III. LES BONNES PRATIQUES LOCALES

Comme indiqué précédemment, l'État n'a pas su jouer pleinement son rôle en matière d'accès aux soins, de sorte que se sont malheureusement développés des déserts médicaux dans des pans entiers de notre pays.

Certains élus ont été contraints de prendre des mesures « choc » pour interpeller les autorités. Ainsi, M. Christophe Dietrich, maire de Laigneville (Oise) a indiqué, lors de son audition, avoir « pris un arrêté pour interdire les décès à domicile le jour où il n'a pas été possible de trouver un médecin pour constater un décès. J'ai dû menacer de sortir le cadavre sur le pas de la porte de son domicile pour obtenir l'arrivée d'un SMUR, après que toutes les autorités - sous-préfecture, ARS ou SAMU - se sont défaussées. Mon but était de prendre un arrêté municipal stupide pour démontrer la stupidité de la situation » 19 ( * ) .

Au-delà de ces arrêtés symboliques, qui traduisent l'inquiétude, voire la colère des élus locaux, ces derniers cherchent, de longue date, à se mobiliser face aux difficultés de l'État, en dépit de la modestie des moyens juridiques, techniques et financiers dont ils disposent. En effet, les élus de terrain sont régulièrement interpellés par les habitants sur ce sujet, comme l'a souligné M. Frédéric Chéreau, co-président de la commission Santé de l'association des maires de France, entendu par votre délégation le 11 mars 2021 : « Quand bien même nous ne souhaiterions pas nous intéresser à la santé, cette question nous revient en permanence . La santé constitue le troisième sujet pour lequel nous sommes sollicités , après le logement et l'emploi ».

Dans le même sens, M. John Billard , maire de Le Favril (Eure), a indiqué devant votre délégation : « Comment se fait-il que les communes doivent prendre en charge ce qui doit l'être par l'État ? Nous ne devrions peut-être pas prendre d'initiatives de la sorte, mais un maire a une relation directe avec sa population qui le relance constamment pour agir » 20 ( * ) .

L'actualité la plus récente illustre les préoccupations croissantes des élus locaux. Ainsi, le 29 septembre 2021, l'association des maires ruraux, associée à des acteurs de la santé et à des citoyens, a lancé un cri d'alerte sur la dégradation de la démographie médicale en France, cette dégradation était qualifiée, à juste titre, de « bombe à retardement ».

Dans l'attente de solutions pérennes et structurelles , qui ne peuvent être menées qu'à l'échelle de l'État , les élus locaux, ces « inventeurs de solutions », ont mené diverses initiatives pragmatiques pour garantir l'accès aux soins jusqu'au dernier kilomètre et réduire ainsi, autant que faire se peut, les fractures territoriales dont souffrent les habitants de leurs territoires.

À cet égard, il est utile de rappeler que l'article L1110-1 du CSP énonce que : « le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ».

Vos rapporteurs ont souhaité, sans prétendre à l'exhaustivité, identifier certaines bonnes pratiques locales, comme la délégation le fait régulièrement sur les sujets les plus variés 21 ( * ) .

Cette démarche vise, d'une part, à rendre hommage aux élus qui portent ces actions innovantes, d'autre part, à les faire connaitre au plus grand nombre, dans une perspective de partage d'expériences . Certaines initiatives paraissent en effet transposables à d'autres territoires placés dans des situations comparables. Vos rapporteurs insistent sur le fait qu'il n'existe pas une « solution miracle » mais un éventail de possibilités qui dépendent des besoins des populations, appréciés in concreto. Vos rapporteurs encouragent donc la différenciation territoriale , conjuguée à une logique d'expérimentation pragmatique .

A. LES CENTRES DE SANTÉ

1. Le rôle des communes et leurs groupements

Historiquement ce sont les communes et leurs groupements qui, face à la carence de l'État et dans le prolongement des oeuvres locales souvent portées par l'Église, ont créé des centres de santé afin de remédier aux déserts médicaux et de limiter l'isolement des professionnels de santé par le développement de leur « exercice coordonné ».

