B. RENFORCER LES GARANTIES ENTOURANT LE STATUT DES JUGES CONSULAIRES

1. La création récente d'un « statut » de juge consulaire

Dans une décision QPC du 4 mai 2012 171 ( * ) , le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions du code de commerce alors en vigueur sur le mandat et la discipline des juges consulaires .

S'agissant en particulier de leur mandat, il a jugé que le droit alors en vigueur ne portait atteinte ni aux principes d'impartialité et d'indépendance des juridictions ni à la séparation des pouvoirs, compte tenu des garanties prévues par la loi : encadrement de la durée des fonctions dans le temps, conditions de leur cessation, régime disciplinaire, prestation de serment et prévention des conflits d'intérêts via le renoncement ou la récusation 172 ( * ) et, enfin, possibilité pour la cour d'appel de délocaliser une procédure collective devant une autre juridiction « lorsque les intérêts en présence le justifient » 173 ( * ) .

Pour autant, les juges consulaires ne disposaient d'aucun « statut » : n'étant pas des magistrats 174 ( * ) , ils ne relèvent pas du statut de la magistrature. Dès lors, comme l'indiquait le commentaire aux cahiers de la décision QPC de 2012, « de façon générale, toute réforme visant à améliorer l'organisation et le fonctionnement de la justice commerciale au regard des exigences constitutionnelles paraît opportune, même si elle ne résulte pas d'une exigence constitutionnelle » 175 ( * ) .

La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle a donc créé un véritable statut pour les 3 377 juges des tribunaux de commerce 176 ( * ) , qui sont bénévoles 177 ( * ) , en élargissant leurs incompatibilités professionnelles et politiques, en instaurant une obligation de formation et en renforçant leurs obligations déontologiques et leur régime disciplinaire.

Le « statut » des juges consulaires

Les juges consulaires sont élus pour un premier mandat de deux ans puis, à l'issue, peuvent être réélus par période de quatre ans dans le même tribunal ou tout autre tribunal 178 ( * ) . La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle a encadré la durée de ces fonctions dans le temps, en instaurant un maximum de quatre mandats successifs dans le même tribunal (les juges bénéficiaient auparavant d'un délai de viduité au terme duquel ils pouvaient être réélus et en être membres à vie) et une limite d'âge de 75 ans 179 ( * ) . À l'initiative du Sénat, compte tenu des difficultés de renouvellement des candidats à ces fonctions, la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises a permis le cumul de cinq mandats successifs .

Le régime des incompatibilités professionnelles et politiques , auparavant limité à l'impossibilité d'être simultanément membre d'un conseil de prud'hommes ou d'un autre tribunal de commerce a été aligné sur les dispositions prévues par le statut de la magistrature. Ainsi, la fonction de juge consulaire est incompatible avec l'exercice des professions réglementées qui sont en lien avec la justice et avec l'exercice de mandats locaux, nationaux et européens 180 ( * ) .

Une obligation de formation initiale a été instaurée sous peine de sanction , ainsi qu'une obligation de formation continue 181 ( * ) . Si le rapport annuel 2020 d'activité de l'École nationale de la magistrature (ENM) atteste que l'intérêt des juges consulaires pour leurs formations a toujours été fort (taux de suivi de 63,5 %) 182 ( * ) , pour autant tous les juges ne la suivaient pas. Le taux d'assiduité est désormais de 96 % 183 ( * ) . La formation initiale dure désormais huit jours et doit être suivie dans les vingt mois de l'élection, sous peine pour le juge d'être réputé démissionnaire. Douze modules sont prévus sur le territoire, animées par un binôme « magistrat-juge consulaire ». Sur les 404 juges nouvellement élus soumis à cette obligation à compter entre le 1 er novembre 2018 et le 30 juin 2021, 14 juges consulaires n'ont, à ce jour, pas encore achevé leur formation 184 ( * ) .

Les obligations déontologiques des juges ont également été renforcées , notamment par l'extension de l'obligation de prévenir ou faire cesser les conflits d'intérêts selon la définition déjà retenue par le statut de la magistrature issue de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique 185 ( * ) ; ainsi que par la remise d'une déclaration d'intérêt au président du tribunal ou au premier président de la cour d'appel pour les présidents de tribunaux 186 ( * ) .

Les juges consulaires bénéficient également depuis 2016 de la protection fonctionnelle 187 ( * ) sur le même modèle que celle applicable aux magistrats judiciaires.

Enfin, le régime disciplinaire qui leur est applicable a été modernisé . Le pouvoir disciplinaire appartient à une commission nationale de discipline (CND) placée auprès de la Cour de cassation, qui ne pouvait auparavant être saisie que par le garde des sceaux. Elle peut désormais être également saisie par le premier président de la cour d'appel 188 ( * ) , qui peut en outre désormais donner un avertissement à un juge consulaire en dehors de toute procédure disciplinaire 189 ( * ) . A également été rendue possible la saisine, par tout justiciable, de la CND, en cas de problème pouvant recevoir une qualification disciplinaire dans le cadre d'une procédure judiciaire devant un tribunal de commerce, après filtrage par une commission d'admission des requêtes 190 ( * ) .

Source : commission des lois du Sénat

Cette réforme avait été approuvée par le Sénat , favorable au rapprochement des conditions d'exercice des juges consulaires et des magistrats professionnels, et par les juges consulaires eux-mêmes.

2. Les évolutions nécessaires au renforcement des garanties entourant ce statut

Les rapporteurs estiment que l'évolution de la compétence des tribunaux de commerce est cohérente avec le renforcement des obligations de formation et des exigences déontologiques applicables à ces juges non professionnels. Quelques évolutions pourraient encore être de nature à renforcer les garanties entourant leur statut.

