Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Edouard Geffray, ministre. Si vous me le permettez, je prendrai un peu plus de temps pour exposer l'avis du Gouvernement sur cet amendement, dont l'objet est à l'évidence extrêmement substantiel et même, à vrai dire, un peu trop pour que le Gouvernement puisse lui être favorable ; je veux vous en expliquer les raisons.
Je tiens avant tout à rappeler que nous partageons, bien entendu, l'objectif global du dispositif proposé. Une convergence très forte se fait jour pour limiter l'accès des jeunes mineurs aux réseaux sociaux ; le Gouvernement y travaille, en lien avec ses partenaires européens.
Toutefois, votre proposition, madame la rapporteure, pose plusieurs difficultés.
En premier lieu, l'âge minimal de 13 ans que vous souhaitez instaurer paraît insuffisant au Gouvernement si nous voulons protéger la santé physique et psychique des élèves, ou plutôt des jeunes dans leur ensemble – j'emploie le terme d'« élèves » sans doute par déformation professionnelle… (Sourires.)
Un consensus est plutôt en train de se construire, notamment à l'échelon européen, autour de l'âge de 15 ans ; celui de 16 ans est même envisagé par plusieurs pays et a été retenu, tout récemment, par l'Australie. Ici, l'âge de 15 ans figure déjà dans le règlement général sur la protection des données (RGPD), ainsi que dans la loi du 6 janvier 1978 dite Informatique et Libertés. Il serait cohérent de prévoir un consentement autonome autour de l'âge de 15 ans, plutôt que de l'abaisser à 13 ans, même avec les précautions que vous prévoyez.
En second lieu, vous n'ignorez pas le débat juridique que suscitent de telles dispositions. Certes, la question est technique, mais ce que vous proposez n'est tout de même pas neutre au regard du droit européen. Votre amendement nous ayant été soumis assez récemment, nous n'avons pas pu conclure, à ce jour, à la conventionnalité de son dispositif. De fait, celui-ci est assez proche de celui de la loi Marcangeli de 2023, dont vous savez qu'elle a rencontré des obstacles juridiques, notamment au regard de sa compatibilité avec le règlement européen sur les services numériques.
Il n'en reste pas moins que nous souhaitons avancer très clairement et rapidement sur le sujet de la majorité numérique. C'est pourquoi le Gouvernement travaille actuellement à un dispositif qui serait conforme à la fois au droit européen et à notre ambition en termes d'âge retenu. Une fois ce travail accompli, et dans le prolongement des annonces du Président de la République sur le numérique et les réseaux sociaux, le Gouvernement déposera, au mois de janvier prochain, un projet de loi dont les dispositions devront être pleinement opérantes et conformes à la législation européenne.
Je le redis, un travail juridique exhaustif doit être mené pour mettre en œuvre cette ambition, dont le Président de la République a réaffirmé le caractère prioritaire. Ma collègue chargée du numérique, Anne Le Hénanff, et moi-même vous soumettrons une rédaction qui permettra, je le pense, de satisfaire tout le monde.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous invite donc, madame la rapporteure, à retirer cet amendement ; à défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je voudrais apporter tout mon soutien à l'amendement de Mme la rapporteure.
Monsieur le ministre, notre commission de la culture travaille depuis très longtemps sur ce sujet. Catherine Morin-Desailly a effectué un travail remarquable, qui a donné lieu à de nombreux échanges dans cet hémicycle et en commission.
Je conviens avec vous que cet amendement est substantiel ; son adoption donnerait d'ailleurs à cette proposition de loi une ossature plus forte que sa version initiale. J'admets volontiers aussi que le dispositif proposé méritera certainement d'être précisé au cours de la navette.
J'ai bien entendu les propos du Président de la République sur ce sujet, mais nous y avions beaucoup travaillé avant qu'il ne lui vienne l'idée de faire une annonce supplémentaire. Dès lors, le Gouvernement s'honorerait aujourd'hui à reconnaître ce travail en se montrant favorable à l'amendement de Mme Morin-Desailly.
