inacceptable, pour des familles, d'attendre jusqu'à deux ou trois ans une réponse à leur demande d'asile, et nous connaissons tous, sur le terrain, la conséquence de ce type de situation : l'installation de familles sur notre territoire, parfois la naissance d'enfants.

Le délai d'instruction d'une demande d'asile est passé de vingt-quatre mois à six ou sept mois dans le courant du premier semestre 2006.

En ce qui concerne l'instruction par l'OFPRA, son délai moyen est désormais de deux à trois mois contre six à douze mois il y a deux ans, grâce aux moyens supplémentaires que nous avons alloués à l'Office dès 2003.

Il paraît sans doute très difficile de descendre en dessous de deux mois, car les personnes sont convoquées à un entretien, il est souvent nécessaire de prévoir un interprète et il faut une certaine organisation matérielle. Mais il reste que, par rapport à un délai d'un an, le progrès est important.

Quant à la Commission des recours des réfugiés (CRR), devant laquelle sont portés les recours, c'est une juridiction qui organise de façon indépendante son mode de fonctionnement et de décision. Nous lui avons accordé des moyens supplémentaires importants en 2005 qui lui ont permis de recruter 125 contractuels en qualité de rapporteurs et le délai d'instruction a pu être ramené à cinq mois. Il sera plus difficile de le réduire davantage.

En ce qui concerne la prise en charge des demandeurs d'asile, des efforts importants et structurants, complétés par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005, ont permis un développement qualitatif et quantitatif de l'offre d'hébergement dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA). A cet égard, je voudrais faire le point sur l'évolution de l'offre d'hébergement.

9 000 places de CADA ont été créées depuis 2002, portant ainsi leur nombre à 17 500 places. A ce jour, tous les départements, à l'exception de la Corse, disposent d'au moins un CADA. 2 000 places supplémentaires seront créées en 2006, soit 1 000 de plus que ce qui était prévu dans le plan de cohésion sociale.

Nous accélérons le développement des CADA parce que nous pensons que ces centres constituent un mode d'hébergement tout à fait approprié aux demandeurs d'asile, car ils leur offrent, d'une part, un accompagnement et un suivi social adaptés à leur situation et, d'autre part, ils permettent un meilleur suivi des personnes hébergées. Deux tiers des personnes en CADA voient leur demande d'asile acceptée alors que 84 % du total des demandes d'asile font l'objet d'un rejet définitif.

Néanmoins, malgré les efforts conséquents du Gouvernement, la capacité totale de l'ensemble des CADA ne permet pas d'y héberger tous les demandeurs d'asile. Pour faire face à la demande, nous avons donc été conduits à développer des structures d'hébergement d'urgence. A ce jour, on dénombre plus de 35 000 places d'hébergement spécifiques dédiées à ce public et les demandeurs d'asile qui ne sont pas hébergés en CADA bénéficient d'une allocation financière : l'allocation temporaire d'attente.

A ce stade, mesdames et messieurs les Sénateurs, je tiens à vous préciser que le Gouvernement a décidé de priver du bénéfice de cette allocation les demandeurs d'asile qui auraient refusé une proposition d'hébergement accompagné en CADA. La priorité du Gouvernement est en effet l'hébergement en CADA, et il est extrêmement important pour nous de faire le nécessaire pour que les demandeurs d'asile en bénéficient dans la mesure où ils offrent, je répète, des possibilités d'accompagnement très importantes.

Nous avons pris cette disposition parce qu'elle prend acte de pratiques que nous avons vu se développer et qui conduisaient à ce que des demandeurs d'asile hébergés en hôtel, par exemple, dans des conditions coûteuses pour la collectivité et, surtout, peu adaptées à la situation supposée des intéressés, refusent les propositions d'hébergement en CADA qui leur ont été faites parce qu'ils considèrent qu'ils n'ont pas la même liberté.

Quant aux publics accueillis en CADA, il faut savoir qu'environ 40 % ne sont plus des demandeurs d'asile : 18 % sont des déboutés de l'asile et 22 % sont des réfugiés.

