COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures dix.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉCÈS D'ANCIENS SÉNATEURS

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Albert Pen, qui fut sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon de 1968 à 1981 et de 1986 à 1995, et Paul Jargot, qui fut sénateur de l'Isère de 1974 à 1983.

3

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION

PARLEMENTAIRE DU LIBAN

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de députés de l'Assemblée nationale du Liban, composée de MM. Robert Ghanem, Atef Majdalani, Kassem Hachem et Abbas Achem.

Je formule des voeux pour que cette visite, qui s'inscrit dans le cadre de l'accord de coopération signé entre le Sénat français et l'Assemblée nationale du Liban, renforce, s'il en était besoin, les liens d'amitié qui unissent, depuis toujours, nos deux pays.

Chers amis, soyez les bienvenus ! (MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

4

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le président. J'ai été informé, par lettre en date du 3 juillet 2003, par M. le président du Conseil constitutionnel que celui-ci a été saisi, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés, de la loi de programme pour l'outre-mer.

Acte est donné de cette communication.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

5

DÉPÔT DE RAPPORTS

EN APPLICATION DE LOIS

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier président de la Cour des comptes le rapport sur l'exécution des lois de finances pour l'exercice 2002, établi en application de l'article LO 132-1 du code des juridictions financières, et de M. le Premier ministre, le rapport d'activité du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, pour la période de juillet 2002 à juin 2003.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

6

RENVOI POUR AVIS

M. le président. Le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant réforme des retraites (n° 378, 2002-2003) dont la commission des affaires sociales est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.

7

ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT DU SÉNAT

M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat, disait Clemenceau, « c'est le temps de la réflexion ». C'est vrai, mais, le Sénat, c'est aussi le temps de l'action, comme en témoigne l'intense activité de la session ordinaire qui vient de s'achever dans une touffeur tropicale.

Session de tous les records, cette session s'est avérée un cru exceptionnel en termes de jours de séance. Qu'on en juge : nous avons siégé en séance plénière 109 jours pour une durée totale de 780 heures. C'est du jamais vu depuis 1959...

Ce stakhanovisme parlementaire apparaît comme la conséquence logique de la dernière alternance politique.

En effet, cette session était la première session ordinaire dont disposait le Gouvernement issu des élections du printemps 2002, c'est-à-dire le Gouvernement de notre ancien collègue Jean-Pierre Raffarin, pour mettre en oeuvre son programme de réformes courageuses et répondre aux attentes, multiples et parfois contradictoires, de nos compatriotes.

C'est ainsi que ces 109 jours de séance nous ont permis d'adopter définitivement 41 textes de loi, hors conventions internationales, qui s'ajoutent aux 2 814 lois - toujours hors conventions internationales - votées depuis le début de la Ve République.

Il est temps pour les législateurs que nous sommes de nous interroger sur cette inflation législative, car, selon la formule désormais consacrée, « trop de lois tue la loi ». (Marques d'approbation sur plusieurs travées.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Exactement !

Mme Hélène Luc. Mais vous continuez !

M. le président. Il me semble, sans vouloir revenir au temps de Portalis, que nous devrions replacer la loi, sa fonction et son rôle, au coeur de nos réflexions.

Au-delà de ces données statistiques, dont sont friands les spécialistes du droit parlementaire, un bilan qualitatif fait apparaître que cette session a été placée sous le signe de la renaissance du poids politique du Sénat et de la reconnaissance de sa place institutionnelle.

En effet, cette session porte, à l'évidence, la marque du retour à un bicamérisme équilibré, à un bicamérisme harmonieux.

C'est ainsi que le Gouvernement n'a pas fait usage, au cours de la session, de la faculté de donner le dernier mot à l'Assemblée nationale. Tous les textes ont été adoptés par accord entre les deux assemblées. (M. Jean Chérioux applaudit.)

Sur les 41 textes de loi adoptés définitivement, 9 seulement l'ont été sur les conclusions d'une commission mixte paritaire et 32, soit près de 4 sur 5, par le jeu normal de la navette, qui redevient la procédure de droit commun.

La navette a donc repris tous ses droits, évitant ainsi un recours systématique à la procédure de la commission mixte paritaire, procédure utile, certes, mais plus confidentielle et plus restreinte qu'un accord en séance plénière.

A ceux qui seraient tentés de voir dans ce retour à l'esprit et à la lettre de l'article 45 de la Constitution le résultat d'une prétendue docilité du Sénat, je répondrais avec force que le Sénat ne sera jamais une chambre d'enregistrement.

M. Jean Chérioux. Très bien !

M. le président. En outre, l'adoption définitive est l'issue normale de la navette. Pour paraphraser un propos célèbre, je dirai qu'il « faut savoir terminer une navette ».

Par ailleurs, il est indispensable de faire un bon usage des deuxièmes lectures. En effet, celles-ci ne peuvent être profitables que si elles ne sont pas la répétition ou la reproduction, pure et simple, de la première lecture.

En l'occurrence, il serait plus judicieux que les sénateurs, de l'opposition comme de la majorité, ne campent pas sur les positions exprimées en première lecture mais entrent dans le champ du possible pour améliorer encore le texte. Qui trop amende mal amende...

Enfin, je ferai remarquer que chacune des deux assemblées a voté sans modification un nombre équivalent de textes transmis par l'autre assemblée.

D'une manière générale, la session qui vient de s'achever s'est caractérisée par un apport important du Sénat au travail législatif.

Le Sénat a pleinement joué son rôle de législateur compétent et conforté sa réputation d'orfèvre législatif.

Plusieurs indices en témoignent.

C'est ainsi que le taux de reprise par l'Assemblée nationale des amendements adoptés par le Sénat a atteint, pour l'ensemble des textes soumis à notre appréciation, le pourcentage record de 92 %. Qui dit mieux ?

Par ailleurs, une étude menée sur quatre textes importants - la loi de finances, la loi pour la sécurité intérieure, la loi relative à la bioéthique et la loi de sécurité financière - a fait apparaître que le Sénat avait, en moyenne, accru le nombre d'articles des textes de près d'un tiers lorsque le texte était déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat et d'un cinquième lorsqu'il s'agissait d'une transmission de l'Assemblée nationale.

Il est donc évident que l'assemblée saisie en priorité d'un texte est plus à même de le marquer de son empreinte.

A cet égard, force est de constater, pour s'en féliciter, que plusieurs projets de loi importants ont été soumis en premier lieu au Sénat.

Il en fut ainsi du projet de loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, du projet de loi pour la sécurité intérieure, du projet de loi de sécurité financière, du projet de loi de programme pour l'outre-mer, du projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, du projet de loi organique relatif au référendum local. Cette liste n'est, bien sûr, pas exhaustive.

Cette session, à l'évidence bénéfique pour le rayonnement de notre assemblée, a également été celle de la consécration du rôle du Sénat comme pépinière de réformes, laboratoire d'idées et force de propositions.

C'est ainsi que huit lois sur les quarante et une adoptées au cours de la session ordinaire, soit une loi sur cinq, sont issues de propositions de loi sénatoriales, et ces huit lois ne sont pas des moindres puisqu'elles traitent de problèmes qui intéressent la vie quotidienne des élus locaux et de nos concitoyens.

Pour les élus locaux, il s'agit de la réforme des règles budgétaires et comptables applicables aux départements due à l'initiative de Philippe Adnot, de l'ajustement de la dotation globale de fonctionnement des communautés d'agglomération voulue par Jean-Marie Poirier et de la modification du financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, dont le promoteur fut Louis de Broissia.

Pour nos concitoyens, ces initiatives sénatoriales ont porté sur les activités sportives, grâce à Bernard Murat, la sécurité des piscines - l'auteur du texte était un certain Jean-Pierre Raffarin, à l'époque sénateur -, la responsabilité civile médicale, grâce à Nicolas About, et la dévolution du nom de famille, revue et corrigée par Henri de Richemont, sans oublier Robert del Picchia et certains de ses collègues, qui ont institué le vote par correspondance électronique pour les élections du Conseil supérieur des Français de l'étranger.

Bien plus, les travaux antérieurs du Sénat ont constitué un vivier dans lequel le Gouvernement a pu puiser une partie de son inspiration.

C'est ainsi que des propositions de loi sénatoriales ont été intégrées par le Gouvernement dans ses projets de loi. C'est là une sorte de coup de chapeau à l'expertise du Sénat.

Il en fut ainsi du projet de loi pour l'initiative économique, qui a repris d'emblée nombre des mesures phares de la proposition de loi tendant à favoriser la création d'entreprises sur les territoires, texte issu d'un groupe de travail dont le rapporteur était notre collègue Francis Grignon.

De même, la plupart des mesures préconisées dans la proposition de loi de notre collègue Hubert Haenel réformant la loi sur la présomption d'innocence ont été reprises dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice ou figurent dans le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dont nous devrions être saisis à la rentrée.

Par ailleurs, des propositions de loi sénatoriales ont été intégrées à des projets de loi lors de la discussion de ceux-ci par la Haute Assemblée.

Tel fut le cas de la proposition de loi de notre collègue Jean-François Le Grand relative à l'implantation des éoliennes, adoptée à l'unanimité par le Sénat et incorporée, par voie d'amendements, au projet de loi relatif aux marchés énergétiques.

Enfin, l'Assemblée nationale elle-même n'a pas hésité à faire siennes certaines propositions de loi sénatoriales et à les inclure dans des projets de loi soumis à son examen.

Tel fut le cas de la proposition de loi de notre collègue Bruno Sido relative à la couverture territoriale en téléphonie mobile, qui fut adoptée à l'unanimité par le Sénat et qui a enrichi le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique lors de son examen, en première lecture, à l'Assemblée nationale.

Après des débuts aussi prometteurs dans son rôle, enfin reconnu, d'incubateur de réformes, le Sénat ne doit pas s'endormir sur ses lauriers, mais doit au contraire conforter cette dimension valorisante d'éclaireur de l'avenir.

Autre aspect positif de cette session ordinaire, riche d'enseignements et de promesses : le Sénat a fait vivre sa différence, en confirmant sa fonction de contrôleur vigilant.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire et de le redire - mais la répétition n'est-elle pas l'auxiliaire de la pédagogie ? -, le contrôle doit devenir la seconde nature du Sénat.

Dans cette perspective, je me réjouis du rééquilibrage observé, au cours de la session, entre la mission législative et la fonction de contrôle.

A cet égard, il convient de souligner, pour s'en féliciter, un accroissement notable de la part des travaux de contrôle, auxquels a été consacrée, en proportion, une heure sur sept heures de débats dans l'hémicycle.

C'est ainsi que nous avons organisé cinq débats consécutifs à des déclarations du Gouvernement : deux débats sur l'Irak, deux débats budgétaires et fiscaux, excellemment préparés par le président et le rapporteur général de la commission des finances, et, enfin, un débat sur les infrastructures, particulièrement intéressant et fondé sur le remarquable rapport de notre collègue Jacques Oudin.

Par ailleurs, nous avons discuté dix questions orales avec débat.

Ces questions ont permis d'aborder des sujets qui se situent au coeur des problèmes de notre société : les droits de l'homme ; les organismes génétiquement modifiés, à la suite de la publication de l'excellent rapport de notre collègue Jean-Marc Pastor ; la crise de l'industrie textile ; la politique de la montagne ; la politique agricole commune ; la politique du sport ; les zones franches urbaines ; la politique ferroviaire ; les couloirs aériens en Ile-de-France et l'avenir des services publics de proximité.

Je n'aurai garde d'oublier les deux questions orales européennes avec débat que nous avons discutées : celle de notre collègue Hubert Haenel, le dynamique président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, question qui a permis de faire le point sur les travaux, désormais achevés, de la Convention sur l'avenir de l'Europe ; celle de notre collègue Simon Sutour sur l'avenir de la politique régionale européenne.

D'une manière générale, l'accroissement du temps dévolu aux travaux de contrôle me semble très positif, car le Sénat n'est pas voué à consacrer l'essentiel du temps de la séance publique à l'examen des projets de loi.

Le temps parlementaire n'est pas nécessairement ni exclusivement un temps gouvernemental et législatif. Le Sénat doit se réserver un espace suffisant pour mener ses propres réflexions et organiser des débats en vue d'assurer et de valoriser sa fonction de contrôle.

En tout état de cause, les travaux de contrôle doivent avoir vocation à déboucher sur des travaux législatifs.

Tel est, en effet, le « triptyque » idéal de la méthode sénatoriale : réflexion en amont, puis débat en séance publique et, enfin, discussion législative.

Ainsi en a-t-il été pour la politique de la montagne, avec, successivement, la présentation du rapport de la mission d'information présidée par Jacques Blanc et dont le rapporteur était Jean-Paul Amoudry, la discussion en séance publique d'une question orale avec débat et, enfin, la traduction législative, avec le dépôt prochain d'une proposition de loi.

De même la discussion de la question orale avec débat de notre collègue Pierre André sur les zones franches urbaines a-t-elle fait suite au rapport d'information déposé au nom de la commission des affaires économiques.

De l'aveu même du ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine, M. Jean-Louis Borloo, ce rapport et ce débat ont été décisifs à un double titre : d'une part, pour sauver les zones franches urbaines, dont l'avenir européen semblait compromis ; d'autre part, pour fixer certaines orientations du projet de loi d'orientation et de programmation pour la ville dont nous débattrons prochainement.

En outre, le rapport d'information sur la compensation du handicap, fait par notre collègue Paul Blanc au nom de la commission des affaires sociales, a débouché sur le dépôt d'une proposition de loi cosignée par le président Nicolas About. Il s'agit là d'une contribution forte et éclairée à la réflexion engagée par le Gouvernement sur l'un des « grands chantiers » du quinquennat de M. le Président de la République.

Par ailleurs, deux commissions d'enquête ont rendu leurs rapports au cours de la session.

Il s'agit, en premier lieu, de la commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites, présidée par notre collègue Nelly Olin et dont le rapporteur était notre collègue Bernard Plasait. Après avoir procédé à de nombreuses auditions et effectué des déplacements tant en France qu'à l'étranger, cette commission a remis un volumineux rapport qui comporte des propositions adaptées.

Il s'agit, en second lieu, de la commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en institution et les moyens de la prévenir, dont le président était notre collègue Paul Blanc et le rapporteur M. Jean-Marc Juilhard. Cette commission a procédé à une expérience démocratique intéressante en ouvrant un espace d'expression libre, sous la forme d'une adresse électronique.

Il appartient maintenant aux présidents de groupe et aux présidents de commission de proposer à notre assemblée des thèmes susceptibles de justifier la constitution, à la rentrée, de nouvelles commissions d'enquête.

Il est également indispensable de prolonger notre effort de rationalisation de la gestion de l'ordre du jour réservé, afin de permettre un meilleur usage de ces plages de liberté que sont les séances mensuelles réservées.

Renforcer, encore et toujours, la fonction de contrôle du Sénat, élément intrinsèque et essentiel de sa spécificité, c'est aussi assurer une mission de veille et de suivi de la réglementation et des politiques communautaires, à un moment crucial pour l'avenir de l'Union européenne.

Pour ce faire, nous disposons désormais d'un outil performant d'alerte et de collecte de l'information, l'antenne du Sénat à Bruxelles, qui fait des émules à l'Assemblée nationale et dans d'autres parlements.

Nous disposons également d'une instance compétente, la délégation du Sénat pour l'Union européenne, qui multiplie les initiatives sous l'impulsion de son très actif président, notre ami Hubert Haenel.

