CONCLUSION

La guerre civile qui affecte la Syrie a des conséquences indéniables sur l'équilibre de la Jordanie. Le renforcement de son partenariat avec l'Union européenne allait jusqu'alors de pair avec une démocratisation accrue du régime, à l'image notamment de ce qu'a pu accomplir le Maroc. L'afflux de réfugiés syriens, le spectre de la guerre civile, la division de l'opposition et l'impératif de stabilité appuyé par toutes les puissances parties prenantes dans la région ont aujourd'hui contribué à ralentir ce processus de libéralisation du pays, même si des progrès notables ont pu être enregistrés. Le Royaume hachémite, qui peine à définir son identité, apparaît tétanisé par un contexte régional, qu'il s'agisse de la relance du processus de paix israélo-palestinien ou des événements syriens, dont elle subit directement les conséquences. À ces difficultés politiques, s'agrège un contexte économique délicat, exacerbé par le coût tant financier que social de l'accueil d'au moins 600 000 réfugiés syriens.

Face à ces défis, l'Union européenne, qui reste pour l'heure un partenaire secondaire de la Jordanie derrière les États-Unis et les pays du Golfe, doit continuer à apporter son aide, tant politique qu'économique. Au nom de la spécificité de cette relation et de son absence d'enjeu géostratégique, il importe que l'Union européenne puisse continuer à oeuvrer en faveur des droits de l'Homme et de la démocratie. Il en va de la crédibilité de sa politique méditerranéenne, réorientée après le « printemps arabe » et de la cohérence des relations bilatérales qu'elle noue avec certains États. La formule du statut avancé, accordé au Maroc et à la Jordanie ne recouvre pas ainsi les mêmes réalités politiques, le Royaume chérifien semblant plus en avance en la matière que le Royaume hachémite. Il s'agit dès lors de concrétiser ce statut qui, pour l'heure, apparaît plus comme un blanc-seing aux autorités jordaniennes sans réelle contrepartie.

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le mardi 6 mai 2014 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé.

M. Aymeri de Montesquiou . - La stabilité du pays est compromise par l'afflux des réfugiés. Il faut recommencer à zéro : cette région ne sera jamais stable tant qu'on ne sera pas revenu aux frontières de 1967. Puisque l'Union européenne intervient dans la région au bénéfice de ces nations, pourquoi ne pèse-t-elle pas pour faire appliquer les traités et les résolutions des Nations-Unies ? J'étais dans la région lorsqu'Israël a détruit l'aéroport et le port de Gaza. J'ai alors demandé que l'Union européenne cesse d'importer des fruits et légumes d'Israël. Nous tolérons de ce pays des agissements que nous n'accepterions d'aucun autre.

Vous avez fait allusion à la production d'énergie solaire destinée à l'exportation. Ne serait-il pas plus rationnel que cette énergie soit utilisée sur place à des productions qui donneraient du travail aux réfugiés ?

L'intégrité territoriale du pays doit être restaurée. Le roi Hussein, un guerrier, inspirait le respect parce qu'il s'opposait frontalement sur ce point à Israël. Son fils est plus souple. La Jordanie devrait récupérer les zones de Jérusalem et de Cisjordanie qui lui appartenaient avant 1967. Dans les pays de cette région, la situation sociale est paradoxale : voyez l'Arabie Saoudite, riche et qui a pourtant connu récemment des émeutes de la faim. Il appartient à l'Union européenne de préserver la stabilité de la Jordanie, ce pays très fragile, en commençant par ne plus tout accepter d'Israël.

M. Simon Sutour , président . - Vous parlez davantage d'Israël que de la Jordanie. Leurs rapports ne sont du reste pas si mauvais : ils ont signé des traités de paix qui autorisent leurs citoyens de circuler d'un pays à l'autre.

M. Aymeri de Montesquiou . - On ne peut pas en dire autant des Palestiniens !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Les camps de réfugiés, à l'image de celui de Za'atari, représentent une charge énorme pour la Jordanie. Une économie parallèle s'y est créée, mais cela n'empêche pas que l'explosion menace à tout moment. Les efforts faits pour installer séparément les membres des différentes communautés, comme les opposants à Bachar el-Assad d'un côté et les chrétiens de l'autre, par exemple, ne suffisent pas à prévenir ce risque.

Je me suis rendue en Jordanie à l'automne ; en l'absence du Roi, j'ai rencontré des membres du gouvernement, et j'ai bien senti leur souci de stabilité. Ce souci augmente du fait que toutes les aides dont vous avez parlé couvrent à peine 30% des besoins suscités par l'afflux des réfugiés. Les Jordaniens nous reprochent du reste de verser une aide financière aux camps, sans prendre en compte le coût des infrastructures nécessaires alentour. Nous avons également rencontré les représentants d'ONG, dont ONU Femmes - qui en Jordanie, soit dit en passant, est dirigée par un homme. De tels postes devraient être occupés par des femmes (beaucoup de Jordaniennes ont un niveau élevé d'éducation) ne serait-ce que pour donner l'exemple.

M. Simon Sutour , président . - J'ai rencontré les responsables d'ONG qui s'occupent de la place des femmes dans la société, et tous mes interlocuteurs étaient des interlocutrices, des femmes très combatives !

