M. Vincent Louault. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature, chargé de la transition écologique. Madame la présidente, madame la présidente de la commission économique, monsieur le rapporteur, monsieur le président Gontard, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser la ministre de l'agriculture, qui est retenue à Matignon pour une réunion sur la gestion de la crise agricole.
Vous le savez, la réduction des usages et des risques liés aux produits phytopharmaceutiques en agriculture est un objectif largement partagé dans cet hémicycle. Il traverse les sensibilités politiques, parce qu'il touche à ce qui fait le cœur de notre pacte collectif : la santé de nos concitoyens, la protection de l'environnement et la manière dont nous produisons notre alimentation.
Il s'agit d'une attente forte et légitime de notre société, qui explique l'engagement constant du Gouvernement pour accompagner la transition des pratiques agricoles, investir dans la recherche de solutions de remplacement et soutenir les agriculteurs dans ces évolutions.
Le plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures (Parsada) en est une illustration concrète. Nous entendons y consacrer des moyens significatifs dans le PLF 2026.
Cet objectif que nous partageons, mesdames, messieurs les sénateurs, doit être poursuivi avec méthode, car nous devons tenir compte d'une autre réalité et donc d'un autre point de vue, tout aussi légitime : celui de nos agriculteurs, à qui je veux redire, en cette période, tout notre soutien et toute notre admiration.
C'est donc à l'aune de l'équilibre entre nos objectifs environnementaux et la réalité des agriculteurs que le Gouvernement entend apprécier le texte qui est soumis à notre examen.
Cette proposition de loi prévoit tout d'abord de renforcer le dispositif des chartes d'information des riverains. Ces chartes, comme vous le savez, ont été pensées, au moment de leur création par la loi Égalim 1, comme un outil de dialogue et de concertation à l'échelle des territoires.
Elles ont vocation à améliorer la compréhension mutuelle et la circulation de l'information entre les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques, les riverains et les élus locaux. En effet, comme l'a rappelé M. le rapporteur, ces derniers peuvent participer à l'élaboration des chartes. Ces chartes doivent bien sûr tenir compte des réalités agronomiques, géographiques et humaines propres à chaque territoire.
Ce dispositif est largement déployé sur le territoire national. Il repose sur un cadre juridique ayant fait l'objet d'ajustements parfois complexes, mais qui est désormais en voie de stabilisation – j'y reviendrai plus en détail.
Des chartes ont été signées dans la grande majorité des départements et elles fonctionnent : elles constituent un espace de discussion sans doute perfectible, mais qui a permis d'apaiser la situation dans un certain nombre de territoires.
Le Gouvernement est attaché à ce cadre souple, précisément parce qu'il laisse une place à l'adaptation locale et à l'intelligence collective.
Monsieur le président Gontard, inscrire dans la loi un contenu détaillé et uniformisé de ces chartes, c'est prendre le risque de rigidifier un dispositif qui repose sur la confiance, la concertation et la capacité des acteurs locaux à trouver des solutions adaptées.
C'est aussi prendre le risque d'introduire une complexité supplémentaire en multipliant les niveaux d'intervention et les exigences formelles, au moment même où les acteurs de terrain et les agriculteurs aspirent à davantage de lisibilité et de stabilité. Rappelons que ces chartes ne sont en vigueur que depuis quelques années.
En tant que représentants de nos territoires, vous êtes parfaitement conscients que la concertation ne se décrète pas. Elle se construit dans le temps, sur la base de règles certes claires, mais suffisamment souples pour pouvoir s'adapter aux différentes réalités locales.
Par ailleurs, je tiens à rappeler que la protection des riverains est déjà assurée par un ensemble de dispositions robustes. Les produits phytopharmaceutiques font l'objet d'évaluations scientifiques approfondies avant leur autorisation, et des distances de sécurité sont naturellement fixées à proximité des habitations et des lieux accueillant des personnes vulnérables.
Ces règles ont été examinées, elles ont été consolidées, et elles seront, le cas échéant, renforcées. Nous disposons d'un cadre protecteur exigeant, parmi les plus avancés d'Europe, auquel le Gouvernement est particulièrement attaché. Aussi ne souhaitons-nous pas ajouter par la loi de nouvelles strates de contraintes, au risque d'éloigner encore davantage notre droit de celui de nos partenaires européens.
