IV. ÉDUQUER, ÉDUQUER, ÉDUQUER

A. APPLIQUER ENFIN LA LOI SUR L'ÉDUCATION À LA SEXUALITÉ

Tous les intervenants entendus par la délégation se sont accordés pour dénoncer l'échec de l'éducation à la sexualité en France aujourd'hui . Les enfants et les adolescents sont bien souvent laissés seuls avec leurs questionnements et sans espace de discussion.

« Le porno est une réponse malsaine à une préoccupation saine » Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne spécialisée dans l'enfance et l'adolescence, présidente de l'association e-enfance

« Si les enfants souhaitent accéder à des contenus pornographiques, c'est d'abord parce qu'ils se posent des questions sur la sexualité » Olivier Gérard, coordonnateur du pôle « Médias-usages numériques » de l' Unaf

« Pour le SNICS-FSU, il n'est pas possible de laisser l'industrie de la pornographie faire l'éducation à la sexualité des jeunes mineurs, futurs citoyens de demain . » Samia Bounouri, infirmière scolaire en Seine-Saint-Denis, secrétaire départementale du syndicat SNICS-FSU

« La pornographie est devenue le principal moyen d'éducation sexuelle devant la défaillance des pouvoirs publics à faire leur travail en matière d'information à la sexualité . » Israël Nisand, gynécologue et obstétricien

« Voici trois décennies en France que l'on rencontre un échec cuisant en matière d'éducation sexuelle » Thomas Rohmer, directeur de l' Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique ( Open )

1. Appliquer a minima les trois séances annuelles d'éducation à la vie affective et sexuelle prévues par la loi depuis 2001

La loi Aubry de 2001 58 ( * ) a instauré des séances d'éducation à la sexualité. L'article L312-16 du code de l'éducation prévoit qu'une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène.

Or la loi n'est absolument pas appliquée. Les élèves ne bénéficient bien souvent que de quelques cours de SVT (sciences de la vie et de la terre) dédiés à l'enseignement de la reproduction en classe de quatrième.

Ces séances doivent être programmées, avec un calendrier annuel . Il n'est plus possible de se contenter comme aujourd'hui d'interventions « pompiers » en réaction à une crise dans l'établissement (agression sexuelle, vidéo de revenge porn qui circule...). Comme l'a déploré Thomas Rohmer, président d' Open , « comment voulez-vous avoir une réflexion apaisée dans des espaces d'émotion tels que l'on peut juste tenter d'éteindre l'incendie ? » Une mobilisation au long cours de toute l'équipe éducative est nécessaire.

Il s'agit d'entrer dans une optique de prévention et, ainsi que le résumait devant la délégation Ovidie, réalisatrice de documentaires intervenant régulièrement dans des établissements scolaires, « le luxe de la prévention, c'est le temps ».

La délégation a conscience des nombreuses missions assignées aux chefs d'établissement et aux enseignants et de la difficulté à intégrer dans des emplois du temps contraints de telles séances.

Certains parents peuvent également exprimer des réticences face à l'éducation à la sexualité, notamment pour des motifs religieux ou idéologiques. Plusieurs témoignages recueillis par la délégation ont mis en lumière des tabous dans certaines familles sur l'information de leurs enfants en matière sexuelle et tout particulièrement de leurs filles. Ces tabous peuvent être intériorisés par les enfants et adolescents eux-mêmes. Sophie Jehel, auteure d'une étude 59 ( * ) portant sur l'impact des images violentes, sexuelles et haineuses sur les adolescentes, a ainsi témoigné de sa surprise face à des jeunes filles de 15 à 17 ans qui lui ont déclaré qu'elles étaient des enfants, que la sexualité ne les intéressait pas et qu'elles avaient peur qu'aborder ces sujets abîme leur réputation.

Cependant, les parents apparaissent en majorité demandeurs d'un relais sur ces questions qui ne sont pas toujours faciles à aborder directement avec leurs enfants.

En outre, l'éducation à la sexualité est inscrite dans la loi comme mission de l'Éducation nationale, il s'agit d'une priorité d'éducation et de santé, et il est indispensable de ne pas transiger sur cette exigence. Ces séances pourraient être évoquées lors des réunions de rentrée scolaire avec les parents d'élèves afin de mieux expliquer leur importance et leur contenu.

Recommandation n° 19 : Établir un tableau de bord annuel, par académie, de la mise en oeuvre des séances d'éducation à la vie sexuelle et affective et désigner un délégué académique à l'éducation à l'égalité et à la sexualité, afin d'accentuer la pression pour la mise en oeuvre de ces séances.

2. Élargir le champ des sujets de discussion abordés pour y inclure la pornographie

Les séances d'éducation à la vie affective et sexuelle doivent pouvoir être des lieux de discussion et d'échanges sur les questions que se posent les enfants et adolescents. Il ne doit pas s'agir uniquement d'un enseignement descendant, de l'intervenant informant l'élève. Les jeunes sont en demande d'espaces de discussion leur permettant de s'exprimer et d'échanger dans un cadre sécurisant, au sein duquel ils ne se sentent pas jugés.

Ces séances ne doivent également pas être uniquement des séances de prévention contre les grossesses non désirées et les infections sexuellement transmissibles (IST).

Pour autant, l'intégration de professionnels de santé est souhaitable. Une approche par la santé semble en effet plus efficace auprès des adolescents et adolescentes qu'une approche « moralisatrice » ou culpabilisante .