Les auditions ont permis d'identifier plusieurs initiatives exemplaires. S'il n'est pas possible de toutes les citer 22 ( * ) , on peut saluer, à titre d'exemples,

- la création dans la commune du Sourn (Morbihan), en septembre 2015, du premier centre médical communal de Bretagne : dans cette commune de quelque 2 000 habitants, la mairie prend en charge la comptabilité et le matériel ainsi que le salaire des quatre médecins. Lors de son audition, le maire Jean-Jacques Videlo a expliqué que ce choix, très engageant financièrement, avait permis aux médecins salariés de se concentrer sur leur coeur de métier ;

- la création, en 2020, dans la communauté de communes d'Adour Madiran (Hautes-Pyrénées et Pyrénées-Atlantiques), d'un centre de santé comportant quatre médecins. Là encore, le choix a été fait de gérer directement les locaux et de salarier, outre les médecins, aussi le personnel en charge des fonctions supports ;

- la création dans la communauté de communes « Mayenne communautés », en 2019, d'un pôle de santé pluriprofessionnel prenant en charge les fonctions supports. Toutefois, cet EPCI peine à recruter les praticiens.

Si cette pratique est développée par un nombre croissant de communes et d'intercommunalités, elle est limitée par une demande de médecins pour le salariat inférieure à l'offre des centres de santé. Ainsi, la ville de Bernay (Eure) a dû fermer son centre municipal de santé ouvert en 2013 par manque de professionnels .

Pour réaliser leurs projets, les communes peuvent bénéficier de l'aide de deux structures : la fédération nationale des centres de santé  et la Fabrique des centres de santé.

La Fabrique des centres de santé et la fédération nationale des centres de santé : des structures d'aides à la décision pour les collectivités

La fédération nationale des centres de santé , l'une des principales organisations représentatives des organismes gestionnaires des centres de santé, a notamment pour mission d'accompagner les collectivités territoriales porteuses de projets de création de centres de santé. La fédération propose notamment des guides sur les politiques salariales, les remplacements..., diffuse des témoignages et transmet l'information afin que les porteurs puissent prendre leur décision en toute connaissance de cause. Face à une sollicitation croissante dans ce domaine de l'accompagnement à la création, la fédération nationale des centres de santé, l'union syndicale des médecins de centres de santé et le syndicat national des chirurgiens-dentistes de centres de santé ont lancé la Fabrique des centres de santé .

La première phase d'accompagnement de la Fabrique consiste en une aide à la décision . Il s'agit pour les collectivités territoriales d'appréhender la faisabilité de leur projet : la Fabrique les guide pour l'analyse de la situation et leur présente un modèle économique viable.

Dans une seconde phase se met en place une aide à la maîtrise d'ouvrage , souvent par le biais d'intervenants issus eux aussi du monde des centres de santé. Les promoteurs sont accompagnés :

- sur le diagnostic ;

- sur les volets juridiques, règlementaires et conventionnels ;

- sur le modèle économique et le montage financier du projet ;

- sur l'organisation du centre et la mise en oeuvre opérationnelle de la structure.

2. Le rôle des départements : l'exemple du conseil département de Saône-et-Loire

Si les communes et leurs groupements ont été historiquement les premières à créer des centres de santé dans les zones déficitaires, certains départements prennent, depuis quelques années, d' opportunes initiatives en la matière.

Tel est le cas du département de Saône-et-Loire , souvent cité en exemple dans la mesure où son président André Accary a créé, en septembre 2017, le premier centre de santé départemental en France.

