N° 304

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 mars 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom des délégués élus par le Sénat (1), sur les travaux de la délégation française à l' Assemblée parlementaire du Conseil de l' Europe au cours de la première partie de la session ordinaire 2015 de cette assemblée, adressé à M. le Président du Sénat, en application de l'article 108 du Règlement,

Par Mme Josette DURRIEU,

Sénatrice.

(1) Cette commission est composée de : Mme Maryvonne Blondin, M. Jean-Marie Bockel, Mmes Nicole Duranton, Josette Durrieu, MM. Bernard Fournier, François Grosdidier, délégués titulaires ; MM. Jacques Bigot, Jean Claude Frécon, Guy-Dominique Kennel, Jacques Legendre, Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, délégués suppléants .

PREMIER CHAPITRE : ACTIVITÉS DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE DEPUIS LA PRÉCÉDENTE PARTIE DE SESSION

Afin de mieux rendre compte des activités de la délégation française entre les parties de session de l'Assemblée parlementaire, le présent rapport expose, essentiellement sous forme de comptes rendus, les entretiens, déplacements et événements ayant concerné les membres de la délégation.

Depuis la 4 ème partie de la session de 2014, qui s'était tenue du 29 septembre au 3 octobre, les faits marquants tiennent à la visite par la délégation du centre de rétention administrative de Coquelles, la réunion du Bureau et de la Commission permanente de l'Assemblée parlementaire, la visite officielle du Pape François à Strasbourg, la visite officielle de la présidente de l'Assemblée en France et le déplacement de la délégation à la Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg.

I. VISITE DU CENTRE DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE DE COQUELLES (PAS-DE-CALAIS) - 13 ET 14  NOVEMBRE 2014

Les 13 et 14 novembre 2014, M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC), président de la délégation française, Mmes Brigitte Allain (Dordogne - Écologiste), Pascale Crozon (Rhône - SRC) et Nicole Duranton (Eure - UMP), et MM. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC), Denis Jacquat (Moselle - UMP), Pierre-Yves Le Borgn' (Français établis hors de France - SRC) et Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP) ont participé à une visite du centre de rétention administrative de Coquelles (Pas-de-Calais). À l'issue de cette visite, M. René Rouquet a établi le compte rendu suivant :

Calais illustre, comme tant d'autres lieux, les lacunes et les limites, voire l'absence d'une politique européenne des migrations. C'est en même temps un cas très spécifique puisque l'essentiel des migrants n'y sont que pour essayer de passer de manière irrégulière au Royaume-Uni et ne demandent pas l'asile politique. Une telle demande impliquerait en effet de rester en France ou d'être réadmis vers un autre pays européen comme l'Italie.

Autre spécificité de Calais, l'importance des migrants d'origine albanaise (plus de la moitié du centre de rétention administrative de Coquelles). Ils y arrivent en situation régulière puisqu'on les autorise à entrer dans la zone Schengen sans visa. Ils ne se mettent en situation irrégulière que s'ils restent au-delà du temps de séjour autorisé ou s'ils se font arrêter en essayant d'entrer illégalement Outre-Manche, la Grande-Bretagne n'ayant jamais été partie aux accords de Schengen. Il nous a été souligné que ces migrants albanais disposent de moyens conséquents. Ils vivent à l'hôtel et non dans les camps comme les autres migrants. Et ils sont souvent très agressifs.

La libéralisation du régime des visas pour l'Albanie

Le Conseil de l'Union européenne a, le 8 novembre 2010, dispensé les Albanais de visas dans la zone Schengen pour un séjour d'une durée de 90 jours, le Parlement européen ayant approuvé cette modification le 7 décembre 2010.

Calais offre en effet une double voie d'accès vers le Royaume-Uni, perçu comme un Eldorado. Ce pays accepte en effet facilement le travail de personnes en situation irrégulière ; les migrants y ont parfois de la famille. S'y ajoutent la langue, une situation relativement bonne de l'emploi et des aides qui seraient meilleures qu'ailleurs.

La situation est difficile pour les habitants de Calais. La multiplication des agressions et des actes d'incivilité créé un climat de peur et d'insécurité dans la population.

