II. L'INSTITUT NATIONAL DU CANCER A PERMIS DE FAIRE PIVOTER L'ORGANISATION DU SYSTÈME DE SOINS AU PROFIT DU PATIENT

Chargé de coordonner les actions de lutte contre le cancer, aux termes de l'article L. 1415-2 du code de la santé publique, l'INCa a notamment pour missions :

- la définition des critères d'agrément des établissements de santé pratiquant la cancérologie ;

- la désignation d'entités et d'organisations dans le domaine de la lutte contre le cancer.

Dans cette perspective, l'INCa a accompagné les évolutions qui ont profondément transformé l'organisation des soins en cancérologie, avec pour objectif principal de garantir la qualité et l'équité des prises en charge des personnes atteintes de cancer sur l'ensemble du territoire. Dans un rôle de structuration et de coordination, l'INCa a contribué à généraliser des pratiques et à articuler la prise en charge autour du patient. De façon générale, les mesures portées par le premier plan cancer ont été largement inspirées du modèle d'organisation des soins, fondé sur une prise en charge globale et pluridisciplinaire, en vigueur dans les centres de lutte contre le cancer 39 ( * ) mais en rupture avec l'organisation traditionnelle des établissements de santé généralistes, privilégiant des unités par organes. En ce sens, l'INCa, en imposant sa vision intégrée, a joué le rôle d'un concentrateur et d'un accélérateur de progrès, instillant une dynamique en cancérologie. En réunissant en son sein les professionnels du soin et de la recherche, il a disposé de l'autorité et de l'expertise pour généraliser des pratiques et des structures.

A. UNE STRUCTURATION ET UN ENCADREMENT AU PROFIT DE LA RÉDUCTION DES PERTES DE CHANCE

Une des priorités du premier plan cancer était de garantir une sécurité minimale des soins apportés aux malades : en homogénéisant des conditions de prise en charge variables selon les établissements, il s'agissait de rendre les chances des patients plus égales. Alors que les taux de guérison du cancer augmentaient sous l'effet des nouveaux traitements, il était important d'assurer la qualité et la sécurité des soins partout sur le territoire. Dans cette perspective, plusieurs dispositifs ont été développés, l'INCa ayant contribué à leur diffusion et à leur mise en oeuvre.

1. Des guides et référentiels pour définir les conditions d'une bonne prise en charge

En vue d'harmoniser les pratiques à un haut niveau de qualité et de réduire les risques de pertes de chances pour les malades, l'INCa met à disposition des professionnels du soin des recommandations et référentiels afin de décrire la prise en charge optimale actualisée pour un type de cancer. Dans la mesure où la cancérologie connaît de très fortes innovations depuis plusieurs années, avec de nouvelles molécules et techniques qui renouvellent les stratégies de prise en charge, ces publications permettent de donner l' état de l'art médical au niveau international. L'INCa assure ainsi le relais entre l'expertise scientifique et la traduction sanitaire avec des publications reconnues. Votre rapporteur spécial a ainsi pu constater qu'elles servent également d'appui pour les enseignements dispensés par certains professeurs universitaires praticiens hospitaliers.

En lien avec les sociétés savantes concernées, l'INCa a ainsi élaboré et diffusé seize recommandations de pratique clinique à destination des professionnels de santé impliqués dans la prise en charge spécialisée des patients en cancérologie.

Outre ses publications à destination des médecins spécialistes, l'INCa a aussi produit en partenariat avec la Haute Autorité de santé vingt-quatre guides de bonnes pratiques couvrant vingt-cinq localisations de cancers, destinés aux médecins généralistes. Ces guides visent à soutenir ces professionnels dans leurs fonctions de premier recours et de coordination de l'organisation des parcours de soins des patients. Plus largement, ils participent également à la structuration des échanges entre les soins de ville et l'hôpital en vue d'assurer la continuité des prises en charge. Ces publications revêtent une grande importance compte tenu de la place des premiers soins pour la détection et l'orientation des patients, conditions d'un traitement précoce du cancer. Toutefois, au-delà de leur diffusion effective, ces guides devraient être davantage utilisés, ce qui rejoint plus largement l'enjeu d'une association plus forte des médecins généralistes à l'action de l'INCa.

