N° 17

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 octobre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' Institut national de l' information géographique et forestière (IGN),

Par M. Vincent CAPO-CANELLAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

La commission des finances a examiné, le mercredi 5 octobre 2022, la communication de M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial du programme « Expertise, information géographique et météorologie », sur son contrôle budgétaire de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).

Si cette représentation reste vivace auprès du grand public, l'IGN producteur de carte papier est devenu une sorte d'image d'Épinal . À l'heure de la révolution des données et des enjeux de souveraineté qu'elle implique, la production de cartes papier ne représente désormais qu'une activité très marginale dans les missions de l'opérateur devenu un outil indispensable à la maîtrise d'une information géolocalisée devenue stratégique . Cet enjeu de maîtrise des données géolocalisées souveraines a poussé l'IGN à réformer son modèle . Aussi nécessaire et plébiscitée par ses partenaires soit-elle, cette transformation ne va pas sans heurts , et laisse planer certaines inconnues quant aux perspectives financières de moyen et long terme de l'institut.

I. UN ACTEUR CLÉ DE LA MAÎTRISE DES DONNÉES SOUVERAINES

A. L'OUTIL DE RÉFÉRENCE POUR GARDER LA MAÎTRISE DE DONNÉES SOUVERAINES QUI DÉTERMINENT LES POLITIQUES PUBLIQUES

Alors que nous vivons dans un « monde de la donnée », les informations qui décrivent le territoire sont des outils stratégiques indispensables à la décision publique. Pour préserver notre autonomie, les données géolocalisées qui fondent nos politiques publiques doivent présenter des garanties d'indépendance. L'emprise des GAFAM sur les géo-données a rendu cet enjeu plus prégnant encore. L'IGN constitue un outil indispensable pour garantir un exercice de la souveraineté nationale fondé sur des données géolocalisées indépendantes et maîtrisées. Alors que la connaissance des capacités de l'IGN au sein des administrations est très inégale, il est nécessaire de mettre en place un guichet cartographique public et de renforcer la communication de l'IGN et de ses autorités de tutelle auprès des ministères.

B. LA NÉCESSAIRE RATIONALISATION DU PAYSAGE DES DONNÉES GÉOLOCALISÉES PUBLIQUES

Du fait d'un écosystème atomisé, la production de l'information géolocalisée dans la sphère publique se traduit par un usage sous-optimal des deniers publics . À côté de l'IGN, de nombreux acteurs produisent de l'information géographique, au premier rang desquels les collectivités locales , dont les capacités ont été considérablement développées ces dernières années. En dépit d'une prise de conscience récente, beaucoup de chemin reste à parcourir pour coordonner l'écosystème et assurer l'interopérabilité des systèmes publics d'information géographique. Le nouveau modèle de l'IGN et son repositionnement au coeur de l'écosystème doit contribuer à cette nécessaire rationalisation, de même que le développement de l'enrichissement collaboratif des référentiels.

II. NÉCESSAIRE, LE NOUVEAU CHEMIN EMPRUNTÉ PAR L'IGN N'EN DEMEURE PAS MOINS SEMÉ D'EMBUCHES

A. CONFRONTÉ À UNE CRISE D'IDENTITÉ ET DE LÉGITIMITÉ, L'IGN A ENTREPRIS DE REFONDER SON MODÈLE

Mis sous tension par les bouleversements du paysage de la donnée géolocalisée, concurrencé par l'émergence d'acteurs publics comme privés, affecté par l'essor des démarches collaboratives, l'IGN s'est vu remis en cause dans son identité et contesté dans sa légitimité. Sa politique commerciale avait suscité la défiance des collectivités locales et constituait un obstacle au développement de partenariats . Le processus d'ouverture et de gratuité des données publiques , s'il lui ouvre de nouvelles perspectives de collaborations, implique une transformation du modèle économique d'un institut dont l'équilibre financier dépendait de la vente de ses données. Pour toutes ces raisons, l'IGN devait se transformer pour attirer et développer de nouvelles compétences, incorporer de nouvelles technologies et rester un opérateur d'excellence, référence nationale de l'information géographique.

