B. LES ASSOCIATIONS SOCIO-JUDICIAIRES : CONSTRUIRE UN CLIMAT DE CONFIANCE

L'activité d'insertion et de probation se caractérise par la coexistence d'un secteur public - les SPIP - et d'associations socio-judiciaires de droit privé, qui peuvent se voir confier les mêmes missions. Les rapporteurs ont constaté que cette coexistence était parfois source de rivalités et de méfiance, les SPIP craignant qu'un recours accru aux associations entraîne une « marchandisation » de leurs activités, tandis que les associations estiment que leur savoir-faire et leur capacité d'innovation ne sont pas considérés à leur juste valeur par le secteur public.

1. Un secteur associatif présent aux différentes étapes de la chaîne pénale

Les associations socio-judiciaires sont devenues des acteurs majeurs de la chaîne pénale et il ne ressort pas des auditions des rapporteurs que l'accroissement des moyens des SPIP se soit accompagné d'un moindre recours aux associations.

En matière d'insertion et de probation, elles interviennent à la demande des JI, des JAP ou des SPIP eux-mêmes. La souplesse permise par leur statut de droit privé, notamment en matière de recrutement, favorise une capacité d'innovation qui enrichit l'offre de services à la disposition des magistrats.

Entendue par les rapporteurs, la fédération Citoyens et Justice qui regroupe 150 associations socio-judiciaires indique que ses membres sont mandatés aussi bien en pré-sentenciel qu'en post-sentenciel. En pré-sentenciel, les associations interviennent tant pour la mise en oeuvre de mesures alternatives aux poursuites telles que les stages, les mesures d'investigation ou les mesures alternatives à la détention provisoire. Une mesure de contrôle judiciaire peut, par exemple, imposer à la personne mise en examen de « se présenter périodiquement aux services, associations habilitées ou autorités désignés par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention » 25 ( * ) ou de répondre à leurs convocations 26 ( * ) . En post-sentenciel, les associations socio-judiciaires peuvent participer à la mise en oeuvre des peines alternatives à l'emprisonnement (TIG, peines de stage, détention à domicile sous surveillance électronique... 27 ( * ) ) ou des aménagements de peines d'emprisonnement 28 ( * ) .

Historiquement, le secteur associatif est surtout présent sur le pré-sentenciel alors que les SPIP dominent sur le post-sentenciel. La présence des associations sur le pré-sentenciel est souvent expliquée par le manque de moyens des SPIP qui fait obstacle à ce qu'ils puissent assumer concomitamment l'ensemble des tâches. Toutefois, ce constat varie de manière importante localement, en fonction, notamment, de la présence des associations socio-judiciaires sur le territoire 29 ( * ) . Comme le souligne l'UNDPIP, « sur certains territoires, l'associatif vient prendre des parts dans les missions plus traditionnelles du SPIP en assurant le suivi de certaines mesures probatoires (notamment en matière de violences intrafamiliales)» .

Au moment de l'adoption de la LPJ, le ministère de la justice avait pour ambition de repositionner les SPIP sur le pré-sentenciel, et notamment sur la réalisation des enquêtes sociales rapides. Cette réorientation semble avoir été appliquée de manière très inégale sur le territoire au vu des témoignages recueillis par les rapporteurs.

2. La difficulté d'envisager une répartition des tâches uniforme sur l'ensemble du territoire

La cohabitation du secteur associatif et des SPIP incite à s'interroger sur l'opportunité de délimiter plus clairement leurs compétences respectives. Or, les travaux conduits par les rapporteurs montrent qu'aucune ligne de partage consensuelle n'émerge.

Ainsi, le rapport thématique précité produit dans le cadre des États généraux de la justice parait privilégier une répartition « horizontale ». La proposition 2 préconise « de structurer davantage l'intervention du SPIP, en le positionnant en priorité sur l'évaluation du risque de récidive et la conception de programmes de prise en charge adaptés aux problématiques de chaque probationnaire » . Les associations prendraient ensuite le relais en se voyant déléguer la mise en oeuvre effective des mesures décidées par les SPIP. In fine , comme l'indique la proposition 2.3, une telle démarche reviendrait à externaliser une partie de l'activité des SPIP en distinguant ce qui relève de la sphère de la conception et du travail criminologique de ce qui ressort de la prise en charge socio-éducative. Cette répartition des compétences est également suggérée par la conférence nationale des procureurs de la République (CNPR).

D'autres acteurs préconisent plutôt une répartition verticale, par types de tâches. Ainsi, l'ANJAP suggère, par exemple, « une expérimentation sur une autonomie complète du secteur associatif, sur des mesures précises tel le placement extérieur » qui ne constituerait pas, selon elle, une remise en cause de la qualité du suivi du SPIP mais le fait de « proposer un accompagnement différentiel » . Elle préconise également un renforcement de la place du secteur associatif dans le suivi des condamnés en matière de TIG.