Pour permettre à la délégation d'assurer un meilleur suivi des projets d'acte communautaire et, partant, de favoriser une meilleure prise en compte des avis du Sénat, il conviendrait de simplifier et d'accélérer la procédure, pour l'heure trop complexe, d'adoption par notre assemblée des résolutions européennes. En l'occurrence, il s'agirait de permettre à la délégation de rapporter elle-même une proposition de résolution lorsque la commission saisie au fond en formule la demande.

Tout ce foisonnement d'activités, tant législatives que de contrôle, a nécessité une « programmation anticipée » des travaux du Sénat. La conférence des présidents s'est acquittée, de manière globalement positive, de cette tâche ingrate.

Pour parvenir à ce résultat, elle a bénéficié du concours actif, éclairé et compétent de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du Gouvernement, le benjamin du Gouvernement... qui apprend très vite ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'Union centriste.)

Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais, sans vous faire rougir, rendre hommage à votre disponibilité de tous les instants, à votre courtoisie républicaine et à votre sens aigu du dialogue.

M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !

M. le président. Je voudrais également vous remercier de l'attention bienveillante que vous portez aux travaux de notre assemblée.

Ces compliments, sincères et mérités, rejaillissent, monsieur le secrétaire d'Etat, sur vos collaborateurs, avec qui il est très agréable de travailler. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Session de tous les records pour le Sénat, session de l'affirmation de son rôle d'incubateur de réformes, session de la consécration de sa mission de législateur, session de la confirmation de sa fonction de contrôleur vigilant, cette session a également été celle du renforcement de la mission spécifique de notre assemblée, ou plutôt de sa double mission de représentant des collectivités territoriales et d'avocat des Français établis hors de France.

Emanation des collectivités territoriales et de leurs élus, le Sénat est devenu, au fil des ans, d'états généraux des élus locaux en missions d'information, l'ardent défenseur des libertés locales et le promoteur de la décentralisation.

Mais force est de constater que l'affirmation par la Constitution de son rôle de représentant des collectivités territoriales était dénuée de tout effet en termes de prérogatives particulières dans ce domaine.

Cette lacune est désormais comblée, depuis la révision constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, ratifiée par le Congrès le 17 mars dernier.

Ce texte, largement inspiré par la proposition de loi constitutionnelle du 25 juillet 2002 que j'ai signée avec un certain nombre d'entre vous, mes chers collègues, et non des moindres, reconnaît au Sénat une priorité - et non une primauté - pour l'examen des projets de loi relatifs à l'organisation des collectivités territoriales. C'est un point important qu'il convient de souligner.

Cette concrétisation, en amont, du rôle de représentant des collectivités territoriales dévolu par la Constitution au Sénat implique l'affirmation, en aval, de sa mission d'évaluateur de la décentralisation.

Il me semble en effet indispensable que le Sénat devienne le gardien vigilant des principes qu'il a introduits dans la Constitution, notamment le principe d'autonomie fiscale et celui de la compensation des charges induites par le transfert ou la création de nouvelles compétences.

Cette même révision constitutionnelle a conféré au Sénat la primeur pour la discussion des projets de loi relatifs au Conseil supérieur des Français de l'étranger.

A l'instar de la démarche suivie en ce qui concerne les collectivités territoriales, il s'agit de donner une consistance à cette mission spécifique, à ce « second bonus ».

En l'occurrence, il me semble que nous pourrions explorer, en étroite concertation avec nos collègues représentant les Français établis hors de France, les voies et moyens d'un renforcement de cette mission.

Plusieurs propositions peuvent, d'ores et déjà, être formulées en guise de contribution à cette réflexion : créer une structure administrative au service des Français établis hors de France, instituer une « journée annuelle » des Français de l'étranger, développer un site internet dédié à nos compatriotes expatriés. (MM. Jean-Pierre Cantegrit, Christian de La Malène, Robert Del Picchia applaudissent.)

Session exceptionnelle, cette session l'est également car elle restera, dans les annales, la session de l'autoréforme du Sénat.

A cet égard, je voudrais vous remercier très chaleureusement, mes chers collègues, mes chers amis, de votre appui décisif et déterminant lors du vote de la proposition de loi organique. Un Sénat unanime, c'est toujours un signal fort !

Il va de soi que cette autoréforme avait été particulièrement bien préparée par le groupe de travail animé par le président Daniel Hoeffel et au sein duquel chaque groupe politique était représenté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Cette autoréforme n'était pas une concession à l'air du temps ni un acte de masochisme institutionnel, c'était une impérieuse nécessité pour mettre à l'abri notre institution, normaliser son existence et préserver son essence.

Mais l'autoréforme du Sénat ne se résume pas à la réduction de la durée du mandat sénatorial ou à l'évolution du mode d'élection des sénateurs. D'autres pistes de rénovation pourraient être explorées dans la perspective d'une modernisation de nos méthodes de travail, avec pour objectif de mieux et, peut-être, de moins légiférer, et de dégager du temps pour davantage de contrôle et de débats dans l'hémicycle.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, au terme de cette session exceptionnelle, un constat objectif s'impose : le Sénat, notre Sénat apparaît comme un Sénat requinqué, un Sénat revigoré, un Sénat revivifié.

Ce résultat, nous le devons à tous les acteurs de l'institution sénatoriale, à qui j'adresse mes plus sincères félicitations et mes chaleureux remerciements.

Je pense ici aux présidents de groupe, à tous les présidents de groupe, ces chefs de famille politique qui font régner l'harmonie au sein de leurs troupes respectives, dans le respect des différences de sensibilité ou des nuances politiques.

A ces remerciements, je voudrais associer les collaborateurs des groupes et les assistants des sénateurs, dont le métier s'apparente à un sacerdoce. Il leur échoit, en effet, la lourde tâche de nous supporter, en tous les sens du terme !

Je pense aux vice-présidents, toujours prompts à me suppléer pour conduire nos travaux en séance publique, chacun avec son style et son tempérament, mais avec une caractéristique commune : le talent et l'efficacité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Je pense à nos dynamiques présidents de commission, ces experts de la loi qui ont tous à coeur de développer leurs activités de contrôle. Je sais, pour avoir exercé cette fonction, les difficultés auxquelles ils sont confrontés. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Je pense aux questeurs, ces gestionnaires de notre vie quotidienne qui s'efforcent de nous accorder les meilleures conditions de travail possible.

Je pense aux membres du Bureau, ces membres du conseil d'administration de l'entreprise Sénat qui ne me ménagent pas leur appui dans la mise en oeuvre de la politique d'ouverture et de rayonnement culturel du Sénat.

Je pense aux fonctionnaires du Sénat, tous cadres et tous grades confondus, dont j'apprécie la compétence, le dévouement et l'attachement à notre institution. Ils savent l'attention et la considération que je leur porte.

Je pense également au président de Public Sénat, M. Jean-Pierre Elkabbach, et à son équipe de jeunes journalistes. Grâce à leur professionnalisme, à leur compétence et à leur enthousiasme, le défi de la qualité a été relevé. Il reste maintenant à gagner la bataille de l'audience !

Je pense enfin aux journalistes que je remercie d'être plus nombreux à suivre nos travaux, même s'il existe encore des marges de progression vers une meilleure couverture médiatique de la vie de notre institution.

Pour clore cette remise des prix et conclure ce discours de fin de session - ou plutôt « d'entre-sessions », l'une exceptionnelle, l'autre extraordinaire - je voudrais former un voeu et formuler un espoir.

Le voeu, c'est que la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, qui va s'engager dans quelques instants, se déroule dans l'ambiance qui fait la spécificité et l'honneur du Sénat, autrement dit dans un climat serein, constructif et respectueux des droits de la minorité sénatoriale permettra de prendre le temps d'examiner et d'améliorer un texte perfectible sans, pour autant, engager une bataille de retardement, laquelle ne pourrait être que néfaste à l'image de l'institution parlementaire, donc à la démocratie.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

M. le président. L'espoir, c'est que, tous ensemble, chers collègues tant de la majorité que de l'opposition, nous unissions et unifions nos efforts pour promouvoir, dans toutes nos actions, un bicamérisme équilibré, un bicamérisme différencié, un bicamérisme rénové au service de notre République et de notre démocratie. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la première session ordinaire de la nouvelle législature aura incontestablement été marquée par l'esprit de réforme. Le Gouvernement a ainsi voulu répondre aux préoccupations légitimes que les Françaises et les Français avaient exprimées voilà un an au travers de leur vote.

Notre feuille de route est ambitieuse. Il était logique qu'elle se traduise par un programme législatif également ambitieux. Je voudrais ici, monsieur le président, en mon nom personnel et au nom du Gouvernement, vous remercier pour la part active que le Sénat a prise dans cette entreprise réformatrice. La Haute Assemblée a démontré combien, conjointement avec sa mission de représentant des collectivités territoriales, elle entendait remplir pleinement sa fonction de législateur à part entière et de contrôleur de l'action gouvernementale.

Le bilan de la session ordinaire, qui devra être complété par celui de la session extraordinaire, est très dense, puisque, outre quarante-trois conventions, quarante et un textes de loi ont d'ores et déjà été adoptés. Au total, cinquante-six textes pourraient avoir été votés à l'issue de la session extraordinaire.

A cet égard, je voudrais tout particulièrement souligner, à votre suite, monsieur le président, l'importance de la part de l'initiative parlementaire, qui témoigne du dialogue constructif que le Gouvernement entend poursuivre avec la Haute Assemblée.

Plus du tiers des lois votées par le Parlement en session ordinaire sont ainsi d'origine parlementaire et - le fait est sans précédent - huit propositions de loi sénatoriales ont été adoptées au cours de cette session, trois autres étant susceptibles de l'être avant la clôture de la session extraordinaire.

En déposant et en adoptant des propositions de loi telles que celle tendant à autoriser le vote par correspondance électronique des Français de l'étranger, celle qui était relative à la dévolution du nom de famille ou encore celle visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes, les sénateurs ont prouvé une fois de plus leur ouverture sur l'extérieur. Par ailleurs, en prenant l'initiative de se réformer, la Haute Assemblée a ouvert la voie vers une modernisation courageuse.

Autre modalité de l'initiative parlementaire, le droit d'amendement a été largement utilisé, et toujours avec discernement.

L'implication de chacune et de chacun d'entre vous, mesdames messieurs les sénateurs, ne donne que davantage de relief à ce premier bilan du travail législatif au service des réformes.

La chaîne de l'autorité, à tous les niveaux, est sur la voie du rétablissement, avec notamment la loi pour la sécurité intérieure, la loi organique relative aux juges de proximité, le texte en cours d'examen portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, la loi de programmation militaire ou encore la loi renforçant la lutte contre la violence routière.

Autre axe fort du programme de travail législatif, les lois votées ou en voie d'adoption dans le domaine économique et social marquent résolument un nouveau cap, sans doute plus pragmatique, loin en tout cas de tout a priori idéologique.

Ainsi, la loi de finances pour 2003, la loi assouplissant les 35 heures, la loi relançant la négociation collective en matière de licenciements économiques ou encore la loi sur l'initiative économique doivent permettre d'encourager l'activité, libérer les initiatives et valoriser le travail, comme nous l'ont demandé les Français au nom du nécessaire pragmatisme. Autre réforme d'envergure, et non des moindres, le projet de loi portant réforme des retraites, dont le Sénat va entamer l'examen cet après-midi, nous permettra de sauvegarder notre système par répartition et préparera l'avenir de nos enfants. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Pour répondre aux besoins de la France, nous devons aussi restaurer un climat politique apaisé, et faciliter la vie quotidienne de nos concitoyens.

Plusieurs réformes de fond ont été engagées en ce sens. La loi constitutionnelle sur l'organisation décentralisée de la République et les lois organiques sur le référendum local...

M. Claude Estier. Le référendum en Corse !

Mme Hélène Luc. Pour la Corse, il fallait nous écouter !

M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat. ... et l'expérimentation permettront ainsi de rapprocher la décision des habitants.

La réforme sur la simplification administrative facilitera leurs démarches. Plusieurs réformes de fond ont également été enclenchées pour lutter contre l'exclusion, pour protéger l'environnement ou encore pour encourager le mécénat.

Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Elle ne rend compte qu'imparfaitement de l'ensemble des travaux de votre assemblée pour étudier et enrichir les textes.

Vous vous êtes interrogé, à juste raison, monsieur le président, sur la densité du programme législatif. En tant que secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, je partage cette préoccupation et j'apprécie votre concours précieux pour m'aider à vous soumettre un agenda de travail aussi adapté que possible aux contraintes parlementaires. Mais en tant que porte-parole du Gouvernement, je veux redire combien chacun de ces textes qui vous ont été soumis depuis un an était utile et nécessaire pour que les Français mesurent la cohérence de notre action et pour que le respect des engagements pris devant eux lors de l'élection présidentielle soit tenu.

Vous l'avez souvent rappelé, monsieur le président, il ne saurait y avoir de pouvoir législatif sans pouvoir de contrôle du Parlement sur l'action gouvernementale.

En marge des traditionnelles séances de questions, les commissions d'enquête que le Sénat a constituées sur des sujets aussi sensibles que la maltraitance envers les personnes handicapées ou encore la lutte contre les drogues illicites, ainsi que les missions d'information sur les OGM, les organismes génétiquement modifiés, sur la PAC, la politique agricole commune, ou encore sur l'évolution des métiers de la justice ont donné tout son sens à cette dimension essentielle de votre activité parlementaire.

Cet aspect de l'activité parlementaire a été considérablement enrichi par les nombreux débats que vous avez organisés dans cette assemblée sur des sujets aussi importants que la situation de l'industrie textile, la politique ferroviaire ou encore les zones franches urbaines, ainsi que par les auditions en commission, qui sont autant de symboles d'un Parlement en phase avec les mutations de notre société.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat a su consolider et renforcer son rôle d'assemblée de proximité et de force de propositions.

Qu'il me soit permis ici de remercier et de féliciter chacune et chacun d'entre vous, et d'abord vous-même, monsieur le président, pour l'importance et la qualité du travail accompli. Je veux saisir cette occasion pour vous dire que j'ai plaisir à travailler en coopération constante avec vous, monsieur le président, et avec vos collaborateurs. Outre la cordialité de nos rapports, j'apprécie votre rigueur et le rôle majeur qui est le vôtre pour veiller à ce que le Sénat tienne la haute et juste place qui est la sienne dans notre République.

Je voudrais également remercier les fonctionnaires du Sénat et les collaborateurs de l'ensemble des groupes politiques, qui ont beaucoup travaillé et dont la compétence et le dévouement sont unanimement reconnus, ainsi que la presse, qui suit avec vigilance tous vos débats et qui a été, elle aussi, beaucoup mise à contribution.

Je forme le souhait qu'à l'issue de la session extraordinaire qui vient de commencer, et que nous aurons tous à coeur de mener à bien jusqu'à son terme, chacune et chacun d'entre vous puisse profiter pleinement de vacances bien méritées, avant d'entamer, à la rentrée prochaine, une nouvelle année de réformes au service de la France et des Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie des compliments chaleureux que vous avez adressés aux sénatrices, aux sénateurs et à tous nos collaborateurs, ainsi qu'aux journalistes qui suivent nos travaux. Nous y sommes très sensibles.

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RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, pour un rappel au règlement.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, un événement d'une portée considérable s'est déroulé hier en Corse.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela s'est bien passé !

Mme Nicole Borvo. La première consultation populaire dans une région dite « pilote » en matière de décentralisation libérale se solde par un « non ».

Comment imaginer que le Sénat, qui se veut l'assemblée des collectivités territoriales, ne s'arrête pas le temps nécessaire pour échanger sur cette véritable motion de censure populaire...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les Corses ont choisi !

