B. UNE FEUILLE DE ROUTE 2019-2022 PARTIELLEMENT MISE EN oeUVRE

1. La feuille de route 2019-2022 : un ensemble de mesures pour lutter contre les pénuries

· Constatant l'aggravation des phénomènes de rupture et observant que « près d'un Français sur quatre s'est déjà vu refuser la délivrance d'un traitement pour cause de pénurie »126(*), la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn a mis en place, en juillet 2019, une feuille de route 2019-2022 destinée à « Lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France ».

Celle-ci distingue 28 actions, réunies autour de quatre axes destinés à promouvoir la transparence et renforcer l'information des acteurs, à mieux prévenir et gérer les pénuries, à renforcer la coordination nationale et la coopération européenne, ainsi qu'à renouveler la gouvernance en France.

Les principales mesures prévues par la feuille de route 2019-2022

1. Promouvoir la transparence et la qualité de l'information afin de rétablir la confiance et la fluidité entre tous les acteurs :

- action n° 1 : élargir la plateforme DP-Ruptures, développée par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens pour faciliter l'échange d'informations, à l'ensemble des acteurs de la chaîne de distribution (grossistes-répartiteurs, dépositaires) ;

- action n° 3 : innover sur les solutions de partage d'information de disponibilité de médicaments, en favorisant l'émergence d'outils numériques interconnectés permettant de connaître les stocks de tous les acteurs de la chaîne pharmaceutique ;

- actions nos 5 et 6 : renforcer l'information sur la disponibilité de leur traitement et sur le risque iatrogénique délivrée aux patients, notamment, par les pharmaciens ;

- action n° 7 : développer l'information et la coordination entre l'ANSM et les ARS pour la gestion de l'information sur les ruptures.

2. Lutter contre les pénuries par de nouvelles actions de prévention et de gestion :

- action n° 10 : permettre le remplacement de médicaments par les pharmaciens d'officine en cas de rupture d'un MITM ;

- action n° 12 : trouver des solutions pour les antibiotiques à risque fort de pénuries ;

- action n° 13 : impliquer les patients dans l'évaluation des PGP et homogénéiser les PGP en demandant à l'ANSM de publier un document déclinant leur contenu et leur format ;

- action n° 14 : développer le nouveau concept de « PGP renforcé » pour les médicaments très touchés par les pénuries ou certaines classes thérapeutiques ;

- action n° 15 : adapter les procédures d'achat pour sécuriser l'approvisionnement en établissement de santé.

3. Renforcer la coordination nationale et la coopération européenne :

- action n° 18 : renforcer la capacité de régulation de l'ANSM pour lutter et anticiper les pénuries (suivi des stocks, pouvoirs d'injonction, sanctions financières) ;

- action n° 20 : expertiser la mise en place d'une solution publique pour organiser, de manière exceptionnelle et dérogatoire, l'approvisionnement en MITM en cas de pénurie ;

- action n° 21 : oeuvrer à une harmonisation des pratiques réglementaires européennes ;

- action n° 22 : proposer des solutions innovantes visant au maintien ou à la relocalisation de sites de production en France ou en Europe, et expertiser la possibilité de mettre en place des établissements pharmaceutiques publics européens.

4. Mettre en place une nouvelle gouvernance nationale :

- action n° 25 : instaurer un Comité de pilotage (COPIL), associant administrations centrales, agences sanitaires, autorités publiques indépendantes, associations de patients, représentants des industriels, des distributeurs et des professionnels de santé, chargé de la stratégie de prévention et de lutte contre les pénuries de médicaments ;

- action n° 28 : évaluer de manière continue la feuille de route, par la publication d'un bilan annuel selon des indicateurs à définir.

· La réalisation de plusieurs de ces actions doit être signalée.

Ainsi, en matière d'information, la plateforme DP-Ruptures a été progressivement déployée aux grossistes-répartiteurs. Interrogé par la commission d'enquête, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop) a indiqué que « dix conventions d'accès à DP-Ruptures ont été signées avec le Cnop par les grossistes-répartiteurs, permettant ainsi un accès en visualisation à la plateforme DP-Ruptures ». Celles-ci couvriraient 98 % du marché127(*). La part des pharmacies d'officine raccordées à la plateforme a, dans le même temps, continué de croître, passant de 60 % en janvier 2018 à 80 % et la quasi-totalité des officines aujourd'hui.

De la même manière, s'agissant des dispositifs de prévention et conformément à ce que prévoyait la feuille de route, l'ANSM a publié des lignes directrices relatives aux PGP qui ont permis de préciser le contenu attendu des documents devant être établis par les exploitants128(*).

Reprenant une recommandation du rapport d'information relatif aux pénuries de médicaments et de vaccins129(*), la feuille de route 2019-2022 prévoyait par ailleurs d'ouvrir aux pharmaciens la possibilité de proposer aux patients une substitution thérapeutique d'une spécialité, en cas de rupture d'approvisionnement avérée. La loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé de 2019130(*) procède à cette extension de compétences en autorisant les pharmaciens, en cas de rupture de stock ou de risque de rupture avérés, à remplacer un MITM prescrit par un autre médicament conformément à une recommandation établie, après consultation des professionnels de santé et des associations de patients, par l'ANSM et publiée sur son site internet131(*).