Ce faisant, il ne renoncerait nullement au travail et aux échanges qui pourraient être menés pour préciser les choses et parvenir à une rédaction encore meilleure. C'est tout ce que nous souhaitons, mais ce processus doit partir du travail accompli par le Sénat, qui se traduit dans le présent amendement de notre rapporteure, à qui je veux exprimer à nouveau toute ma gratitude, ainsi que celle du groupe Les Républicains, pour le travail qu'elle mène sur ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour explication de vote.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Je m'associe au soutien à cet amendement que vient d'exprimer mon collègue Max Brisson. Certes, nul n'ignore que cette problématique bien documentée ne sera pas simple à régler – en témoigne d'ailleurs l'échec de la loi Marcangeli. Il ne faudrait pas pour autant en rester là et mettre un terme à nos efforts. Cet amendement peut avoir des effets positifs et mérite d'être adopté.
Je rappelle qu'il existe des stratégies de contournement, bien connues des jeunes. Grâce à un VPN, un réseau virtuel privé (Virtual Private Network), ils font croire qu'ils se connectent d'un pays leur autorisant l'accès aux réseaux sociaux. Ainsi, ils se soustraient aux règles que nous mettons en place.
Néanmoins, cet amendement est symbolique : il vise à poser un problème et à proposer des solutions.
Par ailleurs, son adoption aurait le mérite de permettre au jeune et à ses parents d'instaurer un dialogue et de nouer une relation de confiance. C'est un aspect positif qu'il faut encourager, car on ne parviendra pas à répondre à la question de l'exposition des enfants aux écrans, et aux réseaux sociaux en général, exclusivement par des interdictions. Comme la rapporteure l'a indiqué, il faudra de la formation, de l'information, mais aussi un partage de responsabilité entre les parents et les enfants, et au-delà avec l'ensemble des acteurs du numérique. Sur ce sujet, les plateformes ne sont pas les seules concernées.
Malgré les difficultés qu'a rappelées M. le ministre, je vous invite à voter cet amendement, mes chers collègues.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Je soutiens également cet amendement.
Cette proposition de loi, déposée il y a plusieurs mois, est enfin examinée aujourd'hui et s'inscrit dans un contexte particulier. Elle entre en effet en résonance avec la décision de l'Australie, mais également avec la position claire qu'a prise le Président de la République à l'occasion de son tour de France.
Plus encore, cet amendement témoigne à mon sens d'un engagement fort du Sénat, singulièrement de la commission de la culture et de la rapporteure, sur ces questions.
Je sais bien qu'une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale et qu'un projet de loi serait en cours d'élaboration. Pour autant, le Gouvernement se montrerait à la hauteur de l'enjeu s'il reprenait le véhicule législatif en cours d'examen aujourd'hui, dont on sait qu'il sera voté. Avec son amendement, Mme la rapporteure ne propose pas de solutions toutes faites, car elle mesure, comme nous, la complexité juridique de ce sujet, mais nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de la navette parlementaire.
Toutefois, il est important de responsabiliser les parents d'enfants âgés de 13 à 16 ans et de reconnaître que, quand bien même elle n'est pas suffisante, l'interdiction aura un impact sur un ensemble d'acteurs. Une position unanime pourrait se dégager sur cette base.
L'adoption de cet amendement serait également cohérente avec les décisions qui sont prises à l'échelon européen, dont il a beaucoup été question, comme la résolution visant à l'application stricte du cadre réglementaire numérique de l'Union européenne et appelant au renforcement des conditions d'une réelle souveraineté numérique européenne, adoptée ici même, dont Catherine Morin-Desailly était également rapporteure.
Il me semble donc important de conserver ce véhicule législatif pour poursuivre le débat. Cela nous permettrait de gagner en efficacité et en rapidité. (M. Alexandre Basquin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Je tiens à répondre aux arguments avancés par M. le ministre.
