IV. FAIRE DE LA RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE DES ENTREPRISES UN ATOUT POUR LES ENTREPRISES FRANÇAISES

A. RENDRE ACCESSIBLE LA RSE À TOUTES LES ENTREPRISES

1. Simplifier et mettre en cohérence les normes RSE
a) Un choc de complexité à venir

Au niveau européen, un objectif général de simplicité est affiché avec le « programme pour une réglementation affûtée et performante » (REFIT) qui vise à faire en sorte que la législation de l'UE réalise ses objectifs « au moindre coût, au bénéfice des citoyens et des entreprises ».

Le Programme REFIT

Le programme REFIT fait partie du programme Mieux légiférer de la Commission. Dans ce cadre, cette dernière veille à ce que la législation de l'UE produise les avantages escomptés pour les citoyens et les entreprises, tout en simplifiant la législation existante et en réduisant les formalités administratives, dans la mesure du possible. Le programme vise à rendre la législation de l'UE plus simple, plus ciblée et plus facile à respecter.

Ce sont surtout les petites et moyennes entreprises -- représentant 99 % de l'ensemble des entreprises de l'UE -- qui bénéficient de REFIT, car elles peuvent être particulièrement touchées par les lourdeurs et la complexité des règles.

Toutes les propositions de la Commission visant à modifier la législation existante de l'UE devraient avoir pour but de simplifier et réduire les coûts réglementaires inutiles, tout en réalisant les objectifs politiques sous-jacents. La nouvelle approche « un ajout, un retrait » (« one-in, one-out ») renforcera le programme REFIT en étendant sa portée au-delà des charges liées aux actes législatifs existants pour y inclure celles qui découlent des nouveaux actes législatifs, tout en gérant la charge cumulée de chaque domaine d'action.

Dans la pratique :

- Les analyses d'impact examinent les options disponibles pour atteindre les objectifs stratégiques de la manière la plus efficace possible, en prenant donc en compte la dimension REFIT.

- Toutes les évaluations et tous les bilans de qualité étudient la possibilité de simplifier la législation existante de l'UE et d'éliminer les coûts réglementaires inutiles.

- Le potentiel de simplification et de réduction de la charge est quantifié, dans la mesure du possible.

- La Commission présente la dimension REFIT dans l'exposé des motifs de ses propositions.

- Le programme de travail de la Commission comprend des propositions de révisions et des initiatives visant à évaluer la législation existante de l'UE dans son annexe REFIT.

- L'examen annuel de la charge fournit un aperçu des activités du programme REFIT au cours d'une année donnée.

La simplification et la réduction de la charge réglementaire que représente la législation de l'UE est une responsabilité partagée. Ces objectifs ne peuvent être atteints que dans le cadre d'une coopération étroite entre la Commission et les autres institutions de l'UE, les États membres et les parties concernées 108 ( * ) .

Source : Commission européenne.

Pourtant , les entreprises européennes de toutes tailles vont devoir absorber dans les prochains mois, et dans le contexte d'une situation économique dégradée, un choc de complexité sans précédent en matière de reporting .

Certaines grandes entreprises doivent déjà fournir des « indicateurs clés de performance (KPIs) » 109 ( * ) qui guident les entreprises sur les informations à fournir, d'une part, sur les impacts de leur activité sur le climat, et, d'autre part, sur les impacts du changement climatique sur leur activité (approche par la double matérialité) afin de faciliter une meilleure comparabilité des informations publiées par les entreprises.

Les indicateurs clés de performance (KPIs) recommandés par les lignes directrices de la Commission européenne

Émissions de gaz à effet de serre (GES) : Émissions directes de GES ; émissions indirectes de GES associées à la production d'électricité, de vapeur et d'énergie de chauffage/refroidissement acquises et consommées ; toutes les autres émissions indirectes de GES produites dans la chaîne de valeur de l'entreprise déclarante ; objectif d'émissions absolues de GES.

Énergie : Consommation et/ou production totale d'énergie à partir de sources renouvelables et non renouvelables ; objectif en matière d'efficacité énergétique ; consommation d'énergie renouvelable et/ou objectif de production.

Risques climatiques physiques : Actifs engagés dans des régions susceptibles d'être davantage exposées à des risques climatiques physiques aigus ou chroniques.

Finance verte : Ratio d'obligations vertes liées au climat et/ou Ratio de la dette verte liée au climat.

Taxinomie : Part du chiffre d'affaires tirée de produits ou de services associés à des activités répondant aux critères d'une contribution substantielle à l'atténuation du changement climatique ou à l'adaptation à celuici, et/ou part de l'investissement (CapEx) et/ou des dépenses (OpEx) relative à des actifs ou à des processus associés à des activités répondant aux critères d'une contribution substantielle à l'atténuation du changement climatique ou à l'adaptation à celui-ci.

Source : Panorama financier et extrafinancier du reporting carbone des entreprises,
AMF, décembre 2021.

L'Autorité des marchés financiers a réalisé un état des lieux 110 ( * ) du reporting financier et extra-financier de grandes entreprises à partir d'un échantillon de 19 sociétés françaises cotées (membres du SBF 120) appartenant à des secteurs fortement impactés par le changement climatique sur ces seuls enjeux. Elle constate que « si des progrès ont été accomplis depuis 2019, les prochaines échéances réglementaires européennes et les attentes croissantes de leurs parties prenantes obligent à accélérer les efforts » compte tenu du projet en cours de la future directive CSRD. En conséquence, l'AMF encourage « les entreprises de toutes tailles à se préparer aux nouvelles exigences et à veiller à la cohérence d'ensemble de leurs communications en ce qui concerne les enjeux climatiques ».

Risque climatique selon l'Autorité des marchés financiers :
les grandes entreprises doivent faire des efforts
en matière de reporting financier et extra-financier

S'agissant des données sur les émissions de gaz à effet de serre (GES), l'étendue du périmètre organisationnel et opérationnel ( scopes ) à prendre en compte, ainsi que les éléments fournis pour le justifier et pour rendre compte de la méthodologie utilisée ont vocation à être améliorés ;

les entreprises doivent se préparer à définir et rendre publics des objectifs de réduction des émissions de GES sur les trois scopes à court et moyen terme, en valeur absolue et en intensité, que ce soit dans le cadre de plans de transition ou en lien avec des engagements de réduction des émissions de GES de l'entreprise, ou des approches de neutralité carbone ;

lorsqu'ils sont matériels, l'AMF encourage aussi les entreprises à renforcer leur transparence sur les risques physiques liés au réchauffement climatique auxquels elles sont confrontées, qu'ils résultent d'une modification des températures moyennes ou des régimes de précipitation ou de l'augmentation de la fréquence et de la sévérité des évènements climatiques extrêmes ;

l'AMF constate que très peu d'informations relatives aux impacts du changement climatique apparaissent aujourd'hui dans les états financiers des entreprises ; celles-ci doivent poursuivre leurs réflexions et travaux en ce qui concerne la prise en compte des conséquences du changement climatique dans les états financiers et s'assurer de la cohérence entre les informations présentées dans les comptes et les autres supports de communication de l'entreprise.

