B. LES IMPLICATIONS POUR LA FRANCE DES NOUVELLES RÈGLES BUDGÉTAIRES EUROPÉENNES

Le « paquet gouvernance » bouleverse le cadre de la politique française de finances publiques. En effet, si jusqu'alors les procédures mises en oeuvre au titre du pacte de stabilité pouvaient paraître lointaines et formelles, le risque accru de se voir imposer des sanctions - et de déclencher une crise politique, institutionnelle et donc financière - confère une importance désormais essentielle à ces normes.

Concrètement, il faut distinguer les obligations relatives à l'année 2013 et celles relatives aux années ultérieures.

1. 2013 : ramener le déficit sous le seuil des 3 points de PIB en 2013 (volet « correctif » du pacte de stabilité)

Dans un premier temps, dans le cadre du volet « correctif » du pacte de stabilité, la France doit ramener son déficit sous le seuil de 3 points de PIB au plus tard en 2013.

Cette obligation n'est pas du reste purement juridique, mais provient avant tout de la nécessité de maintenir la confiance.

Comme on l'a vu, depuis décembre 2011 les Etats en déficit excessif peuvent se voir imposer (à la majorité qualifiée inversée) une amende de 0,2 point de PIB, si le Conseil décide (à la majorité qualifiée ordinaire) qu'ils n'ont pas pris « d'action suivie d'effet » pour mettre fin à leur déficit excessif dans le délai prévu.

La Commission européenne peut à tout moment recommander au Conseil de prendre une telle décision. Concrètement, la publication de ses prévisions économiques, prévue pour le 11 mai 2012 23 ( * ) , pourrait constituer une échéance majeure. En effet, on a vu que c'est en s'appuyant sur ses prévisions économiques d'automne (comprenant notamment des projections de solde public) que la Commission européenne a considéré que parmi les Etats ne bénéficiant pas d'un programme d'aide et devant mettre fin à leur déficit excessif en 2011 ou en 2012, cinq (Belgique, Chypre, Malte, Pologne, Hongrie) ne se conformaient pas aux recommandations du Conseil, les obligeant à prendre des mesures supplémentaires.

En 2011, la Commission européenne et le Conseil ont adopté leurs recommandations respectivement en juin et en juillet. Un calendrier identique cette année conduirait la Commission à adopter sa recommandation entre l'élection présidentielle et les élections législatives.

2. Les années ultérieures : respecter les nouvelles exigences du droit communautaire
a) Selon le volet « préventif » du pacte de stabilité : atteindre un objectif à moyen terme proche de l'équilibre en réduisant le déficit structurel d'au moins 0,5 point de PIB par an

Dans un second temps, dans le cadre du volet « préventif » du pacte de stabilité (qui comprend depuis décembre 2011 la possibilité de sanctions), la France devra poursuivre un objectif à moyen terme (OMT) , défini en termes de solde structurel, et qui devra être compris entre - 1 point de PIB et un excédent .

Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'UEM (dit « TSCG »), signé au début du mois de mars, dont la ratification n'est pas acquise, prévoit quant à lui que cet objectif doit être compris entre - 0,5 point de PIB et l'excédent .

Concrètement, les OMT sont fixés par les Etats dans leurs programmes de stabilité. Ainsi, le présent projet de programme de stabilité indique que « l'objectif de moyen terme (OMT) au sens des engagements européens de la France est de revenir à l'équilibre structurel des comptes publics ».

Les Etats doivent se rapprocher de cet objectif d'au moins 0,5 point de PIB par an (plus de 0,5 point de PIB si leur dette est supérieure à 60 points de PIB).

C'est cette règle que le TSCG obligerait de transposer à un niveau supra-législatif.

• La France devra se rapprocher de son objectif à moyen terme de plus de 0,5 point de PIB chaque année 24 ( * ) .

Ainsi, le présent projet de programme de stabilité prévoit une amélioration du solde structurel de 1,4 point de PIB en 2013, puis 0,8 point de PIB chacune des trois années suivantes.

Un retour à l'équilibre en 2017 impliquerait quant à lui une amélioration du solde de 1,4 point de PIB en 2013, puis 0,5 ou 0,6 point de PIB chacune des quatre années suivantes, ce qui demeure compatible avec les exigences du pacte de stabilité.

L'évolution du solde structurel impliquée par un scénario de retour à l'équilibre
en 2017

(en points de PIB)

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Présent projet de programme de stabilité

Solde public effectif

-5,2

-4,4

-3,0

-2,0

-1,0

0,0

0,5*

Solde structurel

-3,7

-2,6

-1,2

-0,4

0,4

1,2

1,5**

Evolution du solde structurel

1,1

1,4

0,8

0,8

0,8

0,3**

Scénario de retour à l'équilibre en 2017
(calculé par la commission des finances***)

Solde public effectif

-5,2

-4,4

-3,0

-2,3

-1,6

-0,8

0,0

Solde structurel

-3,7

-2,6

-1,2

-0,7

-0,2

0,4

1,0

Evolution du solde structurel

1,1

1,4

0,5

0,5

0,6

0,6

Les cases en grisé représentent l'année d'atteinte de l'objectif à moyen terme, qui, selon le présent projet de programme de stabilité, est « l'équilibre structurel des comptes publics ».