Là aussi, nous voyons bien la nécessité d'assurer une plus grande fluidité dans la gestion du dispositif afin de réduire le taux des publics déboutés de l'asile ou réfugiés présents dans les CADA, avec pour objectif de limiter ces publics à 20-25 % du total au lieu des 40 % actuels. J'ai demandé que l'on mette en place des tableaux de bord trimestriels de suivi de ces publics, ce qui est à mon avis le seul moyen d'avoir une réelle lisibilité de l'évolution. Nous travaillons d'ailleurs actuellement à des outils de contractualisation avec les CADA pour faciliter la mise en oeuvre de ces objectifs.

La sortie des réfugiés passe par la mobilisation des dispositifs d'accès au logement, et, le cas échéant, le recours à des solutions intermédiaires dans d'autres dispositifs, résidences hôtelières, centres provisoires d'hébergement, par exemple. Le réfugié politique n'a en effet pas besoin du même accompagnement que la personne qui est encore dans une situation de demande et pour laquelle le CADA est la structure qui correspond le mieux à l'accompagnement que l'on peut lui apporter.

J'en viens à un autre sujet dont je souhaite vous parler : l'encouragement des déboutés de l'asile à quitter le territoire. Dans une vingtaine de départements, nous avons mis en place un dispositif expérimental plus incitatif d'aide au retour volontaire des personnes en situation irrégulière.

Comme vous avez pu le constater lors vos travaux, la reconduite à la frontière des familles déboutées de l'asile est particulièrement difficile à mettre en oeuvre. Dans l'attente de leur départ ou de leur régularisation, les dispositifs d'hébergement assurent un dernier filet humanitaire, avec une priorité absolue pour la prise en charge des familles.

J'ai demandé que le dispositif d'aide au retour puisse monter en puissance dans le courant du premier semestre 2006. Nous savons en effet que ce sont des projets lourds : il s'agit de monter des projets de développement personnel dans le pays d'origine. Cela nécessite évidemment une approche d'accompagnement personnel et psychologique et aussi une approche économique de montage de projet.

Comme vous le savez, le Gouvernement s'est engagé à ne pas expulser pendant l'année scolaire des parents dont les enfants sont scolarisés dans notre pays. Cela veut donc dire que tout le premier semestre est consacré à la préparation des dossiers et à construire quelque chose pour envisager sereinement, avec un accompagnement, un retour qui peut se passer en dehors de la période scolaire.

D'ores et déjà, 32 départements sont inscrits dans cette expérimentation. J'ai rencontré hier plusieurs préfets de région très concernés par ces sujets : il y avait là les préfets de région de PACA, du Nord/Pas-de-Calais et de Rhône-Alpes, des régions particulièrement concernées par ces sujets. Ils ont déclaré que cette aide au retour n'était pas prise en considération par les personnes qui sont encore dans des procédures et nous remarquons qu'elles n'acceptent d'envisager ces aides que lorsqu'elles ont essayé et tenté toutes les voies de recours possibles.

L'effort considérable que nous avons fait pour augmenter le nombre de places de CADA, conjugué avec la baisse constatée des nouvelles demandes d'asile en 2006, le resserrement des délais d'instruction et une gestion plus efficace des admissions et des sorties de CADA qui assurent une rotation plus forte, devrait nous permettre d'offrir une solution d'hébergement accompagné à de plus en plus de demandeurs d'asile.

La lutte contre l'immigration irrégulière, pour être mieux comprise et mieux acceptée, doit nécessairement s'accompagner d'un autre volet que je qualifierai de très positif : une politique d'accompagnement et d'intégration volontariste et respectueuse des étrangers en situation régulière.

Je rappellerai donc en quelques mots les éléments de notre politique d'intégration, sachant que vous avez, entre autres, entendu le directeur de l'ANAEM qui a dû vous en parler dans le détail.

