B. DES ADAPTATIONS DANS LES CHAMPS DE LA RECHERCHE ET DE LA SANTÉ PUBLIQUE ONT ÉTÉ NÉCESSAIRES

L'Institut national du cancer s'est progressivement ancré parmi les professionnels du soin et les acteurs de la recherche, s'imposant par l'autorité de ses recommandations et par son appui financier. Parallèlement, les structures préexistantes se sont adaptées pour nouer des relations de travail avec l'opérateur chargé du cancer. Du fait de son approche intégrée de la pathologie, l'INCa intervient dans les champs de compétences de nombreuses agences sanitaires et de recherche. Afin de préciser les attributions et de rechercher des synergies, une démarche de formalisation des relations avec les agences nationales, autorités et opérateurs, dont les compétences s'appliquent dans le champ de la cancérologie ou de la prise en charge et de l'accompagnement des personnes atteintes de cancer a été initiée, donnant lieu à la signature d'accords-cadres. Fin mars 2016, l'INCa était lié par neuf accords-cadres (cf. annexe n° 3).

En particulier, l'accord-cadre conclu avec la Haute Autorité de santé était nécessaire dans la mesure où les compétences des deux agences peuvent se recouper en matière d'édiction de référentiels. L'accord permet ainsi de définir l'articulation des compétences entre la vision spécialisée incarnée par l'INCa et l'agence généraliste qu'est la HAS. Sur ce point, la récente nomination à la présidence du collège de la HAS d'Agnès Buzyn, ancienne présidente de l'INCa, devrait faciliter l'articulation entre les deux agences.

1. La restructuration de la recherche a permis d'intégrer ce nouvel acteur

Au-delà des accords-cadres régissant les relations bilatérales entre l'INCa et les autres agences, l'existence d'un opérateur spécifique a rendu nécessaire une adaptation de l'architecture du monde de la recherche.

En 2007, la Cour des comptes s'était interrogée sur l'articulation entre l'INCa et les autres agences de recherche 13 ( * ) . Dans son rapport sur la mise en oeuvre du plan cancer, la Cour des comptes avait interrogé le positionnement de l'Institut en matière de recherche, relevant qu'il agissait en ce domaine comme une agence de certification de la qualité d'autres acteurs, et comme agence de moyens. Or, ces deux rôles étaient déjà tenus par l'Inserm, opérateur de recherche tourné vers la santé, et par l'Agence nationale de la recherche, bras armé du financement de la recherche. Or, l'INCa tire les ressources nécessaires à ses activités de recherche de l'ANR : la subvention pour charges de service public du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche transite par l'ANR, qui redistribue l'ensemble de ces fonds fléchés en faveur de la recherche sur le cancer vers l'INCa. De fait, la Cour des comptes posait la question de l'avenir des missions assumées par l'INCa, en raison de leurs redondances avec celles de l'Inserm et de l'ANR.

Ces réflexions participent du même débat né de l'existence d'un opérateur organisé autour d'une pathologie dans toutes ses dimensions et de son articulation avec une agence spécialisée dans la recherche en santé tel l'Inserm.

Afin de préciser l'articulation entre les deux logiques, la réorganisation nationale de l'architecture de la recherche engagée en 2007 a permis d'intégrer la vision spécifique portée par l'INCa.

Cette réforme a notamment conduit à la création de plusieurs alliances à partir de 2009 dans le cadre de la stratégie nationale pour la recherche et l'innovation (SNRI). Ces alliances thématiques de recherche sont des groupes de concertation chargés de réunir les principales institutions de la recherche publique afin de coordonner, dans certains secteurs identifiés, les priorités de la recherche et du développement. L'Inserm, seul organisme public de recherche français entièrement dédié à la santé humaine, s'est vu confier, en 2008, la responsabilité d'assurer, au travers de l'alliance Aviesan 14 ( * ) créée en 2009, la coordination stratégique de l'ensemble des opérateurs dans le domaine de la recherche biomédicale. Aviesan se décline en neuf instituts thématiques multi organismes (ITMO), dont un consacré au cancer et commun au CNRS, à l'INCa et à l'Inserm. La création d'Aviesan en 2009 s'est inscrite dans une démarche de clarification du rôle des acteurs de la recherche. Elle traduit aussi la volonté de s'inspirer du modèle du National Institutes of Health américain, qui se compose de différents instituts spécifiques pour chaque grande branche de pathologie, dont le National Cancer Institute .

Présentation des neuf instituts thématiques multiorganismes d'Aviesan et des organismes impliqués

Source : INCa.

Cependant, dans la mesure où l'INCa incarnait déjà la recherche sur le cancer, la question de l'articulation de l'ITMO cancer avec l'INCa s'est posée. L'équilibre a été trouvé par une mise en relation très forte entre l'ITMO cancer et l'INCa, symbolisée par le fait que son directeur est également le directeur de la recherche de l'INCa 15 ( * ) , ce qui assure une articulation naturelle entre les deux organismes et une coordination effective. Par l'intermédiaire de son directeur du pôle recherche, l'INCa agit comme coordonnateur de la recherche dans le domaine du cancer auprès de tous les organismes de recherche impliqués dans les sciences de la vie et de la santé.