Mme Nicole Borvo. ... envers ceux qui veulent casser l'architecture républicaine de nos institutions ? C'est une motion de censure à l'encontre d'un gouvernement qui menace les services publics...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non !

Mme Nicole Borvo. ... et érige la privatisation en vertu cardinale !

Il n'aura échappé à personne à quel point la violence sociale du projet de loi relatif aux retraites a suscité émotion et colère en Corse. C'est un « non » social !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'était pas la question !

Mme Nicole Borvo. C'est un « non » à la suppression des deux conseils généraux,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Quelque 2 000 voix !

Mme Nicole Borvo. ... et des deux départements pour ceux qui seraient tentés de le faire.

C'est un « non » des femmes et des hommes corses qui ont voulu exprimer leur attachement à la République.

C'est un « non » de femmes et d'hommes corses qui en ont assez de ces palabres institutionnelles incessantes, dont les nationalistes sont souvent le centre, qui masquent depuis des années la volonté de transformer la Corse en un véritable laboratoire d'une pseudo-décentralisation axée sur la dérégulation, le bradage des services publics.

Le ministre de l'intérieur, amer, a affirmé qu'il s'agissait d'un échec. Cette amertume, compréhensible pour celui qui a tenté d'imposer le « oui » par une démultiplication d'initiatives médiatiques au premier rang desquelles huit déplacements en Corse en quelques mois,...

M. Jean-Claude Gaudin. Il fait son travail !

Mme Nicole Borvo. ... ne doit pas pousser le Gouvernement à abandonner la Corse et au statu quo, comme l'a dit imprudemment hier M. le Premier ministre. Il s'est d'ailleurs repris puisque, avec M. Sarkozy, il a affirmé que l'aide économique continuerait. C'est bien la moindre des choses !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Si cela continue, c'est bien le statu quo !

Mme Nicole Borvo. Ce qu'attend la Corse, c'est un plan de développement d'envergure. C'est l'organisation d'un décollage économique avec la mise en route des grands travaux nécessaires.

Lors des deux derniers débats, en 2001 et voilà quelques semaines, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont répété à maintes reprises que la solution en Corse est économique et sociale, et n'est surtout pas une éternelle recherche d'équilibres politiques.

Trop de temps a déjà été perdu.

Il faut aujourd'hui répondre à ce « non » de la Corse qui est un « oui » au développement de cette région dans la République.

Je souhaite, monsieur le président, que le Sénat engage au plus vite une réflexion approfondie pour participer à l'effort commun. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - M. André Vantomme applaudit également.)

M. le président. Je vous donne acte de votre interpellation, madame Borvo.

La parole est à M. Jean-Yves Autexier, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Yves Autexier. Hier, les électeurs de Corse ont refusé le projet de loi qui leur était proposé et qui était l'aboutissement logique du processus de Matignon.

Malgré l'engagement du Premier ministre - avec trois visites sur l'île -, du ministre de l'intérieur - avec huit visites sur l'île -, de l'UMP, du parti socialiste, du président de l'Assemblée de Corse, du président de l'exécutif régional et d'un grand nombre d'élus, 51 % des Corses se sont prononcés dans la clarté parce qu'ils n'ont pas voulu donner les clés de l'avenir de leur île aux indépendantistes, à des gens qui représentent entre 7 % et 8 % du corps électoral...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et le parti communiste, combien ?

M. Jean-Yves Autexier. ... et qui n'ont jamais désavoué l'usage de la violence, quelle qu'en soit la manière, pour reprendre les propos de M. Talamoni. Bref, ils n'ont pas accepté que, de cette manière, la Corse prenne le toboggan de l'indépendance et que se distendent les liens qui les attachent à la France et à la République. Mais ce n'est pas le statu quo qui doit s'imposer, sauf s'il sagit du statu quo institutionnel - dans ce cas, je me réjouirais - car le temps des expérimentations hasardeuses doit prendre fin.

Mais en matière de développement économique, de rejet de la violence, d'application de l'ordre républicain en Corse - et, naturellement, nous nous félicitons de l'arrestation de Yvan Colonna - beaucoup de choses restent à faire.

Au moment où s'achève un processus mal né parce que le préalable de la violence n'avait pas été levé, le Sénat doit dire avec force que la réflexion et l'action pour l'avenir de la Corse doivent se faire avec des démocrates, avec des républicains, et non aux côtés de ceux qui croient en la force de l'explosif et la terreur de la violence. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Je vous donne acte de votre interpellation, monsieur Autexier.

La parole est à Mme Michelle Demessine, pour un rappel au règlement.

Mme Michelle Demessine. Mon intervention se fonde sur l'article 36 du règlement et concerne l'organisation de nos travaux.

M. Jean-Claude Gaudin. Cela ne nous a pas échappé !

Mme Michelle Demessine. Une fois de plus, le Gouvernement a choisi l'arme de la précipitation pour tenter d'imposer un projet de loi. Cette pratique est devenue monnaie courante depuis le mois de juillet dernier.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il en était de même sous le gouvernement de gauche !

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, votre devoir ne serait-il pas de rappeler à l'ordre un gouvernement qui, sur des textes de premier plan, comme sur des textes secondaires - rappelons la précipitation pour l'examen de la loi constitutionnelle relative à la décentralisation, adoptée le 16 octobre en conseil des ministres et examinée en séance publique ici même le 29 octobre -, « emballe » systématiquement les discussions ?

Ce débat sur les retraites, second débat phare de la session, qui suscite d'ailleurs le même tollé, n'échappe pas à la règle.

S'il n'y avait pas eu la ferme volonté des parlementaires communistes et républicains d'imposer un débat dont chacun, à commencer par le président de l'Assemblée nationale, a reconnu la qualité, ce projet de loi sur les retraites aurait généré une discussion accélérée, bâclée.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce fut beaucoup de bla-bla !

Mme Michelle Demessine. L'attitude des parlementaires communistes et républicains résulte d'une écoute attentive aux inquiétudes et aux exigences populaires.

Une opposition massive à ce projet de loi existe dans le pays, comme l'ont attesté les grandes manifestations du printemps et comme en témoignent encore les sondages actuels.

Comment pouviez-vous imaginer, messieurs les ministres, mes chers collègues, que cette opposition ne trouve pas un écho dans cette enceinte ?

Je suis fière, avec mes amis du groupe CRC, de porter ici, au palais du Luxembourg, les doléances et les propositions de tous ceux - ils sont majoritaires dans le pays - qui ne veulent pas de ce texte.

Ce projet de loi, qui comporte maintenant 110 articles, après les 29 ajouts de la majorité UMP à l'Assemblée nationale, mérite autre chose que le passage en force qui se prépare au Sénat.

Ce projet de loi a été adopté jeudi matin à l'Assemblée nationale. L'après-midi, M. Fillon a été auditionné par la commission des affaires sociales, sans que les sénateurs aient étudié les 29 nouveaux articles.

Le lendemain, vendredi, la commission des affaires sociales se réunissait dans des conditions déplorables, au point que l'UMP, durant près d'une heure, n'a pu être représentée que par deux ou trois sénateurs.

M. Jean-Claude Gaudin. De valeur !

Mme Michelle Demessine. Ce n'est que ce matin même que les sénateurs, pour la plupart, ont pu prendre connaissance du rapport.

Rien ne peut justifier, et sûrement pas le désir de terminer la session au plus vite, une telle attitude !

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen prendront le temps nécessaire, sans excès mais sans précipitation inutile, pour exprimer leurs propositions alternatives et contrer la « casse » du système de répartition engagée par ce projet de loi.

Pour conclure, je réitère notre opposition à une méthode de travail qui réduit le Parlement au rôle de chambre d'enregistrement et je vous demande, monsieur le président, de vous associer à cette démarche. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite simplement apporter une précision. Si, au début de la réunion de la commission, la gauche était majoritaire, elle ne l'était plus au moment de voter, en fin de matinée. Nous avons donc vu partir les commissaires de gauche. Je ne sais pas de quel côté se trouve l'attitude la plus déplorable ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Un sénateur de l'UMP. Très bien !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Qui sème le vent récolte la tempête !

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour un rappel au règlement.

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon rappel au règlement porte sur l'ordre du jour.

Messieurs les ministres, au moment où nous siégeons, un certain nombre de manifestations d'intermittents du spectacle ont lieu.

M. Hilaire Flandre. Cela n'a rien à voir avec l'ordre du jour !

M. Gérard Delfau. Un grand nombre d'élus locaux, et nous y sommes particulièrement sensibles, se demandent si des festivals et des manifestations artistiques de toute sorte ne seront pas annulés, notamment le plus symbolique et le plus important d'entre eux, le festival d'Avignon.

Monsieur le ministre des affaires sociales, les intermittents du spectacle vous demandent un sursis, mais ils vous demandent également que soit mise sur la table l'origine réelle des déséquilibres constatés depuis des années,...

M. Jean-Claude Gaudin. Il y a beaucoup à dire !

M. Gérard Delfau. ... et dont un certain nombre d'entre eux feraient les frais si l'accord signé par le patronat et des syndicats minoritaires était, en fin de compte, agréé.

M. Jean-Claude Gaudin. Il faudrait connaître la liste des abus !

M. Gérard Delfau. Ils vous demandent, ils nous demandent, de faire la lumière sur ce sujet. En outre, ils souhaitent - c'est le rôle du Parlement - assortir cette réflexion d'un débat sur ce que doit être la politique culturelle en France : le rôle des entreprises privées, le rôle des entreprises publiques, le rôle des collectivités territoriales et, bien sûr, le rôle de l'Etat.

C'est pourquoi, au moment où des dizaines de milliers de personnes s'interrogent : d'annulations en perturbations, l'été des festivals ne va-t-il pas basculer, tandis que disparaîtront toutes les retombées économiques qu'engendrent ces créations artistiques ?

C'est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaite qu'un engagement soit pris par vous devant le Sénat, pour que l'accord soit revu par les partenaires sociaux à la demande du Gouvernement, et à l'issue d'un débat au Parlement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Monsieur Delfau, pour votre information, la commission des affaires culturelles doit recevoir prochainement M. Aillagon et, bien sûr, les représentants des intermittents du spectacle.

M. Jean-Claude Gaudin. M. Aillagon a fait aujourd'hui même des propositions positives pour les intermittents du spectacle !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Mesdames, messieurs les sénateurs, les Corses se sont prononcés, le « non » l'a emporté et chacun doit s'incliner devant la volonté du suffrage universel. Le projet de loi qui visait à simplifier l'organisation institutionnelle, pour faciliter le développement économique de l'île, n'a pas été approuvé. Pour autant, je veux redire la détermination du Gouvernement à poursuivre la politique conduite pour préserver la sécurité des personnes et des biens, pour lutter sans faille contre toutes les formes de violence et pour continuer la politique de développement économique et social sur l'île, conformément aux engagements pris devant les Corses eux-mêmes par le Premier ministre et son gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

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RÉFORME DES RETRAITES

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

 
Dossier législatif : projet de loi portant réforme des retraites
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 378, 2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant réforme des retraites. [Rapport n° 382 (2002-2003).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, après dix ans de rapports, de commissions et d'hésitations, j'ai l'honneur de présenter devant le Sénat la première réforme globale de notre système de retraite depuis l'après-guerre.

C'était un engagement du président de la République souscrit avec les Français. Nous le mettons en oeuvre. A l'occasion de sa déclaration de politique générale du 3 juillet 2002, le Premier ministre a fixé le calendrier de cette réforme. Nous l'avons scrupuleusement respecté.

Le premier temps fut le temps du dialogue social. Durant près de quatre mois, du début février à la mi-mai, M. Jean-Paul Delevoye et moi-même avons écouté, dialogué et négocié, avec l'ensemble des partenaires sociaux, sur tous les aspects de la réforme.

Cette longue phase de concertation a porté ses fruits : elle a offert à toutes les organisations syndicales l'occasion d'apporter des contributions utiles à notre réflexion et à la rédaction de notre projet ; elle a permis de trouver un accord avec plusieurs d'entre elles le 15 mai 2003.

Lors de cette négociation, j'ai la certitude d'être allé au bout des limites de ce qu'autorise l'intérêt général. Nous avons bâti un projet équilibré, un projet qui traverse les pratiques culturelles, économiques et sociales de notre pays.

Il révèle à la fois les noeuds de la France et les défis qu'elle doit surmonter. Il est un miroir au travers duquel se reflètent le vieillissement de notre société, la perception de la notion de travail, l'esprit de justice et d'équité et la nécessaire conciliation entre le collectif et l'individuel. C'est autour de ces quatre thèmes que je me propose d'engager le débat avec vous.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la France va bientôt vivre une révolution unique dans son histoire : celle du vieillissement.

Tout va basculer dans moins de trois ans. Entre 2006 et 2010, la France subira un effet de ciseau démographique sans précédent avec le départ massif à la retraite de la génération du baby boom.

Nous ne serons alors qu'au prologue. A partir de 2010, le vieillissement est appelé à s'accélérer du fait principalement de l'allongement de la durée de la vie. La proportion des plus de soixante ans par rapport aux vingt-cinquante-neuf ans en activité sera de 54 % alors qu'elle était de 39 % en 2000.

A cela s'ajoute une fécondité insuffisante provoquant un vieillissement de la population, mais par le bas, si je puis dire. Du coup, le poids des plus de quarante-cinq ans s'accroît aux dépens des générations plus jeunes d'actifs.

Ces mutations démographiques, il est de notre devoir d'en mesurer les implications.

Nous les abordons aujourd'hui à travers ce projet de loi. Mais le vieillissement de la population va bouleverser la société française dans toutes ses dimensions et il nous obligera à changer nos façons d'envisager l'avenir, de travailler, de gérer les temps de la vie, de percevoir l'identité et le rôle de chaque âge, de concevoir les rapports entre les générations.

Ces données, mesdames, messieurs les sénateurs, il nous faut les garder à l'esprit.

Pour autant, l'avenir de nos régimes de retraite ne saurait être décidé ici et maintenant une bonne fois pour toutes. Au cours des vingt prochaines années, les effets du basculement démographique devront être constatés et accompagnés. C'est pourquoi nous avons décidé de placer au coeur de notre projet la progressivité et le pilotage. Ce sont là les principes d'une réforme en continu, avec des rendez-vous réguliers.

Ce basculement démographique soulève un enjeu politique : faut-il répondre collectivement ou individuellement au défi du vieillissement ? C'est le débat entre répartition et capitalisation.

Ce débat, le Gouvernement l'a tranché. Notre projet de loi n'a qu'un seul but : assurer la viabilité et la pérennité de la répartition.

M. Jean Chérioux. Très bien !

M. François Fillon, ministre. Ce choix est politique.

Nous choisissons la répartition parce que ce principe fait l'objet d'un de nos consensus.

Nous choisissons la répartition, parce qu'elle épouse la cause de la République !

Mais ce choix est exigeant : il impose de définir l'intérêt général et il suppose de rester ferme face aux requêtes émises au nom d'intérêts particuliers.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avec la révolution du vieillissement, l'autre grande question soulevée par cette réforme est la relation des Français avec la notion même de travail.

Le débat sur l'avenir de nos retraites est d'abord un débat sur la place du travail en France, les crispations au sujet de l'allongement de la durée de cotisation le montrent.

Nous privilégions effectivement l'augmentation du taux d'activité et donc de la durée de cotisation pour combler le déficit de nos régimes par répartition à l'horizon 2020.

Demander à tous de travailler un peu plus pour leur assurer un haut niveau de retraite sans accroître la pression fiscale, qui est déjà l'une des plus élevées d'Europe, c'est la clef de voûte de notre projet de loi.