En 2019, l'IGN a entrepris de refonder son modèle . D'une mission de production-diffusion d'information géographique, l'IGN évolue vers des rôles d'agrégateur de données, d'expert, de coordinateur ou de certificateur. Il recentre son action sur la production des données socles souveraines ainsi que sur le pilotage de vastes projets d'accompagnement de grandes politiques publiques directement financés par leurs commanditaires.

B. DÉJÀ MARQUÉE PAR CES TRANSFORMATIONS, LA SITUATION FINANCIÈRE ET BUDGÉTAIRE DE L'IGN SERA MISE À L'ÉPREUVE APRÈS 2024

1. Parce qu'elle constituait un obstacle à sa transformation, la trajectoire budgétaire rigoureuse de l'IGN a été assouplie jusqu'en 2024

À l'instar des autres opérateurs du ministère de la transition écologique, en dix ans, la subvention pour charges de service public (SCSP) de l'IGN a été diminuée de 10 % (84,4 millions d'euros en 2022). Mais plus que la contraction de sa SCSP, c'est la baisse continue des effectifs de l'IGN qui constituait un vrai obstacle à la réorganisation de l'établissement dans la mesure où elle imposait une contrainte très forte sur le déploiement du programme de recrutement indispensable à la transformation du modèle de l'opérateur.

Évolution des plafonds d'emplois notifiés et exécutés (2012-2021)

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat d'après les rapports annuels de performance annexés aux projets de loi de règlement des comptes de l'État

Depuis 2017, le schéma d'emplois exécuté par l'IGN représente une baisse d'effectifs annuelle moyenne de plus de 35 ETP, soit 177 ETP sur l'ensemble de la période.

Après un premier assouplissement de la trajectoire budgétaire en 2022 l'IGN a conclu un engagement pluriannuel d'objectifs et de moyens (EPOM) avec la direction du budget qui s'est engagée à stabiliser la SCSP et à assouplir le schéma d'emplois jusqu'en 2024 .

2. La situation financière de l'IGN est déjà marquée par son nouveau modèle économique

de recettes tirées des grands projets en 2021

de financements obtenus du plan de relance et du FTAP

de dépenses de sous-traitance par an dans les prochaines années

de baisse des effectifs depuis 10 ans

de baisse des recettes commerciales professionnelles depuis 2017

Évolution de la part de la SCSP et des ressources propres de l'IGN
dans ses recettes totales (2016-2021)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

2021 a constitué un point de bascule dans la transition du modèle économique de l'établissement puisque, pour la première fois, ses ressources propres , tirées par les grands programmes, sont devenues majoritaires au sein du total de ses recettes. L'EPOM anticipe néanmoins un tassement très net de ces recettes dans les années à venir, en particulier dans un contexte de tarissement des crédits issus du plan de relance et du FTAP.

Ressources tirées des grands projets (2016-2021)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

Maîtrisées, les dépenses de personnel vont augmenter du fait de la transformation de l'IGN , en raison d'un plan de recrutement pour répondre au besoin de nouvelles compétences de l'établissement, du repyramidage des effectifs ou encore de mesures d'attractivité.

C. FACE AUX CONTRAINTES ET AUX INCERTITUDES, LA VIABILITÉ DU NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE DE L'IGN RESTE À DÉMONTRER

Si son EPOM donne une visibilité budgétaire bienvenue à l'IGN jusqu'en 2024, la viabilité économique du nouveau modèle sera mise à l'épreuve à partir de 2025 . À ce stade, l'analyse de cette viabilité repose sur des hypothèses financières fortes qui resteront à confirmer : gel du schéma d'emplois et de la SCSP, bouclage du financement du programme Lidar HD (15 millions d'euros), 100 millions d'euros de nouveaux contrats, etc .