En effet, M. le rapporteur a mentionné le risque de surtransposition qu'emporterait l'article 2 de cette proposition de loi, sans apporter un bénéfice clairement établi.
Tout n'est pas figé pour autant, mesdames, messieurs les sénateurs. Des ajustements peuvent évidemment être envisagés, notamment en ce qui concerne les modalités pratiques de l'information des riverains lorsque cela est pertinent et proportionné. Un contentieux est en cours sur ce sujet, mais j'y reviendrai ultérieurement.
Toutefois, ces évolutions relèvent davantage du domaine réglementaire. Elles doivent s'inscrire dans une logique d'amélioration continue, et non de remise à plat législative.
Ensuite, ce texte s'empare de la question du suivi des usages et des registres. La transparence est évidemment une exigence légitime, que le Gouvernement partage pleinement. Mais là encore, il convient de partir de l'existant. (M. Vincent Louault renchérit.)
L'actualité en témoigne, les agriculteurs sont déjà soumis à des obligations de traçabilité extrêmement précises. Ils tiennent des registres d'utilisation des produits phytopharmaceutiques qui sont conservés et contrôlés, et que l'administration peut mobiliser dans le cadre desdits contrôles.
Naturellement, ce dispositif n'est pas figé, lui non plus. Il évolue, notamment sous l'impulsion du droit européen, qui harmonise progressivement les formats et renforce les exigences de transmission des données. À court terme, ces registres devront d'ailleurs être tenus sous un format numérique, ce qui constitue déjà une évolution importante pour de nombreuses exploitations.
Ainsi, il nous semble qu'instaurer un registre national centralisé assorti d'une communicabilité systématique au public pose plus de questions que cela n'apporte de solutions. Si le Gouvernement est favorable à une réelle transparence, celle-ci doit être maîtrisée : elle doit servir la connaissance, l'évaluation des politiques publiques et la confiance, et non pas alimenter la défiance ou les conflits. De ce point de vue, l'accès aux informations environnementales est déjà garanti actuellement, dans des conditions encadrées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage l'intention qui sous-tend le texte qui vous est soumis aujourd'hui, mais les modalités retenues risquent de fragiliser des équilibres encore récents – datant de quelques années seulement –, d'alourdir des dispositifs déjà robustes et exigeants et, surtout, de rigidifier des outils qui tirent précisément leur efficacité de leur souplesse.
Il convient évidemment de protéger, d'informer, et de se concerter, mais sans procéder à une surenchère normative et sans perdre de vue la réalité de ceux qui nous nourrissent, font vivre nos territoires agricoles et font la fierté de la France.
Enfin, je n'oublie pas que cette proposition de loi fait aussi écho aux divers recours qui ont été déposés devant les tribunaux administratifs en la matière. Un pourvoi en cassation est en cours, et la décision du Conseil d'État est attendue d'ici au printemps. Cela va sans dire, le Gouvernement se conformera à l'avis de celui-ci s'il lui enjoignait de faire évoluer la réglementation en vigueur.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année 2025 a été marquée par l'examen de deux textes sur l'agriculture. Et le moins que l'on puisse dire est qu'ils n'ont pas contribué à rendre le débat plus serein…
Il résulte de cette séquence une forte demande de transparence de la part de nos concitoyens quant à l'usage des pesticides de synthèse, mais aussi le sentiment, pour de nombreux agriculteurs, que les contraintes liées à leurs activités ne sont pas comprises.
Cette proposition de loi s'inscrit dans une démarche de concertation et d'apaisement. Nous souhaitons avancer pour que nos politiques publiques instaurent un réel dialogue à tous les niveaux – riverains, agriculteurs, élus –, pour répondre à l'impérieuse nécessité que tous les acteurs se parlent et trouvent des solutions ensemble.
J'en viens au dispositif de cette proposition de loi.
Premièrement, pour engager le dialogue avec l'ensemble des protagonistes, nous nous appuyons sur les chartes d'engagement départementales, parce qu'elles ont l'avantage de présenter un cadre. L'objectif initial de ces chartes est on ne peut plus louable, mais elles ont été élaborées sur des bases non conformes à une disposition constitutionnelle.
