C. DES CONTRAINTES ENVIRONNEMENTALES NOUVELLES : LES ASSISES DE LA FORÊT ET LA CONTROVERSE SUR LE COÛT DES MESURES

Dans le prolongement du Grenelle de l'environnement, les Assises de la forêt de janvier 2008 ont dégagé trois orientations :

- produire plus de bois et mieux valoriser la ressource bois ;

- mieux protéger la biodiversité et garantir la gestion durable ;

- adapter les forêts françaises et anticiper le changement climatique.

La dernière de ces orientations met en jeu l'action des acteurs publics et privés qui dépasse l'ONF. Les deux premières intéressent plus directement la gestion courante de l'établissement. Les marges disponibles sur les objectifs de production apparaissent faibles pour l'ONF, s'agissant notamment des forêts domaniales. Sur l'objectif de biodiversité, des divergences apparaissent entre l'office et le ministère chargé de l'environnement.

a) L'offre de bois et l'extension des surfaces forestières exploitées

Depuis 30 ans, des rapports successifs ont relevé le décalage existant entre la production biologique de la forêt, c'est-à-dire l'accroissement annuel de bois résultant de la croissance physique des arbres, et la récolte effective : 65 % en moyenne mais le décalage est plus marqué encore en forêts privées (55 %). Ces données proviennent de l'Institut Forestier National (IFN) et sont considérées par l'ONF comme « suffisamment significatives pour être utilisées comme ordres de grandeur et nourrir la réflexion sur les freins au « produire plus » ».

Pour les responsables de l'ONF, les indicateurs de l'IFN sont justes mais globaux. En réalité, en 2008, quand on récolte environ 70 % de la production biologique en forêt domaniale, on récolte tout l'accroissement. Dans les 30 % qui restent, on ne trouve que les menus bois non récoltés, les « fagots », ceux qui sont inaccessibles, la partie du bois qui va mourir naturellement, etc. En revanche, la marge est sans doute plus large en forêt des collectivités (récolte d'environ 60 % de la production biologique en 2008).

Alors que quelques millions de mètres cubes de bois produits par la forêt domaniale et la forêt communale, chaque année, ne sont effectivement pas récoltés, la forêt publique pourrait sans doute apporter une contribution supplémentaire. Mais il semble qu'elle soit presque marginale, en tout cas pour la forêt domaniale. En 2004, la récolte s'élevait à 6,6 millions m3 pour la forêt domaniale et 7,9 millions m 3 pour les forêts communales, soit 14,5 millions m3 au total. « Les travaux des Assises de la forêt ont conduit à envisager une offre en forêt potentiellement mobilisable dans des conditions compatibles avec la gestion durable de 12 Mm 3 en 2012 et plus de 20 Mm 3 en 2020 pour fournir le bois matériau et énergie nécessaires à l'atteinte des objectifs du Grenelle » (conférence de presse, Assises de la forêt, 16 janvier 2008).

Il a été estimé que la forêt publique pourrait apporter une contribution à hauteur de 20 % des 20 millions m 3 en 2020 qui ont été demandés après le Grenelle de l'environnement et les Assises de la forêt, soit une récolte de 4 millions m 3 supplémentaires par rapport à la période de référence 2002-2006. Autrement dit, la récolte future devrait s'élever à 7,5 millions m 3 pour la forêt domaniale et 11 millions m 3 pour les forêts communales, soit 18,5 millions m 3 au total. Cette ambition paraît optimiste au regard des objectifs assignés dans les indicateurs d'activité et de performance du contrat Etat-ONF 2007-2011. En effet, s'agissant du volume annuel de bois vendu provenant de forêts domaniales, la cible visée se situe entre 6,8 et 7,5 millions m 3 . S'agissant du volume de bois vendu provenant de forêts des collectivités, la cible visée se situe à 8,4 millions m 3 en 2011. Dans le meilleur des cas, le total s'élèverait à 15,9 millions m 3 en 2011.