de financements manquants sur le projet Lidar HD

nouvelles compétences à développer

des recettes proviennent des ministères des armées et de l'agriculture

de nouveaux contrats à trouver pour assurer la viabilité du nouveau modèle

Aussi nécessaire et plébiscité par ses partenaires soit-il, le nouveau modèle de l'IGN n'en présente pas moins des fragilités intrinsèques . Le risque du « trou d'air » (un volume insuffisant de grands projets publics) est renforcé par l'excessive dépendance de l'IGN à ses deux principaux commanditaires que sont les ministères des armées et de l'agriculture. Si ce phénomène devait advenir, l'État devrait prendre ses responsabilités et intervenir, en ajustant, au moins temporairement, la SCSP. À l'inverse, son nouveau modèle peut exposer l'IGN à un phénomène de « goulot d'étranglement » . Limité par des moyens humains contraints, l'IGN peut, en cas d'afflux de projets, voir ses capacités saturées. Ce modèle suppose une agilité d'organisation particulièrement complexe dans le cadre budgétaire contraint qui est celui d'un établissement public . Programme phare de la transformation de l'IGN, le projet Lidar HD est aussi emblématique des limites du nouveau modèle . Alors que le projet est entamé et doit être achevé en 2025, un quart de son financement (15 millions d'euros) reste à trouver . L'IGN espère des contributions volontaires des collectivités locales sans avoir de réels moyens pour les inciter .

Alors que son nouveau modèle bouleverse les métiers et l'organisation de l'institut , un défaut de pilotage des grands programmes a sérieusement perturbé les débuts de la transformation de l'IGN. Afin de préserver la cohésion du corps social autour d'une vision partagée de la nouvelle stratégie de l'établissement et de sanctuariser sa mission de service public de mise à jour des données socles, la direction doit organiser un pilotage robuste des grands projets. Dans le même temps, il est nécessaire d'évaluer les gains de productivité qui pourront être réalisés grâce à la réorganisation de l'institut, à l'automatisation, à la diffusion des techniques d'intelligence artificielle, à l'optimisation de l'impression des cartes, aux innovations dans la collecte des données aériennes ou encore au développement des méthodes collaboratives.

La montée en compétence de l'institut dans son activité de pilotage des sous-traitants est l'une des clés de la viabilité de son nouveau modèle. Si la sous-traitance est au coeur de la transformation de l'IGN, celui-ci doit veiller à préserver la maîtrise de ses compétences stratégiques .

Le nouveau modèle de l'IGN se traduit aussi par un besoin de nouvelles compétences . À ce titre, la réussite du programme de recrutement et de formation lancé cette année par l'établissement sera déterminante. Elle suppose de trouver le bon équilibre entre les volets interne et externe du programme ainsi que de promouvoir l'attractivité de l'institut.

Enfin, pour que son nouveau modèle économique soit viable, il est impératif que l'IGN développe et formalise de nouveaux partenariats , en priorité avec les collectivités locales mais également avec le secteur privé.

III. UN OUTIL INDISPENSABLE AU SERVICE DE NOTRE STRATÉGIE ENVIRONNEMENTALE ET DE LA PRÉVENTION DES RISQUES

A. LES « CARTES DE L'ANTHROPOCÈNE », UNE ORIENTATION PROMETTEUSE À CONCRÉTISER

Dans le contexte actuel des dérèglements climatiques et, plus largement, d'une préoccupation croissante au sujet des effets de l'activité humaine sur la nature, l'IGN est toujours plus sollicité pour produire des données décrivant les évolutions de notre environnement dans le but de nous permettre de construire une stratégie crédible de transition écologique .

L'analyse des phénomènes induits par l'anthropocène suppose de disposer de produits d'information géographique permettant de mesurer scientifiquement ses conséquences sur l'évolution de la terre. L'IGN se trouve au coeur de cet enjeu et apporte son appui aux politiques environnementales nationales et européennes .

B. UN ACTEUR MAJEUR DE LA PRÉVENTION DES RISQUES

L'IGN apporte un appui indispensable aux politiques de prévention des risques naturels, tout particulièrement s'agissant des risques inondation et submersion marine que ce soit à travers le suivi du niveau des mers, la caractérisation du profil côtier, la détermination du trait de côte, la production de données altimétriques permettant de caractériser le risque inondation lié au réseau hydrographique, etc .

Dans un contexte d'accroissement de la prévalence et de la gravité des risques naturels il est essentiel que la France dispose d'un établissement géographique souverain de référence tel que l'IGN .

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