Cette création est née d'un constat alarmant dressé en 2016 : le département ne comptait alors que 110 médecins généralistes pour 100 000 habitants, soit 635 libéraux ou salariés et un nombre prévisible de départs à la retraite pour 35 % d'entre eux. Lors de son audition, M. Accary a expliqué ses deux principales motivations :

- d'une part, « refuser la fatalité du déclin des soins de proximité » en dépit du fait que le département n'a pas de compétence en matière de santé et a perdu en 2015 sa clause de compétence générale ;

- d'autre part, ne pas générer de concurrence entre collectivités locales. En effet, M. Accary a fait valoir, au soutien de son projet, qu'agir à l'échelon communal ou intercommunal pouvait conduire à un risque de compétitions interterritoriales , tandis que le département peut se poser en garant d'une certaine équité territoriale . Nous reviendrons d'ailleurs sur ce point essentiel dans les recommandations du rapport.

Pour mettre en oeuvre son projet, le département :

- a bénéficié de co-financements des communes et intercommunalités, de l'ARS et de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) ;

- s'est appuyé sur l'expertise de la fédération nationale des centres de santé (voir encadré ci-dessus) ;

- a proposé des conditions d'exercice attractives pour les médecins à la fois en prenant en charge les fonctions support 23 ( * ) et en leur versant une rémunération adossée à la grille des praticiens hospitaliers avec un temps de travail de 35 heures annualisées. Ce mode d'exercice de la médecine correspond, a précisé M. Accary, aux attentes de certains jeunes médecins , désireux de rechercher un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, d'autant que le département propose différentes possibilités d'exercice : temps plein, temps partiel, remplacements et vacations.

Cette initiative du département a permis, entre 2017 et 2019, de recruter 55 médecins généralistes salariés et d'ouvrir 24 lieux de consultations (5 centres et 19 antennes). 75 % des habitants de Saône-et-Loire disposent désormais d'un lieu de consultation à moins de 15 minutes de chez eux et 15 000 personnes ont pu déclarer un médecin traitant. En outre, 10 étudiants en médecine sont accueillis chaque semestre. Les centres de santé départementaux de Saône-et-Loire font aujourd'hui partie des acteurs importants de l'offre de soins de premier recours. Ce concept a d'ailleurs inspiré d'autres projets dans les départements de l'Orne et de la Corrèze par exemple, ainsi que dans la région Centre Val de Loire. De même, le département de l'Ain a créé en 2020 un centre de santé départemental en 2020 : 4 médecins y sont en cours de recrutement.

Le maillage territorial dans le département de Saône-et-Loire

(Source : conseil département de Saône-et-Loire)

Lors de son audition, M. Accary a mis en avant la nécessité de poursuivre les efforts dans la lutte contre la désertification médicale, afin de répondre aux attentes dans toute la diversité de l'offre de soins. Le département compte notamment s'impliquer dans le recrutement de médecins spécialistes, ainsi que développer le recours à la télémédecine.


* 19 Voir le compte-rendu disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210531/03_06_21.html#toc3

* 20 Ibid.

* 21 Voir des exemples récents :

- le rapport n° 434 en date du 14 mai 2020 intitulé « Bonnes pratiques et préconisations des élus locaux pour une alimentation saine et durable » ;

- le rapport n° 559 en date du 11 juin 2019 intitulé « Mieux associer les élus municipaux à la gouvernance des intercommunalités : valoriser les bonnes pratiques » ;

- le rapport n° 509 en date du 19 avril 2017 intitulé Les nouvelles technologies au service de la modernisation des territoires .

* 22 Voir cet article du Figaro qui cite d'autres exemples de centres municipaux de santé : https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2019/03/26/20002-20190326ARTFIG00051-deserts-medicaux-les-medecins-salaries-sont-ils-la-solution.php . D'après la Direction générale de l'Offre de Soins (DGOS), interrogée par vos rapporteurs, la France compte environ 2000 centres de soins, dont la très grande majorité est gérée par des communes.

* 23 Mise à disposition d'un secrétariat médical et d'une équipe administrative afin de permettre aux praticiens de se concentrer sur les tâches médicales stricto sensu .

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