Une répartition de l'accroissement au prorata des surfaces correspondrait à ¾ des efforts en forêts privées et ¼ en forêts publiques, soit 3 millions m 3 à échéance 2012 dont 1 million m 3 en forêt domaniale et 2 millions m 3 en forêts des collectivités. Il apparaît ainsi que les marges de productions disponibles dans le prolongement des assises de la forêt seraient à rechercher principalement du côté de la forêt privée et de celle des collectivités.

Une telle extension des surfaces exploitées devrait surmonter les réticences de l'opinion publique qui confond souvent exploitation des forêts et déforestation. Mais surtout le rendement décroissant de nouvelles surfaces forestières appelle une meilleure valorisation des produits pour assurer la rentabilité de l'exploitation ainsi que le maintien du capital forestier (régénération et replantation). Le prix du bois et la nature de l'offre joueront un rôle décisif en la matière. Les efforts de l'ONF pour la commercialisation de plaquettes forestières vont en ce sens 37 ( * ) .

b) La prise en compte de la biodiversité : la question des îlots de vieux bois

Le cadre réglementaire de la biodiversité propre à l'ONF est ancien. La dernière instruction interne en la matière remontait à 1993 ; elle a dû être adaptée en 2009 38 ( * ) pour tirer les conséquences :

- du contrat Etat-ONF 2007-2011 et des orientations du Grenelle de l'Environnement dont l'accord « produire plus de bois tout en préservant mieux la biodiversité » comporte un volet « vieux bois et biodiversité ordinaire »,

- des divers dispositifs existants : Natura 2000, ISO 141001, PEFC, Stratégie nationale de biodiversité, Plan d'action forêts, réserves biologiques intégrales ou dirigées, directive régionale d'aménagement (DRA) et schéma régional d'aménagement (SRA).

Pour l'instant, parmi les mesures extrêmement diverses 39 ( * ) de protection d'espèces ou d'habitats qui peuvent avoir un impact sur l'exploitation forestière, le débat s'est principalement noué entre l'ONF et le ministère chargé de l'environnement sur la question des îlots de vieux bois, composés des îlots de vieillissement 40 ( * ) et des îlots de sénescence 41 ( * ) , qui peuvent conduire à retarder de 30 à 40 ans l'effort de renouvellement sur les surfaces concernées (donc à différer une partie de la production) et peuvent diminuer la surface forestière productive de près de 10 %.

Les positions de l'ONF et du ministère chargé de l'environnement divergeaient largement à l'origine.

L'office avait, sur les îlots de vieux bois, formulé les propositions suivantes :

- une durée qui porterait sur trois périodes d'aménagement (soit 30 à 50 ans) ;

- une surface d'1 % de la surface boisée des forêts domaniales réservée aux îlots de sénescence, par direction territoriale, mais en prenant en compte dans ce calcul les réserves biologiques intégrales déjà existantes ;

- une surface de 3 % par agence pour les îlots de vieux bois ;

- des « arbres biodiversité » maintenus à raison d'au moins 1 arbre mort et de 2 arbres à cavité par ha ;

- un effort éventuellement accru (jusqu'à 3 % d'îlots de sénescence et 5 % d'îlots de vieillissement) dans certaines zones telles que parcs naturels, réserves, zones hors exploitation en montagne où le coût de mobilisation du bois est très important ;

- un réexamen des objectifs en 2014 qui correspondrait à la mi-parcours des objectifs du Grenelle de l'environnement et qui permettrait d'adapter ces objectifs en fonction de la mobilisation supplémentaire effective des bois.

Selon les estimations de l'ONF, la mise en place opérationnelle de ces îlots, qui consisterait à geler pour 30 ans ou de manière définitive des bois arrivés à maturité et qui auraient normalement du être récoltés au cours du contrat 2007-2011, aurait un coût d'environ 7,5 M€ par an, compte tenu de la baisse du chiffre d'affaires annuel du bois, corrigée des économies de travaux.