Enfin, plusieurs réunions du COPIL ont eu lieu, dont les comptes rendus ont été transmis à la commission d'enquête. Celles-ci ont rassemblé de nombreux acteurs impliqués dans la prévention et la gestion des pénuries de médicaments132(*). Toutefois, le rythme de réunion des COPIL n'a pas atteint celui escompté : alors qu'il était prévu que « pour assurer [un] suivi régulier des travaux, ce comité [se réunisse] tous les quatre mois (septembre 2019 - janvier 2020 - juin 2020 - octobre 2020 - etc.) », le ministère de la santé et de la prévention a confirmé à la commission d'enquête que seuls quatre COPIL se sont tenus entre 2019 et 2022133(*).

2. De nombreux objectifs demeurant inachevés

Quatre ans après sa publication, l'application de la feuille de route 2019-2022 de lutte contre les pénuries de médicaments apparaît néanmoins largement inachevée.

· Les objectifs assignés en matière d'amélioration de l'information des professionnels de santé et des patients, d'abord, ne sont que partiellement remplis.

Les médecins, en particulier, apparaissent encore insuffisamment informés des ruptures et tensions constatées comme des mesures prises par l'ANSM pour les maîtriser. La présidente de la section Santé publique du Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom), lors de son audition, a ainsi indiqué que « le défaut d'information est le principal problème. [...] Peu de monde sait que, pour connaître les ruptures de stock, le site de l'ANSM recense les listes des produits concernés par les pénuries ou les tensions d'approvisionnement... »134(*).

Interrogé par la commission d'enquête, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop) a par ailleurs reconnu l'inégale qualité des informations transmises par les industriels dans la plateforme DP-Ruptures, et indiqué que « les pharmaciens d'officine regrettent de ne pas avoir des informations suffisantes et systématiques, notamment sur la date de retour, afin de prévenir les patients et de prévoir des alternatives avec les médecins »135(*).

· Les outils de prévention et de gestion des pénuries n'ont pas davantage été renforcés dans l'ampleur annoncée. Si la feuille de route invitait à « trouver des solutions pour les antibiotiques à risque fort de pénuries », la pénurie d'amoxicilline de l'hiver 2022-2023 a jeté une lumière crue sur la persistance de fortes difficultés d'approvisionnement en matière d'anti-infectieux. Comme on l'a vu, la classe thérapeutique concentre d'ailleurs, en 2022, 14 % des signalements de rupture ou risque de rupture alors qu'elle ne représente que 5 % du marché français des médicaments136(*).

· En matière de coopération européenne, le ministère de la santé et de la prévention indique souhaiter travailler, dans le cadre de la nouvelle réglementation pharmaceutique européenne en cours d'élaboration, à « une meilleure harmonisation des définitions réglementaires européennes, [au] renforcement des obligations d'approvisionnement et de transparence, ainsi [qu'à] l'obligation de plan de gestion prévisionnel (PGP) au niveau européen pour tout médicament essentiel »137(*).

Toutefois, les objectifs de la feuille de route apparaissent, en la matière et à ce jour, largement inachevés.

· Enfin, alors que la feuille de route prévoyait la publication d'un bilan annuel, aucun bilan formalisé des vingt-huit actions prévues n'a été publié.

Alors qu'il lui était demandé de fournir à la commission d'enquête tout document formalisant le suivi ou l'évaluation de la feuille de route, le ministère de la santé et de la prévention n'a transmis qu'une présentation succincte, particulièrement elliptique sur les éléments de bilan. Les objectifs d'évaluation continus attachés à la feuille de route ne sont, en conséquence, pas atteints.


* 126 Feuille de route 2019-2022 « Lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France », p. 4.

* 127 Réponses du Cnop au questionnaire de la commission d'enquête.

* 128 Décision du 21 juillet 2021 de la directrice générale de l'ANSM fixant les lignes directrices pour l'élaboration des plans de gestion des pénuries en application de l'article R. 5124-49-5 du code de la santé publique.

* 129 Pénuries de médicaments et de vaccins : renforcer l'éthique de santé publique dans la chaîne du médicament, rapport d'information n° 737 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Decool, fait au nom de la MI sur la pénurie de médicaments et de vaccins, déposé le 27 septembre 2018. Proposition n° 22.

* 130 Article 34 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.

* 131 Article L. 5125-23 du code de la santé publique.

* 132 Pour le premier COPIL, organisé le lundi 23 septembre 2019 au ministère des Solidarités et de la Santé, étaient notamment présents : la ministre, l'ANSM, France Assos Santé, la Ligue nationale contre le cancer, France Parkinson, SOS Hépatites, Épilepsie France, TRT-5, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, plusieurs syndicats de pharmaciens, plusieurs représentants des laboratoires et fabricants de principes actifs, les conseils nationaux des ordres des médecins et pharmaciens.

* 133 Réponses de la DGS au questionnaire de la commission d'enquête.

* 134 Audition de MM. Jean-Paul Tillement, membre de l'Académie nationale de médecine, Yves Juillet, membre de l'Académie nationale de médecine, Mme Claire Siret, présidente de la section santé publique du Conseil national de l'ordre des médecins, et M. Patrick Léglise, délégué général de l'Intersyndicat national des praticiens d'exercice hospitalier et hospitalo-universitaire, le mardi 11 avril 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230410/ce_penurie.html#toc2

* 135 Réponses du Conseil national de l'ordre des pharmaciens au questionnaire de la commission d'enquête.

* 136 Réponses de l'ANSM au questionnaire de la commission d'enquête.

* 137 Réponses de la DGS au questionnaire de la commission d'enquête.

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