Ce que nous proposons, c'est un effort collectif par le travail pour sauver le coeur du pacte social : la solidarité entre les générations.

Vous le savez, l'âge moyen de cessation d'activité des salariés est, en France, l'un des plus faibles de tous les pays industrialisés : nous sommes au 23{e rang des 29 pays de l'OCDE. Nous cumulons le triste record du plus bas taux d'activité des séniors et celui du plus fort taux de chômage des jeunes, preuve s'il en est qu'un départ à la retraite ne libère nullement une place pour un jeune. Tel est le résultat des politiques malthusiennes qui ont été conduites depuis des années dans notre pays et qu'il s'agit désormais de renverser.

Mme Danièle Pourtaud. Par quelle politique de l'emploi ?

M. François Fillon, ministre. Ce renversement suppose une redéfinition sociale de l'âge de travailler. Si le choc démographique la rend indispensable, il la facilite aussi.

Le choc démographique la rend indispensable parce que nous arrivons à une époque où le nombre de sexagénaires va dépasser celui des jeunes de moins de 20 ans. Nous avons d'ores et déjà les étudiants les plus âgés et les retraités les plus jeunes des pays comparables au nôtre. La France est seule à être parvenue à cette situation incroyable où une seule génération - parmi des familles qui en comptent trois ou quatre - travaille !

La conclusion s'impose : sans une augmentation du taux d'activité des Français, il n'y aura bientôt plus suffisamment d'actifs, non seulement pour payer les retraites, mais pour assurer ne serait-ce que le développement économique du pays !

M. Jean-Claude Gaudin. Très juste !

Mme Nicole Borvo. Ils n'ont plus d'emploi !

M. François Fillon, ministre. Mais l'allongement de l'espérance de vie est l'autre grande donnée du choc démographique. Depuis les années trente, l'espérance de vie a augmenté de dix-huit ans pour les hommes et de vingt et un ans pour les femmes. A soixante ans, nous ne serons bientôt qu'aux deux tiers de notre existence.

C'est cette donnée qui permet raisonnablement de tabler sur l'augmentation du taux d'activité qui nous fait tant défaut. (Mmes Danièle Pourtaud et Nicole Borvo s'exclament.) Pourtant, elle n'a jamais été prise en compte dans le financement des retraites. C'est précisément ce que nous nous proposons de faire.

Jusque-là, l'augmentation de l'espérance de vie après soixante ans ne bénéficiait qu'à la retraite. Il semble normal qu'elle se traduise désormais par une augmentation proportionnelle de la vie active et de la retraite, d'autant plus que la vie active est déjà réduite par le recul constant de l'âge de fin des études.

Pour y parvenir, le projet de loi qui vous est soumis repose sur un mécanisme simple : maintenir inchangé à l'horizon 2020 le partage actuel entre la vie active et la retraite. Le temps de la retraite continuera à augmenter et à bénéficier des gains d'espérance de vie, ce qui est évidemment une bonne chose. Mais le temps de vie active pour financer les retraites devra augmenter aussi.

Cet allongement de la durée d'activité et d'assurance pour toucher une retraite à taux plein, en fonction de l'espérance de vie, est la meilleure garantie, la plus juste et la plus sûre, pour assurer un haut niveau de retraite sans reporter sur les actifs de demain une charge écrasante. (Mme Danièle Pourtaud s'exclame.)

La durée d'assurance doit être la même pour tous : ce préalable est une nécessité au regard de l'équité.

Une fois l'étape des quarante ans atteinte en 2008 dans les régimes de la fonction publique, la durée de cotisation augmentera très progressivement pour tout le monde de la même manière. La stabilisation du rapport entre temps de travail et temps de retraite nous conduira à une durée de cotisation de quarante et un ans en 2012.

Cette évolution, je n'ai pas voulu qu'elle soit automatique. Une commission de garantie des retraites, la COR, qui a été spécialement constituée à cet effet, se réunira périodiquement, d'abord en 2008, puis en 2012, pour faire des propositions à partir de l'observation des données.

Ces rendez-vous permettront un pilotage dans la durée de notre système de retraites.

L'augmentation programmée de cette durée serait en effet impraticable, si aucun progrès n'était constaté quant à l'âge réel de cessation d'activité des Français. (Mme Danièle Pourtaud proteste.) C'est pour cette raison que nous ne proposons pas d'augmenter dès 2004 la durée de cotisation dans le secteur privé. C'est également la raison pour laquelle nous avons fixé un objectif réaliste tendant à faire passer l'âge moyen de cessation d'activité de cinquante-sept ans et demi aujourd'hui à cinquante-neuf ans en 2008.

Nous avons donc cinq ans pour préparer ensemble ce premier rendez-vous.

Réussir suppose un profond changement pour limiter la tendance au départ précoce des actifs qui caractérise notre marché du travail. (Mme Hélène Luc s'exclame.)

Mme Danièle Pourtaud. Parlez-en au MEDEF !

M. François Fillon, ministre. Pour parvenir à ce résultat, il est d'abord indispensable de recentrer nos dispositifs de préretraite. Nous ne pouvons plus nous permettre d'encourager le départ anticipé des salariés âgés, comme nous l'avons fait depuis si longtemps.

Certes, les préretraites ne peuvent être supprimées du jour au lendemain. Mais il faut en limiter rapidement la portée aux métiers les plus pénibles justifiant un départ anticipé et les réserver aux plans sociaux lorsque la survie de l'entreprise est en jeu.

Au-delà des préretraites, le défi est d'inciter le monde du travail à réinvestir l'emploi, la carrière et la formation des salariés âgés.

Pour ce faire, il est indispensable de changer le regard des entreprises sur les salariés de plus de cinquante-cinq ans, mais aussi de changer le regard que ces salariés portent sur eux-mêmes.

Notre projet de loi propose ainsi une série de dispositions tendant à repenser la place des seniors dans l'entreprise, à leur trouver des activités complémentaires ou encore à miser sur la transmission des savoirs et des métiers.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. François Fillon, ministre. Dans cet esprit, nous souhaitons d'abord assouplir le dispositif de la retraite progressive, qui demeure aujourd'hui une exception. Ainsi, la liquidation de la pension aura un caractère provisoire afin que l'assuré puisse améliorer ses droits par la poursuite d'une activité à temps partiel. De même, le bénéfice de la retraite progressive sera largement ouvert aux assurés ne bénéficiant pas encore du taux plein.

Il s'agit ensuite de repousser de soixante à soixante-cinq ans l'âge auquel un employeur peut mettre d'office un salarié à la retraite s'il remplit les conditions pour bénéficier du taux plein.

Il faut enfin revoir les règles de cumul d'un emploi et d'une retraite, qui sont aujourd'hui prohibitives. En quoi devrions-nous empêcher un retraité qui le souhaite de reprendre une activité qui lui procurera quelques revenus supplémentaires ?

Ces premières mesures du projet de loi ne sauraient suffire. Il faudra aller plus loin, notamment en repensant notre système de formation continue, qui a un rôle essentiel à jouer pour permettre l'essor du travail des seniors.

La formation tout au long de la vie doit permettre aux salariés de valoriser leur expérience, de changer de métier ou de poste après cinquante ans et, au-delà, de rendre à chacun plus de confiance en soi face aux mutations de l'économie.

J'ai fortement incité les partenaires sociaux à engager une négociation sur ce sujet. Leurs travaux doivent avancer. Certes, de nombreuses difficultés restent en suspens, mais je souhaite vous présenter un projet de loi sur la formation dès cet automne.

M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !

M. François Fillon, ministre. Mesdames et messieurs les sénateurs, tout au long de ces dernières semaines, j'ai entendu ceux qui rejettent notre projet de loi nous opposer la question du chômage.

Lorsque nous disons aux Français qu'ils doivent travailler plus, on nous objecte les licenciements tout en avançant de prétendues contre-propositions et alternatives qui ont pour point commun d'esquiver l'allongement de la durée de cotisation. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Claude Gaudin. Bien sûr que c'est vrai !

M. Guy Fischer. Il faut faire payer les riches !

M. François Fillon, ministre. Ici, on réclame un renforcement de la pression fiscale sur les entreprises ou sur les ménages, là, une ponction sur les revenus financiers.

Mme Nicole Borvo. Il faut bien trouver des recettes pour les retraités !

M. François Fillon, ministre. Mesdames et messieurs les sénateurs, ceux qui pensent pouvoir sauver notre pacte social en handicapant notre économie et en stigmatisant les entrepreneurs font fausse route. Les exonérations de cotisations patronales sont indispensables à l'allégement du coût de l'emploi, notamment pour l'emploi peu qualifié. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo. Alignons-nous sur les pays où il n'y a pas de protection sociale !...

M. François Fillon, ministre. Ceux qui pensent pouvoir préserver notre modèle social en augmentant les impôts et autres cotisations pesant sur les foyers se trompent. Les conséquences sur le pouvoir d'achat des ménages seraient désastreuses pour la consommation, pour la relance et pour l'emploi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Jean Chérioux. Tout à fait !

M. François Fillon, ministre. Ceux qui pensent sécuriser la répartition en réclamant d'asseoir le financement des retraites sur les flux financiers et les bénéfices des entreprises se fourvoient. Ils ne font que le lit de la capitalisation, qu'ils exècrent par ailleurs.

M. Alain Gournac. Très bien !

Mme Hélène Luc. C'est une honte !

M. François Fillon, ministre. Mesdames et messieurs les sénateurs, l'équation à réaliser, nous la connaissons : la diminution du chômage à long terme est indispensable pour sauvegarder notre système de retraite par répartition. L'évolution démographique devrait nous y aider car elle modifiera les paramètres et les besoins du marché de l'emploi.

M. Alain Gournac. Eh oui !

M. François Fillon, ministre. Dans cet esprit, notre projet fait l'hypothèse d'une diminution progressive du taux de chômage à l'horizon 2020.

Mme Hélène Luc. Vous n'en prenez pas le chemin !

M. François Fillon, ministre. Dans son scénario central, le Conseil d'orientation des retraites a retenu un taux de 4,5 % en 2020 contre 9 % aujourd'hui. Nous avons fondé le financement de notre réforme sur un objectif de 5 % à 6 %, toujours à l'horizon 2020.

Mme Nicole Borvo. Comment ?

M. François Fillon, ministre. C'est cette hypothèse qui nous permet de rester cohérents avec la volonté de réduire, ou tout au moins de stabiliser le niveau des prélèvements obligatoires tout en assurant le financement des retraites.

Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas sérieux !

M. François Fillon, ministre. Je constate au passage que ceux qui contestent cette hypothèse se gardent bien de préciser dans leurs contre-propositions quel niveau de chômage ils retiennent pour 2020. Et pour cause ! (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)

Si le niveau de chômage retenu est plus important que le nôtre, qu'ils nous expliquent comment ils se proposent de financer les retraites sans une hausse inavouable des prélèvements ou sans un plongeon tout aussi inavouable du niveau des pensions. (Nouvelles marques d'approbation sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Il va bien falloir se résoudre à accepter la réalité : il n'y a pas de « trésor caché », ni d'échappatoire pour sécuriser l'avenir des retraites.

Mme Nicole Borvo. Que c'est beau les certitudes !

M. François Fillon, ministre. Si nous disons qu'il n'y a pas de vraie alternative à cette réforme, ce n'est ni par arrière-pensée tactique ni par arrogance, c'est parce qu'il est objectivement difficile de concevoir un plan dont l'architecture soit radicalement différente, sauf à s'éloigner du principe de la répartition.

On sait que le besoin de financement des régimes de base du privé et du public est chiffré par le Conseil d'orientation des retraites à 43 milliards d'euros en 2020.

Mme Nicole Borvo. Le financement est très incertain !

M. François Fillon, ministre. Madame Borvo, vous aurez autant de jours que vous le voulez pour nous expliquer votre projet alternatif. Par conséquent, ayez l'amabilité de me laisser aller jusqu'au bout de mon propos ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Hélène Luc. Vous ne tenez jamais compte des discussions !

Mme Nicole Borvo. Vous n'allez pas faire comme Sarkozy pour la Corse !

M. François Fillon, ministre. Les mesures d'allongement de la durée d'assurance et l'indexation des pensions sur les prix que nous proposons ainsi que la hausse des cotisations en 2006 permettent de dégager 21 milliards d'euros, soit un peu plus de 46 % du besoin de financement en 2020.

Mais les mesures de justice sociale et d'équité que nous nous proposons d'introduire par la réforme - et sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants - ont naturellement un coût. Nous l'évaluons à 2,7 milliards d'euros par an en 2020.

L'impact net de la réforme devrait donc s'établir à plus de 18 milliards d'euros, ce qui représente plus de 42 % du déficit prévu à l'horizon 2020.

Le choix étant fait de ne pas baisser le montant des pensions (Mme Nicole Borvo s'exclame !), nous proposons de financer le solde, qui représente les deux tiers du déficit prévu pour le régime général, par une augmentation de la richesse nationale dévolue au paiement des retraites, et donc par une augmentation des cotisations vieillesse.

Dire que nous faisons de la durée d'assurance le seul paramètre d'équilibre est donc tout simplement faux.

C'est faux, puisque les mesures de justice sociale que nous introduisons seront financées par une hausse des cotisations vieillesse de 0,2 % en 2006.

C'est faux, puisque nous proposons d'assurer l'équilibre du régime général par une augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008 et jusqu'en 2020 de l'ordre de trois points, ce qui représente un peu moins de 10 milliards d'euros par an.

Simplement, nous voulons assurer l'équilibre de la répartition à prélèvements obligatoires constants pour ne pas handicaper la lutte pour l'emploi. Voilà pourquoi nous avons prévu de « gager » l'augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008 par la diminution escomptée des cotisations d'assurance chômage.

En effet, avec un taux de chômage à 5 % en 2020, les recettes disponibles sont évaluées à plus de 15 milliards d'euros, ce qui est largement supérieur aux 10 milliards d'euros nécessaires. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

Enfin, pour être complet, je précise que les régimes de la fonction publique seront équilibrés par des prélèvements supplémentaires.

Au regard de ces conditions, la réforme permet de maîtriser l'intégralité des déficits de nos régimes de retraite tels qu'ils sont aujourd'hui prévus pour 2020. Elle est donc financée à 100 %.

Notre objectif était de consolider la répartition pour les deux prochaines décennies et de mettre en place les outils nécessaires au pilotage de son évolution. Cet objectif est atteint.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la question des retraites a mis en lumière plusieurs injustices profondes.

Derrière les grands mots de « solidarité » et d'« égalité », il y a des réalités moins brillantes avec lesquelles le conservatisme s'arrange toujours !

Quelles sont ces injustices les plus flagrantes ?

La première d'entre elles concerne l'inégalité qui caractérise la durée de cotisation entre le public et le privé. Cette distinction ne repose sur aucune justification. Ni la moyenne des salaires ni les conditions de travail n'autorisent une telle disparité de traitement entre les Français.

M. Alain Gournac. Rien !

M. François Fillon, ministre. Nul ne pourrait comprendre que la fonction publique, fer de lance de la République, soit exonérée de l'effort demandé à tous pour la survie de notre système de retraite. C'est tout le sens du rendez-vous de l'équité en 2008. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Grâce à cet effort collectif, nous ferons avancer la justice sociale.

Justice pour les salariés ayant toujours travaillé au SMIC : leur retraite s'élèvera, pour une carrière complète, à un minimum de 85 % du SMIC net en 2008, contre, je le rappelle, 81 % aujourd'hui.