Conformément à ses missions d'expertise scientifique, l'Institut national du cancer publie également des synthèses dressant un état des lieux et des connaissances par thématiques. Ces publications participent d'une double information, à la fois du médecin pour intégrer les évolutions structurantes dans le diagnostic et le traitement de la maladie, mais aussi du patient, qui, par le biais de son médecin traitant, peut disposer d'une information complète.

Publications de l'INCa en 2014 à destination des professionnels du soin

Source : commission des finances du Sénat.

2. La mise en oeuvre du dispositif d'autorisation en cancérologie

En vue de réduire les disparités de prises en charge qui entraînaient des chances de survie différentes selon les établissements pour un même cancer, le premier plan cancer a instauré un dispositif d'autorisation en cancérologie permettant d'homogénéiser la qualité des soins. Ce dispositif a été initié en 2007, donnant lieu à une première procédure d'autorisation en 2009 pour une période de cinq ans.

Le dispositif d'autorisation repose sur trois piliers :

- des seuils minimaux d'activité par établissement ont été définis pour certains traitements et certains types de cancer ;

- des critères transversaux de qualité s'appliquent quel que soit le type de prise en charge ;

- des critères d'agrément définis par l'INCa pour les principales thérapeutiques du cancer comme la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie.

Ce dispositif a entraîné une forte restructuration de l'offre de soins. Le nombre d'établissement autorisés pour le traitement du cancer est passé de 2 200 en 2003 à 944 en 2014, correspondant à une réduction de plus de 21 % du nombre d'établissements autorisés. La procédure, effectuée par les ARS, a été renouvelée en 2014 : 935 sites ont reçu une autorisation. L'INCa tient à jour sur son site une cartographie de l'offre de soins en cancérologie, permettant au grand public comme aux professionnels de consulter les modes de traitements autorisés pour chaque établissement.

Pour autant, comme l'ont souligné à votre rapporteur les représentants de la Cour des comptes, la mise en oeuvre de ce dispositif d'autorisation en cancérologie appelle à la vigilance.

En premier lieu, la mise en oeuvre se révèle hétérogène selon les régions car, en augmentant les exigences de qualité et de sécurité des soins, elle peut conduire à la fermeture de certains établissements de proximité. Dans une insertion de suivi au rapport public annuel de 2012, la Cour des comptes 40 ( * ) a noté que « dans certains établissements autorisés, les seuils minima d'activité ne sont pas atteints, en particulier dans le domaine de la chirurgie du cancer où ils avaient pourtant été fixés relativement bas » . De même, dans son rapport sur l'évolution des charges et produits de l'assurance maladie de 2015 41 ( * ) , la CNAMTS soulignait qu'en 2012, 5 % des femmes étaient prises en charge dans des établissements dont l'activité de chirurgie mammaire était inférieure au seuil fixé de 30 interventions par an.

Interrogé par la Cour des comptes en 2015, l'INCa a indiqué qu'aucune dérogation hors cadre réglementaire n'a été accordée à des établissements en raison de non-respect des seuils réglementaires, des mesures transversales de qualité ou des critères d'agrément. Pourtant, lors de l'enquête conduite en 2015 sur les centres de lutte contre le cancer 42 ( * ) , les magistrats de la Cour des comptes ont constaté que des dérogations avaient été accordées à certains centres hospitaliers par des ARS au regard du contexte régional. L'importance de la proximité des soins ne doit toutefois pas remettre en cause les exigences de sécurité de la prise en charge.

