AVANT-PROPOS

Peu de sujets semblent aussi présents dans l'actualité que la délinquance des mineurs. Pourtant, vingt ans après le rapport de la commission d'enquête sénatoriale Délinquance des mineurs : la République en quête de respect 5 ( * ) , les rapporteurs de la mission conjointe de contrôle créée par les commissions de la culture et des lois n'ont pu que constater que les connaissances sur le sujet font défaut et qu'il manque une impulsion pour coordonner les multiples acteurs intervenant en ce domaine .

La délinquance des mineurs relève d'une définition légale , elle recouvre l'ensemble des personnes n'ayant pas atteint l'âge de 18 ans et ayant commis une infraction . Le traitement de la délinquance implique plusieurs acteurs , les forces de sécurité intérieure et les magistrats, la protection judiciaire de la jeunesse et le monde associatif pour la mise en oeuvre des mesures éducatives, mais aussi l'ensemble des acteurs de l'éducation, de la formation et de l'insertion comme les missions locales et, surtout, l'Éducation nationale. En effet, depuis l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, dont les principes ont été repris par le code de la justice pénale des mineurs (CJPM) entré en vigueur le 1 er octobre 2021, la mission de la justice s'agissant des mineurs coupables d'infraction est moins la répression ou la protection de la société que la prévention de la récidive et la réinsertion . L'importance de la première réponse à la délinquance, y compris hors cadre judiciaire, est depuis longtemps connue. Le rappel à la loi par les maires est ainsi une mesure unanimement saluée par les forces de sécurité intérieure et les magistrats pour sa solennité et son impact sur les mineurs.

La question de la délinquance des mineurs ne se limite pas à celle du sort des mineurs délinquants . Les différents acteurs énumérés jouent également un rôle dans la prévention de la délinquance . La détection des fragilités sociales des enfants et surtout leur traitement sont depuis longtemps considérés comme un moyen de prévenir l'entrée dans la délinquance et les mineurs délinquants sont le plus souvent déscolarisés . Ceci ne signifie évidemment pas que toutes les fragilités sociales mènent à la délinquance, ni, à l'inverse, que tous les délinquants soient déscolarisés. Mais dans le parcours des jeunes délinquants tel qu'il peut, imparfaitement, être reconstitué, figurent effectivement le plus souvent fragilités sociales et échec scolaire.

Dès lors, la question de la politique menée en matière de délinquance des mineurs se pose d'abord sous l'angle de la prévention . Prévention de l'entrée dans la délinquance puis prévention de l'aggravation de la situation de délinquance mais aussi remédiation en vue de la réinsertion. La délinquance est ainsi à la croisée de plusieurs politiques publiques : la lutte contre les violences intra familiales, la prévention du décrochage scolaire, la réduction de la pauvreté, la politique de la ville, la prise en charge des mineurs non accompagnés et des jeunes en errance, notamment.

Or les moyens nécessairement limités dont disposent les différents acteurs conduisent à restreindre leur champ d'intervention aux enjeux définis comme prioritaires par les pouvoirs publics, et la mise en cohérence des différentes actions est insuffisante . Les acteurs déploient, chacun pour leur part, des initiatives de lutte contre la délinquance ou de prise en charge des mineurs délinquants dont la coordination dépend d'instances dont l'efficacité paraît parfois limitée . Un acteur a été particulièrement critiqué pour le manque de mise en cohérence de son action avec celle des autres acteurs : l'Éducation nationale . Ceci est d'autant plus regrettable que ce ministère met en place des dispositifs intéressants, susceptibles de permettre de lutter contre la délinquance et étroitement dépendants de la coopération des acteurs de la politique de la ville, du monde associatif, des forces de sécurité intérieure et de la justice.

La coordination des politiques et leur orientation sont rendues plus difficiles par l'absence d'évaluation des politiques menées . Contrairement à la pratique anglo-saxonne d'évaluation des politiques menées en matière pénale et sociale, qui s'est développée depuis les années 1990 et dont les résultats constituent d'ailleurs le fondement de la plupart des travaux de sociologie menés en France sur la question de la délinquance, il n'existe pas de pratique générale d'évaluation des mesures mises en place par les différents acteurs. Cette absence de prise en compte des résultats s'abrite parfois derrière une minimisation du phénomène de délinquance. Puisque, selon des études de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) déjà présentées en 2002, plus des deux tiers des délinquants mineurs ne récidivent pas, il s'agirait d'abord de gérer une période de la vie de « conflit avec la loi » avant que jeunesse ne se passe et que l'adulte assagi ne s'insère dans la société. Plus légitimement, les acteurs craignent qu'une volonté d'évaluation ne mobilise des moyens déjà rares et ne soit destinée qu'à réduire le champ des possibilités de prise en charge.

Incontestablement, la réponse à la délinquance des mineurs nécessite des dispositifs multiples correspondant à la diversité des territoires et des parcours de vie et il serait contraire à l'objectif poursuivi de vouloir en réduire arithmétiquement le nombre. L'évaluation des mesures permettrait au contraire de prendre en compte la diversité des moyens nécessaires et d'éviter la focalisation sur des solutions trop coûteuses au regard de leur efficacité .

Dans leur examen de la question de la délinquance des mineurs, les rapporteurs ont été confrontés à plusieurs difficultés qu'ils n'avaient pas nécessairement anticipées :

- l'absence d'une description claire du phénomène et de ce fait, l'impossibilité d'évaluer précisément l'efficacité des dispositifs mis en place ;

- l'intervention de multiples acteurs dans la prévention de la délinquance et la réinsertion, ce qui empêche une coordination utile de leurs actions, en partie en raison du mode de fonctionnement de l'Éducation nationale, moins adaptée à ces publics et mal outillée pour les prendre en charge ;

- en conséquence, l'absence d'un continuum de prise en charge des mineurs face à la délinquance .

Après avoir dressé le constat le plus objectif possible de la situation de la délinquance, ils ont donc concentré leurs travaux sur les modalités de l'intervention des différents acteurs et sur les mécanismes de prévention de la délinquance tels que les met en place l'un des premiers acteurs concernés, l'Éducation nationale.

À ce titre, des expériences intéressantes et des aventures humaines passionnantes reposant sur l'engagement d'équipes très fortement mobilisées se heurtent trop souvent à des logiques institutionnelles en décalage par rapport aux besoins, mais dépendantes de moyens trop faibles pour traiter utilement et dans un temps qui fasse sens tous les cas de souffrance sociale et de délinquance.


* 5 Rapport de commission d'enquête n° 340 (2001-2002) de MM. Jean-Claude Carle et Jean-Pierre Schosteck, déposé le 27 juin 2002 .

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