En dépit d'effectifs augmentés, 1 000 fonctionnaires de police pour 75 000 habitants, la police ressent un sentiment d'impuissance et la population un manque de fermeté. La non application des décisions de justice sur les squats illustre ce sentiment.

Intrusions dans un port

Les restrictions d'accès sont organisées par le code des transports et le code des ports maritimes.

Le code des transports distingue dans toute installation portuaire :

- « la zone portuaire de sûreté  délimitée par l'autorité administrative, (qui) comprend le port dans ses limites administratives et les zones terrestres contiguës intéressant la sûreté des opérations portuaires » (article L. 5332-1) ;

- « les zones d'accès restreint où peut s'exercer le droit de visite prévu à l'article L. 5332-6 aux fins d'assurer préventivement la sûreté du transport maritime et des opérations portuaires qui s'y rattachent » (article L. 5332-2).

Dans les zones d'accès restreint (ou ZAR) ne doivent circuler que les voyageurs et les personnes affectées au fonctionnement et à la sécurité des installations portuaires (limitativement énumérés à l'article R321-42 du code des ports maritimes).

L'article L. 5336-10 du code des transports dispose qu'« est puni de 3 750 € d'amende le fait de s'introduire ou tenter de s'introduire sans autorisation dans une zone d'accès restreint définie en application de l'article L. 5332-2 ».

Le code des ports maritimes (article R321-33) précise que « L'exploitant de l'installation portuaire construit autour de chaque zone d'accès restreint et entretient une clôture, conformément aux spécifications techniques arrêtées en application de l'article R321-41, et prend pour cette zone les mesures de surveillance qui correspondent au niveau de sûreté fixé par le Premier ministre en application du règlement (CE) n° 725/2004 du 31 mars 2004 du Parlement européen et du Conseil ».

La Capitainerie du port de Calais a précisé qu'il existe d'autres zones (comme les « zones non libres d'accès ») qui sont moins sensibles en termes de sécurité et dans lesquelles les personnes extérieures sont reconduites à l'extérieur du périmètre sans application d'une contravention.

La répression se concentre légitimement sur les réseaux de passeurs plutôt que sur les migrants. Les autorités sont cependant conscientes des limites de leur action. Elles ne frappent que les petits et moyens passeurs, même si 20 filières ont été démantelées en 2013 et des condamnations sévères prononcées par la justice. En plus, à l'image du trafic de drogue, ces réseaux se reconstituent rapidement. Les douanes ont du mal à remplir leurs autres missions avec des effectifs environ sept fois inférieurs à ceux de leurs homologues britanniques. Globalement, la baisse des effectifs des douanes est parfaitement légitime dans un espace sans frontières terrestres, mais se heurte au cas spécifique de Calais.

La situation des migrants est catastrophique et c'est avec beaucoup de tristesse que nous avons vu les conditions de leur existence. Les passeurs, appartenant à des organisations mafieuses, jouent un très grand rôle. Les migrants ayant épuisé leurs ressources pour arriver jusque-là ne peuvent accéder aux parkings des camions, sous le contrôle des passeurs ; ils essaient donc de prendre d'assaut les camions après avoir provoqué des ralentissements. Ils essaient de se cacher à l'intérieur en déchirant les bâches, ce qui suscite l'exaspération des transporteurs. Cet hiver, en l'absence d'hébergements de nuit, les migrants pourraient être victimes du froid. La délégation a également pu constater la présence d'un squat à côté d'une usine de produits chimiques dangereux...

Cette situation met en péril l'activité économique de Calais, ainsi le projet de modernisation du port. Il existe, si la situation devait perdurer longtemps, des risques de délocalisation vers Zeebrugge. L'activité de certaines entreprises est compromise.

Cet état de fait est d'autant plus triste qu'il s'agit d'une ville assez pauvre, avec un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale, même s'il est en baisse.

La visite du Centre de rétention administrative (CRA) de Coquelles nous a permis de mesurer le dévouement et l'engagement des fonctionnaires concernés, en dépit de la difficulté de leurs tâches. Il est à noter que les fonctionnaires en poste dans ce centre y sont sur la base du volontariat.