Elles fonctionnent mal et, contrairement à ce que semble affirmer le rapporteur, il n'est prévu aucun mécanisme de suivi, aucun mécanisme de contrôle, et aucune action en cas de mauvaise application. Surtout, la faiblesse de la concertation, tant dans leur élaboration que dans leur application, est une difficulté majeure.
C'est pourquoi l'article 1er prévoit avant tout de renforcer et d'adapter ces chartes, en renouvelant leur processus d'élaboration.
Mon groupe et moi-même déplorons certains arguments qui ont été avancés contre ce texte. L'article 1er serait superfétatoire ? Il ne l'est nullement : la procédure de participation du public étant obligatoire en vertu de l'article 7 de la Charte de l'environnement, c'est une obligation constitutionnelle que de changer la loi.
Par ailleurs, je tiens à préciser que le dispositif que nous proposons ne relève aucunement du pouvoir de police du maire. Nous voulons seulement que les communes puissent recommander, en concertation avec les agriculteurs et les riverains, des zones de protection renforcée, qui seraient incluses dans la charte. Au bout du compte, c'est donc bien sous l'autorité du préfet, et non du maire, que ces zones seraient établies.
Monsieur le rapporteur estime que l'article 2 est satisfait par l'existence de la Banque nationale des ventes réalisées par les distributeurs des produits phytopharmaceutiques, qui centralise des données à l'échelle de la commune dans le cadre du suivi prévu par le plan Écophyto. Or je rappelle que ce plan a été réduit à néant dans le budget pour 2026 voté par le Sénat…
Par ailleurs, soyons sérieux, il n'appartient pas aux industriels d'assurer ce suivi ; c'est le rôle de l'État ! Surtout, seules les données d'épandage sont réellement exploitables pour un suivi sanitaire et environnemental précis. Le suivi prévu dans la stratégie Écophyto répond à l'objectif de réduction des pesticides. Il n'a rien à voir avec la recherche scientifique ou le travail d'évaluation réglementaire de l'Anses !
Monsieur le rapporteur, vous nous invitez à ne pas anticiper la réglementation européenne, mais nous ne parlons pas de la même chose ! Vous faites référence au règlement d'exécution 2023/564 de la Commission du 10 mars 2023, qui oblige les utilisateurs professionnels de produits phytosanitaires à enregistrer et à transmettre, uniquement sur demande des autorités, les registres.
Ce que nous proposons est très différent : il s'agit d'une transmission systématique permettant à l'Anses d'utiliser des données dans le cadre de ses missions d'évaluation réglementaire, et aux chercheurs de disposer de données précises pour produire de la connaissance scientifique et établir ou réfuter des liens entre certaines maladies et les épandages de pesticides. En effet, l'absence de données entretient le flou et laisse le champ libre à la suspicion et à la défiance.
« L'obligation de subir nous donne le droit de savoir », disait Jean Rostand. Mes chers collègues, nos concitoyens ont conscience des contraintes auxquelles sont soumis les agriculteurs. Ils veulent simplement savoir ce qui est pulvérisé près de leurs habitations et de leurs lieux de vie : quand ? qui ? pourquoi ?
Est-ce trop demander ? Sincèrement, je ne le pense pas.
Face à l'inertie de l'État, l'adoption de ce texte serait une première étape utile et bienvenue pour avancer sur les questions de transparence et de concertation locale.
Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Daniel Salmon. Aussi, je pense que vous adhérerez tous massivement à cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)
M. Vincent Louault. Ah ça oui !…
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, santé publique, biodiversité : je comprends tout à fait le sens de cette proposition de loi.
Toutefois, je l'ai dit en commission, nous légiférons beaucoup trop, beaucoup trop vite, et en silo.
M. Vincent Louault. Bravo !
M. Henri Cabanel. En examinant ce texte, nous infantilisons les agriculteurs, alors qu'ils sont les premières victimes, puisqu'ils sont directement exposés aux produits qu'ils utilisent.