Justice pour ceux de nos compatriotes qui travaillent depuis l'âge de 14, 15 et 16 ans et qui, malgré tout, doivent attendre l'âge de soixante ans pour partir à la retraite. Le projet de loi leur ouvre le droit de partir à la retraite à taux plein entre cinquante-six et cinquante-neuf ans. C'est une avancée sociale considérable et unique en Europe.

Justice pour ceux qui exercent un métier dont la pénibilité mériterait d'être prise en compte : l'Assemblée nationale a inscrit dans le texte l'engagement pris par les partenaires sociaux de définir, dans les trois ans à venir, les contours de cette notion. Compte tenu de sa nature variable suivant les époques, les métiers et les technologies, la pénibilité du travail ne pouvait faire l'objet d'une définition législative uniforme et intangible.

Justice également pour les fonctionnaires, qui voient une partie de leurs primes alimentées par un nouveau régime de retraite.

Justice pour les familles, avec le maintien des avantages familiaux, notamment la majoration de pension pour trois enfants élevés ; des dispositions favorables pour les parents d'enfants gravement handicapés ont été également adoptées par l'Assemblée nationale en première lecture : ils bénéficieront d'une majoration de leur durée d'assurance.

Justice enfin pour les retraités, dont le pouvoir d'achat sera garanti à travers l'indexation des prix.

Toutes ces avancées montrent que c'est bien la réforme, par l'effort collectif et partagé, qui permet de dégager les marges de manoeuvre qui font progresser la justice sociale.

Mesdames et messieurs les sénateurs, une autre question a surgi au cours du débat de ces derniers mois : malgré l'attachement manifesté à l'unicité de notre système de retraite, un désir de liberté s'est fait jour. Les Français sont attachés aux règles communes, mais ils n'en sont pas moins soucieux d'exprimer leurs choix individuels pour préparer leur retraite.

C'est en ce sens que notre réforme fixe un cadre commun sécurisé et, dans le même temps, mise sur la liberté et la responsabilité. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

Je le sais, pour certains, liberté et responsabilité individuelles sont ennemies de l'égalité et de la solidarité.

C'est à cette « conflictualité » que l'on doit l'étouffement du modèle français. Pour nous, ces principes ne s'opposent pas, ils s'enrichissent mutuellement !

Notre réforme avance ainsi une série de mesures qui évoquent l'idée d'une « retraite à la carte », une carte cependant encadrée, car il ne s'agit pas d'échapper aux principaux généraux de la solidarité et de la répartition. Dans cet esprit, un repère, un pivot demeure : le droit de liquider sa retraite à soixante ans.

M. Roland Muzeau. Théoriquement !

Mme Danièle Pourtaud. Il faut en avoir les moyens !

M. François Fillon, ministre. Ce droit est confirmé.

Au demeurant, il n'y a jamais eu, vous le savez, un droit de liquider sa retraite à soixante ans à taux plein, quelle que soit la durée d'assurance. Ce droit est aujourd'hui donné à soixante-cinq ans. Il le sera demain : rien ne change donc en la matière !

En revanche, ce qui va changer, ce sont les modalités qui entourent le choix du départ, modalités autour desquelles s'exercera la responsabilité de chacun.

Pour les salariés qui souhaitent partir à soixante ans, alors même qu'ils ne disposent pas de la durée d'assurance nécessaire, nous allégeons le taux de décote. Partant de 10 % par année manquante aujourd'hui, nous comptons atteindre progressivement 5 % par année manquante, qu'il s'agisse d'un salarié du secteur privé ou d'un agent du public.

Pour ceux qui, au contraire, souhaitent continuer à travailler au-delà de soixante ans et de la durée d'assurance requise, est instauré un mécanisme de surcote, dont le taux sera de 3 % par an.

Avec l'assouplissement des mécanismes de retraite progressive et l'élargissement dans la fonction publique de la cessation progressive d'activité, nous ouvrons un espace pour tous ceux qui souhaitent passer de manière moins brutale du « tout travail » au « tout retraite ».

La retraite ne sera plus ainsi le couperet de naguère.

La souplesse consiste également à ouvrir le droit au rachat de trimestres, dans des conditions financièrement neutres pour les régimes. Ce rachat sera possible pour les années d'études dans la limite de douze trimestres, soit trois ans.

L'accès de tous à des outils d'épargne retraite peut élargir l'éventail des possibilités offertes aux Français. Ils s'ajouteront à la répartition mais ne se substitueront pas à elle. J'entends dire, ici et là, que cette disposition ferait le lit de la capitalisation.

M. Gilbert Chabroux. Eh oui !

M. François Fillon, ministre. Je ne vois pas en quoi la PREFON et tous les autres systèmes en place depuis des années ont fait le lit de la capitalisation dans la fonction publique !

MM. Alain Gournac et Roger Karoutchi. Très bien ! Bravo !

M. François Fillon, ministre. Je ne vois pas alors pourquoi ce droit réservé aux fonctionnaires, aux cadres supérieurs et aux élus locaux deviendrait condamnable dès lors qu'il franchit le seuil de nos administrations ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Tout salarié du secteur privé bénéficiera d'une incitation fiscale lui permettant de disposer d'une rente à l'âge de la retraite. Le projet de loi simplifie la galaxie des différents dispositifs existants. Il les sécurise. Il crée le plan d'épargne individuel pour la retraite - le PEIR - dont les modalités ont été précisées à l'Assemblée nationale. Il allonge la durée du plan partenarial d'épargne salariale volontaire créé par la loi Fabius de 2001, afin de permettre aux salariés de disposer d'une véritable épargne en vue de la retraite, en rente ou en capital.

Mesdames et messieurs les sénateurs, autour de cette réforme, les crispations étaient inéluctables. Mais, au risque de vous surprendre, je considère qu'elles n'ont pas été inutiles dans le franchissement d'une étape collective, une étape mise au service d'une prise de conscience des difficultés que nous devons surmonter pour répondre aux défis du xxie siècle.

Notre modèle social doit être courageusement réformé. L'avenir de ce modèle n'est pas dans le statu quo et le chacun pour soi. Nous devons, tous ensemble, nous retrousser les manches.

On ne peut pas avoir le système de retraite le plus généreux d'Europe, le meilleur système de santé du monde, l'école et l'université gratuites pour tous, sans donner le meilleur de nous-mêmes.

Donner le meilleur de soi-même, c'est travailler plus et mieux. C'est avoir conscience que nous sommes, chacun d'entre-nous, les maillons d'une chaîne de solidarité et de progrès. Dans le monde ouvert et compétitif qui nous environne, notre prospérité économique et sociale n'est pas une donnée intangible. Elle est un combat dont l'issue relève du courage, de la formation et de la responsabilité de chacun. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Cette réforme n'est pas inspirée par des considérations dogmatiques.

Bien des éléments ont contribué à en préparer le terrain : qu'il s'agisse du Livre blanc de Michel Rocard, de l'évolution progressive de la réforme Balladur, des orientations du Conseil d'orientation des retraites voulu par Lionel Jospin et du fonds de réserve des retraites décidé par lui.

Cette réforme peut nous rassembler, car elle est juste, équitable et marquée par de véritables avancées sociales. Elle est progressive, rythmée par des rendez-vous dont cette majorité et les suivantes feront, j'en suis convaincu, un usage responsable.

Enfin et surtout, ce projet peut nous rassembler parce qu'il s'inscrit dans un choix de société qui nous unit : celui de la solidarité et celui de la répartition. Ce choix dicte aujourd'hui notre devoir : celui de réformer.

Je sais que le Sénat a beaucoup travaillé, et ce depuis longtemps sur la difficile question des retraites. Je sais qu'il est prêt à accompagner ce discours de réforme ; je sais qu'il l'attend. Les amendements présentés par sa majorité feront l'objet d'une large discussion et permettront de préciser le texte adopté par l'Assemblée nationale, sans en remettre en cause l'économie générale.

Mesdames et messieurs les sénateurs, il nous revient, maintenant, ensemble, d'ouvrir le débat et de prendre nos responsabilités face à l'avenir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste et sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la fonction publique.

M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après l'intervention de M. le ministre des affaires sociales, il m'appartient de vous présenter la réforme du code des pensions. En vous rappelant nos analyses et nos principales positions, je souhaite vous faire partager nos convictions.

Dans ce problème des retraites, il n'y a pas, d'un côté, le secteur public, qui serait un perpétuel privilégié ou une pertuelle victime selon les uns ou les autres, et, de l'autre côté, le secteur privé. Il y a, au-delà de tout cela, un pacte de solidarité à préserver, à consolider : notre système de répartition.

L'un des avantages du débat qui a entouré cette réforme est d'avoir permis aux Français de s'interroger sur leur système de retraite et de nous avoir permis de rappeler le principe de notre système de répartition.

Lorsque nous interrogeons nos concitoyens, nous nous apercevons que, pour eux, la répartition signifie : « J'ai cotisé toute ma vie, j'ai droit à... » Non, en réalité, selon ce système, ceux qui travaillent paient la retraite de ceux qui en bénéficient. C'est là toute la force de ce pacte républicain, de cette solidarité entre les actifs et les retraités, entre les jeunes et les moins jeunes.

L'autre avantage de ce débat fut de faire prendre conscience à nos concitoyens des différences importantes qui existent entre les régimes et de ce qui était perçu comme une inégalité : à cotisation égale, il n'y a pas aujourd'hui en France de retraite égale.

On peut adhérer à la réforme proposée par le Gouvernement ou la critiquer ; mais nul ne peut contester qu'elle réduit fortement les inégalités. A ce titre, elle répond aux critères d'équité et de justice souhaités par nos concitoyens.

Cette réforme permet en outre de renforcer le pacte générationnel en augmentant la durée de cotisation et donc en équilibrant davantage le partage entre actifs et retraités, en allégeant le fardeau qui pèse sur les jeunes et en garantissant le niveau de pension des retraités.

Cette réforme est crédible : dans la fonction publique, plus de 50 % de son financement est assuré.

Elle est aussi crédible aux yeux de l'Union européenne, souvent méfiante et circonspecte vis-à-vis de notre capacité de réforme.

Enfin, elle est crédible aux yeux de nos concitoyens, car nous avons respecté nos engagements et notre calendrier ; elle n'a pas été conduite en catimini ou dans la précipitation.

Nous devons la vérité aux Françaises et aux Français. Notre système par répartition et, indirectement, le financement des pensions des fonctionnaires ne seraient plus garantis sans une réforme ambitieuse dont tous les gouvernements depuis des années savent l'importance, réforme souvent crainte, jamais réalisée mais toujours souhaitée.

Réformer, c'est aussi dire la vérité à celles et ceux qui servent l'Etat et donc la nation : sans un allongement progressif de la vie professionnelle, sans un effort partagé par tous les actifs, le financement des retraites sera à court terme insupportable pour l'Etat, et donc pour les Français.

L'Etat verse aujourd'hui 60 milliards d'euros de traitements et 30 milliards d'euros de pensions.

En 2020, à effectif constant, il versera 60 milliards de traitements et 60 milliards de pensions. En 2040, à effectif constant, il verserait 60 milliards de traitements et 90 milliards de pensions.

Ainsi, même si le régime des fonctionnaires de l'Etat n'est pas au sens strict un régime par répartition, puisqu'il est en partie budgétisé, il est évident que ne pas engager de réforme reviendrait à fragiliser l'avenir de notre pays.

En effet, si, sur trois ans de croissance, nous dégageons 15 milliards d'euros de recettes, 5 milliards sont immédiatement affectés au paiement des intérêts de la dette et 5 milliards systématiquement au paiement des retraites. Cela signifie qu'aujourd'hui un tiers seulement de la croissance peut être consacré à l'amélioration de l'avenir de notre pays.

Aucun système économique, aucun système politique, au moment où nos territoires s'ouvrent à la compétition mondiale, ne peut résister à ce poids croissant du passé, qui fragilise l'avenir et qui, de plus, a tendance à alourdir considérablement le fardeau des générations montantes.

Gérer un pays, assumer des responsabilités politiques, c'est faire les choix pour l'avenir et ne pas laisser aux générations futures le soin d'assumer les décisions que nous n'aurions pas prises.

La Caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, qui dispose pour l'instant d'une situation démographique plus favorable, n'échappera pas longtemps à une dégradation rapide de ses ratios et sera en déséquilibre dans quelques années.

Je rappelle que, dans le relevé de décisions du 15 mai 2001, décidées avec les organisations patronales et syndicales, un certain nombre d'avancées fortes ont été actées ; notamment, le principe de la suppression de la surcompensation a été retenu.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je limiterai mon propos à l'examen du titre III du projet de loi portant sur les trois fonctions publiques.

Ce projet prévoit, pour tous les fonctionnaires, de l'Etat, territoriaux et hospitaliers, les mêmes droits dans une même loi.

C'est la première pierre d'un édifice qui vise une plus grande unité des trois fonctions publiques, unité légitimement réclamée par les organisations syndicales. Tous les fonctionnaires, quels que soient leur grade et leur corps, méritent la même considération et les mêmes droits.

En effet, on parle beaucoup de l'unité de la fonction publique. Grande fut donc ma surprise lorsque j'ai découvert les différences considérables existant au sein des fonctions publiques.

Par ailleurs, le code des pensions civiles et militaires est en vigueur depuis 1964, soit, à quelques mois près, depuis quarante ans.

Pour répondre à l'objectif de justice que nous nous sommes fixé, nous faisons converger avec le régime général les éléments qui sont objectivement communs, comme la durée de cotisation, mais nous préservons les paramètres qui sont spécifiques au métier de fonctionnaire. Il s'agit d'une réforme des retraites, en aucun cas d'une réforme du statut de la fonction publique.

Pour parvenir à cet équilibre, nous avons défini une méthode fondée sur le dialogue social et sur les travaux du Conseil d'orientation des retraites.

Le dialogue a été soutenu et approfondi. François Fillon et moi-même avons rencontré longuement les partenaires sociaux. Avec mon cabinet, j'ai tenu plusieurs séances de travail sur les questions touchant à la fonction publique. J'ai tenu deux cycles de rencontres avec les fédérations de fonctionnaires. Je me suis rendu devant une quinzaine de conseils économiques et sociaux dans les régions. Nous avons participé aux réunions des conseils supérieurs des trois fonctions publiques, qui ont tous approuvé la réforme.

Nous nous sommes aussi appuyés sur les travaux du Conseil d'orientation des retraites mis en place par le précédent gouvernement, car, aujourd'hui, pour amorcer une réforme, il est nécessaire d'avoir un diagnostic partagé.

A partir de ce diagnostic, à partir des pistes qui avaient été élaborées, à partir même du discours de M. Lionel Jospin, nous avons tiré un certain nombre d'axes de notre réforme, comme les quarante ans de cotisation, la réflexion sur la pénibilité ou l'intégration des primes.

Par rapport aux différentes hypothèses - abaissement du niveau des pensions, augmentation du taux de cotisation ou allongement de la durée de cotisation -, nous avons donc choisi l'allongement de la durée de cotisation.

Nous avons choisi de l'aligner sur le régime général pour faire en sorte que les fonctionnaires gardent les mêmes droits avec deux années et demie de cotisation supplémentaire.

Ainsi, la retraite à taux plein d'un fonctionnaire ayant accompli une carrière complète est préservée : pour un agent titulaire à temps complet, la retraite sera toujours de 75 % du traitement de référence, hors bonifications. La seule modification est que ce droit sera garanti avec quarante années de cotisation au lieu de trente-sept années et demie actuellement. Il n'y a donc pas de baisse du niveau des pensions, comme je l'entends dire. Il suffit de cotiser deux années et demie de plus pour partir comme aujourd'hui au taux plein. C'est notre nouveau contrat social.