Mme Colette Mélot . - Oui. J'ai reçu, dans le cadre du groupe d'amitié, une délégation jordanienne qui comptait plusieurs femmes ; l'ambassadeur de Jordanie en France a d'ailleurs longtemps été une femme. Quant aux préoccupations exprimées par cette délégation, elles avaient principalement trait à l'accueil des réfugiés syriens, et à la dépendance énergétique du pays. Cela étant, il est indéniable que la Jordanie contribue à la stabilité de la région.

M. Simon Sutour , président . - L'Union pour la Méditerranée ne compte, sur la rive Sud, que deux pays qui disposent pour l'heure d'institutions pérennes : le Maroc et la Jordanie. Le Maroc est un État ancien, tandis que la Jordanie a été assemblée, après la période coloniale, à partir de divers territoires. Sa stabilité intrinsèque est donc moins assurée.

Je me suis rendu, il y a dix jours, en Israël et en Palestine. C'est sur place que l'on se rend véritablement compte de la complexité de la situation. Je donnerai un exemple de l'intrication de la situation : environ 240 000 Palestiniens travaillent aujourd'hui en Israël avec un permis, mais sans doute autant le font sans autorisation. Dans ces conditions, sanctionner Israël entraînerait le risque de sanctionner aussi les Palestiniens.

Nous avons visité dans le Néguev une centrale photovoltaïque construite par EDF. Israël a la chance d'être aujourd'hui moins dépendant de l'approvisionnement en pétrole, grâce aux réserves de gaz considérables découvertes entre l'Égypte, le Liban, Israël et Chypre.

M. André Gattolin . - Et la bande de Gaza ! Tout le problème est là...

Il faut aussi préciser que la colonisation conduite par Israël refoule toute une partie de la population palestinienne vers la Jordanie.

M. Simon Sutour , président . - L'arrivée des Palestiniens a été une richesse pour la Jordanie : ils sont très présents dans le monde économique, tandis que les Transjordaniens tiennent plutôt le pouvoir politique.

M. André Gattolin . - Il est également un autre problème crucial : celui de l'approvisionnement en eau. Vous l'évoquez dans votre rapport, qui est par ailleurs très intéressant et constitue une mine d'informations !

M. Simon Sutour , président . - L'accord passé sur ce point entre Jordaniens, Palestiniens et Israéliens est très difficile à décrypter. L'eau du Jourdain devrait être moins ponctionnée, et la maîtrise des techniques de dessalement permet d'espérer que le problème de l'eau soit bientôt résolu dans cette zone. Il faut d'autant plus s'en féliciter que la Mer morte est littéralement en voie de disparition : on estime qu'elle perd aujourd'hui un mètre par an. L'accord est donc intéressant.

M. André Gattolin . - On entend différents sons de cloche...

M. Aymeri de Montesquiou . - Un mètre de moins par an, c'est colossal !

M. Simon Sutour , président . - En 1960, la surface de la Mer morte était de 1020 kilomètres carrés, en 2006 de 635, et on estime qu'en 2050, elle ne sera plus que de 520 kilomètres carrés.

M. Michel Billout . - La répartition des ressources en eau reste dramatiquement déséquilibrée. Un hydrologue français a récemment fait au groupe d'amitié France-Palestine une présentation géostratégique de la situation dans la région : Israël est contraint de rester dans une économie de guerre quand les Palestiniens sont assujettis à vivre dans une zone de non-droit. Les valeurs défendues par l'Europe sont bafouées. La solution ne viendra pas de discussions bilatérales arbitrées par les États-Unis, en l'absence de l'Union européenne.

M. Simon Sutour , président . - L'Europe joue son rôle ; le problème est plutôt celui de la fonction occupée par Mme Ashton : y a-t-il une politique étrangère de l'Union européenne, ou y en a-t-il vingt-huit ?

J'ai rencontré le représentant de l'Union européenne à Amman ; il m'a dit oeuvrer pour que les réfugiés puissent accéder à la citoyenneté jordanienne. De fait, les enjeux sont considérables : l'accès aux universités, par exemple, est gratuit pour les citoyens jordaniens, mais d'un coût prohibitif pour les étrangers, donc pour les réfugiés qui vivent dans les camps : plus de 28 000 euros. Cela les exclut de fait des études supérieures, alors que nombre d'entre eux, notamment des jeunes filles, sont brillants. Un système de quotas permet aujourd'hui à une infime minorité de réfugiés de s'inscrire gratuitement.

Le poids de l'Union européenne est faible, mais elle exerce une vraie influence. Il n'en faut pas moins admettre que les quelques centaines de millions d'euros européens sont peu de chose par rapport à l'aide apportée par les États-Unis ou les États du Golfe.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - La France jouit en Jordanie de préjugés très favorables ; il y a notamment à Amman un lycée français très prisé de l'élite jordanienne, désireuse de donner à ses enfants une éducation en français. Il importe de continuer à développer ces relations.

M. Aymeri de Montesquiou . - Comment réagissent les Jordaniens à la réconciliation entre Hamas et Fatah ?

M. Simon Sutour , président . - Elle a eu lieu après mon séjour là-bas...

M. Aymeri de Montesquiou . - Tout le monde avait déploré la scission entre ces deux partis, maintenant c'est leur réconciliation qui inquiète.

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