Concernant la neutralité carbone qui a fait l'objet de nombreuses annonces à la COP 26, l'AMF souligne que les entreprises devraient se référer aux cadres en train d'émerger qui définissent les précautions à prendre pour veiller à la robustesse et la transparence de cette démarche . Le recours à la compensation carbone, qui devrait croître de façon importante dans les années à venir, notamment en lien avec la multiplication des engagements de neutralité carbone des entreprises, est également analysé dans ce rapport que ce soit la nature des projets ou sa contribution à la stratégie de neutralité carbone.

Source : communiqué de presse de l'AMF, 16 décembre 2021.

b) Un choc difficile à absorber pour les ETI et PME

Si même les grandes entreprises doivent être accompagnées dans leur préparation au renforcement des exigences règlementaires, les exigences en matière de RSE à l'égard des ETI et PME doivent être modulées à l'aune de leurs capacités opérationnelles.

Lors du 4 ème Forum de Giverny du 2 septembre 2022, qui réunit les experts de la RSE, son secrétaire général, M. Romain Mouton, a rappelé que, pour les petites entreprises, la RSE « c'est trop compliqué... Les règles et procédures imaginées à Paris et à Bruxelles sont souvent des usines à gaz . Elles sont trop difficiles à appliquer au sein des petites et moyennes entreprises (PME), mais aussi dans les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les dirigeants de ces PME et ETI ont la tête dans le guidon. Ils n'ont malheureusement ni le temps ni l'énergie nécessaire pour s'intéresser à ce sujet, déjà qu'ils éprouvent de multiples contraintes réglementaires ».

Ainsi, la CPME proposait, lors de son audition le 17 février 2022 par la Délégation sénatoriale aux entreprises, de « se limiter à un volume d'indicateurs peu nombreux car aujourd'hui, les premiers textes, destinés aux grandes entreprises, sont très compliqués , avec des centaines d'indicateurs difficiles à renseigner, et qui nécessitent d'avoir une expertise et d'être accompagnés dans ces démarches. C'est pour cela que pour les PME, nous nous orientons vers quelque chose de plus simple, qui soit très directement lié à leurs enjeux sectoriels, à leur métier, qui soit transverse, et qui réponde à des critères de qualité ».

Lors de la consultation de l'EFRAG sur les projets de standards de durabilité, qui comportent 130 entrées 111 ( * ), la CPME a dénoncé, le 18 août 2022, leur « grande complexité », entraînant des « difficultés probables d'appréhension, de compréhension et de mise en application », d'autant que ces 130 indicateurs constituent un tronc commun qui sera complété par des informations spécifiques à chaque secteur.

La CPME demande une « priorisation dans les choix d'indicateurs à opérer en limitant par exemple le champ aux seuls indicateurs nécessaires aux acteurs financiers ou sur une partie limitée de la chaîne de valeur », l'adoption d'une « application progressive de ces obligations ainsi qu'une priorisation des informations à produire » et enfin d'assurer « une convergence entre les projets de standards IFRS sur la durabilité et ESRS notamment sur les volets relatifs à la matérialité financière que recouvrent les deux standards ».

Plus récemment, le 20 septembre 2022, lors de la table ronde organisée par la Délégation aux entreprises, le MEDEF , tout en souscrivant à l'objectif d'améliorer la responsabilité sociétale des entreprises, regrettait : « la multiplication d'initiatives avec des calendriers qui sont parfois non coordonnées, voire contradictoires, tant au niveau national qu'européen, fait que le cadre législatif et réglementaire est trop instable . Pour une entreprise, cela lui fait perdre de vue la réalité opérationnelle qui rendrait applicable ces mesures. Sans être opposés, nous constatons une incapacité à comprendre la cohérence et la finalité de l'ensemble, alors que nous avons besoin de stabilité et de visibilité, pour ne pas perdre de vue l'objectif initial du reporting et de la transparence des informations, qui sont des objectifs de pilotage et de transformation de nos entreprises et non pas des objectifs de compliance : nous parlons d'un objectif stratégique d'accompagnement de la transformation de nos entreprises et non pas de contrôle pour le contrôle » .

Le METI estime aussi nécessaire que : « ces textes européens et français soient en adéquation avec nos moyens et avec notre temporalité, dans un contexte économique très dégradé, et que ces textes se fondent sur des critères pertinents, en phase avec nos stratégies ».

Le METI souligne que ces entreprises sont « engagées par nature » dans la RSE et que cet engagement, inspiré par une vision de long terme, est « authentique et sincère » :

- 94,5% des ETI développent des actions spécifiques qui les engagent sur les plans social, sociétal et environnemental ;

- plus de 72% ont structuré une politique RSE pour leur entreprise ;

- près de 60% adoptent des labels et/ou des chartres pour mesurer leur progression sur le sujet de l'engagement (notamment : 48,5% des ETI privilégient la norme ISO 14 001, 39,7% les labels Ecovadis) ;

- pour 73,4% des dirigeants interrogés, la mise en place de dispositifs d'engagement a eu un impact positif et mesurable sur leur entreprise (meilleure implication des collaborateurs, amélioration du recrutement, amélioration de la performance économique de leur entreprise) ;

- plus de 45% des ETI ayant assorti leur politique RSE d'indicateurs de suivi suivent moins de 10 indicateurs, près d'une ETI sur 3 suit déjà entre 10 et 20 indicateurs, plus de 57% des ETI estiment que 10 à 15 indicateurs permettent d'évaluer correctement la performance extra-financière d'une ETI et près de 30% estiment que 20 à 30 indicateurs sont nécessaires.

Or, « l'inflation des obligations déclaratives, si elle est décorrélée des moyens et spécificités des ETI, risque de brider cet engagement plutôt que de l'encourager », car les directives en cours d'adoption menacent de s'appliquer de manière similaire aux ETI et aux grandes entreprises « même si une temporalité différente s'appliquera ce qui constitue déjà une avancée notable », car même si la Commission Européenne et le Parlement intègrent progressivement dans la législation des dérogations et un calendrier spécifique pour les « midcaps », la catégorie des ETI n'est pas reconnue à l'échelle européenne. Il faut veiller à ce que le cadre normatif soit proportionné aux moyens des ETI et adapté à leurs spécificités.

Les ETI ayant déjà recours à de nombreux indicateurs pour piloter leur stratégie RSE, « il convient donc de s'appuyer sur les critères existants plutôt que de les démultiplier sans les harmoniser ».