L'intervention de professionnels formés, intérieurs comme extérieurs à l'établissement est indispensable. Si face à des professionnels extérieurs, les jeunes peuvent avoir moins de crainte de se sentir jugés, ils peuvent également se sentir moins à l'aise pour s'exprimer qu'avec les professeurs qu'ils connaissent. Ces enjeux ont été mis en avant par les professeurs rencontrés - particulièrement impliqués - lors d'un déplacement des rapporteures au collège Rosa Parks de Gentilly (94). Il paraît donc primordial de conjuguer les deux types d'intervention.

Les séances d'éducation à la vie affective et sexuelle doivent s'inscrire plus largement dans une éducation à l'égalité et une éducation aux compétences socio-émotionnelles qui incluent les notions d'intimité et de respect de l'autre, de son consentement, de sa sexualité.

Ainsi que l'a mis en avant devant la délégation Margot Fried-Filliozat, sexothérapeute, il convient d'avoir une vision extensive du consentement : il ne s'agit pas seulement d'expliquer aux adolescents et adolescentes qu'ils ont le droit de dire non, il faut également leur donner les ressources pour savoir comment dire non mais aussi exprimer leur pensée, leurs émotions et leurs désirs.

Il est nécessaire que ces séances intègrent une sensibilisation au sujet de la pornographie et des représentations qu'elle véhicule. Ces sujets devraient dans l'idéal être abordés avant même la première exposition à des contenus pornographiques, soit dès l'école primaire. Il convient de donner aux jeunes des grilles de lecture pour qu'ils puissent faire face à une exposition quasiment inévitable aujourd'hui à de tels contenus, d'une manière qui ne soit pas vécue comme normalisatrice ou violente.

Alors que la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel 60 ( * ) a prévu des séances d'information sur la marchandisation du corps, la production pornographique ainsi que la prostitution physique et virtuelle doivent pouvoir être abordées dans ce cadre. La délégation attire tout particulièrement l'attention des professeurs et intervenants extérieurs sur la nécessité de ne pas minimiser de telles pratiques, notamment par l'emploi de termes tels que « michetonnage » ou « travail du sexe ».

Recommandation n° 20 : Aborder dans le cadre des séances d'éducation à la vie sexuelle et affective les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie.

3. Faciliter l'accès des jeunes à des informations de qualité en matière de sexualité

Les jeunes doivent pouvoir accéder à des ressources de qualité pour répondre à leurs questions en matière de sexualité. L'objectif est que le porno ne soit pas la seule réponse à leurs questions.

Il est indispensable de maintenir des professionnels de santé - médecins, infirmiers et psychologues - dans les établissements scolaires . Les adolescents ont bien souvent besoin d'une réponse rapide à leurs questionnements et ce sont ces professionnels qui sont en première ligne pour répondre rapidement. La délégation tient à saluer leur engagement. Actuellement l'Éducation nationale ne compte que 7 700 infirmiers pour 62 000 sites scolaires et 13 millions d'élèves. C'est trop peu.

En outre, les professionnels doivent être formés. Lors de son audition par la délégation, Samia Bounour, infirmière scolaire en Seine-Saint-Denis, secrétaire départementale du syndicat SNICS-FSU, a proposé le développement de formations initiales et continues permettant d'actualiser les connaissances en matière d'éducation à la santé et de conduite de projet. À cette fin, le syndicat SNCIS-FSU recommande la création du master Infirmier conseiller de santé (ICS) et la mise en oeuvre du Développement professionnel continu (DPC).

Recommandation n° 21 : Recruter des professionnels de santé, formés en matière d'éducation à la santé et de conduite de projet, dans les établissements scolaires.

Un effort de communication doit également être mené autour des ressources disponibles en ligne, par exemple :

• la websérie Sexotuto 61 ( * ) produite par Maïtena Biraben et Alexandra Crucq ( Mesdames Productions ), avec le soutien de Salto , Santé publique France et du ministère chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes ;

• les vidéos « libres ! » d'Ovidie 62 ( * ) ;

• la série « ados : le porno à portée de clic » 63 ( * ) ;

• la série « sex talk » 64 ( * ) ;

• le site onsexprime.fr de Santé Publique France 65 ( * ) .

Il apparaît primordial de sensibiliser directement les jeunes sur les réseaux sociaux qu'ils utilisent et qui constituent aujourd'hui leur principale source d'informations. Certains contre-discours positifs émergent sur ces réseaux. Thomas Rohmer, fondateur de l'association Open , a ainsi mis en avant les actions menées par certaines « instagrameuses » comme celle animant le compte @tasjoui . La Région Ile-de-France, dans le cadre d'une campagne « Le porno, c'est pas la ref » a lancé un compte Instagram @pas_la_ref , qui décrypte les conséquences de l'exposition des jeunes aux contenus pornographiques et aborde le consentement, le mythe de la performance et bien d'autres clichés véhiculés par le porno.

Recommandation n° 22 : Faire connaître, dans les établissements scolaires et directement sur les réseaux sociaux utilisés par les adolescentes et les adolescents, les ressources accessibles pour répondre à leurs questions en matière de sexualité.


* 58 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

* 59 Sophie Jehel, Les adolescents face aux images violentes, sexuelles et haineuses : stratégies, vulnérabilités, remédiations. Comprendre le rôle des images dans la construction identitaire et les vulnérabilités de certains jeunes (2018).

* 60 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées

* 61 https://www.lumni.fr/programme/sexotuto

* 62 https://www.arte.tv/fr/videos/RC-020447/libres/

* 63 https://www.lumni.fr/programme/ados-le-porno-a-portee-de-clic

* 64 https://www.france.tv/slash/sex-talk/

* 65 https://www.onsexprime.fr/

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