Cet amendement ne tombe pas du ciel : il tient compte à la fois des travaux de la commission de la culture et de ceux de la commission des affaires européennes. Étant membre des deux, je suis bien placée pour connaître les questions de conformité, d'articulation et de respect du droit européen. C'est justement parce que la Commission européenne a bougé sur ce sujet que, dans le prolongement de la résolution européenne qui prévoyait déjà cette mesure, je défends une proposition de loi conforme à ce que tous les députés européens ou presque, toutes tendances politiques confondues, ont voté au mois de novembre dernier – ni plus ni moins.
On reproche assez aux parlements nationaux de ne pas être alignés avec Bruxelles. Sur ce sujet, ce n'est pas le cas. Il faut prendre en compte cet alignement, tout comme le rôle du Parlement – le Premier ministre a d'ailleurs rappelé que nous étions dans un régime parlementaire.
M. Max Brisson. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. L'adoption de cet amendement est une façon de prendre position et de faire avancer le débat. Évidemment, celui-ci devra se poursuivre, mais ce texte a le mérite de l'engager.
S'il était adopté, cet amendement permettrait d'inscrire dans la loi les travaux et le point de vue du Sénat. Nous voulons qu'ils soient reconnus et qu'ils alimentent la réflexion en cours, qui se traduira par d'autres initiatives.
M. Laurent Somon. Bravo !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 6.
Article 7
I. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la majoration de la dotation globale de fonctionnement.
II. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour l'État du I du présent article et de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)
Après l'article 7
Mme la présidente. L'amendement n° 32, présenté par Mme Aeschlimann, est ainsi libellé :
Après l'article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La présente loi est applicable de plein droit en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Cet amendement vise à insérer un article additionnel après l'article 7 afin d'étendre explicitement le champ d'application de cette proposition de loi à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles Wallis-et-Futuna. Georges Naturel s'associera volontiers à cette proposition.
Il s'agit de garantir une protection homogène des mineurs face aux risques liés à l'exposition aux écrans et aux réseaux sociaux sur l'ensemble du territoire de la République. Il serait en effet difficilement compréhensible que le niveau de protection dont bénéficient les jeunes Français varie en fonction de leur lieu de résidence, alors même que les usages numériques et les risques qui y sont associés ne connaissent aucune frontière géographique.
Les modalités d'application de ces dispositions pourront être précisées au cours de la navette parlementaire, dans le respect du droit en vigueur et à l'issue des consultations locales requises, conformément à l'article 74 de la Constitution et aux statuts organiques des collectivités concernées.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Il est vrai que la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales dépend du statut desdites collectivités.
Toutefois, cet amendement pose un principe : tous les enfants de la République ont droit à la même protection.
Sur le principe, la commission émet un avis favorable sur cet amendement. Toutefois, monsieur le ministre, cela nécessite qu'un travail plus fin soit mené avec vous, article par article. Ce travail peut tout à fait être effectué au cours de la navette parlementaire.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Edouard Geffray, ministre. Puisque l'on m'y invite, je le confirme : oui, ce travail sera mené.
C'est pourquoi le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement, sous réserve que soient respectées les deux conditions qui ont été rappelées : d'une part, la tenue des consultations locales requises, d'autre part, le respect strict des compétences propres des collectivités précisées dans les lois organiques ad hoc, ce qui suppose d'élaborer un tableau de correspondances pour prévenir tout empiétement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 7.
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. L'amendement n° 18, présenté par Mme P. Martin, est ainsi libellé :
Après le mot :
sociaux
insérer les mots :
et des jeux vidéo
La parole est à Mme Pauline Martin.
Mme Pauline Martin. Même si je sais les difficultés que soulèvent les amendements que j'ai déposés et retirés, il me reste un rêve : compléter l'intitulé de la proposition de loi afin d'y mentionner explicitement les jeux vidéo multijoueurs. Je rappelle que l'OMS reconnaît le trouble du jeu vidéo, ou gaming disorder, comme une maladie.