Il convient, dans ce débat, de distinguer très nettement la durée d'activité et la durée d'assurance.

La réforme fait le pari de la modification des choix des fonctionnaires en ce qui concerne l'âge de leur départ en retraite.

La mise en place d'une surcote permettra d'augmenter la pension de ceux qui compteraient quarante annuités après l'âge de soixante ans.

Parallèlement, une décote sera appliquée aux années manquantes, comme dans le régime général, pour ceux qui choisiraient de partir à compter de l'ouverture des droits avec une carrière incomplète. Je rappelle d'ailleurs que la situation du fonctionnaire est figée à l'année de l'ouverture de ses droits.

La réforme est progressive, très progressive. Le projet de loi a prévu des dispositions transitoires : d'abord, une franchise de la décote pour les années 2004 et 2005 ; ensuite, une lente montée en charge jusqu'en 2020. Les fonctionnaires proches de la retraite auront ainsi le temps de se préparer et pourront faire évoluer leur choix de départ sur une longue période.

Pour permettre aux agents d'acquérir des droits à retraite dans de bonnes conditions, des dispositions sont prévues : assimilation du temps partiel familial à 50 %, 60 %, 70 %, voire 80 % du temps plein et qui vaudra année pleine pour les durées d'assurance ; possibilité de racheter des périodes de formation dans la limite de trois ans ; institution d'une durée d'assurance « tous régimes ». Souvent, des fonctionnaires nous expliquent qu'ils ne sont entrés que tardivement dans la fonction publique. Désormais, quel que soit le régime, tous les trimestres - y compris, par exemple, des contrats de travail saisonniers effectués pendant les études - pourront compter dans la reconstitution de la totalité de la carrière.

Par ailleurs, une mesure particulière vise les personnels classés en service actif de la fonction publique hospitalière - 75 % du personnel concerné -, lesquels recevront une année d'assurance supplémentaire tous les dix ans de carrière.

S'agissant des avantages familiaux, qui ont également fait l'objet d'un débat, ils sont maintenus mais aussi modernisés, de manière qu'il soit tenu compte des évolutions sociologiques. La majoration de 10 % pour les parents d'au moins trois enfants demeure inchangée, comme dans le régime général. La pension de réversion des hommes est alignée à la hausse sur celle des femmes, ce qui représente un très grand progrès. Le droit au départ, avec disposition immédiate de la pension après quinze ans de service, des femmes ayant élevé trois enfants est conservé.

Pour ce qui est de la bonification pour enfants, la jurisprudence européenne nous oblige à adapter le dispositif antérieur pour pouvoir le conserver. En effet, le coût de l'extension de ce dispositif aux hommes aurait, en réalité, abouti à le supprimer pour les femmes. Pour le passé, il a été décidé de ne pas diminuer les droits des femmes dont les enfants étaient déjà nés. Certains nous recommandaient de diviser l'avantage par deux pour le ramener à six mois et l'étendre ainsi plus facilement aux hommes. Nous avons repoussé cette solution qui ignorait la réalité sociologique et l'esprit même de la politique consistant à faire en sorte qu'une femme ne soit pas pénalisée dans sa carrière professionnelle par la naissance d'un enfant. Les femmes ont en effet souvent des carrières moins favorables dans la mesure où elles l'interrompent pour élever leurs enfants.

Nous avons donc fait le choix de traduire la jurisprudence en conservant, pour le passé, la bonification d'un an par enfant, qui est étendue aux hommes, à condition qu'on se soit arrêté de travailler pour la naissance ou l'éducation de l'enfant.

Pour le futur, la bonification est remplacée par une validation. Souvent, lors de nos discussions avec les organisations familiales, celles-ci nous invitent à réfléchir sur la capacité, pour les femmes d'aujourd'hui, de concilier vie parentale et vie professionnelle. En mettant en place la validation comme périodes de service des périodes d'arrêt en relation avec la naissance, l'adoption ou l'éducation des enfants, cette validation pouvant couvrir jusqu'à trois ans - avec une possibilité d'extension aux hommes - nous pensons répondre à l'exigence de la modernité, de façon à permettre, tout en suscitant l'envie de faire des enfants, aux parents, hommes ou femmes, d'accompagner les enfants dans l'apprentissage de la vie au cours des trois premières années, où s'acquiert la capacité de devenir un être social.

L'Assemblée nationale a complété ce dispositif en accordant aux femmes qui auront des enfants à partir de 2004 une majoration de six mois de durée d'assurance, qui ne pourra pas se cumuler avec la validation des périodes non travaillées. Cela correspond aux besoins des femmes qui souhaitaient ne pas arrêter leur carrière et donc ne pas avoir de temps à consacrer à l'éducation des enfants, mais qui estimaient injuste d'être ainsi pénalisées.

Nous avons aussi choisi de faire converger les règles d'indexation des pensions, qui sont transformées pour se rapprocher du régime général. Les pensions seront revalorisées chaque année en fonction de la hausse des prix et le niveau de vie des retraités de la fonction publique sera ainsi intégralement préservé.

J'ai souvent entendu des critiques selon lesquelles l'indexation sur les prix n'allait pas garantir le pouvoir d'achat des retraites.

A partir du moment où, dans la fonction publique, l'on prend comme référence les six derniers mois et où les pensions évoluent en fonction de l'évolution des prix - dispositif auquel s'ajoute, tous les trois ans, la réunion d'une commission chargée de réfléchir à un « coup de pouce » - le pouvoir d'achat des retraites paraît absolument garanti.

Enfin, la réforme aborde la délicate question des primes. L'intégration de ces éléments dans la pension proprement dite n'était pas envisageable, en raison notamment de son coût très élevé : 5 milliards à 6 milliards d'euros par an à partir de 2020. Cependant, le Gouvernement est soucieux d'avancer sur ce point auquel les fonctionnaires sont extrêmement attentifs.

Tout d'abord, il a souhaité tenir l'engagement, qui n'avait pas été honoré par le précédent gouvernement vis-à-vis des aides-soignantes : leurs primes seront intégrées dans leur traitement et seront comptabilisées pour le calcul de leur pension à hauteur de 10 % du traitement indiciaire.

Ensuite, le projet de loi institue pour tous les fonctionnaires civils et militaires un nouveau régime des pensions. Ce régime par répartition et par points sera garanti par un mécanisme de provisionnement, selon des modalités qui doivent être précisées d'ici à sa création. Il sera obligatoire, conformément au relevé de décisions du 15 mai 2003. L'assiette du régime sera constituée par la totalité des éléments de rémunération qui n'entrent pas actuellement dans l'assiette des pensions, dans la limite de 20 % du traitement. Cette assiette est suffisamment large pour toucher la quasi-totalité des situations.

Notre projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs institue une réforme qui garantit l'équité entre les différentes catégories de travailleurs et qui, en outre, protège la répartition pour les vingt ans qui viennent.

De ce point de vue, cette réforme pose aussi les termes d'un débat sur l'avenir de la fonction publique et les garanties essentielles que nous devons lui apporter.

Ce débat national aura lieu avec les fonctionnaires et leurs représentants. Nous l'ouvrirons, car la nation doit maintenir avec la fonction publique une relation de confiance et d'estime totale, une relation apaisée qui permette à chaque fonctionnaire d'être de nouveau intimement convaincu de l'importance de sa mission et surtout de l'accomplir dans la sérénité.

D'ores et déjà, nous confirmons l'engagement que nous avons donné aux partenaires sociaux signataires concernant une réunion des groupes de la fonction publique sur la pénibilité et les carrières longues.

Nous avons aussi à conduire une politique de gestion des ressources humaines afin d'améliorer les conditions de travail tout au long de la carrière et notamment à la fin. Je pense à la seconde carrière et à la cessation progressive d'activité.

La France est un pays d'équilibre et de sagesse politique ; je crois plus que jamais que cet équilibre repose aussi sur l'harmonie entre le public et le privé.

Notre réforme des retraites doit rassembler les jeunes et les moins jeunes, les actifs et les inactifs, le secteur public et le secteur privé.

Je voudrais aussi vous faire partager la conviction du Gouvernement selon laquelle cette réforme est juste et équilibrée.

Elle est juste parce qu'elle comporte de nombreuses avancées sociales, notamment pour les petites retraites. Elle établit en outre une nécessaire équité entre les citoyens.

Elle est équilibrée parce qu'elle prévoit une grande progressivité dans son application, des rendez-vous réguliers pour l'amender, et qu'elle renforce, en les sauvant, nos systèmes de protection sociale.

Le débat qui s'ouvre aujourd'hui au Sénat est important, car il permettra à chacun d'exprimer sa différence et donc de prendre ses responsabilités par rapport à la consolidation souhaitée et nécessaire de notre pacte social. Ce débat doit se nourrir non de nos peurs mais de nos espoirs et redonner tout leur sens à nos institutions dont la mission légitime est de décider en la matière. Notre action consiste, certes, à concilier l'intérêt général et les intérêts catégoriels, et à être à l'écoute. Mais notre responsabilité est de décider et d'assumer nos choix. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi de commencer cette intervention par une citation :

« Fidèle au rendez-vous pris, j'engage avec vous le débat sur l'avenir des retraites.

« L'enjeu est considérable : maintenir l'acquis au profit des générations futures dépend, au-delà de la démographie et de l'économie, de notre capacité à actualiser le pacte de solidarité qui lie les générations entre elles...

« Les défis qui nous sont opposés peuvent être résolus. Des solutions existent, des choix s'offrent à la société française. »

Ces mots ont été écrits en 1991 par Michel Rocard, alors Premier ministre, et figurent en préface du Livre blanc sur les retraites.

Douze ans et quatre semaines de débat à l'Assemblée nationale plus tard, la Haute Assemblée est appelée à se prononcer sur ce projet de loi portant réforme des retraites. Cette réforme était donc extrêmement attendue, d'autant qu'elle paraît indispensable à la survie même de notre système de retraite par répartition.

Le diagnostic est en effet bien établi depuis maintenant plus de dix ans et il est sans cesse affiné depuis. D'ailleurs, aucune politique publique n'a donné lieu à autant de rapports que la réforme des retraites. Commençant avec le Livre blanc, la liste des travaux préparatoires à la réforme est longue. Le rythme de production s'est même accéléré avec le temps puisque, sous la dernière législature, pas moins de six rapports sont venus compléter l'expertise publique.

De fait, il nous appartient aujourd'hui de mettre en oeuvre la réforme sans cesse reportée qui découle de ces rapports.

Certes, deux ans après la publication du Livre blanc, le gouvernement de M. Edouard Balladur a, dès 1993, engagé une première réforme concernant le régime général et les régimes dits « alignés », qui a contribué à résorber les déficits accumulés, notamment grâce à des financements complémentaires, et à assurer une évolution des dépenses plus compatibles avec les ressources disponibles.

Toutefois, depuis, les décisions nécessaires ont sans cesse été différées.

Je ne reviendrai pas sur les enjeux de la réforme : vous les connaissez, et les objectifs sont aujourd'hui, je crois, largement partagés. En témoigne le résultat de la première concertation avec les partenaires sociaux, qui a permis de définir, en avril dernier, les « principes généraux de la réforme » ; ceux-ci ont fait l'objet d'un consensus.

De même, je passerai brièvement sur le diagnostic, rappelant simplement que, quelles que soient les hypothèses retenues, le rapport Charpin faisait apparaître que les besoins de financement de l'ensemble des régimes seront amenés à s'accroître jusqu'en 2040, la progression étant plus forte entre 2005 et 2020. Ainsi, selon le scénario médian, les dépenses de retraite passeraient de 12,1 % du PIB en 1998 à 14,1 % en 2020 et à 15,8 % en 2040. Les travaux du Conseil d'orientation des retraites ont confirmé ce diagnostic, estimant les besoins de financement à 2 points de PIB en 2020 et à 4 points en 2040.

Face à ce défi, le rapport Charpin recommandait avec sagesse d'engager le plus rapidement possible une réforme, avant que le choc démographique ne se fasse sentir. Pour ce faire, il répertoriait toutes les pistes de réforme susceptibles d'assurer la viabilité de notre système de retraite par répartition.

Elles s'articulent autour du triptyque désormais bien connu : recettes nouvelles, allongement de la durée d'activité, maîtrise des prestations.

Ce rapport suggérait notamment l'allongement de la durée d'assurance nécessaire à l'obtention du taux plein pour atteindre 170 trimestres en 2020, cela valant pour l'ensemble des régimes.

Il suggérait aussi l'encadrement du recours aux préretraites, la constitution de réserves pour lisser temporairement les besoins de financement à moyen terme, la révision des règles d'indexation des pensions, l'aménagement de certains dispositifs de notre protection sociale.

Mais le précédent gouvernement n'a retenu de ce rapport, qu'il avait pourtant lui-même diligenté, que les mesures d'accompagement d'une réforme, l'essentiel étant renvoyé... à plus tard.

Un fonds de réserve a certes été créé mais il n'a été que chichement pourvu et ignore tout, en l'absence de réformes, des échéances auxquelles il est censé faire face.

Certes, le COR a été mis en place. Cependant, préfigurant la structure d'un futur dispositif de pilotage, mais n'ayant rien à piloter, il a repris à la base le travail pédagogique du rapport Charpin avec une échéance telle - fin 2001 - qu'il était clair pour tous qu'il oeuvrait désormais pour la prochaine législature. Il n'en reste pas moins qu'il offre une « heureuse surprise » pour avoir capitalisé, au fil des temps, une véritable crédibilité.

C'est dans ce contexte, marqué tant par l'urgence que par l'immobilisme du précédent gouvernement, que s'inscrit le présent projet de loi.

Vous l'avez souligné, messieurs les ministres, ce projet de loi est le fruit du dialogue social. Il est issu d'un compromis trouvé à l'issue d'une intense concertation et d'une longue négociation avec trois organisations patronales et deux des cinq organisations syndicales représentatives au niveau national.

Il s'articule autour de quatre axes complémentaires.

Il cherche, d'abord, à favoriser l'accès et le maintien dans l'emploi des « seniors » et à permettre un meilleur choix dans la gestion du temps de vie. Le taux d'emploi des plus de cinquante-cinq ans en France est aujourd'hui l'un des plus faibles d'Europe, du fait notamment de toutes les mesures d'âge qui se sont multipliées depuis la crise de l'emploi. Cette situation est lourde de conséquences.

Elle fragilise nos régimes de retraite. On estime ainsi généralement qu'une hausse d'un point du taux d'emploi ferait diminuer la part des pensions dans le PIB de 0,2 à 0,4 point d'ici à 2040.

Elle handicape nos entreprises, qui vont se trouver confrontées à un vieillissement de leur main-d'oeuvre auquel elles ne sont qu'imparfaitement préparées.

Le Gouvernement s'est fixé comme objectif de faire passer l'âge moyen de cessation d'activité de cinquante-sept ans et demi à cinquante-neuf ans d'ici à 2008.

Pour ce faire, le projet de loi prévoit de limiter le recours aux préretraites, qui contribue largement à ce phénomène. Aussi est-il proposé d'assujettir les préretraites d'entreprise à une contribution spécifique, de supprimer les préretraites progressives et de recentrer le dispositif de la CATS - cessation anticipée d'activité de certains travailleurs salariés - sur les seuls salariés ayant exercé des missions pénibles.

La commission des affaires sociales approuve ces dispositions. Elle s'était d'ailleurs prononcée à plusieurs reprises, au cours des années passées, en faveur d'un encadrement plus strict des préretraites, tant celles-ci apparaissent comme un outil inadapté à l'évolution du marché du travail.

Elle vous proposera toutefois, mes chers collègues, dans un souci de sécurité juridique, de préciser la portée de ces mesures sur les préretraites actuellement en cours.