Depuis 2002, nous avons refondé notre politique d'intégration en créant le contrat d'accueil et d'intégration (CAI) et un nouveau service public de l'accueil piloté par l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations. Avec ce contrat, nous donnons un contenu symbolique fort à l'accueil du nouvel arrivant, puisque non seulement nous l'informons sur ses devoirs et ses droits, par l'intermédiaire de la journée citoyenne, mais l'Etat s'engage à lui fournir une formation à notre langue et à nos institutions et modes de vie en France.

Nous constatons aujourd'hui que nombreux sont les primo-arrivants qui signent ce contrat, puisque nous en sommes à 92 % de signatures. Pour autant, je considère que nous n'avons pas encore un taux de suivi suffisamment important. Je pense notamment aux cours de langues, pour lesquels nous avons en moyenne un taux d'assiduité d'à peine 50 % alors que c'est pourtant l'un des vecteurs essentiels de l'intégration.

Je profite de la présence de Mme la présidente de la Délégation aux droits des femmes, dont je connais l'engagement sur le sujet, que je partage, pour rappeler que, pour l'intégration des femmes et la connaissance de leurs droits, la capacité à parler notre langue est, nous le savons bien, absolument indispensable.

Ce contrat sera généralisé l'ensemble du territoire à la fin de ce semestre.

Nous voulons également rendre le CAI obligatoire.

Le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, dont vous a parlé le ministre d'Etat, comprendra quelques éléments concernant l'accueil, notamment pour rendre obligatoire le contrat d'accueil et d'intégration.

Je tiens enfin à vous rappeler les efforts qui ont été faits par le Gouvernement pour faciliter l'intégration. Au-delà de la formation linguistique, on peut citer tout ce qui concerne :

- l'égalité des chances dans l'accès à l'emploi ;

- les actions favorisant la réussite scolaire ;

- les actions favorisant l'accès à la santé,

- la lutte contre les discriminations, qui mettent en danger notre cohésion sociale et compromettent notre modèle d'intégration.

Je sais que vous avez reçu le président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), qui est incontestablement l'un des outils majeurs de cette politique d'intégration.

En guise de conclusion, je tiens à vous redire combien je partage l'idée selon laquelle l'immigration clandestine est non seulement inacceptable au plan moral mais dangereuse et injuste sur le plan économique. Elle est un facteur de déstabilisation de la société, d'autant plus qu'elle condamne à l'exclusion une partie de la population. C'est pourquoi nous souhaitons absolument articuler notre politique de lutte contre l'immigration clandestine, basée sur l'approche la plus humanitaire possible, avec son corollaire : une politique d'intégration volontariste qui s'inscrive dans un véritable parcours d'égalité des chances.

M. Bernard Frimat, président .- Merci, madame la ministre. Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Madame la ministre, la première question que je souhaite vous poser concerne le programme expérimental d'aide au retour. A l'occasion de nos auditions, nous avons appris que ces aides ne pourraient pas être accordées pour un retour dans un « pays d'origine sûr ». Cela peut surprendre, dans la mesure où il serait intéressant de persuader des gens, qui a priori n'ont pas envie de retourner dans leur pays, de le faire dès lors qu'ils y trouveront des conditions de sécurité satisfaisantes. En revanche, il peut sembler paradoxal d'aider au retour dans un pays « non sûr ». Pouvez-vous nous donner des explications sur ce point ?

Je voudrais aussi vous demander quelques précisions sur l'implantation et le développement des CADA, dont nous avons pu constater qu'ils offraient effectivement un accompagnement et un soutien de très grande qualité aux demandeurs d'asile : l'augmentation des capacités d'accueil en CADA est donc, à mon avis, une très bonne chose.

Mme Catherine Vautrin .- Je commencerai par vous répondre sur l'aide au retour. L'aide au retour était en baisse régulière depuis 1998 parce qu'elle n'était pas suffisamment attractive, comme chacun en a fait le constat. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé cette expérimentation.