Les jeux vidéo gratuits en ligne, notamment accessibles sur smartphone, tels que Brawl Star, Roblox, Fortnite – faisons de la publicité ! –, comportent de nombreux mécanismes addictifs et touchent surtout les garçons, et ce de manière disproportionnée. Ces troubles progressent de manière très préoccupante. Ainsi, dans les départements, près de 70 % des demandes de consultation adressées aux établissements publics de santé mentale concernent les garçons de 10 à 16 ans présentant une addiction à ces jeux.
Il est donc nécessaire de s'en préoccuper de façon extrêmement sérieuse.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Pour les raisons déjà exposées, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame Martin, l'amendement n° 18 est-il maintenu ?
Mme Pauline Martin. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Mon intervention sera autant une explication de vote qu'un message de remerciement à l'attention de Catherine Morin-Desailly, auteure et rapporteure de ce texte, qui mène ce combat depuis de nombreuses années. L'examen de cette proposition de loi procure donc une grande satisfaction, d'autant qu'une unanimité semble se dégager.
Ce texte présente un double avantage.
D'une part, il propose une approche complète : il prévoit des mesures préventives et pose clairement des bornes et des interdits en fixant une limite d'âge. En ce sens, il va bien au-delà des autres réflexions menées par ailleurs.
D'autre part, et ce n'est pas rien dans le contexte législatif qui est le nôtre, il sera voté en première lecture dans l'une des chambres. Dans la mesure où le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte, ce dont je le remercie, un seul examen à l'Assemblée nationale suffira. Même si le Gouvernement travaille, ou envisage de travailler, sur un projet de loi similaire, il serait opportun de se saisir d'un texte dont le parcours parlementaire sera largement entamé, plutôt que de tout recommencer avec un autre. Bien sûr, monsieur le ministre, une telle décision revient au Gouvernement.
Puisqu'il est question d'un projet de loi spéciale ou d'un recours au 49.3 sur le projet de loi de finances pour 2006, si j'étais taquin, je préciserais que la discussion d'un projet de loi spéciale signifierait moins de temps législatif. Par conséquent, saisissons les textes qui sont déjà dans les circuits et qui ont fait l'objet d'un vote, plutôt que d'en ajouter d'autres.
Mme Laure Darcos. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Au nom du groupe Les Républicains, je m'associe aux propos du président de la commission de la culture.
L'examen de ce texte est une étape essentielle dans le parcours législatif, mais il est aussi l'occasion de dire que le Sénat, plus particulièrement la commission de la culture et plus particulièrement encore Catherine Morin-Desailly, a travaillé sur un sujet essentiel, qui nous rassemble au-delà des divergences que l'on exprime parfois avec force, mes chers collègues.
C'est la raison pour laquelle, un peu solennellement aujourd'hui, je forme le vœu que le Gouvernement fasse le meilleur usage de ce texte que nous nous apprêtons à voter et à déposer entre ses mains, à l'occasion de la navette parlementaire. Le travail de Catherine Morin-Desailly le mérite.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour explication de vote.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Je salue à mon tour le travail accompli par Catherine Morin-Desailly. La connaissance et la technicité de notre collègue sur ces thématiques sont maintenant reconnues.
Il est bien naturel qu'il ait beaucoup été question des travaux de la commission de la culture, puisque ce texte en est issu, mais je rappelle que la commission des affaires sociales s'est elle aussi beaucoup penchée sur l'impact délétère des écrans et des réseaux sociaux chez les jeunes, notamment sur leur santé mentale. C'est pourquoi ses membres s'associent pleinement aux avancées que permettra l'adoption de cette proposition de loi.
Espérons que, petit à petit, nous arriverons à mieux réguler et à mieux encadrer cette problématique, dont nous n'avons, je pense, pas fini de parler.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Au nom du groupe Union Centriste, et puisqu'ils en sont tous deux membres (Sourires.), je tiens à féliciter l'auteure et rapporteure de cette proposition de loi, Catherine Morin-Desailly, et le président de la commission de la culture, Laurent Lafon.