Ce dévouement et cette humanité sont d'autant plus louables que les procédures sont particulièrement lourdes en l'absence d'acceptation par les avocats de procédures par visioconférence, et ce alors que les investissements nécessaires avaient déjà été réalisés sur un budget pourtant contraint.

En conséquence, un tiers des migrants du CRA de Coquelles vont devant le tribunal administratif, 60 % vont devant le juge des libertés et de la détention, 10 % devant la cour d'appel de Douai. Les trajets sont en moyenne de 300 km aller et retour par jour ; beaucoup plus pour aller au consulat du migrant à Paris. Les 8 véhicules du CRA roulent environ 420 000 km par an.

La visioconférence dans la procédure pénale

La visioconférence est apparue en matière juridictionnelle dans la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 qui a créé l'article 706-71 du code de procédure pénale. Cet article parle plus précisément de « moyens de télécommunication audiovisuelle ».

S'agissant des étrangers, la visioconférence est autorisée, sur décision du juge, sous réserve que l'étranger concerné ait été informé dans une langue qu'il comprend et ne s'y soit pas opposé. La Cour européenne des droits de l'Homme considère que la visioconférence est compatible avec le respect des droits de la défense. Dans une décision du 20 novembre 2003, le Conseil constitutionnel a validé l'utilisation de cette procédure pour les étrangers dans les termes suivants :

« 82. Considérant que le déroulement des audiences au moyen de techniques de télécommunication audiovisuelle est subordonné au consentement de l'étranger, à la confidentialité de la transmission et au déroulement de la procédure dans chacune des deux salles d'audience ouvertes au public ;

83. Considérant que, dans ces conditions, les dispositions précitées garantissent de façon suffisante la tenue d'un procès juste et équitable. »

On ne peut enfin que déplorer l'instrumentalisation de la situation par des groupes extrémistes.

Quelques pistes de réflexions peuvent être esquissées sur la base des constats de nos interlocuteurs à Calais :

• Visioconférence : supprimer la possibilité pour les personnes retenues de refuser l'audition en visioconférence ? Cela serait probablement bénéfique pour tout le monde et permettrait, sans affaiblir les droits de la défense, d'utiliser, au profit des migrants retenus dans les CRA, les moyens ainsi libérés.

Sur le plan juridique, la CEDH a validé le principe d'un tel dispositif. En 2011, la chambre criminelle de la Cour de cassation a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel trois questions prioritaires de constitutionnalité en se référant implicitement à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. L'attitude du Conseil Constitutionnel resterait à apprécier.

Pour autant, la question n'est pas dépourvue de charge émotionnelle et suscite des réticences de la part des avocats.

Au minimum, il y aurait lieu de réengager une concertation sur la base des réalités.

• Intrusions dans le port : transformer la contravention actuelle en délit.

• Réfléchir sans tabous à Schengen :

Les accords de Schengen ont constitué une avancée formidable pour les citoyens européens. Pour autant, le fait que tous les États membres de l'Union n'y adhèrent pas crée une situation difficile, en particulier à Calais. La « communautarisation » de Schengen, à l'origine un processus intergouvernemental, rend plus complexes d'éventuelles modifications.

Dans son communiqué annonçant la libéralisation du régime des visas pour les pays des Balkans occidentaux, le Conseil de l'Union européenne prévoyait un mécanisme de suivi du processus et la mise en place d'une concertation d'urgence en cas de difficultés « quant au flux de personnes en provenance des pays des Balkans occidentaux, auquel cas la Commission peut si nécessaire proposer une suspension de l'exemption de visa ». Sauf changements rapides de la situation, il y aura lieu de réfléchir à la possibilité de mettre en oeuvre cette clause.

• Faciliter l'expulsion des squats.

• L'ouverture d'un centre de jour à la périphérie, décidée par le gouvernement sur proposition de Mme Natacha Bouchart, Sénateur-maire de Calais, est une bonne chose, pour les migrants mais aussi pour une population soumise à une pression importante. Pour autant, que se passera-t-il en cas de grand froid ? L'opposition à l'ouverture la nuit de ce centre de jour est motivée par la crainte de recréer un nouveau Sangatte. En même temps, force est, d'une part, de constater le caractère catastrophique de la situation actuelle et, d'autre part, de s'inquiéter du drame humanitaire qui pourrait se jouer cet hiver.