Dans ces conditions, l'INCa est chargé, conformément à ses missions de coordination des actions sur le cancer, de la définition et du financement des orientations stratégiques de la recherche. Au niveau national, la politique de recherche sur le cancer est impulsée par l'INCa, financeur des programmes de recherche, et par Aviesan à travers l'ITMO cancer. L'INCa, en concertation avec l'ITMO cancer, définit la programmation de la recherche contre le cancer, ainsi que le financement et l'évaluation de projets. Les orientations stratégiques de recherche sur le cancer sont communes à l'ITMO Cancer et à l'INCa et fixées selon un document stratégique unique 16 ( * ) . L'ITMO et l'INCa conduisent une réflexion sur les axes de recherche prioritaires et sur la façon dont les laboratoires les investissent, afin de permettre de couvrir tous les champs de la recherche sur le cancer.

Après une première convention cadre conclue entre l'État, l'Inserm et l'INCa en 2011 pour le deuxième plan cancer, en vue de clarifier l'articulation entre l'INCa et l'ITMO cancer, une nouvelle convention-cadre a été conclue le 11 juin 2014 dans le cadre du troisième plan cancer. Elle prévoit :

- que l'INCa est chargé des programmes récurrents dans tous les domaines disciplinaires, de la structuration des ressources et des compétences pour la recherche par la labellisation de sites ;

- que l'Inserm prend en charge les programmes de recherche spécifiques et apporte son soutien financier aux infrastructures pour la recherche translationnelle.

Architecture de la recherche en sciences de la vie

Source : commission des finances du Sénat.

En dépit de ce cadre adapté pour concilier la spécificité de la recherche sur le cancer, doublement portée par l'INCa et l'ITMO cancer, et son intégration au sein de la recherche en sciences du vivant, certaines propositions remettent en question la compétence de l'INCa en matière de recherche. En ce sens, la création d'Aviesan a modifié les modalités de versement des crédits alloués à la recherche dans le cadre du deuxième plan cancer. Alors que le deuxième plan cancer avait prévu leur affectation à l'INCa via l'ANR, les crédits complémentaires ont été affectés à l'ITMO cancer via le budget de l'Inserm. Ce choix s'inscrit en outre dans un contexte plus général des réflexions autour du maintien de l'INCa comme opérateur investi d'une approche intégrée sur le cancer. Ainsi, le rapport issu des travaux de la mission d'information sur les agences sanitaires présidée par Yves Bur 17 ( * ) préconisait de suivre l'exemple initié par l'agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales. Cette agence avait choisi d'intégrer l'Inserm en 2012 tout en préservant son autonomie.

Toutefois, votre rapporteur spécial considère que l'équilibre atteint à la suite de la création d'Aviesan et de l'ITMO cancer permet de concilier le maintien de l'INCa en tant qu'opérateur à vision intégrée sur le cancer et la coordination des acteurs de la recherche à un double niveau :

- au sein de la recherche en cancérologie, la coordination s'opère naturellement par l'INCa et grâce à son statut de GIP ;

- au sein de la recherche en sciences de la vie, l'ITMO cancer permet d'articuler la recherche en cancérologie avec l'ensemble du dispositif de recherche publique en santé, facilitant l'engagement récurrent et pluridisciplinaire des équipes de recherche dans le domaine du cancer.

Recommandation n° 1 : maintenir la compétence de l'INCa en matière de recherche au travers du lien entre l'INCa et l'ITMO cancer, qui permet de conjuguer la reconnaissance spécifique de la recherche sur le cancer et son indispensable articulation avec la recherche en sciences de la vie.

2. La logique territoriale ayant présidé à la création des agences régionales de santé s'est initialement heurtée à la logique thématique portée par l'Institut national du cancer

Si l'insertion de l'INCa parmi les structures qui lui préexistaient dans le champ de la recherche a provoqué des difficultés initiales, une difficulté est apparue avec le tournant pris en faveur du pilotage de la politique de santé en région par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (dite loi HPST) 18 ( * ) qui crée les agences régionales de santé (ARS). Investies d'une mission de coordination de l'ensemble des politiques de santé dans un cadre territorial, les ARS s'inscrivent dans une perspective différente de celle portée par l'INCa. De fait, non prévues par la loi, les relations entre les deux se sont révélées difficiles :

- de son côté, l'INCa redoutait d'être dépossédé de son champ d'action, au moment même où il était parvenu à s'affirmer après une création difficile. De plus, la création des ARS a eu pour conséquence directe la rupture des relations développées jusqu'alors avec les référents cancer dans les agences régionales de l'hospitalisation, l'ancien organisme régional de gestion des hôpitaux, ainsi qu'avec les directions régionales des affaires sanitaires et sociales ;

- du côté des ARS, la vision spécifique portée par l'INCa s'ajoutait à la prise en compte des compétences des autres agences sanitaires, de l'assurance maladie et des directions d'administration centrale, de sorte qu'il était complexe pour elles de coordonner tous ces apports dans leur mise en oeuvre de la politique de santé en région. La multiplication des plans nationaux a pu constituer une difficulté pour les ARS lors de l'élaboration de leurs priorités régionales.