Pour l'U2P , qui regrette une « complexification totale », « il faudrait conserver le caractère volontariste de nos initiatives environnementales, sociales et sociétales », toutes les 120 fédérations adhérentes à l'U2P ayant mené des actions collectives en matière de RSE, « qu'il s'agisse des professions libérales, des coiffeurs, des esthéticiennes, des boulangers, des bouchers, etc... ».

Le MEDEF considère en revanche qu'il faut une « incitativité de la politique publique pour aller plus loin que le volontariat » car « le volontariat ne suffira pas : si on veut faire rapidement la grande transformation de tous, il faut des incitations » et propose, à cet effet, d'utiliser le CII (crédit d'impôt innovation), des appels d'offre aménagés, ou la conditionnalité des exigences réglementaires.

Certaines PME et ETI y parviennent toutefois à effectuer ce changement profond de paradigme et de pilotage intégrée et « pratiquent la RSE sans le savoir », comme l'a indiqué M. Arnaud Haefin, président de la commission affaires européennes de la CPME et chef d'entreprise 112 ( * ) .

La mise en oeuvre de ces normes dans les entreprises représentera pour elles un défi . Alors même que les grandes entreprises pratiquent depuis 2014 la déclaration de performance extra-financière 113 ( * ) , certifiée par un tiers indépendant, le contenu de l'information à rendre publique va s'élargir et se complexifier considérablement.

Le paradoxe est qu'il est demandé aux entreprises, en matière climatique, « une cohérence d'ensemble » et une « articulation des différents supports de communication (DPEF, rapports TCFD et climat, états financiers, communiqués, etc.) » qu'elles utilisent pour communiquer sur leur stratégie et leurs actions vis-à-vis du changement climatique alors que ces demandes d'informations se sont accumulées sans réelle cohérence entre les différents acteurs , voire au sein d'un même acteur, comme l'Union européenne .

La CPME demande à ce que les entreprises soient « accompagnées afin qu'elles s'améliorent, notamment en intégrant la RSE dans des « process » et des stratégie s ». Pour toutes ces entreprises, et pour bénéficier de financements et ainsi se développer, « elles devront à terme remplir les critères RSE », ce qui est « inéluctable ».

Au regard de la récente mise en oeuvre des règlementations relatives à la taxinomie et la SFDR ( Sustainable Finance Disclosure Regulation ), une experte 114 ( * ) indique que : « la première a dû être découplée entre éligibilité et alignement, tant son contenu technique est ambitieux et sa mise en oeuvre, complexe. Les entreprises concernées ont dû sprinter pour produire des indicateurs financiers reflétant leur degré d'éligibilité - dont beaucoup cherchent encore à trouver l'intérêt, dans la mesure où c'est le degré d'alignement qui est censé guider les décisions d'investissement des investisseurs, lequel a toutes les chances d'être sensiblement inférieur au degré d'éligibilité et ne sera connu que dans un second temps. Pour des raisons d'incohérence de calendrier et de temps incompressible de préparation, la mise en oeuvre de la seconde a également dû être repoussée d'un an, à juin 2023, sur deux aspects : les indicateurs « Principales Incidences Négatives » qui dépendent de ce que demanderont les ESRS... à partir de 2024 au plus tôt... le problème n'est donc toujours pas résolu ! ; et la collecte des préférences des investisseurs finaux en matière d'investissement, responsable ou pas, qui ne peut se faire sans un minimum de sensibilisation (éducation ?) des uns et des autres au sujet. On a voulu aller vite pour avoir des résultats rapidement... on a surtout créé beaucoup d'agitation et de tâtonnements, engendré des coûts et au final, pas mal de confusion ».

Ces futurs standards de reporting extra-financier devront être garants d'une information pertinente, comparable et de grande qualité, « mais vouloir aller trop vite trop loin, c'est prendre le risque de mettre les entreprises dans une situation impossible , de provoquer une attitude « tick the box » 115 ( * ) plutôt qu'une approche résolument responsable et constructive, qui résultera inévitablement en une information confuse, peu comparable et pertinente ».

L'ampleur des changements à opérer plaide en faveur « d'une gradation de l'ambition en fonction de la maturité du sujet couvert, et d'une souplesse dans la mise en oeuvre , en augmentant progressivement le niveau de détail attendu ».

Il faut, pour le MEDEF 116 ( * ) , « travailler à un cadre lisible, stable et cohérent sur les obligations s'appliquant aux entreprises », « simplifier le mille-feuille réglementaire et introduire le même niveau d'exigence chez nos partenaires : ONG, pouvoirs publics, institutions publiques, acteurs publics notamment ».

Il ne doit pas être perdu de vue que les entreprises se heurtent à un défaut d'harmonisation, à la fois intra-européenne et entre l'Union européenne et le reste du monde, dans un environnement compétitif dégradé eu égard à la crise énergétique. Les normes RSE ne sauraient créer un décalage compétitif supplémentaire particulièrement dommageable entre les entreprises européennes et extra-européennes. Il faut engager résolument un chantier non seulement d'harmonisation mais aussi de simplification en la matière. Cela vise par ailleurs à limiter les rentes de complexité qui se développent au gré de l'inflation des normes et aux dépens des entreprises.

Recommandation n° 1 :

Établir un principe de proportionnalité du contenu des informations extra-financières demandées, en fonction de la taille et des moyens de l'entreprise, en respectant la confidentialité de sa stratégie.

2. Réussir la transposition de la directive CSRD
a) Assurer la cohérence et la lisibilité

Tous les représentants des entreprises auditionnés par la Délégation aux entreprises ont fait part de leur crainte de ne pouvoir répondre aux nouvelles obligations de la directive.

La CPME demande en particulier le retour de seuil de 50 millions de chiffre d'affaires et de 500 salariés : « à 40 millions de chiffre d'affaires, il inclut désormais mon entreprise, et encore, je ne suis pas une ETI ! Qui va réaliser ce travail de requête d'information, si ce n'est le chef d'entreprise, au détriment de ses clients et de ses salariés ? Nous demandons instamment le retour à la définition de la PME de 2003 », selon M. Arnaud Haefelin, président de la Commission affaires européennes de l'organisation patronale.

Au-delà de la question du seuil, toutes les PME risquent d'être incluses dans le champ de la directive en raison du « ruissellement de ces directives : une PME incluse dans une chaîne d'approvisionnement ou de chaîne de distribution va être responsable des deux, aux niveaux n+1, n+2, n+3... Mais aussi n-1, n-2, n-3 ! Où cela s'arrête-t-il, nous n'en savons rien : aux matières premières ? Mais quelle complexité, pour un chef d'entreprise de PME de contrôler sa chaîne d'approvisionnement et sa chaîne de distribution ! On évoque le caractère « bien établi » dans les relations commerciales. Qu'est-ce que cela signifie précisément ? Nous n'avons aucune définition. Quid des études d'impact, fondamentales, qui ont été mal réalisées jusqu'à présent ? Ou des garanties contractuelles non-adaptées et des mesures d'accompagnement insuffisantes ? ».