Je comprends tous à fait votre question, mais je tiens à vous dire que le dispositif proposé par la circulaire relative à l'aide expérimentale a tenu compte des résultats d'études approfondies qui nous ont montré qu'il pouvait y avoir un risque réel d'effet d'aubaine. C'est pourquoi nous n'avons pas étendu ce programme expérimental au retour dans des pays sûrs. Je précise cependant que les candidats au retour dans des « pays sûrs », notamment les déboutés du droit d'asile, peuvent prétendre au bénéfice des autres dispositifs d'aide au retour qui ont été mis en place depuis 1991.

Je rappelle aussi qu'il s'agit d'une expérimentation sur une période d'un an, et je dois d'ailleurs admettre que pour l'instant le démarrage ne correspond pas au niveau que je souhaiterais. Nous en tirerons rapidement les conséquences et nous regarderons comment nous pouvons avancer.

En ce qui concerne votre seconde question, je vous communiquerai bien volontiers une carte précise de l'implantation des CADA, dont je rappelle qu'il en existe déjà au moins un par département. Je saisis aussi l'occasion que vous me donnez de mentionner que le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration prévoit de doter les CADA, qui resteront des établissements médico-sociaux, d'un statut spécifique correspondant à leur mission.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- L'une des difficultés rencontrées reste un problème que vous avez évoqué vous-même : celui de la « rotation », même si le terme n'est pas approprié. Les gens déboutés ou les réfugiés restent longtemps en CADA, occupant des places qui devraient pouvoir être offertes à des demandeurs d'asile. C'est une difficulté réelle.

Je voulais aussi vous demander des précisions sur la procédure d'admission en CADA. Y a-t-il une « présélection » des personnes admises en CADA ?

Mme Catherine Vautrin .- Je reviens quelques instants sur la notion de rotation, un problème qui concerne également les CHRS. Le premier vrai souci, c'est la capacité de mettre en avant l'offre de logement, notamment social, qui nous permet de « sortir » -pardonnez-moi d'utiliser ce terme ; je vous prie de n'y voir de ma part aucune connotation négative- des gens qui sont prêts à mener la vie la plus normale possible. Il est vrai que, dans les CHRS comme dans les CADA, nous avons aujourd'hui des personnes qui travaillent et qui pourraient avoir un logement, ce qui est particulièrement vrai dans des zones urbaines très denses, notamment dans la région Ile-de-France. Plus on renforcera l'offre de logements sociaux, plus on pourra faire sortir les gens. C'est notre objectif.

Pour ce qui est des conditions d'accueil en CADA, les plates-formes d'accueil permettent d'accueillir en priorité les familles, puis les personnes les plus fragiles.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Je dois avouer qu'un point particulier m'intéresse dans votre exposé, madame la ministre : le droit à la langue. En effet, comme vous, je pense que c'est un outil incontournable, et indispensable à l'intégration, notamment des primo-migrants, si on veut échapper à tous les processus de discrimination et d'exclusion et arriver à plus d'autonomie et d'indépendance, notamment pour les femmes.

Cependant, une chose m'inquiète et me fait particulièrement réfléchir : aujourd'hui, tel qu'il est présenté, le contrat d'accueil et d'intégration semble faire de ce droit à la langue une obligation. Je crains donc que ce soit une condition qui pourrait les exclure demain de leur droit au séjour. Je remarque en outre que cette obligation s'impose à la personne mais non pas à l'Etat. Je trouve regrettable qu'il n'existe pas une loi sur le droit à la langue dans l'arsenal législatif. En effet, on pourrait imposer aussi à l'Etat de fournir les moyens d'accéder à la maîtrise de la langue.

Par ailleurs, ce droit à la langue pourrait être facilité s'il intégrait le processus de la formation professionnelle, par exemple, et un droit à rémunération pour certains, en fonction de certaines conditions.