Si les objectifs de cette proposition de loi sont clairs et consensuels, je ne cautionne pas la méthode. Pourquoi une loi de plus, alors qu'il existe déjà toute une batterie de textes législatifs et réglementaires pour limiter l'exposition des riverains au risque de contamination aiguë et chronique sur la durée ? Je peux notamment citer le plan Écophyto 2030 ou le module de la stratégie phytosanitaire introduit par la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.
De plus, des chartes d'engagement départementales, réalisées par les utilisateurs et validées par les préfets, ont été mises en place. Certes, nous constatons qu'il y a des trous dans la raquette : pas de suivi ni de contrôle – des décisions de justice ont étayé les manquements à cet égard – ; une protection insuffisante des riverains ; l'oubli des personnes travaillant à proximité des zones de traitement.
Mais, plutôt que de créer une loi de plus, des contraintes de plus, de la bureaucratie en plus, pourquoi ne pas simplement aller au bout des objectifs de ces chartes et modéliser un processus de contrôle territorialisé, sous la responsabilité des préfets, et coconstruit avec les parties prenantes ? Il suffit d'ajouter ce maillon manquant dans les chartes !
Par ailleurs, l'article 2 est redondant avec des dispositions existantes. Il impose la transmission systématique des registres d'épandage des produits phytopharmaceutiques à l'administration compétente et leur accès au public, sur demande. Or, comme l'ont déjà souligné le rapporteur et le ministre – mais il convient de le rappeler –, la réglementation européenne impose à chaque agriculteur de tenir un registre d'utilisation de ses produits phytopharmaceutiques.
La réglementation communautaire prévoit une durée minimale de tenue de ce registre de trois ans ; la réglementation nationale en prévoit cinq, sous peine de sanction.
Faisons confiance à nos agriculteurs ! Je suis le premier à dire que traiter ses champs en journée un samedi ou un dimanche n'est pas très respectable. Mais est-ce bien la peine d'imaginer, à cause de quelques imprudents, une loi qui concernera également tous ceux qui sont déjà conscients des enjeux sanitaires et écologiques ?
Je rappelle que tous les produits utilisés en France ont reçu l'agrément de l'Anses. Arrêtons cette surenchère ! Les outils qui ont été créés résultent des recommandations de cet organisme, qui est l'autorité en la matière.
Par exemple, les distances réglementaires de sécurité entre les zones traitées et les bâtiments habités ont été instaurées par l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques.
Enfin, il convient de le répéter, ce ne sont pas les agriculteurs qui sont allés vers les habitations et les habitants. C'est bien l'inverse qui s'est produit ! En effet, pour faire face à un afflux démographique, les maires ont viabilisé des parcelles anciennement agricoles, ce qui a déclenché le début des problèmes.
Le résultat ne s'est pas fait attendre, car la cohabitation n'avait pas été anticipée. Ainsi, il revient aux agriculteurs, et à eux seuls, de gérer une situation qu'ils n'ont pas choisie et qui emporte des conséquences sur la santé des riverains.
Si je comprends tout à fait le fond de cette proposition de loi, je suis convaincu que le dialogue et la coconstruction à l'échelle locale entre les élus, les agriculteurs et les habitants répondront mieux à nos objectifs qu'un texte venu d'en haut et n'ayant fait l'objet d'aucune concertation.
Le RDSE, dans sa très grande majorité, ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Vincent Louault applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – Mme Anne Chain-Larché applaudit également.)
Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous partageons tous l'objectif de cette proposition de loi : protéger la santé des riverains de parcelles agricoles exposés aux pesticides.
Il s'agit d'un objectif noble et légitime, car il touche directement à la qualité de vie de nos concitoyens, à la protection de l'environnement et à la confiance que nos politiques publiques doivent inspirer. Comment ne pas y souscrire ?
En l'espèce, toutefois, prévaut l'adage bien connu selon lequel le mieux est l'ennemi du bien. À rechercher la perfection, on prend le risque de s'éloigner du but initialement poursuivi et parfois même de créer des problèmes nouveaux.
L'histoire législative nous montre que trop de normes, trop de détails, trop de rigidité finissent par décourager ceux qui doivent les appliquer et par éloigner la loi de sa finalité première.
