PREMIÈRE PARTIE

LA DÉLINQUANCE DES MINEURS : UNE CONNAISSANCE IMPARFAITE D'UN PHÉNOMÈNE MULTIPLE

I. CE QUE NE DISENT PAS LES CHIFFRES DE LA DÉLINQUANCE DES MINEURS

A. UNE PERTE D'INTÉRÊT DES POUVOIRS PUBLICS À RETRACER L'ÉVOLUTION DE CETTE DÉLINQUANCE

Les rapporteurs ont été surpris de constater lors de leurs travaux une perte d'intérêt des pouvoirs publics à retracer l'évolution de la délinquance des mineurs .

Il semble en effet que, faute de commande politique, il n'existe pas de photographie complète et actuelle de ce phénomène sur l'ensemble de la chaîne pénale, ce qui est particulièrement regrettable. Dans le contexte de hausse des violences intrafamiliales ou sexuelles sur mineurs, c'est le suivi de ce type de délinquance qui aurait été privilégié.

Lors de son audition, le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), créé en 2014 dans l'objectif de fiabiliser les statistiques de la délinquance, a expliqué avoir des difficultés à suivre dans le temps la délinquance des mineurs, en raison des failles de l'outil statistique 6 ( * ) . L'outil de comptage toujours utilisé, appelé « État 4001 », recense en effet 107 catégories hétérogènes qui ne correspondent pas toujours à la définition des infractions, dont seules 46 ont fait l'objet d'une expertise et d'une fiabilisation.

Comme l'ont indiqué les représentants de ce service aux rapporteurs, il n'existe donc pas de série longue fiabilisée sur l'ensemble des mineurs mis en cause qui serait susceptible d'écarter le risque d'interprétations erronées. Les travaux qui ont pu être publiés 7 ( * ) récemment peuvent tout au plus donner un « aperçu » de l'évolution des faits constatés par les forces de l'ordre, qui appelle certaines réserves.

Les pouvoirs publics ne disposent de statistiques fiabilisées et détaillées des mineurs mis en cause par les forces de l'ordre que depuis 2016 seulement . L'outil permet désormais de distinguer les crimes et délits, de connaître les caractéristiques des auteurs (âge et sexe notamment), et prend en compte les infractions secondaires et les contraventions, seulement pour la police toutefois.

Les rapporteurs estiment cependant que les statistiques sur la période 2016-2021 qui leur ont été transmises posent toujours plusieurs difficultés : elles ne couvrent pas toutes les infractions (manquaient par exemple dans un premier temps les infractions à la législation sur les stupéfiants, finalement transmises aux rapporteurs, ce qui est loin d'être négligeable compte tenu de la récurrence de ce type d'infraction dans la population générale, et les homicides), ni ne distinguent les crimes des délits ; enfin, il n'est pas possible de les cumuler, faute de pouvoir distinguer les infractions principales et secondaires.

Dès lors, ces statistiques ne permettent pas de tirer des conclusions réelles et définitives sur l'évolution de la délinquance des mineurs.

Les représentants du ministère de l'intérieur ont annoncé que les travaux dans ce domaine étaient devenus prioritaires , une publication sur les victimes et mineurs mis en cause étant prévue en 2023 . Les travaux de la mission d'information semblent avoir eu le mérite d'accélérer ce processus.

Des travaux communs avec la Chancellerie sont également en cours pour explorer le rapprochement des deux types de données statistiques et disposer d'un suivi complet de la chaîne pénale . La mise en place de la procédure pénale numérique (PPN) et les nouveaux logiciels de rédaction de procédure, sous réserve qu'ils soient harmonisés entre la police et la gendarmerie, devraient d'ailleurs y aider.

Les rapporteurs estiment indispensable de disposer chaque année d'indicateurs publics globaux et détaillés de la délinquance des mineurs , dont les données sources seraient disponibles en open data . Comment en effet construire une politique publique efficace sans connaître précisément le phénomène auquel elle est censée apporter des solutions ?

Recommandation n° 1 : mettre en place un suivi statistique de la délinquance des mineurs sur l'ensemble de la chaîne pénale fiable sur le temps long et publier des indicateurs annuels globaux et détaillés ( ministère de l'intérieur, ministère de la justice) .


* 6 Les unités de compte sont hétérogènes, les concepts ne sont ni stables, ni actualisés, l'utilisation par les services est variable dans le temps, les croisements de données ne sont pas possibles.

* 7 Voir infra , « 2000 - 2020 : un aperçu statistique du traitement pénal des mineurs », Infostat Justice n° 186, juin 2022, par Asmae Marhraoui et Tedjani Tarayoun, statisticiens au service statistique ministériel de la justice.

Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.justice.gouv.fr/statistiques-10054/infostats-justice-10057/2000-2020-un-apercu-statistique-du-traitement-penal-des-mineurs-34506.html .

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