La Plateforme RSE insiste également sur ce devoir de cohérence « afin d'avoir des normes et des logiques partagées » 117 ( * ) . Elle estime que les textes européens, et notamment Taxonomy, CSRD, ainsi que l'initiative gouvernance durable et la future directive sur le devoir de vigilance, « sont intrinsèquement liés. Or, leurs calendriers respectifs d'adoption, qui se chevauchent en partie, pourraient soulever des incertitudes quant à leur applicabilité et à la cohérence des obligations qu'ils mettent en place ». Elle insiste sur le « besoin de clarification concernant la cohérence entre CSRD et la future législation sur le devoir de vigilance ».

Elle souligne le « véritable besoin de compréhension globale concernant les différents textes (reporting extra-financier, règlement Taxonomy, et gouvernance durable et devoir de vigilance). Un manque de clarté peut être préjudiciable à la mise en oeuvre effective des textes et au suivi de ces derniers. Le reporting doit être utilisable dans les faits par les entreprises et répondre aux attentes des parties prenantes en étant compréhensible, crédible et accessible ».

La Plateforme RSE relèvent que les entreprises françaises sont toutefois déjà « acculturées » à la RSE en raison d'une législation précoce et d'une pratique relativement établie de la DPEF, du devoir de vigilance ou de la loi Sapin 2.

Toutefois, et compte tenu de l'importance des enjeux et de la bonne compréhension des exigences, certains termes , tels que « résilience », « actifs immatériels », « chaîne d'approvisionnement » ou encore « matérialité » devront être précisés afin d'éviter toute interprétation. Une vigilance devra être apportée à la cohérence des termes employés suite à la traduction des différents textes lors de leur transposition. En particulier, la Plateforme RSE recommande de ne pas traduire sustainability par durabilité.

Les recommandations textuelles de la Plateforme RSE

En matière de traduction, une vigilance devra être accordée aux termes : « duty of care » ou encore « directors » notamment, qui peuvent recouvrir des « réalités » différentes. Dans le cadre du reporting ESG, le terme « non-financial reporting » sera désormais remplacé par le terme « sustainability reporting », soulignant le changement qualitatif du reporting et la cohérence voulue entre le financier et l'extra-financier. Concernant la traduction à venir du terme « sustainability », la Plateforme RSE souligne l'importance du choix des mots, et regrette que la version française actuellement disponible du projet de directive ait été traduite par le terme « durabilité », créant un doute sur la mise en oeuvre de la double matérialité. Si le terme « sustainability » est généralement traduit par « durabilité » au sein des diverses organisations internationales et dans les textes en matière de finance durable notamment, la future traduction pourrait, en harmonie avec le titre anglais de la future directive et en s'inspirant des traductions dans les langues latines voisines du français (i.e. : sostenibilidad , sostenibilità , sustentabilidade ), reprendre le terme « soutenabilité ». En effet, ce terme rend compte plus clairement des enjeux environnementaux et sociaux, et permet d'être en harmonie avec le titre de la future directive. On s'intéresse ici aux enjeux de soutenabilité pour la planète et non pas pour les entreprises.

Source : « La RSE, un enjeu européen. Contribution aux travaux de la présidence française
du Conseil de l'Union européenne », avis d'octobre 2021.

Le volume d'information exigé par ces textes européens est considérable. Pour recueillir les informations demandées, les logiciels des entreprises doivent être adaptés et monter en puissance. La fiabilité des informations fournies dépendra également de la montée en compétence des salariés que les entreprises dédieront au reporting .

Or, le manque de ressources humaines qualifiées risque de créer une embolie dans un contexte général de pénurie de main d'oeuvre qui pénalise les entreprises.

b) L'absence d'un seuil pour les ETI

En l'état, la directive prévoit que seront soumises à la rédaction du rapport de durabilité les grandes entreprises , qui dépassent deux des trois seuils suivants :

1. total de bilan supérieur à 20 millions d'euros,

2. un chiffre d'affaires net supérieur à 40 millions d'euros,

3. un nombre de salariés moyen supérieur à 250.

Contrairement aux textes actuellement en vigueur, il n'est pas exigé que ces grandes entreprises soient des sociétés cotées.

Depuis 2014, la diffusion d'informations non financières en France étant réservée aux sociétés anonymes dépassant 100 millions d'euros de total de bilan, 100 millions d'euros de chiffre d'affaires et 500 salariés permanents.

L'innovation de la directive est d'englober les PME cotées, jusqu'à présent épargnées, de l'obligation de publication non-financière. Il serait toutefois possible à ces PME cotées de limiter la communication d'informations relatives à la durabilité, à titre transitoire, et uniquement si elles en font la demande, selon une procédure d'opt out.

En revanche, il n'existe pas d'obligation allégée pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI), définies depuis l' article 51 de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie comme les entreprises dont l'effectif est inférieur à 5 000 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel n'excède pas 1,5 milliard d'euros ou dont le total de bilan n'excède pas 2 milliards d'euros.

Globalement, l'Union européenne ne reconnaît pas cette catégorie d'entreprises. Pourtant, le caractère indifférencié des obligations déclaratives risque de susciter pour cette catégorie d'entreprises un choc de complexité que des obligations allégées auraient pu éviter.

c) Prendre en considération la spécificité des PME

L a spécificité des PME doit être prise en considération dans l'application de la directive CSRD.

Ce point a fait l'objet d'une négociation particulièrement serrée 118 ( * ) . Ainsi, le compromis du 16 février 2022 obtenu au sein du Conseil a-t-il prévu une période de transition au cours de laquelle de la flexibilité serait accordée aux PME pour la fourniture d'informations sur les chaînes de valeur 119 ( * ) :

« En ce qui concerne les PME, plusieurs délégations ont souhaité exclure l'ensemble des PME du champ d'application. D'autres délégations ont demandé d'encadrer davantage le contenu des obligations en ce qui concerne la publication d'informations demandées aux PME (normes simplifiées), aussi bien dans le cadre du reporting obligatoire des PME cotées que dans le cadre du reporting volontaire des autres PME. La présidence a renforcé la possibilité pour les PME de limiter les informations à fournir (à l'exclusion des PME qui sont également maison mère de grandes entreprises) (...)