Les rapporteurs estiment tout d'abord que l' encadrement dans le temps des mandats n'est pas encore totalement abouti , comme le leur a fait observer la Conférence générale des juges consulaires de France (CGJCF). La loi limite actuellement le cumul de mandats dans le temps aux mandats « successifs » dans un même tribunal 191 ( * ) ; dès lors, il est donc possible d'exercer plus de cinq mandats s'ils ne se suivent pas . Désapprouvant l'idée d'être juge « à vie » ou presque dans le même tribunal, les rapporteurs préconisent de limiter le nombre de mandats à cinq dans le même tribunal, qu'ils soient successifs ou non.

Recommandation n° 47 :  Limiter le nombre de mandats de juge consulaire à cinq dans le même tribunal, qu'ils soient successifs ou non.

La CGJCF a également alerté les rapporteurs sur les difficultés rencontrées par les présidents de tribunaux de commerce en cas de manquements des juges consulaires , susceptibles de perturber le bon fonctionnement des juridictions . Il peut arriver que certains juges refusent de siéger. Les rapporteurs rappellent que si de tels faits sont constitutifs d' une faute disciplinaire, c'est-à-dire d'un « manquement par un juge de tribunal de commerce aux devoirs de son état, à l'honneur, à la probité ou à la dignité » 192 ( * ) , ils peuvent donner lieu à l'exercice de poursuites disciplinaires . La procédure disciplinaire a été assouplie fin 2016 pour permettre au premier président de la cour d'appel du ressort de saisir lui-même la commission nationale de discipline (CND) 193 ( * ) . Dès lors, plutôt que de faire du refus de siéger une nouvelle cause de cessation des fonctions comme cela semble être envisagé, les rapporteurs estiment préférable à ce stade d'encourager les premiers présidents de cour d'appel à se saisir pleinement de leurs nouvelles prérogatives.

Recommandation n° 48 : Encourager les premiers présidents de cour d'appel à se saisir pleinement de leurs prérogatives en matière disciplinaire pour assurer le bon fonctionnement des juridictions commerciales.

Ces difficultés montrent l' étendue des responsabilités qui pèsent sur les présidents des tribunaux de commerce , comme sur tout chef de juridiction, à la différence que les premiers sont bénévoles.

S'ils sont élus parmi les juges les plus expérimentés 194 ( * ) (six ans d'expérience comme juge consulaire au moins), aucune formation n'est obligatoire à leur prise de fonctions . Comme l'a suggéré la CGJCF, les rapporteurs souhaitent rendre obligatoire la formation des présidents dans un délai rapproché de leur prise de fonctions, sous peine d'être réputé démissionnaire de cette fonction.

Recommandation n° 49 :  Instaurer une obligation de formation pour les présidents de tribunaux de commerce à leur prise de fonctions.


* 171 Conseil constitutionnel, décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 2012, EURL David Ramirez [Mandat et discipline des juges consulaires].

* 172 Cons. 25 de la décision : « en application du second alinéa de l'article L. 721-1, les tribunaux de commerce sont soumis aux dispositions, communes à toutes les juridictions, du livre premier du code de l'organisation judiciaire ; qu'aux termes de l'article L. 111-7 de ce code : ``Le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s'abstenir se fait remplacer par un autre juge spécialement désigné'' ; que, de même, les dispositions de ses articles L. 111-6 et L. 111-8 fixent les cas dans lesquels la récusation d'un juge peut être demandée et permettent le renvoi à une autre juridiction notamment pour cause de suspicion légitime ou s'il existe des causes de récusation contre plusieurs juges ».

* 173 Article L. 662-2 du code de commerce.

* 174 Conseil constitutionnel, décision n° 96-16 I du 19 décembre 1996, Situation d'André Gentien, député de Saône-et-Loire, au regard du régime des incompatibilités parlementaires, cons. 4 et 5.

* 175 Commentaire, p. 11, consultable à l'adresse suivante :

https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites Rapport annuel 2020 de l'École nationale de la magistrature, p. 67 consultable à l'adresse suivante : https://www.enm.justice.fr/actu-23032021-publication-du-rapport-d-activite-2020-de-l-enm /default/files/as/root/bank_mm/decisions/2012241qpc/ccc_241qpc.pdf

* 176 Rapport annuel 2020 de l'École nationale de la magistrature, p. 67 consultable à l'adresse suivante : https://www.enm.justice.fr/actu-23032021-publication-du-rapport-d-activite-2020-de-l-enm

* 177 Article L. 722-16 du code de commerce.

* 178 Article L. 722-6 du code de commerce.

* 179 Article L. 723-7 du code de commerce.

* 180 Articles L. 722-6-1 à L. 722-6-3 du code de commerce.

* 181 Article L. 722-17 du code de commerce.

* 182 Rapport annuel 2020 de l'École nationale de la magistrature, p. 68 consultable à l'adresse suivante :

https://www.enm.justice.fr/actu-23032021-publication-du-rapport-d-activite-2020-de-l-enm

* 183 Chiffres communiqués par la Chancellerie.

* 184 Idem supra .

* 185 Article L. 722-20 du code de commerce.

* 186 Article L. 722-21 du code de commerce.

* 187 Article L. 722-19 du code de commerce.

* 188 Article L. 724-3 du code de commerce.

* 189 Article L. 724-1-1 du code de commerce.

* 190 Article L. 724-3-3 du code de commerce.

* 191 Article L. 723-7 du code de commerce.

* 192 Article L. 724-1 du code de commerce.

* 193 Voir encadré supra .

* 194 Article L. 722-11 du code de commerce.

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