En outre, en raison de sa nouveauté et des conséquences qu'il portait pour les établissements de santé, le dispositif d'autorisation a initialement été mis en place selon des seuils « possibilistes ». De fait, les seuils en vigueur sont inférieurs aux standards européens et internationaux : par exemple, pour la chirurgie des cancers du sein, le seuil est de 30 interventions par an par établissement en France, contre 50 interventions par an et par chirurgien recommandées au niveau international selon la CNAMTS 43 ( * ) . Il existe une dichotomie notable entre les exigences qualitatives fortes et le niveau d'activité fixant le seuil relativement bas : le dispositif qualitatif implique des coûts d'équipement et de mise à jour qui ne correspondent pas aux seuils d'activité réglementaires fixés. Il importe de conduire une réflexion sur ce sujet, et le rôle opérationnel de l'INCa en la matière, dans la mesure où le dispositif doit être révisé d'ici le premier semestre 2018, avec un processus de concertation engagé dès l'année 2016. Le troisième plan cancer prévoit de faire évoluer son périmètre afin de prendre en compte les évolutions dans les techniques de prises en charge et l'accès à l'innovation. La réponse au défi de concilier proximité et sécurité des soins doit porter sur une meilleure articulation entre soins de premier recours et soins spécialisés.

Le troisième plan cancer envisage plusieurs pistes d'évolution du dispositif d'autorisation. En particulier, il prévoit de définir des indicateurs de qualité de prise en charge des patients par localisation de cancer. La question de la transparence doit être intégrée pour permettre aux patients de connaitre les niveaux de pratique de chaque établissement. En outre, il prévoit d'actualiser les critères d'agrément pour intégrer les nouvelles modalités de prise en charge, comme la chimiothérapie orale ou la radiologie interventionnelle. À la suite de ces constats sur les dérogations accordées par certaines ARS à certains établissements, la Cour des comptes avançait deux enjeux majeurs :

- d'une part, l'évolution du dispositif, en le fondant sur des seuils  par chirurgien et non plus par spécialité selon les établissements, ce qui permettrait de garantir une pratique individuelle suffisante de l'oncologie ;

- d'autre part, introduire des indicateurs mesurant les bénéfices pour la santé des patients et le risque de perte de chance à être pris en charge par tel ou tel établissement de santé. De tels indicateurs ne sont actuellement pas disponibles.

Recommandation n° 7 : Dans le cadre du processus de concertation engagé en 2016 sur l'évolution du dispositif d'autorisation en cancérologie, conduire une réflexion afin de définir des seuils d'activité conformes aux standards internationaux et de garantir la sécurité des patients et d'agrémenter les critères d'autorisation d'exigences qualitatives, présentant le niveau d'activité de chaque établissement.


* 39 Des établissements de santé spécialisés dans la lutte contre le cancer ont été créés dans les années 1920 afin de répondre à l'augmentation des cas de cancer et à l'apparition de nouvelles thérapies, avec en particulier la radiothérapie. L'ordonnance n° 45-2221 du 1 er octobre 1945 a ensuite institué les centres de lutte contre le cancer, nouveau type d'établissements privés sans but lucratif, associant soins, recherche et enseignement treize ans avant la création des centres hospitaliers universitaires par la réforme initiée par le professeur Debré en décembre 1958. Implantés dans 11 des 13 régions métropolitaines, les 18 centres de lutte contre le cancer représentent une part significative de l'offre de soins oncologiques et constituent un modèle original parmi le système hospitalier. En 2013, ils ont pris en charge 110 336 patients, soit près de 10 % des personnes atteintes de cancer.

Les réunions de concertation pluridisciplianires et la consultation d'annonce étaient déjà largement pratiquées dans les CLCC.

* 40 « La lutte contre le cancer : une cohérence et un pilotage largement renforcés », rapport public annuel, février 2012, pages 25 à 48.

* 41 « Rapport au ministre chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l'évolution des charges et produits de l'assurance maladie au titre de 2016 », CNAMTS, 2 juillet 2015.

* 42 Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, « Les centres de lutte contre le cancer, un positionnement à redéfinir dans l'offre de soins », septembre 2015.

* 43 Cf. note 2.

Page mise à jour le

Partager cette page