Plusieurs délégations ont évoqué les difficultés que pourraient rencontrer les entreprises à recueillir des informations des différents acteurs de leur chaîne de valeur, notamment des PME. Le compromis prévoit que ces difficultés seront prises en compte dans l'élaboration des standards, en déclinant de manière proportionnée les obligations de publications et en tenant compte en particulier des entreprises incluses dans les chaînes de valeur qui ne sont pas soumises aux obligations de cette directive. De plus, il a été explicité que pendant une période de transition de trois ans, les entreprises qui ne sont pas en mesure de fournir certaines informations en raison de l'absence de données de la part des entreprises présentes dans leurs chaînes de valeur, notamment des PME, pourront bénéficier d'une flexibilité ».

Une dérogation ( opt-out ) sera possible, pendant une période transitoire, pour les PME, ce qui veut dire qu'elles seront exemptées de l'application de la directive jusqu'en 2028.

Pour l'AFEP , l'initiative européenne en cours pose encore certaines difficultés :

- sur le champ d'application : de nombreux concurrents des entreprises européennes ne sont pas cotés dans l'UE et ne remplissent pas les critères des grandes entreprises visées par CSRD parce qu'ils opèrent, par exemple, depuis des Etats tiers comme la Suisse ou le Royaume Uni ou à partir de plateformes numériques. Il est indispensable d'inclure ces sociétés dès lors qu'elles dépassent un certain seuil de chiffre d'affaires mondial - à déterminer - et qu'elles proposent des biens ou des services dans l'UE ;

- sur la publication systématique d'informations prospectives , les entreprises anticipent d'une part des risques juridiques, et d'autre part le risque de devoir divulguer des informations commercialement sensibles alors que leurs concurrents non européens, y compris ceux opérant dans l'UE, ne sont pas contraints au même degré de transparence. Alors qu'en matière financière, il n'existe aucune obligation de publier des données prospectives, les entreprises ne devraient pas se voir imposer une obligation de publication de données extra-financières prospectives, d'autant qu'en matière environnementale et sociale, les marges d'erreur sont, par nature, plus importantes. Il est donc indispensable de laisser de la souplesse et de la liberté aux entreprises sur la manière de présenter les principaux thèmes de reporting exigés par CSRD ;

- sur les actifs incorporels : CSRD prévoit une transparence sur les incorporels, y compris sur les capitaux intellectuel, humain, social et relationnel. La valorisation de ces actifs n'est pas suffisamment mature , et même si cela était possible, elle ne fournirait pas une information utile et pertinente. En l'absence de définition précise de ces actifs et de méthodologie robuste pour les mesurer, les informations sur les actifs incorporels doivent être purement qualitatives et non quantitatives ;

- sur la diligence raisonnable , CSRD ne doit pas anticiper la future législation européenne sur le devoir de vigilance annoncée par la Commission. La proposition de directive soumet les entreprises à des obligations de transparence étendues sans pour autant définir ce que signifie un « processus de diligence raisonnable ». Or, comme l'a montré la négociation de la loi française sur le devoir de vigilance, il s'agit d'un concept particulièrement complexe et difficile à mettre en oeuvre qui nécessite un débat spécifique. La directive CSRD ne doit pas être un prétexte pour anticiper de nouvelles obligations et le même sujet ne doit pas être traité dans deux textes/négociations différents .

Pour la CPME , la pertinence des standards proposés, leur compréhension, leur fiabilité et leur adéquation avec les moyens mis en place pour y répondre doivent constituer les objectifs poursuivis.

Or, la grande complexité des standards est vectrice de charges importantes tant pour les PME directement assujetties que pour les PME incluses mécaniquement dans la chaîne de valeur :

- pour les PME assujetties, il devra être tenu compte d'une double extension de ces nouvelles obligations aux entreprises dont l'effectif salarial est compris entre 250 et 500 personnes , contre un seuil de 500 précédemment, ainsi que des PME cotés « qui n'auront pas forcément les moyens humains et de gestion pour y répondre », et aux entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 40 millions d'euros contre 50 précédemment. Les entreprises qui entrent dans le champ d'obligation de la directive CSRD en raison d'une croissance de leur chiffre d'affaire devraient pouvoir bénéficier d'un délai suffisant pour s'adapter aux nouvelles exigences et ne pas subir brutalement une charge administrative déraisonnable.

- pour les PME susceptibles d'être incluses dans la chaîne de valeur, une information claire sur son assujettissement doit lui être fournie par la grande entreprises afin qu'elle puisse se préparer également à ces nouvelles exigences de reporting .

La CPME a ainsi alerté la Délégation aux entreprises lors de son audition du 20 septembre 2022 sur le fait que les projets de standards préparés par l'EFRAG « ne sont en l'état pas adaptés » et qu'un « important travail de simplification et de hiérarchisation des indicateurs est nécessaire pour les rendre utiles et opérationnels ».

Elle demande la fusion d'informations 120 ( * ) , afin que la lecture globale soit plus fluide, et d'éviter les redondances pour une meilleure compréhension, de préciser la frontière entre obligations de reporting et obligations de mise en application, de préciser nombreux termes utilisés, lesquels appelent à être harmonisés avec les différents textes européens, d'ajuster la granularité des informations demandées afin « de ne pas introduire dans les standards des données qui seraient excessivement complexes à collecter au vu de leur pertinence au regard du reporting demandé et compte-tenu de la charge qui en résulterait pour les entreprises de la chaîne de valeur, ou bien non comparables ni consolidables car non harmonisées au niveau européen

Ces informations extra-financières ne devront pas contenir d'indicateurs portant sur des modèles économiques ou des projets stratégiques, qui pourraient nuire à la compétitivité des entreprises européennes sur les marchés mondiaux en divulguant des informations stratégiques et devant rester confidentielles pour des questions de concurrence.

D'une manière globale, les 130 indicateurs actuels « apparait bien trop important surtout que les obligations de divulgation visées ici sont uniquement celles du tronc commun et qu'elles devront être complétées par des informations spécifiques à chaque secteur ».

La CPME préconise ainsi une application progressive de ces obligations ainsi qu'une priorisation des informations à produire en se concentrant dans un premier temps sur un certain nombre d'indicateurs. : « pour chaque standard thématique, un périmètre de reporting restreint pourrait être défini, incluant les informations essentielles, et un périmètre étendu avec les informations non essentielles. La mise en place progressive du standard permettrait de se concentrer d'abord sur les informations de base avant de passer aux informations non essentielles ».

Afin de s'assurer que les dispositions qui sont prises soient applicables, adaptées et réalistes pour les PME, qu'il s'agisse des entreprises cotées assujetties ou de celles situées dans la chaîne de valeur des plus grandes, la CPME préconise le recours à un « Test PME» permettant d'éprouver le caractère opérationnel de ces standards.