Bien sûr, les chartes départementales dont nous débattons ne sont pas parfaites, mais elles ont l'intérêt d'exister et d'offrir, depuis plusieurs années déjà, un cadre de dialogue concret entre riverains et utilisateurs de pesticides, dans plus de 90 départements.
Elles permettent de mettre en place un espace de concertation réel, où chacun peut exprimer ses préoccupations, et de trouver des compromis adaptés aux réalités locales.
Vouloir figer dans la loi leur contenu, alourdir le processus de leur élaboration et les rendre compatibles avec des textes réglementaires parfois éloignés de leur objet premier pourrait être une intention louable.
Le groupe Union Centriste considère toutefois que ce sont non pas les intentions qui doivent guider notre jugement, mais les effets concrets des dispositifs que nous créons. Or ces effets, nous le craignons, risquent d'être contre-productifs.
M. Michel Canévet. Bravo !
M. Vincent Louault. Très bien !
Mme Sylvie Vermeillet. En contraignant à l'excès le cadre et le contenu des chartes départementales, nous craignons, comme M. le rapporteur l'a indiqué, d'aboutir à une forme de paralysie, c'est-à-dire à l'exact inverse de l'objectif affiché.
Au lieu de favoriser le dialogue et l'adaptation, nous risquons de figer des règles uniformes, inadaptées aux réalités locales, et de décourager les acteurs de terrain.
Gardons-nous de définir, de préciser et d'arbitrer dans la loi jusqu'au moindre détail. Le risque est double et bien connu : au mieux rigidifier la loi, au pire surtransposer et entraver l'activité de nos agriculteurs, qui n'ont vraiment pas besoin de cela. Ils sont déjà soumis à une pression réglementaire considérable, à des exigences environnementales fortes et à une concurrence internationale souvent déloyale.
Pour ces raisons, la commission des affaires économiques a rejeté la proposition de loi, considérant qu'elle conduirait à rigidifier le dispositif des chartes en cours de stabilisation dans 90 départements et à augmenter les contraintes pesant sur le métier d'agriculteur.
Nous avons collectivement besoin de légiférer moins, mais de légiférer mieux. Nous avons aussi besoin de faire confiance aux acteurs de terrain. Les chambres d'agriculture, notamment, jouent un rôle essentiel dans la mise en place et le suivi des chartes, en accompagnant les exploitants, en organisant la concertation et en veillant à l'équilibre entre protection des riverains et viabilité des exploitations.
Il nous semble préférable de laisser les chartes départementales vivre, évoluer et s'adapter, plutôt que de prendre le risque de s'en priver.
C'est d'autant plus souhaitable que, du fait de nombreux contentieux, des décisions sont attendues au premier semestre 2026, qui devraient permettre de clarifier définitivement le cadre juridique. Pourquoi vouloir précipiter les choses, alors que la justice est sur le point d'apporter des réponses claires et attendues ?
Que dire enfin de l'injonction à centraliser des données existantes dans le cadre des plans Écophyto, alors même que la réglementation nationale est d'ores et déjà plus stricte que la réglementation européenne ?
Rappelons que l'usage des pesticides est doublement encadré, par le droit européen comme par le droit national. Créer un énième registre, c'est céder à la facilité administrative, quand le vrai débat est ailleurs.
Le vrai débat, mes chers collègues, porte sur les moyens à donner aux agriculteurs pour assurer une production durable en France.
Il porte sur les investissements à consacrer pour dépasser les impasses techniques, sur le soutien à la recherche pour développer des substituts crédibles aux produits phytosanitaires et sur l'accompagnement économique nécessaire pour que nos exploitants restent compétitifs, tout en respectant des normes exigeantes.
Bref, il porte sur la manière d'assurer une alimentation durable, de qualité et d'origine France, qui réponde aux attentes des consommateurs, tout en garantissant la pérennité de notre modèle agricole.
Pour ces raisons, le groupe Union Centriste ne soutiendra pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault.
M. Vincent Louault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, que d'émotions ! Pendant que les agriculteurs sont dehors, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s'occupe d'eux.
Mes chers collègues écologistes, à vous tous seuls, vous êtes la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Quand le Mercosur est un poison, vous êtes le virus ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Je le dis comme je le pense.