* Source : « Propositions de Nicolas Sarkozy pour une France forte », 5 avril 2012.

** Hypothèse.

*** En s'appuyant sur les estimations de solde structurel du présent projet de programme de stabilité.

Source : documents indiqués, calculs de la commission des finances

• Il existe toutefois une ambiguïté quant au fait de savoir si une approche en termes d'effort structurel peut se substituer à une approche en termes d'évolution du solde structurel.

Si cette ambiguïté est vraisemblablement voulue, et utile pour éviter une application trop « mécanique » de la règle, elle n'en compliquerait pas moins sa transposition éventuelle en droit interne, on l'a vu exigée par le TSCG (signé mais à ce stade non ratifié par la France).

Comme votre rapporteure générale l'a souligné dans son rapport sur le premier projet de loi de finances rectificative pour 2012, pour déterminer si l'Etat membre se rapproche à un rythme satisfaisant de son objectif à moyen terme, le Conseil pourra considérer non seulement l'évolution de son solde public structurel, mais aussi son effort structurel .

On rappelle que l'effort structurel est égal à la somme de la diminution du ratio dépenses/PIB potentiel et des mesures discrétionnaires sur les recettes. Il se distingue de l'évolution du solde structurel par le fait que ce dernier prend en compte le fait que les recettes publiques peuvent spontanément augmenter plus ou moins vite que le PIB (ce qui respectivement l'améliore ou le dégrade).

En effet, l'article 5 du règlement 1466/7 prévoit désormais que « pour déterminer si des progrès suffisants ont été accomplis en vue de la réalisation de l'objectif budgétaire à moyen terme, une évaluation globale est effectuée en prenant pour référence le solde structurel et en y intégrant une analyse » d'effort structurel . Cette rédaction ne précise pas si les deux critères d'évolution du solde structurel et d'effort structurel sont ou non cumulatifs .

Autrement dit, faut-il comprendre qu'un Etat dont le solde structurel s'améliore grâce à des recettes augmentant spontanément plus vite que le PIB pourra s'abstenir de prendre des mesures de réduction du déficit ? Ou, inversement, qu'un Etat dont le solde structurel se dégrade en raison de recettes augmentant spontanément moins vite que le PIB (par exemple en cas de forte diminution des recettes d'impôt sur les sociétés) devra prendre des mesures supplémentaires à due concurrence, alors même que son effort structurel serait suffisant ?

A l'occasion de l'examen du premier projet de loi de finances rectificative pour 2012, le Gouvernement a indiqué à la commission des finances que ces critères étaient cumulatifs. Ainsi, selon lui, il faudra « définir une règle d'objectif de solde structurel et de mesure des déviations significatives mesurées en solde structurel et en effort structurel » 25 ( * ) .

Le présent projet de programme de stabilité précise les modalités d'interprétation de la règle d'effort structurel par le Gouvernement. Cet effort devrait être de 0,5 point de PIB par an (comme pour l'évolution du solde structurel). Surtout, il s'entendrait hors charge d'intérêt, avec un investissement lissé sur trois ans, et un taux de croissance de référence égal à la moyenne sur 10 ans du taux de croissance potentielle (soit 1,6 % selon ses estimations).

b) Le critère de dette (volet « correctif » du pacte de stabilité) serait probablement respecté, dès lors que le déficit public serait inférieur à 1 point de PIB en 2017

Même quand elle aura ramené son déficit sous le seuil des 3 points de PIB, la France continuera d'être soumise au volet « correctif » du pacte, à cause de sa dette publique, supérieure à 60 points de PIB.

En effet :

- elle devra, en moyenne sur les trois dernières années pour lesquelles ce chiffre est disponible, réduire le ratio dette/PIB d'un vingtième de la part au-dessus de 60 points de PIB ;

- cette règle ne jouera pas tant qu'elle n'aura pas mis fin à son déficit excessif (ce qui devrait être le cas en 2013). Au cours des trois années suivantes (soit en principe jusqu'en 2016), le Conseil pourra fixer des objectifs moins contraignants 26 ( * ) , ce que le présent projet de programme de stabilité interprète comme signifiant que pendant cette période de trois ans, « il reviendra à l'État concerné de montrer qu'il sera respecté dès sa première année d'entrée en vigueur effective » (soit en principe 2017).