Je pense aussi que cette formation linguistique ne devrait pas pouvoir être perçue comme une obligation ou comme une condition imposée, mais qu'il faudrait plutôt que les intéressés soient convaincus qu'il est de leur intérêt de bénéficier de ce « droit à la langue » et qu'ils aient une démarche d'adhésion. Il serait donc intéressant de penser à une législation qui permettrait d'imposer l'obligation non pas à la personne, mais à l'Etat.

Vous avez dit par ailleurs une chose qui m'a un peu choquée et que je n'ai pas bien comprise. Vous dites que l'immigration clandestine est un handicap pour l'économie, ce que je peux comprendre, mais vous avez ajouté qu'elle était dangereuse. Je ne vois pas en quoi elle peut être dangereuse pour notre société. Le clandestin est souvent quelqu'un qui a fui la famine, la dictature, ou parfois les deux, parce qu'il ne faut pas oublier que, lorsque quelqu'un décide de quitter son pays, c'est parce que ce pays n'est pas un paradis. Je vous accorde qu'il ne trouvera pas le paradis ici non plus, mais la situation qu'il va trouvera chez nous sera souvent meilleure, malgré toutes les difficultés, les exclusions et les discriminations qu'il vit ici, que dans son pays d'origine, pour des raisons économiques, sociales et démocratiques. Je voudrais donc savoir en quoi cet homme, qui vient chercher un havre de paix, de quoi manger et peut-être envoyer de l'argent à sa famille pour survivre, peut être dangereux.

Je vous rappelle que l'aide envoyée par les travailleurs immigrés -je peux prendre l'exemple des Maliens- est deux fois supérieure à celle qui est donnée par l'Etat. En quoi ces personnes peuvent-elles donc être dangereuses pour notre société ?

Mme Catherine Vautrin .- Sur l'accès à la langue, nous partageons le même avis. Aujourd'hui, il est absolument indispensable d'avoir son autonomie, c'est-à-dire la capacité de s'exprimer et de comprendre la vie du pays. Pour cela, la langue est le meilleur des passeports et c'est pourquoi le Gouvernement s'est engagé dans une politique extrêmement volontariste.

Dans le cadre du pouvoir réglementaire, le Gouvernement a organisé une évaluation linguistique pour tout nouvel arrivant qui signe le contrat d'accueil et d'intégration et une formation parfaitement gratuite, qui peut aller jusqu'à 500 heures en fonction de la pratique et du niveau des personnes. Il y a donc là un engagement très fort de notre pays sur un sujet que je qualifierai d'extrêmement concret.

Cela dit, je suis convaincue qu'il faut continuer à en faire la promotion, mais je voudrais souligner, à ce stade, le travail qui est fait par l'ensemble du tissu associatif. En effet, vous savez comme moi qu'aujourd'hui, nous avons un double sujet. Le contrat d'accueil et d'intégration s'adresse aux primo-arrivants, mais si nous considérons les autres, nous savons tous que l'une des grandes difficultés de la politique d'intégration de notre pays dans les 25 dernières années a été, malheureusement, cette incapacité à accompagner un certain nombre de femmes -j'insiste sur les femmes parce que ce sont elles les premières concernées. Nous connaissons tous, dans des quartiers de nos villes, des gens qui vivent dans notre pays depuis 25 à 30 ans et qui, malheureusement, à part quatre mots usuels, ne parlent pas notre langue.

C'est vers ces personnes qu'il faut aller et c'est à ce sujet que nous devons avoir la capacité d'aider les associations à relayer notre action. C'est tout le travail qui va être fait dans la nouvelle contractualisation avec l'Agence de cohésion sociale et la nouvelle contractualisation qui va être mise en place avec les villes et les associations pour les accompagner.

Nous avons également doublé le nombre d'adultes relais.

J'ajoute que le prochain Comité interministériel à l'intégration qui aura lieu le 24 avril prochain aura pour thématique centrale la question de l'apprentissage du français.

Quant à la notion de dangerosité que j'ai évoquée tout à l'heure, je ne voulais pas dire que l'immigration clandestine est dangereuse en elle-même. Je voulais mettre en avant la notion d'amalgame et de rejet par la population qui, elle, est un problème réel ; bien évidemment, c'est une entrave à une politique d'intégration réussie et à une image française de la diversité que nous essayons de construire les uns et les autres.

