K. DES DÉFICIENCES STRUCTURELLES ? LA DÉCOUVERTE DE « L'AFFAIRE MAYOTTE »

1. Une affaire qui paraît d'abord concerner uniquement Mayotte...

Au cours de ses travaux, alerté par notre collègue Saïd Omar Oili, sénateur de Mayotte et membre de la commission, le rapporteur a eu connaissance d'une autre affaire relative aux eaux en bouteille distribuées à Mayotte qui l'a conduit à s'interroger sur l'existence d'éventuelles déficiences structurelles dans les contrôles. Il a aussitôt saisi Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Yannick Neuder, ministre chargé de la Santé et de l'Accès aux soins et Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer.

Des informations recueillies, il ressort que des signalements ont été effectués faisant état d'odeurs d'hydrocarbures ou de moisissures sur des bouteilles acheminées et stockées à Mayotte dans le cadre de la gestion de la crise de l'eau qu'a connue ce territoire en 2023-2024, notamment les bouteilles de la marque Cristaline, produites par le groupe Alma. Or, la majorité des 11 millions de bouteilles envoyées depuis la métropole, La Réunion ou l'île Maurice pendant cette crise ont été distribuées à la population par l'État.

Depuis le 10 mars 2024, la distribution et l'importation ont été arrêtées. Il restait alors environ 1,4 million de bouteilles, stockées principalement au port de Longoni, à l'aéroport de Pamandzi et à l'hôpital de Pamandzi sur Petite-Terre.

Pourtant, dès le mois de janvier 2024, l'ARS de Mayotte avait été destinataire de plusieurs signalements oraux ou par courriels (plus d'une dizaine) concernant les bouteilles d'eau Cristaline distribuées par l'État se plaignant d'une eau avec un goût de « moisi » ou d'hydrocarbure. Plus grave encore, un signalement effectué en février 2024 par la Sécurité civile a fait état, en plus des problèmes organoleptiques, d'une contamination bactérienne en lien avec la présence de coliformes fécaux sur des lots Cristaline du même stock.

À la suite de ces signalements, l'ARS de Mayotte a fait analyser ces échantillons par des laboratoires et ceux-ci ont confirmé la présence d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) sur plus de cinq lots de la marque Cristaline analysés. Selon l'ARS, ces analyses ont également montré des taux très élevés de bactéries revivifiables à 36°C et 22°C, là encore sur cinq lots de la marque Cristaline, sans relever toutefois de présence de bactéries coliformes fécales.

Saisie par l'ARS Mayotte, la direction générale de la santé a lancé une enquête en lien avec Alma, producteur de l'eau Cristaline et les ARS concernées par ses sites de production. Selon la DGS, ces investigations n'ont relevé aucun problème sur la ressource, le traitement, le conditionnement et le stockage sur les sites de production en lien avec les contaminations (hydrocarbure ou bactériologique). Il a donc été décidé, d'un commun accord entre la DGS et l'ARS Mayotte, d'élaborer un plan d'échantillonnage des eaux embouteillées sur les différents sites de stockage à Mayotte, afin de poursuivre les investigations sur les eaux stockées sur le territoire.

Il a alors été constaté que les conditions de stockage en conteneurs (humidité, forte chaleur) au port de Longoni et à l'aéroport de Pamandzi avaient favorisé un développement conséquent de moisissures sur les packs d'eau. Par conséquent, environ 700 000 bouteilles stockées dans ces deux lieux ont été déclarées impropres à la consommation humaine. Les tests réalisés sur les bouteilles stockées à l'hôpital de Pamandzi ont fait l'objet de tests organoleptiques et d'analyses pour la recherche d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) qui se sont pour leur part révélés négatifs et ces bouteilles ont pu être distribuées, notamment à la suite du passage du cyclone Chido.

Cette découverte témoigne indiscutablement de la nécessité d'améliorer la gestion des stocks d'eau de l'État et des commerces dans les outre-mer.

Si les services de l'État ont accompli leurs diligences rapidement, il n'en reste pas moins que, selon de nombreux témoignages, de grandes quantités de bouteilles ont pu être distribuées sur place avant leur intervention.

Par ailleurs, il s'est rapidement avéré que le problème n'était pas uniquement dû au stockage de ces bouteilles dans des conditions inadaptées d'humidité et de forte chaleur et que le producteur Alma avait également une forte part de responsabilité.

2. ... et qui révèle finalement un problème à l'échelon national

À la suite d'un signalement de consommateur transmis par l'ARS de la région Auvergne Rhône Alpes en septembre 2024 - soit neuf mois après les signalements à Mayotte ! - concernant la mauvaise odeur d'une bouteille d'eau Cristaline, la DGS a interrogé la totalité des ARS afin de recenser de manière exhaustive les plaintes de consommateurs d'eau de source de la marque. Sollicité également, le groupe Alma a alors avoué qu'il avait reçu plusieurs centaines de signalement, notamment depuis le mois d'août 2024, ce qu'il s'était abstenu de faire de sa propre initiative.

La commission d'enquête note donc que le groupe Alma s'est une nouvelle fois abstenu de révéler aux autorités des informations importantes qui remettaient en cause la qualité de ses produits.

Toutes les ARS ayant fait état d'analyses du contrôle sanitaire conformes et n'ayant pas été informées d'incidents dans la chaîne de production des eaux, les investigations se sont portées sur les phases ultérieures de stockage, sous l'égide de la DGCCRF. Celles-ci ont conduit à mettre en lumière une dégradation des intercalaires utilisés pour la palettisation des lots en sortie d'usine de conditionnement, ce qui occasionnait un développement de moisissures pouvant altérer le goût et l'odeur de l'eau.

Ces intercalaires de mauvaise qualité du fournisseur d'Alma ont probablement amplifié les phénomènes de moisissure qui peuvent survenir pendant les phases logistiques de transport et de stockage de ces palettes avant la mise en rayons des bouteilles Cristaline.

À la suite de cette découverte, le groupe Alma a mis en place une communication auprès de ses clients de la grande distribution et des consommateurs et les lots stockés ont fait l'objet d'un retrait.

Ces nouvelles difficultés apparues avec le groupe Alma démontrent qu'il est essentiel que les producteurs d'eau en bouteille veillent à l'adéquation entre les conditions de stockage des eaux embouteillées et les matériaux utilisés pour les bouteilles, le conditionnement très fin des bouteilles de la marque Cristalline constituant vraisemblablement une source de fragilité.

Il faudra donc qu'Alma prouve dans les mois à venir à la direction générale de la santé que sa bouteille garantit la conformité et la stabilité de l'eau contenue, en fonction des conditions de stockage et de transports optimales et prévisibles et cela jusqu'à la Date de Durabilité Minimale (DDM) annoncée par l'opérateur sur chacune des bouteilles (date de fabrication du lot + 2 ans).

Ce nouvel exemple montre, en premier lieu, que les délais d'intervention des services de l'État même en cas d'urgence, consistant à stopper la distribution d'une eau présentant des problèmes, sont encore trop importants et, en second lieu, que les mesures ultérieures consistant à s'assurer structurellement de la qualité de l'eau et de son contenant, mettent trop de temps à être accomplies.

Il montre aussi que les conditions de fourniture, le conditionnement et le stockage des réserves d'eau de l'État doivent être réexaminées, dans la mesure où elles peuvent ne pas être idéales en termes de résilience.

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