Je me réjouis que mon groupe ait eu l'excellente idée d'inscrire ce texte à l'ordre du jour des travaux de notre assemblée, dans le cadre de son espace réservé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Au nom de mes collègues, en particulier de David Ros, qui a suivi avec attention ces travaux, je m'associe aux propos très consensuels – n'est-ce pas, cher Max Brisson ? – qui viennent d'être tenus.
Ce sujet porte en creux la question de l'éducation à l'information et aux médias, mais, plus encore, car il ne faudrait pas l'écarter, la question démocratique et, aujourd'hui, celle de la presse. Tout cela est lié.
Soutenir l'éducation à l'information, aux médias, aux écrans au sens large du terme – monsieur le ministre, vous connaissez l'image et le cinéma et je salue le rapport que vous avez rendu sur ce sujet – témoigne de notre volonté de former des citoyens critiques. Cela suppose, en amont, sinon une interdiction, en tout cas un encadrement et une régulation.
Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.
Mme Mathilde Ollivier. Au nom du groupe GEST, je remercie Catherine Morin-Desailly de l'excellent travail qu'elle a accompli pendant de nombreuses semaines, organisant des auditions passionnantes auxquelles tous les groupes ont participé.
Ce travail est très important. Les chiffres sur l'exposition aux écrans des enfants et des jeunes ont été rappelés. Il faut réagir. Les régulateurs, le législateur doivent se saisir de ce sujet.
Ce texte est une première pierre. Ce travail doit se poursuivre au cours de la navette parlementaire.
Nous voterons cette proposition de loi avec plaisir.
Mme la présidente. La parole est à M. Alexandre Basquin, pour explication de vote.
M. Alexandre Basquin. À mon tour, je salue l'auteure du texte, le travail réalisé par la commission de la culture, ainsi que les auteurs des amendements qui ont permis d'enrichir cette proposition de loi.
Je répète une fois encore – j'ai déjà exprimé mon point de vue lors de la discussion générale – que les plateformes numériques sont aujourd'hui devenues de grands donneurs d'ordre, qui manipulent l'attention, qui jouent d'algorithmes extrêmement puissants et qui travaillent en permanence l'économie de l'attention. Elles sont les grandes marionnettistes du débat d'aujourd'hui.
La perception qui est la mienne me conduit à appeler à une grande méfiance à l'égard des géants du numérique.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Je remercie tous mes compagnons de route depuis 2019, les membres de la commission de la culture, qui ont contribué à faire de cette proposition de loi un texte plus complet, plus riche et plus abouti.
Je remercie les trois ministres concernés par ce texte : Mme Anne Le Hénanff, ministre chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale, et Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, de leur écoute et du dialogue fructueux que nous avons eu ces dernières semaines.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à protéger les jeunes des risques liés à l'exposition aux écrans et des méfaits des réseaux sociaux, et à les accompagner vers un usage raisonné du numérique.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l'unanimité des présents.
2
Simplifier la sortie de l'indivision
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à simplifier la sortie de l'indivision successorale (proposition n° 415, texte de la commission n° 195, rapport n° 194).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que nous examinons aujourd'hui touche au cœur de la vie des familles françaises et concerne l'ensemble de nos communes.
En tant qu'élus locaux, nous connaissons tous ces situations dramatiques où l'urbanisme est délaissé : une maison aux volets clos dans un centre-bourg, un terrain en friche qui gèle un projet d'urbanisme, des fratries qui se déchirent durant des années, parfois des décennies.
Lorsqu'elle se grippe, l'indivision successorale devient un piège. Elle paralyse le patrimoine, elle nourrit les rancœurs, elle entrave l'action publique. Elle crée parfois de l'insécurité. Elle est le nid du moche, du laid et, surtout, on le sait, du non-développement économique.
Si nous sommes réunis aujourd'hui pour apporter des solutions concrètes à ce problème, nous le devons à l'initiative législative des députés Nicolas Turquois et Louise Morel, que je remercie une nouvelle fois ici.
