B. UNE DISTANCE ENTRETENUE AVEC L'UNION EUROPÉENNE

En cohérence avec sa volonté d'émancipation de la tutelle danoise, le Groenland a voulu dès le début conserver une certaine distance vis-à-vis de la construction européenne.

Le 2 octobre 1972 , lorsque le Royaume du Danemark a approuvé par référendum son entrée dans la Communauté économique européenne (CEE), l'analyse du scrutin au Groenland montre déjà une divergence avec le résultat global : plus de 70 % des Groenlandais ont voté contre l'entrée dans la CEE . Et ce résultat est confirmé dix ans plus tard.

En effet, après l'entrée en vigueur de la loi d'autonomie en 1979, un référendum organisé cette fois uniquement au Groenland le 23 février 1982 confirme le vote de 1972 et entérine la sortie de l'Europe pour le territoire . Il convient toutefois de noter que la majorité était plus faible, autour de 53 %, pour une participation au scrutin de 75 % de la population.

Après plusieurs mois de négociations, un traité est signé le 13 mars 1984 et le Groenland sort officiellement de la CEE le 1 er février 1985 . Le traité retire le Groenland des accords sur le charbon et l'acier et sur l'énergie atomique et inscrit par ailleurs le Groenland sur la liste des pays et territoires d'outre-mer. Un protocole est annexé qui définit un certain nombre de dérogations concernant la pêche : la Communauté économique européenne s'engage à importer les produits de la pêche sans droits de douane sous la condition d'un accès des pêcheurs européens aux eaux groenlandaises.

Or, c'est précisément la pêche - secteur essentiel pour l'île - qui est à l'origine de la prise de distance groenlandaise à l'égard de l'Union européenne. Les pêcheurs groenlandais craignaient ne pas pouvoir supporter la concurrence qu'auraient exercée les Européens dans le marché commun de la pêche. L'accord de partenariat leur a permis de négocier l'accès des navires européens à leurs eaux, tout en recevant une aide financière.

À ce jour, le Groenland est, avec l'île française de Saint-Barthélemy, le seul territoire à avoir quitté la construction européenne. Néanmoins, depuis 1992, le Groenland dispose d'une représentation permanente auprès de l'Union européenne.

Comme il sera développé ci-après 3 ( * ) , le soutien financier apporté au Groenland en échange des possibilités de pêche était trop éloigné des possibilités de pêche réelles et masquait en réalité un soutien financier équivalent à ce dont le Groenland aurait pu bénéficier s'il était resté dans les Communautés (puis dans l'Union) européennes aux titres des fonds régionaux.

C'est la raison pour laquelle, à compter de 2007, les relations entre l'Union européenne et le Groenland furent clarifiés. Elles s'appuient désormais sur deux composantes :

- un accord de coopération entre l'Union européenne, d'une part, et le Danemark et le Groenland, d'autre part, visant le développement de ce dernier par le dialogue et le soutien financier à des politiques particulières comme l'éducation des jeunes groenlandais ;

- un accord de partenariat dans le secteur de la pêche, fondé sur les principes de la politique commune de la pêche.

Deux spécificités méritent d'être signalées : l'accord de pêche est le seul conclu par l'Union européenne avec un partenaire qui n'est pas un pays ACP (Pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) ; le financement de l'accord du partenariat ne dépend pas du Fonds européen de développement, le FED, comme pour les autres pays et territoires d'outre-mer, mais du budget général de l'Union.

Ainsi, comme on le constate, l'Europe s'est montrée particulièrement accommodante avec le Groenland au fil des années afin de maintenir un lien et un soutien financier. Pourtant, l'image de l'Union européenne ne s'est pas améliorée au fil du temps. La construction d'un sentiment national au Groenland s'est en effet non seulement appuyée sur un rejet de l'ancienne puissance coloniale, le Danemark, mais sans que l'Europe constitue un horizon. En ce sens, le phénomène est très différent de l'exemple récent de l'Écosse qui voulait sortir du Royaume-Uni pour devenir un État indépendant de l'Union européenne.

La question de l'abattage des phoques dans les années 80 et le conflit commercial plus récent sur les ventes de produits dérivés ente l'Union européenne, le Canada et la Norvège sont symboliques du sentiment qu'ont les Groenlandais que la culture et le mode de vie des Inuit est mal compris des européens et peu respecté. Ce sentiment était encore très fort lors du déplacement effectué pour la préparation de ce rapport en septembre 2014.

Il n'est d'ailleurs pas anecdotique que l'image de la France soit encore aujourd'hui liée à celle de la campagne menée par Brigitte Bardot dans les années 80 contre l'abattage des bébés phoques. C'est même avec beaucoup de gravité qu'Aleqa Hammond, alors Première du Groenland, déclara à l'auteur de ce rapport : « Nous n'oublierons ni ne pardonnerons jamais Brigitte Bardot » .

Aujourd'hui, pourtant, le Groenland est protégé de l'interdiction votée par le Parlement européen qui ne vise pas la chasse traditionnelle et qui respecte la gestion durable des ressources marines. Mais cette mesure a eu un grand retentissement sur l'ensemble des communautés inuit au Canada et au Groenland, qui se sont senti rejetées dans leur mode de vie traditionnel, tandis que l'interdiction a empêché que ne se développe une économie propre à la région.

L'Union européenne doit aujourd'hui comprendre qu'elle aurait peut-être plutôt dû s'atteler à soutenir la mise en place d'une filière économique transparente et s'appuyant sur la gestion durable de l'espèce, des méthodes d'abattage qui ne soient pas barbares et la protection de l'écosystème.

Cette crispation participe pleinement de l'affirmation de la culture Inuit à la base du sentiment national qui a marqué les dernières années de la vie politique groenlandaise. Elle masque malheureusement les efforts fournis par l'Europe pour soutenir le Groenland, notamment les efforts financiers.


* 3 Cf. infra 2. L'aide constante de l'Union européenne.

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