M. Thomas Dossus. C'est fin !
M. Vincent Louault. Ce n'est peut-être pas fin, mais c'est dit. Vous exacerbez des tensions qui sont déjà énormes.
Hier, à Carbonne, les agriculteurs m'expliquaient qu'ils ne pouvaient pas installer de retenues d'eau à cause de la présence de zones humides, qu'ils ne pouvaient rien faire. « Nous avons des normes dans tous les coins », disaient-ils. Ces normes, c'est vous qui les avez créées ! (Mme Antoinette Guhl s'exclame.)
M. Thomas Dossus. C'est vous qui soutenez les gouvernements depuis tant d'années !
M. Vincent Louault. Nous avons démontré des dizaines de fois les difficultés que rencontre la ferme France. Nous avons produit rapport sur rapport, ainsi que le soulignait Pierre Cuypers. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Jamais vous n'arrêtez ! Vous n'avez fait preuve d'aucune ouverture pendant l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture. Jamais vous n'avez voté un amendement constructif avec nous !
M. Daniel Salmon. Avec les agriculteurs, oui !
M. Vincent Louault. Vous voulez mettre sous cloche notre agriculture, la dévitaliser. Et vous y arrivez parfaitement, cran par cran, tout doucement. Nous, les agriculteurs, nous nous en rendons compte.
Nous sommes évidemment favorables au retour du dialogue. Il y en a assez des stigmatisations – vous les nourrissez ! –, assez de la désinformation sur les pratiques culturales. Cessez de répandre des fake news et de jouer les agitateurs de peur, vous êtes des spécialistes en la matière !
M. Daniel Salmon. C'est la science !
M. Vincent Louault. Les agriculteurs en ont réellement ras-le-bol ; ils veulent exercer tranquillement leur métier. Aujourd'hui, vous en rajoutez une petite couche, comme d'habitude, et vous nous dites que ce texte offrira l'apaisement. Évidemment…
Le dialogue ne se crée pas, comme l'ont dit mes collègues, par un encadrement législatif trop rigide ou par des suspicions à l'encontre des agriculteurs et de leurs pratiques.
Vous voulez rigidifier les procédures ; nous défendons chaque jour la simplification pour tout le monde : pour nos opérateurs économiques, pour nos collectivités, pour nos agriculteurs.
Vous avez attaqué toutes les chartes. Vous remettez en cause tous les efforts qui sont faits. Vous voulez donner au conseil municipal un pouvoir dérogatoire. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Bienvenue au Sénat !
M. Vincent Louault. Vous alimentez un climat de méfiance que je n'ai même pas envie de décrire, compte tenu de tous les efforts que fournit la profession et de tous les contrôles auxquels nous nous soumettons chaque année.
Pierre Cuypers l'a très bien dit, tous les ans, nous subissons des dizaines de contrôles. Pendant la crise de l'an dernier, la ministre s'était engagée à concentrer ces contrôles sur une seule journée, afin de redonner à nos agriculteurs un peu d'oxygène.
Vous savez, nous avons fait des efforts énormes. L'utilisation des produits classés cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) a chuté de 97 % en dix ans,… (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. C'est faux !
M. Vincent Louault. … mais pour vous, ça ne suffit jamais. Je le dis franchement, tel que je le ressens : pour vous, ça ne suffit jamais !
Vous voulez anticiper la réglementation européenne, qui n'est jamais en retard pour alourdir encore et toujours le poids des normes pour l'agriculture. (M. Jean-Claude Tissot s'exclame.)
Vous voulez renforcer les outils pour analyser les faits et gestes des agriculteurs, alors qu'ils sont déjà contrôlés par des satellites tous les trois jours. La profession d'agriculteur est la seule à être ainsi contrôlée !
Vous voulez seulement, et inutilement, complexifier les choses. Nous l'avons bien compris, vous préférez les surtranspositions à la compétitivité – vous nous le dites tous les jours – et à la survie de nos exploitations. Ce texte, c'est davantage de complexité, comme d'habitude.
Dans ces conditions, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne le soutiendra pas et j'espère que les deux amendements de suppression d'article que nous avons déposés seront votés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Chain-Larché. (M. le rapporteur applaudit.)