• Il faut également plus de solidarité européenne, seule véritable solution globale.

Cette politique européenne est à l'heure actuelle totalement inachevée : application partielle de Schengen en Europe, d'où le problème à Calais et ce d'autant plus qu'en pratique les mécanismes de sauvegarde sont théoriques ; absence de solidarité, beaucoup d'États s'efforçant de renvoyer ou d'envoyer les migrants chez les voisins ; un mécanisme de surveillance des frontières européennes embryonnaire, FRONTEX. Les responsabilités sont multiples et partagées, mais il est certain que continuer dans la voie actuelle, celle de l'égoïsme national, mène à une impasse.

Plusieurs membres de la délégation ayant participé à cette visite en ont également établi un compte rendu :

- Mme Brigitte Allain (Dordogne - Écologiste)

http://brigitteallain.eelv.fr/visite-du-centre-de-retention-de-calais-mes-impressions/

- Mme Nicole Duranton (Eure - UMP)

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20141215/europ.html#toc2

- M. Pierre-Yves Le Borgn' (Français établis hors de France - SRC)

http://www.pyleborgn.eu/2014/11/a-calais-la-ou-leurope-perd-son-ame/

II. RÉUNIONS DU BUREAU ET DE LA COMMISSION PERMANENTE DE L'APCE - BRUXELLES, 17 ET 18 NOVEMBRE 2014

M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC), président de la délégation française, a participé aux réunions du Bureau et de la Commission permanente de l'Assemblée parlementaire à Bruxelles, les 17 et 18 novembre 2014. Il en a établi le compte rendu suivant :

Tenues à l'occasion du changement de présidence du Comité des Ministres, désormais assurée par la Belgique, ces réunions ont été l'occasion d'un déplacement à Ypres qui a permis à tous les participants de réfléchir au caractère monstrueux de la Première Guerre mondiale au moment où est commémoré le centième anniversaire de son déclenchement.

La visite du cimetière militaire et du remarquable musée d'Ypres, dans une ville détruite et reconstruite à partir des années 20, a été profondément émouvante. Ypres est également le symbole de la première utilisation d'une arme de destruction massive, les gaz de combats, dont l'horreur marqua tellement les mémoires qu'elle fut bannie et ne fut pas utilisée lors de la Seconde Guerre mondiale.

Cela ne pouvait qu'interpeller les membres d'une organisation créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, où la paix et les droits de l'homme constituaient une priorité absolue. Le mot d'ordre du Conseil de l'Europe eût pu être « plus jamais ça ! »

Il est d'ailleurs intéressant de relever que la ville d'Ypres dispose d'un « Service de la paix » et qu'elle décerne un prix annuel.

Cette commémoration est d'autant plus importante que, si la partie ouest du continent européen a bénéficié d'une période historiquement inégalée de paix, il n'en va pas de même du reste de l'Europe. Les conflits qui endeuillent le continent, du Haut-Karabagh à l'Ukraine, sont là pour montrer que les leçons de l'histoire ne sont pas toujours entendues. Et pourtant, l'un de ses enseignements les plus claires est que la peur de l'autre détermina en 1914 les choix des dirigeants : « C e qui guida l'action des responsables, ce ne fut pas la situation objective éventuelle mais le ressenti de la réalité par les contemporains 1 ( * ) ». Ainsi, « après 1905, l'encerclement devint le leitmotiv qui détermina l'ensemble de la réflexion politique allemande 2 ( * ) » .

Il est donc plus nécessaire que jamais que nous nous battions pour nos valeurs et que nous ne tenions pas la paix pour acquise.

Cette réunion de la Commission permanente fut également l'occasion de se pencher sur l'un des drames provoqués par la guerre, celui des personnes déplacées. Ont été adoptés à cette occasion le rapport de M. Éric Voruz sur « La réinstallation des réfugiés : promouvoir une plus grande solidarité » et celui de M. René Rouquet « Alternatives à l'hébergement des personnes déplacées internes et des réfugiés en Europe dans des centres collectifs ne répondant pas aux normes ».


* 1 Gérard KRUMEICH "Le feu aux poudres" 2014 - Belin page 34.

* 2 Idem.

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