Le ministère chargé de l'environnement, pour sa part, rejoignant les revendications de certaines associations écologistes, exigeait des niveaux beaucoup plus élevés :

- 3 % d'îlots de sénescence au lieu du 1 % proposé par l'ONF ;

- 5 % d'îlots de vieillissement au lieu des 3 % proposés par l'ONF.

Par ailleurs, la base de calcul serait hors réserves biologiques intégrales, de sorte que l'effort demandé viendrait se rajouter à d'autres mesures déjà prises par ailleurs.

Selon l'ONF, l'estimation du coût global du dispositif « vieux bois » ainsi demandé passerait de 7,5 M€ à 12 M€ par an, soit un renchérissement de 4,5 M€ par an, ce que conteste le ministère.

En juillet 2008, les positions respectives de l'ONF et du ministère paraissaient converger.

La question se pose des éventuelles compensations à l'office en contrepartie des obligations nouvelles qui lui seraient imposées. Le contrat 2007-2011 prévoit que « l'ensemble des mesures environnementales demandées à l'ONF (font) l'objet d'une étude d'impact technique et financier - le cas échéant juridique - préalable ». La Cour n'a pas eu communication d'une telle étude sur les îlots de vieux bois.

II. LA GESTION DES FORÊTS DES COLLECTIVITÉS : LE DIFFICILE ÉQUILIBRE DU RÉGIME FORESTIER

Les 2,7 millions d'hectares de forêt communale, soit près de 18 % des espaces forestiers, répartis en quelque 14 000 forêts communales, appartiennent à 11  371 communes propriétaires de forêts. Ces communes propriétaires ont l'obligation de recourir à l'ONF pour gérer leur forêt (régime forestier), mais constituent des centres de décision autonomes. Ce sont elles, et non l'ONF, qui, en principe, décident des orientations de gestion de leur forêt : programme des coupes, destination et mode de vente des bois, programme de travaux, choix de leurs prestataires pour les travaux tant patrimoniaux qu'autres (touristiques notamment).

Sur le terrain, les relations entre l'ONF et les collectivités locales mettent en rapport, d'un côté, un établissement public, national investi de fonctions régaliennes et jouissant du monopole de certaines prestations et, de l'autre, des collectivités d'importance et de poids très inégal. Des mesures ont été prises pour faciliter ces relations qui ne sont pas toujours aisées. Une charte de la forêt communale a été signée en 2003 entre l'établissement et la fédération nationale des communes forestières ; elle a précisé notamment les prestations de l'office qui entrent dans le régime forestier et celles qui relèvent de conventions avec les communes et, par conséquent, donnent lieu à rémunération. Une direction des affaires communales a été créée au sein de l'office au début de 2008. La charte de 2003 a été enfin complétée par un avenant de juin 2009 créant une commission nationale de la forêt communale, organe paritaire de concertation entre l'ONF et les communes.

* 37 La filiale ONF Energie a été créée fin 2006 : 66 000 tonnes de plaquettes forestières ont été vendues la première année.

* 38 La nouvelle instruction biodiversité a été préparée et présentée en conseil d'administration. Néanmoins, par souci de cohérence, elle ne sera publiée qu'après la révision de la Directive nationale d'aménagement (texte prévu par l'art. L 12 du code forestier), encore en cours.

* 39 Réserves biologiques intégrales, protection du grand tétras en montagne ou des chiroptères dans les maisons forestières désaffectées par exemple.

* 40 « Petit peuplement ayant dépassé les critères optimaux d'exploitabilité économique et qui bénéficie d'un cycle sylvicole prolongé pouvant aller jusqu'au double de ceux-ci » (projet de note de service de l'ONF).

* 41 « Petit peuplement laissé en évolution libre sans intervention culturale et conservé jusqu'à son terme physique, c'est-à-dire jusqu'à l'effondrement des arbres » (projet de note de service de l'ONF).

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