Elle vous demandera également de recentrer les négociations prévues par le projet de loi sur l'âge et la pénibilité du travail afin que celles-ci ne conduisent pas, paradoxalement, à faire des préretraites l'objet principal des négociations.

Le projet de loi vise également à inciter à la poursuite ou à la reprise d'activité. Il introduit à ce titre, outre un utile assouplissement de la « contribution Delalande » et le report de l'âge de mise à la retraite d'office, un système de décote-surcote ambitieux.

Le système actuel apparaît en effet comme injuste en ce qu'il ne prévoit qu'une décote, d'ailleurs élevée, dans le secteur privé, sans garantir parallèlement un mécanisme de majoration en cas de poursuite de l'activité.

Les mesures que comporte le projet de loi vont donc dans le bon sens, étant entendu qu'elles pourront être complétées à l'avenir.

A cet égard, la commission des affaires sociales considère qu'il conviendra sans doute de réfléchir à un aménagement plus profond de la contribution Delalande, qui constitue encore un obstacle à l'embauche des salariés en seconde ou en troisième partie de carrière.

Il sera aussi nécessaire de revoir les conditions posées pour la dispense de recherche d'emploi des chômeurs âgés, tant sa logique paraît contradictoire avec l'objectif d'augmentation du taux d'emploi ; mais je crois que nous sommes là dans le domaine réglementaire.

J'avais déjà insisté, dans mon rapport sur le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, sur la nécessité d'élargir la question des retraites à celle de la gestion des temps de vie. La retraite est trop souvent un couperet. Elle ne s'adapte pas à l'évolution des rythmes de vie et aux nouvelles aspirations de nos compatriotes. Ce constat, ou plutôt ce regret, a inspiré la réforme entreprise par le Gouvernement.

Le projet de loi ouvre ainsi la faculté de prendre en compte les années d'études, aussi bien dans le régime général que dans le régime de la fonction publique. Il permet aussi aux salariés travaillant à temps partiel de cotiser sur un équivalent temps plein. Mais, surtout, il réforme les règles de cumul emploi-retraite afin de les faciliter et élargit les dispositifs de retraite progressive.

La commission des affaires sociales a souhaité aller plus loin dans les possibilités offertes pour mieux gérer les temps de vie. Elle suggère ainsi de permettre aux salariés de plus de soixante-cinq ans, qui ne peuvent se prévaloir de 160 trimestres de cotisation, de bénéficier d'une « surcote spécifique » s'ils décident de rester en activité, afin, en quelque sorte, de rattraper le temps perdu.

Il lui a semblé aussi nécessaire, pour favoriser la mobilité des étudiants dans l'Union européenne, d'étendre la faculté de rachat des années d'études aux années d'études effectuées à l'étranger.

Nécessairement, au regard de la situation de notre système de retraite, la présente réforme devrait être placée sous le signe de l'équité entre les salariés et sous celui de la solidarité. Il résulte en effet des dispositions de la réforme Balladur que les salariés du secteur privé doivent justifier de quarante annuités pour bénéficier d'une retraite à taux plein, alors que les salariés du secteur public bénéficient de ce même avantage pour un nombre d'annuités inférieur.

Cette question de l'équité a été soumise à l'étude du COR. Ce dernier a conclu à la nécessité d'une harmonisation des durées de cotisation entre secteur public et secteur privé, sans s'accorder toutefois, je vous le concède, sur la durée qui doit assurer cette convergence.

L'incidence sur les besoins de financement du système de retraite d'un retour à 37,5 annuités pour tous se chiffre à 0,3 point de PIB, soit un alourdissement du besoin de financement des régimes de retraite d'environ 8 % à l'horizon 2040.

De plus, même si cet effort financier avait pu être réalisé, il aurait rendu plus difficiles, aux dires mêmes du COR, d'éventuels allongements de la durée d'activité s'avérant ultérieurement nécessaires.

L'allongement progressif de la durée de cotisation du secteur public est équitable. Elle est mise en oeuvre progressivement pour être réalisée à l'horizon 2008.

Mais le projet de loi ne se borne pas à proposer un ajustement ponctuel des durées de cotisation. Il prévoit, de manière plus ambitieuse, la définition d'une règle permettant de partager équitablement les gains futurs d'espérance de vie entre le temps de travail et le temps de retraite.

Appliquée sous la caution du COR et d'une commission de garantie des retraites, cette règle permettra non seulement de rendre moins dramatiques de futurs ajustements, mais encore de garantir aux salariés que l'effort demandé en termes de temps de travail supplémentaire restera constant à l'horizon 2020,...

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. ... la durée d'assurance nécessaire étant ajustée afin de préserver le partage temps de travail-temps de retraite constaté en 2003.

L'équité visée à travers le présent projet de loi n'aurait pu être réalisée sans prise en compte des situations particulières.

La concertation sur les retraites a placé le thème de la pénibilité au coeur du débat public. Il est clair en effet que le maintien dans l'emploi des travailleurs âgés exige une meilleure prise en compte de la pénibilité au travail.

Les partenaires sociaux se sont engagés à négocier sur ce sujet, à juste titre d'ailleurs, tant il apparaît délicat de légiférer en la matière. L'Assemblée nationale s'est d'ailleurs largement inscrite dans ce cadre en introduisant une obligation de négocier sur la pénibilité dans les branches.

La question des salariés ayant effectué de très longues carrières est posée depuis longtemps par les partenaires sociaux. L'ordonnance du 26 mars 1982, qui a abaissé la retraite à soixante ans, n'admettait aucune exception. Si certains dispositifs ont autorisé, durant un temps, la cessation d'activité de salariés justifiant d'une carrière longue, aucun dispositif général n'a pu être proposé à ceux qui, dès l'âge de cinquante-six ans, justifient de toutes leurs annuités.

Le projet de loi doit satisfaire cette revendication ancienne en la ciblant sur les publics pour lesquels elle est le plus justifiée, c'est-à-dire ceux qui ont commencé leur carrière dès l'âge de 14, 15 ou 16 ans et qui justifient de plus de quarante annuités.

La commission des affaires sociales s'est néanmoins interrogée sur la possibilité d'offrir à ces salariés un vrai choix, une alternative au départ en retraite, pour ceux d'entre eux qui souhaitent continuer à travailler. Certes, nous savons que la majorité de ces personnes demandent à partir en retraite. Mais pour ne pas pénaliser ceux qui préfèrent poursuivre leur activité, la commission des affaires sociales propose d'instaurer une surcote anticipée qui valorise ce choix.

M. Christian de La Malène. Très bien !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. L'un des enjeux essentiels de la présente réforme est de réaffirmer l'importance de la solidarité nationale envers ceux qui méritent particulièrement notre attention.

L'Assemblée nationale a adopté un dispositif en faveur des parents d'enfants handicapés. Vous n'ignorez pas, messieurs les ministres, combien la commission des affaires sociales est attentive à cette douloureuse question.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Aussi propose-t-elle que les personnes handicapées justifiant d'une période de travail significative puissent partir à la retraite avant l'âge de soixante ans dans le secteur privé.

Dans le secteur public, où beaucoup de personnes handicapées travaillent à temps partiel, la commission a souhaité que puisse être facilitée, par l'abaissement du coût notamment, la faculté de cotiser sur un équivalent temps plein.

Ces initiatives ne règlent pas, loin de là, tous les problèmes. Elles témoignent néanmoins, dans l'attente de la révision prochaine de la loi du 30 juin 1975, d'un souci de justice à l'endroit de nos concitoyens handicapés et attestent qu'ils bénéficient de toute notre attention.

En ce qui concerne les régimes des non-salariés, dont le projet de loi conforte l'identité, l'objectif est atteint de deux façons : par le rapprochement entre le régime des industriels et commerçants et celui des artisans, d'une part, et par l'harmonisation progressive des non-salariés avec le régime général, d'autre part.

Je soulignerai, à cet égard, un point particulier : la mensualisation des retraites agricoles de base qui était attendue de longue date.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bien !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Après les retraites complémentaires des artisans et des commerçants en 1999 et le nouveau régime complémentaire des exploitants agricoles en 2003, le régime agricole de base était en effet le dernier régime à ne pas être mensualisé. Le montant de l'effort financier qui vise à rétablir une plus grande équité entre les Français est estimé, en trésorerie, à 1,3 milliard d'euros.

Prétendre sauvegarder la retraite par répartition n'a de sens que si cette sauvegarde permet de garantir l'avenir des retraités.

Cette garantie passe avant tout par l'engagement solennel de préserver le pouvoir d'achat de ces derniers. Le Premier ministre, devant le Conseil économique et social, l'a rappelé avec force.

Garantir ce pouvoir d'achat consiste à assurer aux retraités que le montant de leur pension ne sera pas victime de l'inflation. Les retraites par répartition permettent plus facilement d'apporter cette garantie essentielle.

Dans les faits, l'indexation des pensions sur l'indice des prix est la règle depuis 1987. Elle a néanmoins connu de nombreuses exceptions au gré de « coups de pouce », dont l'attribution, sans doute bienvenue pour les retraités, ne reposait sur aucune mise en perspective économique et financière de la situation future des régimes de retraite.

Une règle avait été posée par la loi du 22 juillet 1993, pour une durée de cinq ans. Le précédent gouvernement ne l'avait pas reconduite et lui avait préféré une revalorisation annuelle arbitraire.

Le projet de loi inscrit le principe d'une revalorisation des pensions indexée sur les prix. Au nom de l'équité, les pensions des fonctionnaires seront revalorisées selon les mêmes termes.

Toutefois, ainsi que l'ont souligné tant le COR que la présidente de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, à réglementation inchangée, le taux de remplacement des salariés, du secteur privé diminuera, même si cela ne signifie pas en, euros constants, une baisse du niveau des pensions.

En conséquence, nous devons formuler des propositions, afin de préserver le revenu global des retraités.

Il s'agit tout d'abord, dès lors que la situation financière des régimes l'autorise, de prévoir un mécanisme permettant de majorer le coefficient de revalorisation d'un « coup de pouce ». Mais la commission a préféré solenniser cette procédure. Il serait en effet dommage, monsieur le ministre des affaires sociales, qu'une décision aux conséquences financières aussi importantes soit prise, si j'ose dire, « sans tambour ni trompette », ou au moins sans que le Parlement l'ait ratifiée.

M. Jean Chérioux. Très bien !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Il s'agit ensuite de s'attacher à améliorer le sort des retraités modestes. Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, la commission des affaires sociales avait insisté pour qu'une solution soit trouvée en leur faveur.

Le Gouvernement, dans ce projet de loi, intègre la nécessité de revaloriser le minimum contributif et s'engage encore davantage en fixant l'objectif ambitieux d'assurer une pension minimale aux salariés ayant effectué une carrière complète. Ceux-ci, à l'horizon 2008, bénéficieront d'une pension globale au moins égale à 85 % du SMIC.

Le projet de loi comporte enfin des dispositions relatives à l'épargne retraite.

L'épargne comme complément de nos régimes obligatoires par répartition est déjà une réalité dans notre pays, quoi qu'en disent certains.

M. Jean Chérioux. Considérable !

M. Guy Fischer. N'est-ce pas, monsieur Chérioux !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Ainsi, on estime généralement que les revenus du patrimoine représentent de 20 % à 25 % des revenus des retraités.

Pour autant, en dépit de ce poids significatif, le paysage de l'épargne retraite est aujourd'hui tout particulièrement opaque, éclaté et, en définitive, inégalitaire.

M. Guy Fischer. Eh oui !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. On va y remédier.

Il existe ainsi déjà des produits d'épargne spécifiques dédiés à la retraite. Mais ils ne sont encore accessibles qu'à une partie de la population.

M. Roland Muzeau. Quelques privilégiés !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Certains produits individuels ne sont accessibles qu'à quelques professions : fonctionnaires, indépendants, professions agricoles. D'autres, souscrits dans un cadre collectif, ne peuvent profiter qu'aux salariés des entreprises qui les ont mis en place.

Dans ce cadre, le projet de loi vise à apporter une réponse pragmatique aux failles du système actuel.

Il tend d'abord à diversifier les produits d'épargne retraite pour offrir à tous la possibilité d'en bénéficier. D'une part, il vise à transformer le plan partenarial d'épargne salariale volontaire, le PPESV issu de la loi « Fabius » de février 2001, en plan partenarial d'épargne salariale volontaire pour la retraite, PPESVR, qui constitue une nouvelle forme d'épargne salariale spécifiquement consacrée à la retraite et instituée par accord collectif. D'autre part, il a pour objet de mettre en place un nouveau produit individuel accessible à tous : le plan d'épargne individuelle pour la retraite, le PEIR, sorte de « PREFON pour tous ».

Il tend à harmoniser également les dispositifs d'incitation fiscale et sociale à ce type d'épargne, pour instituer des plafonds globaux de déductibilité, de manière à prévenir toute possibilité de cumul exorbitant de tels avantages.

Là encore, la commission des affaires sociales souscrit aux mesures proposées par le Gouvernement, et ce d'autant plus volontiers qu'elles correspondent largement aux propositions qu'elle a pu formuler ces dernières années en la matière.

Elle vous proposera toutefois d'aménager les dispositions du projet de loi sur trois points.

D'abord, il paraît nécessaire de veiller plus avant à la transparence du nouveau PEIR. A ce titre, il nous a semblé souhaitable de prévoir une information directe des épargnants et de préciser les modalités de désignation des membres des comités de surveillance de ces plans.

Ensuite, la commission des affaires sociales a souhaité garantir une réelle complémentarité entre épargne salariale et épargne retraite. Toutes deux reposent sur des logiques différentes. Il ne faudrait pas que le développement de l'une se fasse au détriment de l'autre.

Enfin, la commission s'interroge sur le potentiel de développement des nouveaux PPESVR. Il est vrai que leur régime est quasiment identique à celui de l'actuel PPESV, dont le démarrage reste somme toute modeste. Or le PPESVR est un outil d'épargne retraite intéressant, car il repose sur le dialogue social.

M. Jean Chérioux. Voilà !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Il nous a donc semblé nécessaire de donner à ces PPESVR un « coup de pouce » en rendant le régime fiscal applicable à l'abondement de l'employeur plus incitatif et en instituant aussi une obligation de négocier tous les cinq ans dans les branches sur leur mise en place.

Au total, la réforme proposée par le Gouvernement est équilibrée. Elle ne se borne pas à lister des mesures visant à diminuer les prestations, à augmenter les contributions ou à allonger la durée d'activité.

Je ne dirai qu'un mot des aspects financiers de la réforme, que vous avez déjà développés, monsieur le ministre des affaires sociales.

L'un des membres les plus éminents de notre commission, lors de votre audition du 6 février dernier, vous avait mis en garde avec humour, en vous disant : « Monsieur le ministre, ne craignez-vous pas que cette réforme coûte financièrement plus cher à l'assurance vieillesse que de ne pas en faire ? »

Le grand nombre de situations injustes à améliorer, de détresses à secourir, appelait nécessairement les mesures que vous avez détaillées. Toutefois, si nous sommes réunis ici avec vous, monsieur le ministre, c'est aussi et surtout afin d'assurer le financement des régimes à une date raisonnable, c'est-à-dire à l'horizon 2020.

A cet horizon, et compte tenu d'hypothèses consensuelles, ces besoins sont connus. Ces hypothèses sont celles du COR, mais aussi celles qui avaient été présentées par Lionel Jospin le 21 mars 2000.

M. Jean Chérioux. Eh oui !

M. Dominique Leclerc. rapporteur. Nul n'est dès lors fondé, dans la partie gauche de cet hémicycle, à venir aujourd'hui en contester le bien-fondé.