Pour la Plateforme RSE 121 ( * ) , la formalisation du cadre de reporting volontaire devra être simplifiée : « Tout standard dédié aux PME devra être facile d'accès, clair et proportionné. Il devra tenir compte d'une approche sectorielle, ce qui n'est pas contradictoire avec un tronc commun d'indicateurs. Le nombre d'indicateurs devra être limité et équilibré par pilier ». Elle note par ailleurs l'existence de nombreuses initiatives volontaires sectorielles portées par les PME.

Elle se prononce pour une approche sectorielle différenciée, en développant un standard dédié aux PME facile d'accès, clair et proportionné, tenant compte d'une approche sectorielle et en appliquant un principe de proportionnalité..

Recommandation n° 2 :

Appliquer progressivement les nouveaux référentiels RSE dans les ETI et PME après avoir réalisé un test d'opérationnalité par un tiers indépendant.

Recommandation n° 3 :

Accompagner les ETI et PME par une simplification des normes et une approche sectorielle différenciée.

d) Permettre aux entreprises européennes de se battre à armes égales

Le projet de directive prévoit que seules les entreprises non européennes ayant un chiffre d'affaires net de plus de 150 millions d'euros et exerçant une activité au sein du marché unique européen devront publier un reporting sur leurs impacts ESG. Par ailleurs, la vérification dans les pays non européens par des tiers indépendants doit être robuste.

En réalité, ce seuil de 150 millions d'euros de chiffre d'affaires 122 ( * ) , qui est aligné à celui du projet de directive sur le devoir de vigilance. Il rétablit une égalité de concurrence avec les partenaires non européens en les soumettant aux mêmes obligations de reporting dès lors que ces entreprises non européennes font partie d'une même chaîne de valeur. Il s'agit d'une extraterritorialité très profonde permettant de rétablir une égalité de concurrence. En effet, la notion de « relations d'affaires établies stables » dépasse largement la notion de « fournisseurs de rang 1 ».

Par ailleurs, le contrôle de certification des entreprises non européennes sera apprécié par la Commission européenne et devra être de qualité équivalente à celui exigé pour les entreprises européennes.

Sur ces deux points, une vigilance particulière est nécessaire. Il apparaît en effet important, afin de garantir la compétitivité des entreprises européennes par rapport à leurs concurrents non européens, de veiller à une équivalence d'exigences relatives à la publication d'informations en matière de durabilité. Il aurait été plus efficient de retenir, pour les filiales de ces entreprises non européennes, les deux seuils pris en considération pour les entreprises européennes (total de bilan supérieur à 20 millions d'euros, chiffre d'affaires net supérieur à 40 millions d'euros). Cela aurait dû être possible car la directive sur la publication d'informations pays par pays 123 ( * ) a déjà établi les méthodes de calcul du chiffre d'affaires net pour les entreprises non européennes, alors qu'une telle méthodologie n'existe pas pour calculer le nombre de salariés des entreprises de pays tiers.

Ces éléments devront être suivis avec attention afin de garantir une égalité de concurrence entre entreprises européennes et non-européennes actives au sein de l'Union européenne.

Recommandation n° 4 :

Assurer un traitement identique de reporting extra-financier pour les entreprises non européennes.

e) Garantir l'autonomie européenne des données ESG

Une manière d'encadrer l'action des agences de notations, majoritairement sous contrôle américain, serait d'exiger d'elles une standardisation de leurs référentiels et un accroissement de leur robustesse.

Une autre voie est de garantir un accès libre aux données financières et extra-financières que les entreprises devront produire massivement à brève échéance.

Ainsi, la Plateforme RSE avait demandé que la présidence française du premier semestre 2022 puisse contribuer à la création d'une agence publique d'évaluation européenne , « qui pourrait capter cette activité et valoriser les données produites par les entreprises soumises à la CSRD », laquelle pourrait s'appuyer sur la BCE, les agences ESG encore indépendantes en Europe et un acteur européen des technologies. « Cette agence européenne pourrait prendre un leadership dans l'intégration des données financières et non financières, dans la création de référentiels sectoriels mis à la disposition des PME et dans la création de nouvelles offres d'intelligence économique. La gouvernance d'une telle agence devrait être la plus représentative possible et inclure les différentes parties prenantes des entreprises ».

Pour l'Institut français des administrateurs, « l'accès à la donnée extra-financière pourrait être facilité par l'ambition de l'Europe de se doter d'une base de données ESG européenne en accès libre » 124 ( * ) .

La création d'un point d'accès unique à l'information réglementée publiée par les sociétés cotées européennes ( European Single Access Point - ESAP), a été inscrite dans la feuille de route du nouveau plan pour l'Union des marchés de capitaux, afin de permettre d'accéder gratuitement via une plateforme à l'ensemble des données financières et extra-financières découlant des obligations réglementaires s'imposant aux sociétés cotées.

Une harmonisation est indispensable compte-tenu de la grande hétérogénéité dans les méthodes de collecte de fiabilisation et de traitement des données, qui sont à l'origine d'importantes divergences dans les évaluations des performances extra-financières produites.

Celles-ci s'expliquent en effet non seulement par l'absence de consensus sur la définition de l'extra-financier mais aussi et surtout sur la manière de mesurer un même concept. La littérature académique montre également que le résultat de l'évaluation dépend de la personne qui attribue la note (« Rater effect ») mais aussi de la quantité d'information disponible sur l'entité notée (plus elle est importante, plus les notations divergent).

Pour l'Autorité des marchés financiers 125 ( * ) , « ces résultats mettent en lumière la nécessité pour les agences de notation de garantir des processus de notation rigoureux et transparents . Or, à cet égard, le niveau de transparence est à l'heure actuelle et en règle générale trop faible et lacunaire pour permettre aux investisseurs de comprendre la signification des notations, leur portée et leurs limites. Une plus grande transparence de la part des agences de notation extra-financière apparaît donc nécessaire. Elle concerne à la fois : les sources des données utilisées, les méthodes utilisées pour leur fiabilisation et l'amélioration de leur complétude ; les méthodes, processus et modes de rémunération des notations ; l'identification et la gestion des conflits d'intérêts ». Il faut donc saisir l'occasion de la mise en oeuvre de la directive CSRD pour favoriser la création d'un « normalisateur européen du reporting extra-financier », qui aura la charge d'édicter les règles encadrant le contenu du reporting et qui pourra s'inspirer des initiatives internationales existantes.

Comme le recommande l'Autorité des marchés financiers, ce rôle pourrait être confié à l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF, ou encore ESMA en anglais), autorité indépendante qui assure la surveillance des marchés financiers de l'Union européenne pour améliorer la protection des investisseurs d'une part, et d'autre part, promouvoir la stabilité des marchés financiers. Elle élabore les normes et les standards de régulation et de surveillance financière. Pour ce faire, elle réalise des orientations et des recommandations.

Recommandation n° 5 :

Confier à l'Autorité européenne des marchés financiers l'évaluation publique de l'information ESG.