Avec constance, avec ténacité, ils ont inscrit ce sujet à l'agenda parlementaire. Ils ont porté la voix des élus locaux exaspérés par la vacance immobilière et celle des familles épuisées par les procédures. Je salue leur travail de défricheurs. Sans leur impulsion à l'Assemblée nationale, nous ne serions pas en mesure, aujourd'hui, d'engager la réforme ambitieuse que je vous présente.
Comme souvent, une bonne intuition politique appelle une expertise juridique exigeante pour se transformer en loi applicable. C'est l'engagement que la Chancellerie a pris : apporter une réflexion aboutie. C'est l'engagement qui est tenu aujourd'hui.
Tout cela est permis grâce à la qualité remarquable du travail du Sénat, de la commission des lois et du rapporteur Jean-Baptiste Blanc, qui s'est particulièrement engagé, avec technicité et sérieux, avec un esprit politique, mais toujours au service de l'ensemble des territoires. Son expertise d'élu local dans le département du Vaucluse lui a probablement inspiré la plupart de ses réflexions.
Le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale comportait des fragilités techniques qui ont d'ailleurs conduit à privilégier la voie de l'expérimentation. C'est le jeu normal de la navette parlementaire.
La commission des lois du Sénat a su reprendre l'ouvrage. Elle a écarté les fausses bonnes idées qui auraient pu fragiliser le droit de propriété, droit constitutionnel reconnu dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, pour se concentrer sur l'efficacité procédurale. Monsieur le rapporteur, vous avez fait œuvre de législateur : vous avez transformé des intentions louables en dispositifs juridiques solides.
Quelle est la philosophie de cette réforme ?
Elle tient en une idée simple, promue avec force par la députée Louise Morel : s'inspirer de ce qui fonctionne. Et ce qui fonctionne, nous le savons, c'est le modèle en vigueur en Alsace-Moselle. J'insiste sur ce point, car c'est la clé de voûte de notre démarche collective.
Dans les départements du Rhin et en Moselle, le partage judiciaire est plus rapide, plus fluide que partout ailleurs sur le territoire national. Pourquoi ? Parce que le juge et le notaire y travaillent de concert, dès le début.
Mme Muriel Jourda, président de la commission des lois. C'est vrai.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'est une culture de la coopération immédiate.
L'ambition du Gouvernement, en lien avec les auteurs de la proposition de loi, est d'étendre cette efficacité à l'ensemble du territoire national. Pour une fois, le droit alsacien et mosellan deviendra totalement le droit français.
Pourquoi ne pas avoir simplement copié l'article du droit local et ne pas l'appliquer partout ?
C'est une question légitime, à laquelle nous avons réfléchi, mais nous nous heurtons à une réalité historique et statutaire. Le droit alsacien-mosellan repose sur une organisation judiciaire spécifique et un statut du notariat particulier, hérités de l'histoire, qui ne sont pas transposables à l'identique dans le reste de la France, où le notaire est un officier public libéral et non un rouage organique du tribunal, comme peut l'être le juge du livre foncier ou le notaire dans la logique du droit local. Il suffit de visiter un tribunal alsacien-mosellan pour s'en rendre compte. Une extension brute serait donc à la fois inconstitutionnelle et juridiquement inopérante.
Cependant, à défaut de pouvoir copier la lettre, nous avons décidé d'en importer l'esprit. C'est tout le sens de l'articulation que nous avons construite entre cette proposition de loi et la réforme réglementaire qu'a préparée la Chancellerie sous mon autorité.
L'article 4 de cette proposition de loi, tel qu'il a été réécrit par la commission des lois du Sénat et dont le Gouvernement propose une nouvelle rédaction par voie d'amendement, est fondamental. Il s'agit non plus d'une simple expérimentation locale, comme le prévoyait le texte initial, mais d'une réforme systémique.
Cet article pose les bases législatives qui permettront au pouvoir réglementaire, voire le lui imposeront, de mettre en place une nouvelle procédure de partage judiciaire directement inspirée du modèle alsacien.
Cette réforme repose sur trois piliers.