De surcroit, le fonctionnement prévu par le secrétariat général du ministère des affaires sociales conduisait à centraliser les demandes adressées aux ARS auprès du comité national de pilotage des ARS, rendant impossible toute communication directe entre l'INCa et les équipes des ARS, à l'exception des sollicitations de leur part sur des questions relatives au cancer. Cette relation asymétrique a contribué à rendre plus difficile l'articulation entre les échelons national et régional dans la politique de lutte contre le cancer durant le deuxième plan cancer (2009-2013). Aussi le rapport final du deuxième plan cancer 19 ( * ) souligne-t-il sa déclinaison hétérogène selon les régions. Cette mise en oeuvre différente en région s'explique également par un calendrier défavorable, dans la mesure où le deuxième plan cancer a été lancé alors même que les instances et les outils de la planification de la politique régionale de santé se trouvaient refondus par la loi HPST.

Toutefois, afin de diminuer les inégalités territoriales en matière de cancer, assurer une articulation entre l'INCa et les ARS est devenu une priorité. Déjà, l'INCa s'était efforcé d'associer les ARS à ses actions et à sa gouvernance, en nommant un représentant des directeurs généraux des ARS comme membre de son conseil d'administration, en tant que personnalité qualifiée.

Surtout, les relations ont considérablement évolué à partir de 2014 avec le troisième plan cancer, qui place la lutte contre les inégalités parmi ses axes prioritaires. De fait, les ARS sont pleinement associées à la gouvernance du plan ; elles sont pilotes de la mise en oeuvre du plan cancer dans leur région. Dans le cadre de son rôle de pilotage opérationnel du plan cancer 2014-2019, l'INCa coordonne les relations avec les ARS. Un représentant des directeurs généraux des ARS participe aux instances de pilotage que sont le comité de pilotage interministériel et le comité de suivi. Deux dispositifs complètent cette articulation :

- afin de veiller à l'interface entre le niveau national et régional, un groupe de six ARS volontaires a été institué 20 ( * ) , chargé d'examiner et de se prononcer sur les questions liées à la mise en oeuvre du Plan cancer en région ;

- par une instruction conjointe du secrétariat général du ministère des affaires sociales, des directions d'administration centrale et de l'INCa, les ARS ont été invitées à décliner le plan par des feuilles de route régionales. Elles ont fait l'objet d'une analyse par l'INCa, qui a souligné la mobilisation des ARS et leur implication dans la politique de lutte contre le cancer. Les ARS produisent annuellement un bilan de réalisation de leur feuille de route respective qui sera complété par une fiche élaborée par l'INCa pour chaque ARS mettant à leur disposition les données de leur région.

Le troisième plan cancer a donc permis d'assurer les relations entre l'INCa et les ARS, qui ont ainsi pu développer des relations de travail fécondes. Un protocole des relations entre les ARS et l'INCa a été élaboré en mai 2015. Les ARS sont associées aux travaux menées par l'INCa sur l'évolution de l'organisation territoriale, en réponse aux saisines et aux sollicitations d'une part de la direction générale de la santé (DGS) pour ce qui concerne l'évolution des missions et de l'organisation des structures de gestion du dépistage, et d'autre part de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) pour ce qui concerne l'évolution des missions des réseaux régionaux de cancérologie (RRC) et des centres de coordination en cancérologie (3C). Tant dans la conception que dans la mise en oeuvre des politiques qu'il initie, l'INCa associe les ARS.

De façon générale, l'INCa est l'expert, chargé d'élaborer et de coordonner les actions de lutte contre le cancer au plan national, tandis que les ARS doivent décliner ces mesures régionalement, en adaptant autant que possible l'offre de soins aux préconisations de l'INCa, en vérifiant la conformité des établissements aux normes ou la qualité des relations entre les divers intervenants en matière de soins.


* 13 Cour des comptes, rapport public thématique, « La gestion de la recherche publique en sciences du vivant », mars 2007, page 31.

* 14 Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, créée le 8 avril 2009 par les organismes suivants : le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), les Centres hospitaliers régionaux et universitaires (CHRU), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), la Conférence des présidents d'université (CPU), l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Institut Pasteur, l'Institut de recherche pour le développement (IRD). D'autres organismes ont ensuite rejoint l'alliance au titre de membres associés.

* 15 Cette disposition est inscrite dans le troisième plan cancer mais également dans le COP.

* 16 Document stratégique unique approuvé par le conseil d'administration de l'INCa le 19 décembre 2013.

* 17 Rapport d'information déposé par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale en conclusion des travaux de la mission sur les agences sanitaires présenté par Yves Bur le 6 juillet 2011.

* 18 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

* 19 « Rapport final au Président de la République », plan cancer 2009-2013, juin 2013.

* 20 Ce groupe réunit les ARS de Bourgogne, Corse, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et de l'Océan indien.

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