3. Rendre la RSE économiquement supportable pour les entreprises

Les standards obligatoires en matière de RSE auront inévitablement un impact indirect sur les TPE-PME, même pour celles qui n'entrent pas directement dans le champ juridique des nouveaux textes européens.

Ainsi, les entreprises soumises à la CSRD seront amenées à demander des informations auprès de leur chaîne de valeur. Les TPE-PME devront répondre à de nouvelles demandes émanant d'entreprises entrant dans le champ d'application de la directive.

Comme Mme Sylvie Grandjean, chef d'entreprise et vice-présidente du METI en a témoigné 126 ( * ) : « dans mon entreprise de 200 salariés en région Centre-Val de Loire, un salarié à tiers-temps s'occupe de répondre aux statistiques de l'Insee. Avec ces nouvelles directives, il faudra passer à un temps plein. Ce coût diminuera d'autant les dépenses que nous pourrions affecter aux actions en faveur de la RSE. Ceci, parce que les textes actuels s'appliquent aux grands groupes comme aux ETI, sans différentiation ».

Or, il est fondamental que cet aspect soit pris en compte afin que les demandes formulées par les entreprises assujetties aux entreprises de la chaine de valeur ne soient pas excessives.

L'accumulation des obligations de reporting créé un changement d'échelle : « nous passons d'actions vertueuses et volontaires d'entreprises engagées à une sorte de `RSE data' » et le reporting extra financier constitue, pour la CMPE, « non seulement une contrainte mais une difficulté sans nom. Nous avons travaillé sur ces outils de reporting qui en sont aujourd'hui au stade de projet. Ils comportent, pour les grands groupes, 130 indicateurs d'une rare complexité. Il faut pouvoir les comprendre, pouvoir collecter les informations, renseigner ces standards. Or, il y a souvent une granularité dans l'information demandée qui est extrêmement difficile à obtenir ». Les PME demandent donc « de ne surtout pas décliner ces grands standards aux PME, mais d'en créer des spécifiques , avec un nombre limité d'indicateurs qui « parlent » aux métiers, y compris aux plus petites entreprises » et de valoriser « dans la commande publique et même par les grands donneurs d'ordre privés » les référentiels RSE sectoriels, qui ont été élaborés depuis 15 ans.

Pour une entreprise, le coût d'entrée global dans le périmètre de ces obligations de reporting a été évalué à 100 000 euros, selon une étude d'impact de la Commission européenne d'avril 2021 citée par Mme Sylvie Grandjean. Ce coût ne s'applique toutefois qu'aux demandes d'information concernant les grandes entreprises, et suppose qu'elles n'ont jamais collecté d'information dans le cadre de la DPEF.

Le coût de l'affichage environnemental a été évalué à 150 euros par produit affiché par l'ADEME dans le cadre de l'expérimentation sur 1 500 produits 127 ( * ) .À titre indicatif, « le coût minimal d'une analyse du cycle de vie sociale non personnalisée est estimé à 5 000 euros par produit , ce qui ne pèse pas de la même façon selon le montant de la valeur ajoutée dégagée par l'entreprise » selon la Plateforme RSE 128 ( * ) .

CCI-France demande ainsi que les obligations de reporting soient proportionnées et que « les plus petites entreprises ne soient pas contraintes de s'engager dans des processus lourds, complexes et coûteux, qu'elles ne sont pas en capacité de mettre en place », notamment pour l'obligation de vérification par un tiers indépendant, qui peut être très coûteux pour une entreprise.

La prise en compte de cette notion de limitation d'information et de proportionnalité apparait clairement dans le texte de compromis sur la CSRD 129 ( * ) .

Or, la difficulté vient du fait que les normes concernant les grandes entreprises seront adoptées avant celles concernant les PME alors qu'elles peuvent s'appliquer à ces dernières par ruissellement et que l'information demandée est trop ambitieuse en granularité et en profondeur pour ces PME. L'EFRAG devra revoir à la baisse le degré d'exigence des informations demandées aux PME et l aisser du temps pour élaborer normes spécifiques aux PME.

Il ne serait pas acceptable que , dans le cas où ces entreprises n'auraient pas la possibilité de transmettre de telles informations, elles soient évincées de certains marchés ou encore privées de financements.

Par ailleurs, les coûts pour les entreprises des différentes obligations en matière de RSE s'additionnent, car ces obligations sont conçues « en silo », et leur cumul, par catégorie d'entreprise, n'est jamais évalué.De même, la question de distorsion de concurrence pour conquérir des marchés à l'exportation n'est jamais posée clairement, alors que les entreprises européennes sont en compétition avec des entreprises qui n'ont pas encore les mêmes obligations et contraintes.

Recommandation n° 6 :

Établir une étude d'impact sur le coût financier et organisationnel, par catégorie d'entreprises, du cumul des obligations en matière de RSE.

4. Poursuivre les efforts de rapprochement des normes

La prise en compte de la « double-matérialité» qui est l'une des caractéristiques de la vision européenne du reporting ESG.

Il ne serait pas non plus économiquement supportable par les entreprises, et principalement les PME et ETI, de répondre à un double reporting international.

Il est indispensable d'assurer une convergence entre les projets de standards IFRS sur la durabilité et ESRS notamment sur les volets relatifs à la matérialité financière que recouvrent les deux standards.

Par ailleurs, ces futurs standards devront être interopérables afin que les entreprises assujetties n'aient pas à refaire l'exercice plusieurs fois sous des formats différents.

En outre, la cohérence avec d'autres exigences en matière de déclaration, par exemple celles de l'article 8 du règlement européen sur la taxonomie, doit être assurée. Dans cette perspective, il convient de garantir l'harmonisation des standards avec les termes déjà employés dans d'autres réglementations de l'UE.

Alors que les standards internationaux gardent une vision de simple matérialité financière, l'Union européenne fonde le cadre du reporting extra-financier sur les risques et opportunités auxquels sont exposées les entreprises, mais aussi l'impact de celles-ci sur la société et l'environnement.

Par nature, cette approche est plus complexe.

La double matérialité exige des standards afin de garantir une mise en oeuvre basée sur un processus formalisé, systématique et permettant une comparabilité entre les entreprises. Or, à ce stade, les orientations relatives à la manière d'effectuer une analyse de matérialité par une entreprise sont trop vagues et mériteraient d'être étayées. Ainsi, la CPME demande l'élaboration de guides méthodologiques accompagnant les différents standards afin d'expliciter à l'aide d'illustrations le processus d'analyse de matérialité des impacts, risques et opportunités (organisation, méthodologie, implication des parties prenantes...).