Mme Gisèle Gautier .- Madame la ministre, j'aurai deux questions à vous poser. La première est une demande de précision, la deuxième est d'ordre plus général et porte sur la stratégie politique de notre pays à l'égard des immigrants.

Si j'ai bien compris vos propos, vous nous avez cité un chiffre de 17.500 places disponibles dans les CADA et vous avez ajouté que l'on dénombrait 35.000 offres d'hébergement d'urgence avec un accompagnement financier. J'aimerais avoir des précisions sur la durée de l'hébergement, sur le montant de l'aide allouée, sur les conditions de son octroi et sur ses bénéficiaires.

J'ai une deuxième question, que je me pose depuis un certain temps. Nous assistons à une immigration clandestine liée à certains cas douloureux, et nous voyons donc des gens qui « récidivent », qui reviennent plusieurs fois et qui passent par différents pays et différentes frontières. Je voudrais donc savoir quelle est la politique de notre pays à l'égard de ces personnes qui « tentent leur chance » plusieurs fois. Il y a deux hypothèses possibles qui sont toutes les deux difficiles, mais je pense que vous avez arrêté une politique en la matière. On peut imaginer que, si ces gens reviennent en permanence avec tous les risques qu'ils encourent, c'est qu'ils ne peuvent vraiment pas rester dans leur pays. A leur égard, la France aurait-elle tendance à plutôt les sanctionner pour les empêcher de revenir et pour les inciter à trouver d'autres solutions ou, au contraire, à faire le choix de les intégrer ?

Mme Catherine Vautrin .- Sur votre première question, madame la sénatrice, je peux vous indiquer que pour les CADA, le budget total, si on considère la loi de finances pour 2006, est de 168 millions d'euros, soit une augmentation de 18 % par rapport à l'exercice 2005. La durée moyenne de séjour en CADA est de 3 à 18 mois mais cette durée peut comprendre une période de maintien dans la structure après le rejet définitif de la demande d'asile. Vous pouvez, par exemple, avoir des gens qui restent 18 mois, alors que leur demande a été rejetée au bout de 12 ou 15 mois, ce qui nous amène à parler de cette notion de « faible rotation » -même s'il est toujours difficile d'utiliser des termes comme ceux-là quand on parle de personnes.

J'ajoute un élément sur lequel je ne vous avais pas donné d'informations particulières tout à l'heure : quand on regarde les nationalités les plus représentées dans les CADA, on constate que les ressortissants d'Europe de l'Est arrivent en tête. Par exemple, la Fédération de Russie représente 10 % des personnes accueillies en CADA, de même que la Géorgie.

Quant au deuxième point que vous abordez, il s'agit d'un sujet de fond qui associe trois notions : la lutte contre l'immigration clandestine et l'intégration, bien sûr, mais aussi une troisième que je me permets d'ajouter et qui est le co-développement. Je crois en effet que la seule façon -le président de la République intervient très régulièrement sur le sujet- d'avoir une politique particulièrement constructive, c'est de mettre en place un co-développement qui permette à ces gens de construire leur vie dans leur pays.

Cela dit, il faut évidemment avoir aussi des structures dans les pays d'origine. Pour avoir participé, comme d'autres membres du Gouvernement, aux travaux de la Conférence 5+5 entre les pays de la Méditerranée et l'Europe du sud, je vois bien que la seule solution réelle passera par là. C'est une politique à long terme, mais une vraie politique constructive qui apportera de vraies réponses.

Pardonnez-moi de ne choisir aucune des deux voies que vous proposez : j'en préfère une troisième !

