B. RENFORCER LES MAILLONS FAIBLES DU CADRE JURIDIQUE ACTUEL
Plusieurs mesures ciblées doivent permettre au cadre juridique européen d'être appliqué avec plus d'efficacité.
1. Permettre à la déclaration de détachement de jouer son rôle de clé de voûte des contrôles
Malgré les nombreux cas de contournement, la déclaration préalable constitue le filet de sécurité de l'ensemble du dispositif de détachement puisqu'elle constitue aujourd'hui le seul moyen d'information de l'Etat d'accueil.
A ce titre, on ne peut que se féliciter du fait que la Commission européenne ait renoncé à l'interdiction de cette déclaration, initialement prévue par la proposition de directive sur les services. D'ailleurs, le 4 avril dernier, jour de la présentation du nouveau projet de directive, la Commission a diffusé une communication relative au détachement des travailleurs 62 ( * ) , considérant que, sorti du champ la directive « services », le dispositif du détachement devait toutefois faire l'objet d'une évaluation pouvant éventuellement déboucher sur son amélioration.
C'est en s'inscrivant dans cette perspective que la commission des affaires économiques du Sénat tient solennellement à rappeler qu'à ses yeux, l a déclaration de détachement doit conserver son caractère préalable .
Ce rappel est nécessaire car l'interprétation donnée par la Commission de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) 63 ( * ) , dans le document du 4 avril, aboutit à lui faire simplement considérer que « l'Etat membre d'accueil (...) devrait pouvoir exiger, dans le respect du principe de proportionnalité, de la part du prestataire de services, une déclaration au plus tard au début des travaux contenant des indications (...). ». L'expression « au plus tard au début des travaux » est ambiguë et il est essentiel qu'elle ne constitue pas une remise en cause du caractère préalable de la déclaration telle qu'elle existe aujourd'hui. En effet, seul ce caractère préalable permet effectivement qu'un contrôle puisse éventuellement s'exercer dès le début des travaux 64 ( * ) .
Il est d'ailleurs nécessaire de lever les ambiguïtés de la communication de la Commission européenne tendant à assimiler la déclaration à une forme de contrôle, alors que ce n'est pas le cas. La déclaration n'a pas pour objet de permettre aux autorités de vérifier l'information faite lors des contrôles -ce qui en ferait une contrainte superfétatoire- mais vise à permettre à ces autorités d'être informées de la présence de travailleurs détachés afin de pouvoir, le cas échéant, procéder à des contrôles.
Cette distinction est importante car si elle était considérée, à tort, comme une forme de contrôle préalable, l'obligation de déclaration ne serait autorisée que de façon très restrictive par la Commission européenne et par la CJCE.
PROPOSITION N° 1 Valider au niveau européen 65 ( * ) le principe de la déclaration de détachement préalable et le fait qu'il ne s'agit pas d'une forme de contrôle. |
Par ailleurs, il est important que l'obligation de déclaration continue de s'imposer à tous les chantiers .
Or, dans un souci d'allégement des formalités administratives, le Gouvernement réfléchit actuellement à la prise d'un décret d'application des articles 89 et 90 de la loi en faveur des PME 66 ( * ) qui aboutirait à introduire une période de carence de quinze jours, c'est-à-dire à ne pas soumettre à l'obligation de déclaration les détachements de moins de deux semaines .
De telles dispositions, nullement exigées par la loi, pourraient constituer des incitations à la fraude aux conditions de détachement, certaines entreprises étant d'autant plus tentées de s'abstenir de toute déclaration qu'elles pourront invoquer, en cas de contrôle fortuit, le fait que leur prestation venait de débuter et n'avait pas une durée prévisible de plus de quinze jours. Ces risques sont d'autant plus sensibles dans le secteur du BTP, dont il a été observé précédemment qu'il concentre déjà plus de 80 % des cas de non déclaration 67 ( * ) .
Dans ce contexte, il pourrait être proposé :
- dans le cadre du dispositif général , de poursuivre les concertations, afin de voir si ces mesures réglementaires se justifient au regard de l'équilibre entre allègement des formalités administratives et risques de dumping social. Pour sa part, la commission des affaires économiques du Sénat n'est pas convaincue du caractère contraignant de la déclaration préalable, y compris pour les détachements de courte durée.
La déclaration préalable et les détachements courts La déclaration préalable ne constitue nullement une procédure lourde puisqu'il s'agit simplement d'adresser un fax à l'administration du pays d'accueil, y compris une heure avant le début du chantier. Il s'agit donc d'une formalité extrêmement légère qui n'est pas de nature à décourager ou à entraver une intervention, même de très courte durée. C'est ainsi que les entreprises belges sont les premières à déclarer des détachements en France (39,19 % des entreprises déclarantes en 2004, loin devant la Pologne, à 17,09 %) alors qu'il s'agit la plupart du temps d'interventions de quelques heures effectuées dans le nord de la France. Reste que les administrations des pays d'origine sont parfois lentes à délivrer les formulaires de sécurité sociale E101 nécessaires aux travailleurs détachés dans la mesure où ces documents peuvent, le cas échéant, être fournis au pays d'accueil après la prestation, ces retards ne sont pas réellement de nature à rendre plus difficile le détachement et à justifier une absence de déclaration. |
- dans le cas particulier du BTP , secteur dont la situation ne pourrait qu'être aggravée par l'introduction d'une période de carence de faire valoir sa spécificité, au demeurant déjà reconnue par la directive 96/71 elle-même, laquelle exclut le BTP de certaines dispositions compte tenu des risques particuliers auxquels est exposé ce secteur 68 ( * ) .
PROPOSITION N° 2 Ne pas instaurer de période de franchise en matière de détachement. A défaut, prévoir une exception pour le secteur de la construction. |
* 62 Communication COM(2006)159 final sur les orientations concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.
* 63 CJCE, Commission c. Luxembourg, affaire C-445/31, arrêt du 21 octobre 2004 et Commission c. Allemagne, affaire C-244/04, arrêt du 19 janvier 1994.
* 64 Le droit français n'exigeant d'ailleurs aucun délai pour l'accomplissement de cette déclaration, l'important étant simplement qu'elle soit effective avant le début des travaux.
* 65 Au besoin par une modification de la directive 96/71.
* 66 Loi n° 2005-881 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.
* 67 Comme indiqué plus haut, le BTP représentait, en 2004, 81,2 % des interventions d'entreprises étrangères non déclarées identifiées lors des contrôles, très loin devant le secteur suivant, l'agriculture, qui représente seulement 6,4 % de ces cas.
* 68 L'article 3.2 de la directive précise que le BTP reste soumis aux obligations de salaire minimum et de congés payés du pays d'accueil, alors que les autres «activités de montage» y dérogent. Cette dérogation est reprise en droit français à l'article R. 342-15 du code du travail.