De plus, la mise en oeuvre du principe de double matérialité n'a pas vocation à imposer aux entreprises le traitement des attentes et besoins de toutes les parties prena ntes. Cela serait irréalisable et entraînerait la publication d'une quantité disproportionnée d'informations, dont beaucoup ne seraient pas significatives pour l'entreprise ni ses parties prenantes. Les principales parties prenantes de l'entreprise doivent donc être au préalable définies à travers la réalisation de l'analyse de matérialité.

Enfin, le principe de présomption de matérialité, même réfutable, n'est pas cohérent avec la directive CSRD car il appartient à l'entreprise de déterminer ce qui est matériel de ce qui ne l'est pas. En outre, l'obligation de justifier l'absence d'information rendrait la déclaration excessivement lourde et l'application de ce principe engendrerait des risques juridiques et de contentieux importants.

Pour le MEDEF , la directive CSRD aurait dû être un règlement afin de ne pas s'exposer au risque d'une transposition variable selon les pays. La transposition de la directive en France devra « ne pas complexifier des standards qui sont déjà denses et garantir un level playing field pour les entreprises françaises ».

Le standard proposé par l'EFRAG doit être « interopérable avec les standards internationaux en cours d'élaboration (Fondation IFRS, SEC américaine, programme de reporting ESG chinois...) sur les thématiques communes (principalement climat à ce stade) », en cas d'échec de la convergence et afin d'éviter aux entreprises un double reporting .

Ce nouveau reporting extra-financier doit être mis en place progressivement, par phases successives car : il existe à ce stade « plus d'une centaine de points d'informations sur des sujets ayant des niveaux de maturité très différents, pour des données qui ne sont pas encore produites par les entreprises et qui nécessitent des process humains et informatiques repensés. Tout ne peut pas être mis en place en une seule fois et le Medef, l'Afep et Acteo ont proposé dans leur réponse à l'EFRAG un ordre de priorisation :

• Commencer par les informations déjà requises aujourd'hui, ainsi que celles obligatoires pour les acteurs financiers (Principal Adverse Impact de SFDR).

• Introduire progressivement des informations relatives à la chaîne de valeur, car ce sont les informations les plus difficiles à construire, en particulier pour les nouveaux entrants.

• Avancer progressivement sur les 3 piliers du reporting développement durable (E, S et G) tout en tenant compte de l'inégale maturité des thématiques spécifiques (biodiversité par exemple) ».

Les standards de reporting doivent être solides et également usités : « pour cela il serait préférable de procéder par priorités afin de tester les indicateurs pertinents et de laisser le temps à des indicateurs moins matures d'être précisés, pour également garantir la qualité des données ».

L'abaissement du seuil de 500 à 250 salariés nécessite de la pédagogie car « les entreprises ne sont pas prêtes, la marche est déjà haute pour les entreprises actuellement soumises à la DPEF, et elle le sera d'autant plus pour les entreprises de taille moyenne ».

Pour les petites entreprises non soumises à la directive CSRD elles devront quand même donner des informations à leurs clients ainsi qu'à leurs interlocuteurs financiers. « Le cercle est in fine vertueux mais il est nécessaire de garder un principe de proportionnalité et d'utilité du reporting en tête. Le reporting ESG doit rester un outil de pilotage et pas une obligation de compliance ».

Recommandation n° 7 :

Poursuivre les efforts d'harmonisation des standards en promouvant le concept de double matérialité, financière et extra-financière.


* 108 https://ec.europa.eu/info/law/law-making-process/evaluating-and-improving-existing-laws/refit-making-eu-law-simpler-less-costly-and-future-proof_fr

* 109 Publiées en juin 2019, les « lignes directrices relatives aux informations en rapport avec le climat » sont un guide pour répondre aux exigences de la Directive 2014/95/UE sur la publication d'informations non financières (NFRD). Elles intègrent les recommandations de la Taskforce on climate-related financial disclosures (TCFD) et prennent en compte la taxinomie européenne des activités durables.

* 110 Panorama financier et extra-financier du reporting carbone des entreprises, AMF, décembre 2021.

* 111 En annexe du présent rapport.

* 112 Table-ronde du 20 septembre 2022, organisée par la Délégation sénatoriale aux entreprises.

* 113 Dont le contenu est précisé par l' article R225-105 du code de commerce.

* 114 Mme Maud Gaudry, Associée Global Sustainability Services, Experte technique sustainability reporting - Lead project manager du groupe de travail de l'EFRAG en charge de la normalisation du reporting , Baromètre RSE, Mazars, septembre 2022.

* 115 « Cocher les cases », synonyme de respect du formalisme.

* 116 Table-ronde du 20 septembre 2022, organisée par la Délégation aux entreprises.

* 117 « La RSE, un enjeu européen Contribution aux travaux de la présidence française du Conseil de l'Union européenne », avis d'octobre 2021.

* 118 Selon le dossier interinstitutionnel 2021/0104(COD) du 18 février 2022.

* 119 Ce nouveau texte se lit comme suit : « En outre, pendant les trois premières années d'application de la présente directive, si toutes les informations nécessaires relatives aux relations commerciales et à la chaîne d'approvisionnement ne sont pas disponibles, l'entreprise inclut les informations dont elle dispose ainsi qu'une déclaration indiquant que les relations commerciales et les entreprises de sa chaîne de valeur n'ont pas mis à disposition les informations nécessaires ».

* 120 « comme la combinaison et la simplification d'ESRS 1 et 2 ou encore un regroupement des indicateurs de gouvernance contenus dans ESRS 2 avec le standard ESRS G1 »

* 121 « La RSE, un enjeu européen. Contribution aux travaux de la présidence française du Conseil de l'Union européenne », avis d'octobre 2021.

* 122 L'absence de référence à un seuil de salariés s'explique par l'absence de définition commune du salariat et par un calcul difficile de ce seuil au niveau mondial.

* 123 Directive (UE) 2021/2101 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2021 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d'informations relatives à l'impôt sur les revenus des sociétés, appelée « directive concernant les déclarations pays par pays » (DPPP ou « Country-by-Country Reporting », ou « CbCR»), entrée en vigueur le 21 décembre 2021.

* 124 « Le conseil d'administration et l'information extra-financière », rapport de l'IFA - 22 avril 2021.

* 125 « La fourniture de données extra-financières : cartographie des acteurs, produits et services », décembre 2020.

* 126 Table-ronde du 20 septembre 2022, organisée par la Délégation aux entreprises du Sénat.

* 127 Rapport n° 666 (2020-2021) de MM. Philippe TABAROT , Pascal MARTIN et Mme Marta de CIDRAC , fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets du 2 juin 2021.

* 128 Avis sur « l'affichage social des biens et services », février 2022.

* 129 « Standards shall not specify disclosures that would require undertakings to obtain information from small and medium-sized undertakings in their value chain that exceeds the information to be disclosed according to the sustainability reporting standards for small and mediumsized undertakings. ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page