Premièrement, il faut en finir avec le séquençage inefficace. Aujourd'hui, on attend trop souvent l'échec du notaire pour saisir le juge. Demain, comme en Alsace, nous instituerons un binôme juge-notaire désigné dès le début de la procédure.
Deuxièmement, il faut un pilotage actif. Le juge ne sera plus un spectateur lointain. Il pilotera désormais les opérations, tranchera les difficultés au fil de l'eau, sans attendre la fin du processus pour constater un blocage. Ce sont des années et des années de gagnées.
Troisièmement, il faut traiter l'inertie – la force la plus importante, surtout dans l'administration. (Sourires.) Trop souvent, un dossier est bloqué parce que, pour le dire ainsi, un héritier « fait le mort ».
Aujourd'hui, notre droit est trop protecteur de cette passivité, notre droit protège l'inertie. Quand quelqu'un ne répond pas, on arrête tout : on demande au juge de nommer un mandataire, on perd six mois, un an... La réforme que nous préconisons change la logique : le silence ne vaudra plus blocage.
Grâce à l'article 4 que nous vous demandons de voter dans la rédaction proposée par le Gouvernement, nous supprimons ce système complexe de mandataire ad hoc. En effet, dans la future procédure réglementaire, la représentation par avocat sera obligatoire dès le début.
Cela signifie concrètement que, si un héritier, dûment convoqué, refuse de prendre un avocat et de participer, la justice ne l'attendra plus. Le binôme juge-notaire avancera, comme en Alsace ; le partage sera tranché et la décision s'imposera à lui.
Cette mesure de fermeté civile, si j'ose dire, et nécessaire : on protège les droits de ceux qui veulent sortir de l'indivision, face à ceux qui jouent la montre et qui pénalisent non seulement les propriétaires, mais aussi l'ensemble de la commune qui subit le désordre foncier.
C'est cela, la méthode que le Gouvernement vous propose : la souplesse du règlement, ancrée solidement dans la loi votée par le Parlement.
Grâce à la proposition de loi de Nicolas Turquois et Louise Morel, grâce au travail de la commission des lois du Sénat et de son rapporteur, grâce à la sécurité juridique apportée par le travail commun de la Chancellerie et du Parlement, nous pourrons enfin aligner le code civil sur l'efficacité du droit alsacien.
C'est une réponse pragmatique ; c'est une réponse du terrain, construite avec les parlementaires, même dans le domaine réglementaire. C'est une réponse qui respecte nos traditions juridiques tout en les modernisant.
C'est une réponse qui respecte le droit de propriété, mais qui montre que nous devons savoir trancher des litiges plus rapidement, en travaillant avec les notaires, reconnus pour leur sérieux, leur méticulosité, les garanties juridiques qu'ils apportent, en faisant intervenir le juge dès le début de la procédure.
En un mot, c'est une réponse qui permet d'aller beaucoup plus vite pour que nos centres-bourgs, nos communes, nos villes, nos villages retrouvent leur beauté et renouent avec le développement économique.
C'est une réponse qui permet à chacun de vivre de sa propriété et de son héritage sans nuire à ses voisins.
C'est surtout une réponse attendue par nos concitoyens.
Comme maire de Tourcoing, j'ai vu trop d'indivisions successorales traîner au-delà du mandat électoral, bloquer un projet de plusieurs dizaines de millions d'euros, parce qu'il était impossible de retrouver un héritier ou que celui-ci ne souhaitait pas prendre un avocat.
Je l'ai vu récemment en outre-mer. Et que dire de la Corse ? Il nous faudrait plus de temps pour en parler ! Les indivisions empêchent le développement économique des territoires insulaires ou des territoires qui, hier comme aujourd'hui, cherchent le renouveau.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite donc à adopter ce texte, enrichi par un long travail de la commission des lois, pour qu'il devienne le socle de l'indispensable modernisation de notre justice civile, celle dont on ne parle pas, mais qui est pourtant la plus importante pour les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC.)