L'Union syndicale de la magistrature (USM) a suggéré de retenir une répartition qui fonctionne de manière satisfaisante dans certains territoires, sans pour autant la rendre rigide : le secteur associatif réalise les enquêtes sociales rapides en cas de comparution immédiate, il met en oeuvre les stages et les contrôles judiciaires simples ; le SPIP, quant à lui, met en oeuvre les contrôles judiciaires avec pose d'un bracelet électronique et réalise les enquêtes plus longues nécessaires pour décider d'un aménagement de peine ab initio .

Les rapporteurs considèrent que la proposition de recentrer les SPIP sur des tâches de conception de programme, dont la mise en oeuvre concrète serait confiée aux associations, est intéressante mais irait à rebours des efforts de recrutement réalisés ces dernières années pour étoffer les effectifs des services. Elle remettrait en cause l'identité professionnelle des SPIP et poserait la question de la conduite de la politique d'insertion et de probation dans les territoires peu pourvus en associations.

Plutôt que d'imposer un schéma unique, il paraît préférable de s'en remettre à l'intelligence des territoires pour permettre aux magistrats de faire appel soit au SPIP soit au secteur associatif en fonction des compétences et des moyens disponibles et de la nature du mandat judiciaire à mettre en oeuvre.

3. Pour des relations renouvelées avec le secteur associatif

Actuellement, les magistrats ont la possibilité de faire appel au SPIP ou à une association. Certaines organisations professionnelles de DPIP paraissent tentées de faire du SPIP l'interlocuteur unique du magistrat : le SPIP serait alors le destinataire de tous les mandats judiciaires et il pourrait éventuellement sous-traiter certaines mesures à une association.

Un tel mode d'organisation priverait cependant les magistrats d'une faculté de choix à laquelle ils semblent attachés. L'USM indique, par exemple que « pour la grande majorité des JAP interrogés, il apparait essentiel de rester maître quant au choix du service saisi. ». Un magistrat habitué à travailler avec une association dont il connaît le professionnalisme peut légitimement être réticent à renoncer à ce contact direct. Les associations peuvent craindre pour leur part que les SPIP préfèrent réaliser les missions en interne et fassent peu appel à elles. Il pourrait en résulter une moindre émulation entre secteurs public et privé préjudiciable à l'innovation.

Dans un contexte marqué par la défiance, il convient sans doute de privilégier des initiatives de nature à rétablir la confiance avant d'envisager une remise en cause de l'organisation actuelle. Un dialogue et une concertation plus approfondis entre la DAP et le secteur associatif permettraient déjà aux associations de se sentir mieux reconnues. Elles éprouvent encore aujourd'hui une certaine amertume concernant la décision prise dans le cadre de la LPJ de repositionner les SPIP sur le pré-sentenciel, estimant ne pas avoir été à l'époque suffisamment associées à la prise de décision.

Pour affirmer encore plus nettement le partenariat entre l'administration pénitentiaire et le secteur associatif, la conclusion de chartes peut également être envisagée, sur le modèle du projet de charte nationale d'engagements réciproques élaborée par l'administration pénitentiaire en collaboration avec la fédération Citoyens et Justice sur la réalisation des enquêtes sociales rapides.

Enfin, la piste d'un agrément ou d'une habilitation des associations par l'administration pénitentiaire, s'inspirant de la pratique suivie par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) 30 ( * ) , a retenu l'attention des rapporteurs. Aujourd'hui, seules doivent être habilitées, depuis le 1 er avril 2022, les structures de placement extérieur.

L'habilitation apporterait aux magistrats la garantie de la qualité de la prise en charge et de la probité des personnels exerçant au sein de ces structures. Une telle garantie paraît justifiée tant au regard du caractère sensible des missions exercées par les associations socio-judicaires que de la précarité des personnes suivies. Une telle démarche permettrait, par exemple, d'imposer des règles en matière de financement ou de recrutement. Elle favoriserait une relation confiante avec le secteur public, assuré de la qualité des prestations réalisées par le milieu associatif. L'habilitation serait conditionnée au respect d'un cahier des charges contrôlé régulièrement.

Proposition n° 8 : Introduire une procédure d'habilitation des associations socio-judiciaires en s'inspirant de la pratique suivie dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse.


* 25 5° de l'article 138 du code de procédure pénale.

* 26 Ibidem , 6°.

* 27 Peines prévues à l'article 131-3 du code pénal en matière correctionnelle.

* 28 Article 723-15 du code de procédure pénale.

* 29 Entendu au nom de la Conférence nationale des procureurs de la République, le procureur d'Ajaccio a par exemple indiqué qu'aucune association socio-judiciaire n'était implantée dans le ressort de son tribunal. Le SPIP assume en conséquence l'ensemble des tâches.

* 30 L'habilitation est délivrée par le représentant de l'État dans le département, après avis du président du conseil départemental et instruction par les directions déconcentrées de la PJJ.

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