Mme Anne Chain-Larché. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous concluons cette journée d'initiative parlementaire par l'examen d'une proposition de loi à tout le moins déroutante, mais qui ne nous étonne pas venant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Depuis plus de deux ans, les agriculteurs vivent une crise et tirent la sonnette d'alarme. Ils interrompent leurs récoltes et leurs moissons ; ils s'éloignent de leurs troupeaux et de leur bétail ; ils se rassemblent pour manifester, interpeller les autorités comme l'opinion et réclamer que la France cesse de marcher sur la tête. L'actualité de cette semaine illustre mon propos.
Depuis l'hiver 2023, nos agriculteurs demandent au Gouvernement et à la représentation nationale de simplifier leur quotidien, de lever les entraves à la production, en clair, d'en finir avec les contraintes qui découragent et tuent à petit feu notre puissance agricole. (M. Daniel Salmon s'exclame.)
L'an passé, le Sénat a fait œuvre utile, en votant plusieurs textes de soutien aux agriculteurs : loi pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture ; loi en faveur de la gestion durable et de la reconquête de la haie ; loi relative à l'exercice de la démocratie agricole ; loi visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l'aide d'aéronefs télépilotés ; et, bien sûr, loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur.
Cette dernière initiative, très attendue et que l'on doit à Laurent Duplomb et Franck Menonville, doit apporter des réponses concrètes aux trop nombreuses complexités administratives.
J'en profite, monsieur le ministre, pour vous redire que les dispositions votées au Parlement doivent désormais être pleinement appliquées par les préfets sur le terrain.
Au milieu des cris désespérés de nos agriculteurs et des initiatives des parlementaires de tous bords pour leur venir en aide, le groupe GEST soumet donc au Sénat une proposition de loi visant à imposer des contraintes supplémentaires.
Cette proposition contient tous les éléments nécessaires pour jeter la suspicion sur les agriculteurs, les contraindre toujours plus, sans jamais leur apporter de solutions, et in fine les décourager de se dépenser nuit et jour pour nourrir nos concitoyens.
Que l'on en juge.
L'article 1er de la proposition de loi vise à complexifier un outil plutôt efficace de conciliation des usages entre utilisateurs de produits phytosanitaires et riverains.
Il vise à définir dans la loi le contenu des chartes départementales d'engagements et prévoit que celles-ci soient compatibles avec plusieurs documents de planification. Il prévoit également une information téléphonique des riverains lors de l'usage de produits phytopharmaceutiques.
L'article 2 vise à permettre la consultation des registres d'utilisation de produits de traitement par toute personne le demandant.
Mes chers collègues, cette proposition de loi n'est rien d'autre qu'une incitation, pour toutes les associations pratiquant l'agri-bashing, à aller épier nos agriculteurs et à se répandre en invectives et manipulations sur les réseaux sociaux. (Mme Ghislaine Senée s'exclame.)
L'utilisation des produits phytopharmaceutiques est aujourd'hui extrêmement encadrée et particulièrement contrôlée. Nos agriculteurs font des efforts que beaucoup de leurs homologues ne font pas, au prix d'une concurrence trop souvent déloyale.
Les auteurs de la proposition de loi ne démontrent nullement que les chartes manquent de transparence ou sont trop peu efficaces. Ces documents constituent un outil original de démocratie locale qu'il convient de préserver.
La proposition de loi porte aussi atteinte à l'équilibre actuel, en créant une procédure de participation du public, alors qu'une consultation est déjà prévue dans le droit en vigueur.
Elle permet également au conseil municipal de définir des zones de protection renforcée, annihilant par là même l'esprit et la portée des chartes.
À la lecture de ces articles, une question se fait jour : pourquoi vouloir, une nouvelle fois, contraindre nos agriculteurs avec des propositions qui ne s'appuient sur aucune étude ni aucun retour de terrain ?
Mes chers collègues, où sont vos propositions pour sauver les filières betterave ou noisette, qui ne disposent plus d'aucun soutien face aux ravageurs, l'usage de produits phytosanitaires efficaces leur étant interdit en France ?