M. Bernard Frimat, président .- Si vous le permettez, madame la ministre, je voudrais vous interroger sur le fonctionnement des CADA auquel le rapporteur a fait allusion. Quand nous avons visité le CADA de Miramas, nous avons été très frappés par l'efficacité et le dévouement des travailleurs sociaux qui y travaillaient. Il semble donc que le développement des CADA nécessite parallèlement le développement des effectifs des travailleurs sociaux et celui des associations qui les gèrent. Sur ce plan, « marche-t-on sur les deux pieds » et donne-t-on les moyens nécessaires aux associations qui interviennent dans les CADA ?

Nous avons par ailleurs été très frappés par ce que nous ont dit ces travailleurs sociaux sur l'excessive rapidité d'intégration des enfants, notamment en milieu scolaire. J'ai pour ma part le souvenir très précis de demandeurs d'asile que nous avons rencontrés qui étaient très heureux de nous montrer les photos de classe et les résultats scolaires de leurs enfants, qui étaient à la tête de leur classe et qui semblaient tout à fait intégrés et épanouis.

Cela dit, l'un des sujets d'inquiétude des travailleurs sociaux portait sur le délai de recours devant la CRR. Il est actuellement d'un mois et il est question de le réduire à quinze jours. Cela leur apparaissait vraiment dramatique pour les requérants, qui n'auront plus le temps de préparer convenablement leur recours. Je voudrais savoir si vous confirmez cette hypothèse de réduction du délai de recours et si vous pouvez me donner les éléments sur lesquels on se fonde pour la préconiser.

Voilà les deux questions que je joins à celles de mes collègues.

Mme Catherine Vautrin .- Sur votre première question, si je considère le budget de l'hébergement, globalement, je constate qu'en 2006, il a progressé de 23,3 % et qu'une partie concerne évidemment le personnel. C'est tellement vrai que, pas plus tard qu'hier matin, le hasard du calendrier est ainsi fait, j'ai assuré à mon ministère le lancement d'une campagne de recrutement de travailleurs sociaux. Pour tout vous dire, j'ai fait cela en relation avec Philippe Bas qui travaillait, lui, dans le cadre de sa campagne sur les métiers du grand âge.

Dans les secteurs sociaux, nous aurons besoin de 400.000 postes dans les dix ans. Les personnes âgées ont le plus de besoins, mais le handicap, la petite enfance, la lutte contre l'exclusion et l'accompagnement sont des domaines dans lesquels nous avons également de vrais besoins. Nous menons donc une politique active d'accompagnement et de formation.

Par ailleurs, je vous rappelle que l'accompagnement qui est effectué dans les CADA permet d'obtenir des résultats très significatifs en termes de demandes d'asile : deux tiers des personnes qui sont dans les CADA obtiennent un avis favorable à leur demande d'asile alors que le niveau moyen est de 14 % au plan national. Ce résultat est clairement lié à l'accompagnement qui est mené.

J'en arrive à votre question précise sur le délai de recours. Il est vrai que, jusqu'à maintenant, il était d'un mois et je confirme qu'il est prévu de le faire passer à quinze jours. Ce n'est pas une simple préoccupation française : c'est la moyenne des délais de recours en Europe.

Mme Gisèle Gautier .- Pardonnez-moi mon obstination, mais il ne me semble pas avoir eu de réponse à une question que j'ai posée en ce qui concerne les offres d'hébergement d'urgence. Vous avez parlé de 35.000 places, mais j'aimerais savoir le montant de l'allocation d'attente et la durée pendant laquelle elle est allouée.

Mme Catherine Vautrin .- Je vous redonne les deux chiffres : nous avons 17 470 places de CADA et nous avons en outre 17.000 places d'urgence spécifiques, puisque, comme je vous l'ai démontré, il n'y a pas suffisamment de places pour héberger tout le monde, dont 10.700 sont des places de chambres d'hôtel. Nous arrivons à un total de plus de 35.000 places d'hébergement dédiées aux demandeurs d'asile.

L'allocation temporaire d'attente est versée pendant toute la durée de l'examen de la demande d'asile, y compris en cas de recours devant la CRR.

M. Bernard Frimat, président .- Madame la ministre, je vous remercie.

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