Cette règle sera probablement respectée si le déficit public n'est pas supérieur à 1 point de PIB en 2017 . En effet, la dette publique devrait culminer à près de 90 points de PIB en 2014. L'écart par rapport au seuil de 60 points de PIB ne devrait donc jamais dépasser 30 points de PIB, ce qui correspond à une diminution exigée de 1,5 point par an au maximum. Or, depuis 1990 l'année 2010 est la seule à avoir vu le PIB en valeur augmenter de moins de 2,5 % en moyenne les trois années précédentes. Il en découle que le solde public minimal nécessaire pour satisfaire la règle est de - 0,8 point de PIB avec une dette de 90 points de PIB, et - 1,5 point de PIB avec une dette de 60 points de PIB, comme le montre le tableau ci-après.

Le solde public minimal nécessaire pour satisfaire la règle de dette

(en points de PIB)

Dette publique constatée

90

85

80

75

70

65

60

Diminution annuelle exigée

1,5

1,3

1,0

0,8

0,5

0,3

0,0

Diminution annuelle résultant d'une croissance du PIB de 2,5 % en valeur*

2,3

2,1

2,0

1,9

1,8

1,6

1,5

Solde public nécessaire

-0,8

-0,9

-1,0

-1,1

-1,3

-1,4

-1,5

* Si l'on excepte les récessions de 1993 et 2009, depuis 1990 la croissance en valeur n'a jamais été inférieure à 2 %. Par ailleurs, depuis 1990, l'année 2010 est la seule à avoir vu le PIB en valeur augmenter de moins de 2,5 % en moyenne les trois années précédentes. La règle de dette s'appréciant en moyenne sur trois ans, c'est ce dernier taux qu'on retient ici.

Source : calculs de la commission des finances

Autrement dit, en « régime de croisière » la France devrait respecter la règle de dette même avec un déficit de l'ordre d'un point de PIB .

Tel devrait également être le cas en 2017 (première année d'application de la règle). Certes, si le déficit était encore de l'ordre d'un point de PIB en 2017 (et non équilibré), ce serait vraisemblablement parce qu'il se serait écarté de la trajectoire les années antérieures, et donc que le ratio dette/PIB n'aurait pas commencé à diminuer en 2014, comme le prévoit le présent projet de programme de stabilité. L'excédent du ratio dette/PIB par rapport au seuil de 60 points de PIB n'aurait donc vraisemblablement pas diminué d'un vingtième par an en moyenne de 2014 à 2016. Cependant l'article 2 du 1467/97, tel qu'il résulte du règlement 1177/2011 du 8 novembre 2011, précise que « l'exigence concernant le critère de la dette est également considérée comme remplie si les prévisions budgétaires établies par la Commission indiquent que la réduction requise de l'écart se produira au cours de la période de trois ans couvrant les deux années qui suivent la dernière année pour laquelle les données sont disponibles ». Autrement dit, il suffirait que la règle soit respectée en moyenne sur la période 2016-2018.

Il n'en demeure pas moins que l'objectif est de ramener les finances publiques à l'équilibre en 2017, tout simplement pour mettre la France à l'abri du risque d'une augmentation autoréalisatrice de ses taux d'intérêt. Il s'agit d'un enjeu essentiel de souveraineté nationale.


* 23 Selon le site Internet de la Commission européenne.

* 24 Selon l'article 5 du règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques, tel que modifié par le règlement (UE) n° 1175/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 : « Lorsqu'ils évaluent la trajectoire d'ajustement en vue de la réalisation de l'objectif budgétaire à moyen terme, le Conseil et la Commission examinent si l'État membre concerné procède à une amélioration annuelle appropriée de son solde budgétaire corrigé des variations conjoncturelles , déduction faite des mesures ponctuelles et autres mesures temporaires, de 0,5 % du PIB , à titre de référence, requise pour atteindre son objectif budgétaire à moyen terme. Pour les États membres confrontés à un niveau d'endettement dépassant 60 % du PIB ou qui sont exposés à des risques importants liés à la soutenabilité globale de leur dette, le Conseil et la Commission examinent si l'amélioration annuelle du solde budgétaire corrigé des variations conjoncturelles, déduction faite des mesures ponctuelles et autres mesures temporaires, est supérieure à 0,5 % du PIB . »

* 25 Réponse au questionnaire écrit adressé par la commission des finances. Cette réponse est reproduite en pages 93 et 94 du rapport de votre rapporteure générale (rapport n° 390, tome I, 2011-2012).

* 26 « Pendant une période de trois ans à compter de la correction du déficit excessif, l'exigence relative au critère de la dette est considérée comme remplie si l'État membre concerné réalise des progrès suffisants vers la conformité, tels qu'évalués dans l'avis formulé par le Conseil sur son programme de stabilité ou de convergence » (nouvelle rédaction de l'article 2 du règlement (CE) n° 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs).

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