M. Jean Chérioux. Ils ont la mémoire courte !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Vous avez rappelé que les besoins de financement supplémentaires s'élèveraient à 43 milliards d'euros en 2020, dont 15 milliards pour le régime général et 28 milliards pour les fonctions publiques. Vous avez détaillé le prix de chacune des mesures soumises à notre examen.

Je me bornerai donc à formuler trois observations.

La première est que cette réforme repose, contrairement à ce qui est affirmé ici ou là, sur un apport massif de ressources nouvelles à l'assurance vieillesse. En effet, le plan qui porte cette réforme ne prévoit un financement qu'à hauteur de 30 % par des économies. Ce ne sont, contrairement à ce que disent certains, ni le montant des pensions ni la durée de travail qui constituent donc l'ajustement principal.

Deuxième remarque, je me félicite de la pédagogie dont a fait preuve le Gouvernement en la matière. Certains réclament, sans discontinuer, des prélèvements nouveaux pour financer, dans le domaine social, tantôt la dépendance, tantôt l'assurance maladie.

M. Roland Muzeau. Eh oui !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Le rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour les équilibres financiers généraux, M. Alain Vasselle, a brillamment souligné dans un rapport récent qu'un faible différentiel de croissance entre PIB et dépenses d'assurance maladie nous porterait rapidement à des niveaux de prélèvements obligatoires insupportables pour notre économie.

Plusieurs sénateurs du groupe CRC. Mais non ! Ce sont des histoires !

M. Jean Chérioux. Mais si ! Vous ne savez pas compter ! Retournez à l'école ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Dominique Leclerc, rapporteur. L'augmentation de la CSG, dont la presse parle régulièrement, semble, pour sa part, déjà plusieurs fois affectée.

A ce propos, je remercie le Gouvernement d'avoir ainsi rappelé que, pour pouvoir augmenter certains prélèvements obligatoires, en l'espèce les cotisations vieillesse, il faudrait désormais prendre l'habitude d'en diminuer d'autres.

J'insisterai, et ce sera ma dernière remarque, sur la prudence avec laquelle vous avez procédé sur ce point. L'affectation des cotisations chômage à l'assurance vieillesse ne représente qu'une fraction du montant qui sera dégagé par la diminution du chômage, selon les hypothèses du COR. Si ces hypothèses se confirment, monsieur le ministre, vos successeurs pourront constater, sans doute avec plaisir, que votre réforme aura été surfinancée. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Alors, c'est encore autre chose ! On aura tout entendu !

M. Jean Chérioux. Il ne faut pas leur dire cela !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. La commission des affaires sociales a souhaité accompagner cette réforme, qu'elle fait sienne aussi sur ces points-là, en proposant d'améliorer la transparence des circuits financiers de l'assurance vieillesse et, pour préparer l'avenir, de renforcer le Fonds de réserve pour les retraites. Elle vous propose d'adopter le présent projet de loi, ainsi amendé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, à ce point du débat, il est vrai que tout a été dit...

M. Gilbert Chabroux. Non !

Mme Nicole Borvo. C'est un mot malheureux !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. ... et mon rôle devient difficile. Je vais tenter néanmoins de répondre à l'obligation parlementaire de rapporter au nom de la commission des finances et mon propos sera essentiellement une synthèse.

Messieurs les ministres, qu'il me soit permis au préalable de relever ce que vous-mêmes avez dit en commençant vos propos : cet instant est important et, si l'on n'avait pas peur des grands mots, on pourrait même dire « historique ».

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. N'ayons pas peur des mots !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Comme l'a dit M. le ministre des affaires sociales, c'est la première réforme globale depuis la fin de la guerre.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas terrible !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Il est évident que cet instant mérite d'être souligné.

Alors, qu'éprouvons-nous ? Tout d'abord, messieurs les ministres, nous éprouvons une grande satisfaction à débattre, enfin, d'un texte qui répond au besoin de garantir l'avenir de nos retraites.

Mme Danielle Bidard-Reydet et M. Gilbert Chabroux. Ce sera à refaire !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Nous éprouvons une grande satisfaction à voir enfin traiter un dossier sur lequel on a utilisé tous les moyens de différer la solution qui pourtant s'imposait.

Parlementaire qui n'en est pas tout à fait à ses débuts et qui pourrait faire sienne la maxime de La Rochefoucauld : « on ne devrait s'étonner que de pouvoir encore s'étonner », j'éprouve néanmoins, dois-je vous le dire, messieurs les ministres, un certain étonnement.

C'était en effet un exploit, messieurs les ministres, d'arriver à traiter un problème aussi difficile et, on l'a dit, vous avez usé de pédagogie, de conviction, de volonté ; vous avez tenu la barre !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous avez fait des mécontents !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Dans un pays où les contradictions, les oppositions, les conflits se nouent si facilement, c'était évidemment difficile, et je tiens à saluer cet exploit. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Je ne reviendrai pas sur les constats qui ont été abondamment faits, notamment sur ce que vous avez qualifié, monsieur le ministre des affaires sociales, de « basculement démographique ». Notre pays connaîtra en effet une sorte d'affaissement, pour employer un terme qui relève plus de la géologie, absolument extraordinaire et sans précédent, dont il faut évidemment tenir compte.

Je rappellerai simplement quelques données chiffrées. Selon les projections disponibles, une personne sur trois aura plus de soixante ans en 2040 contre une personne sur cinq aujourd'hui, si bien que le pourcentage de personnes âgées de plus de soixante ans par rapport aux personnes âgées de vingt à cinquante-neuf ans, à savoir les actifs, passera de 39 % en 2000 à 54 % en 2010 et à 73 % - c'est tout de même faramineux ! - en 2040.

Nous devons nous féliciter vivement d'avoir enfin un gouvernement qui regarde plus loin que le bout de sa chaussure, (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste)...

M. Alain Gournac. Eh oui !

M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. ... qui vise des horizons concernant l'avenir du pays, l'avenir de nos enfants et de nos petits-enfants.

Il est toujours plus facile de traiter les problèmes au moment où ils se posent, et même parfois de tenter de ne pas les traiter ; il est toujours plus difficile de répondre aux problèmes de l'avenir. Or, c'est ce que vous essayez de faire, messieurs les ministres. De surcroît, vous l'avez dit, il faut ajouter à l'affaissement démographique l'allongement de la vie, qui bouleverse les données de l'équation que vous avez à résoudre.

M. Roland Muzeau. C'est un progrès !

M. Hilaire Flandre. Ce n'est pas gratuit !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. La perspective d'un tel bouleversement méritait donc une réforme d'envergure. Mes chers collègues, je l'affirme, l'année 2003 pourra dorénavant être considérée comme une année charnière, cruciale, celle du sauvetage de notre système de retraite.

Je veux rappeler les grands principes fondateurs de la réforme. Je saluerai d'abord votre méthodologie du changement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Elle a été appliquée - mais oui ! - et elle a parfois suscité une certaine incompréhension, ou plutôt devrais-je invoquer une espèce de cécité !

M. Roland Muzeau. On est quelques millions !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. La discussion, la concertation et l'action, notamment dans la direction que l'on s'est fixée,...

M. Claude Domeizel. Et dans la rue ?

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. ... illustrent une véritable méthode politique du changement. Elle a été appliquée, au sens le plus noble du terme, dans la préparation et la présentation de cette réforme sur les retraites.

Vous avez réaffirmé le choix de la répartition, messieurs les ministres, je n'y reviens pas. La répartition est en outre consubstantielle au principe de solidarité.

Le Gouvernement a eu constamment à l'esprit le choix de la solidarité nationale lorsqu'il a élaboré cette réforme des retraites. Il a ainsi posé le principe selon lequel chacun devra travailler un peu plus longtemps pour assurer à tous un haut niveau de retraite ou un niveau de retraite sauvegardé afin d'aboutir, à terme, à une stabilisation du rapport entre le temps de travail et le temps de retraite. Il est vrai que ce choix participe aussi de la valorisation du travail dans notre pays, qui en a bien besoin, disons-le.

Le Gouvernement a également respecté le principe de solidarité en rappelant que, de toute évidence, certains salariés soumis à des conditions de travail pénibles devront faire l'objet d'une attention particulière, mais également en annonçant une réelle mobilisation nationale en faveur des travailleurs âgés, en garantissant pour les travailleurs les plus modestes l'objectif d'une retraite minimale fixée à 85 % du SMIC en 2008, et en prenant en compte la situation des personnes qui élèvent des personnes handicapées ou qui s'occupent d'elles.

Bien sûr, pour sauver notre système de retraite, il faut consentir certains efforts, et le présent projet de loi ne les occulte pas.

L'apport majeur de ce projet de loi réside, on le sait, dans le début d'harmonisation et de convergence entre le secteur public et le secteur privé. Il replace en quelque sorte le secteur public au coeur du dispositif de notre système de retraite.

J'évoquerai à présent brièvement la fonction publique. La réforme, qui était particulièrement nécessaire, me semble acceptable.

Rappelons quelques chiffres : le besoin supplémentaire de financement des régimes de la fonction publique aurait atteint 28 milliards d'euros en 2003, soit 1,3 % du PIB, à législation inchangée. L'élément central de la réforme est l'allongement de la durée de cotisation de 37,5 ans à 40 ans, puis, comme pour le régime général, à 41 ans en 2012 et, probablement, à 42 ans en 2020.

Ces étapes sont évidemment un aspect essentiel du projet de loi, car elles permettront de relancer la négociation et d'observer l'évolution de données qui ne manqueront évidemment pas de varier.

L'allongement de la durée de cotisation s'accompagne d'un renforcement de la pénalisation subie pour les annuités manquantes ; c'est la fameuse décote. Nous savons tous, parce que nous l'avons constaté dans nos départements, messieurs les ministres, que les questions sont nombreuses sur ce point. Mais comment ne pas rappeler au Sénat - et ce n'est pas M. le président de la commission des finances qui me démentira - que le rapporteur de la commission des finances avait affirmé que nous ne nous en sortirions pas sans l'institution d'une décote ?

La décote, telle que vous la prévoyez, est extrêmement progressive puisqu'elle ne prendra son plein effet, monsieur le ministre de la fonction publique, qu'en 2020. En outre, pour apprécier la décote, il faut tenir compte de l'esprit même de la réforme en ce qui concerne les fins de carrière : l'allongement qui est annoncé aujourd'hui, et qui sera recherché avec persévérance, devrait en effet permettre de réduire, pour chaque individu, les effets de cette décote.

Les mesures envisagées ont été étudiées afin de recueillir une approbation aussi large que possible. D'abord, le niveau des pensions pour une carrière complète est maintenu ; ensuite, l'application de la réforme doit s'effectuer avec une grande progressivité, en particulier s'agissant de la décote, qui ne sera pleinement effective qu'en 2020 ; enfin, ces mesures établissent une nouvelle équité vis-à-vis des autres régimes.

Je tiens à mentionner la création d'un régime complémentaire assis sur les primes, qui comble l'une des principales lacunes du système actuel applicable aux fonctionnaires. Je veux souligner aussi que la revalorisation des pensions sera modernisée - ou plutôt stabilisée - par le recours à une indexation sur les prix. Cette indexation incontestable permettra d'échapper à tous les aléas et évitera les pertes de pouvoir d'achat.

L'effet combiné de l'ensemble des mesures phares de la réforme - décote, surcote, indexation des pensions sur les prix - devrait réduire de 13 milliards d'euros le besoin de financement des régimes de la fonction publique en 2020.

Toutefois, messieurs les ministres, je souhaiterais connaître l'échéancier et le partage entre la fonction publique d'Etat et la CNRACL, dont dépendent les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. En effet, nous ne disposons pas à ce jour d'une telle évaluation et j'espère que le débat comblera cette lacune.

Je rappelle, comme vous l'avez indiqué tout à l'heure, que la réforme aura pour effet de ramener de 28 à 15 milliards d'euros le besoin supplémentaire de financement des régimes de la fonction publique. Alors, faut-il considérer que le verre est à moitié vide ou à moitié plein ? Je ferai quelques remarques à ce sujet.

Premièrement, ne nous fions pas aux apparences ! Il est évident que l'on ne peut pas faire de politique sans tenir compte de la faisabilité et de l'acceptabilité des mesures que l'on propose. Il faut aussi tenir compte du fait, comme vous l'avez dit tout à l'heure, messieurs les ministres, que le financement restant à combler sera recherché notamment par une participation supplémentaire de l'employeur public que l'on n'évitera sans doute pas. A cet égard, je salue le volontarisme du Gouvernement et sa volonté de travailler dans cette direction.

S'agissant du régime général, je veux souligner quelques points dont il faut saluer le caractère social. Je retiens notamment la possibilité offerte aux personnes ayant commencé à travailler très jeunes de partir à la retraite avant l'âge de soixante ans en bénéficiant du taux plein, ainsi que l'amélioration de la situation des conjoints survivants.

Je salue également l'instauration d'une nouvelle surcote et la baisse annoncée de la décote pour le régime général.

Il faut encore ajouter à cette liste les mesures de nature réglementaire que le Gouvernement a annoncées et qui viendront sans doute améliorer la situation despluripensionnés.

Ces mesures de justice auront un coût qui ne doit pas être sous-estimé et qu'il faudra assumer. A court terme, ce coût sera important tandis que les économies induites par les mesures annoncées n'augmenteront que progressivement.

Ainsi, le solde net des mesures de réforme pour le régime général en 2005 est négatif à hauteur de 980 millions d'euros. C'est grâce à la hausse des cotisations vieillesse de 0,2 point à compter du 1er janvier 2006 - qui représente 750 millions d'euros de recettes supplémentaires pour le régime en 2008 - que le solde net des mesures annoncées sera positif à cette date de 270 millions d'euros.

Au total, les mesures annoncées devraient permettre de réduire le besoin de financement du régime général, qui passerait de 15 milliards d'euros à environ 9,8 milliards d'euros à l'horizon 2020.

Je voudrais saluer encore les réformes annoncées et attendues pour les régimes des non-salariés que mon collègue M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales, a évoquées. Je dirai simplement qu'elles sont pour nous extrêmement importantes.

Je conclurai par les dispositions relatives à l'épargne retraite. Alors que l'on constate aujourd'hui de fortes inégalités dans l'accès à l'épargne retraite, le présent projet de loi consacre un droit à l'épargne retraite ouvert à tous. Entendons-nous bien, mes chers collègues : cette épargne retraite doit conforter et compléter les régimes de retraite par répartition et non pas se substituer à eux !

Quelle est la situation actuelle ? Les dispositifs d'épargne retraite ne sont ouverts qu'à certaines catégories d'actifs : seuls 12 % d'entre eux avaient ainsi recours à un produit d'épargne retraite en 2000. Toutefois, pour certaines catégories professionnelles, ce recours peut atteindre 43 %. Sans entrer dans le détail des propositions, je me contenterai d'indiquer que deux dispositifs sont dorénavant ouverts : le plan d'épargne individuel pour la retraite et le plan partenarial d'épargne salariale volontaire pour la retraite, conclu dans le cadre d'un accord collectif.

Le projet de loi transmis par l'Assemblée nationale complète et clarifie les dispositifs d'épargne retraite nouveaux et existants concernant la déductibilité des cotisations des salariés du revenu net imposable et l'exonération de cotisations sociales des abondements de l'employeur. La clarification est réelle, dans la mesure où ces plafonds distinguent les régimes facultatifs de ceux qui sont légalement obligatoires et la prévoyance de l'épargne retraite proprement dite.

Le Sénat ne peut que souscrire à cette démarche. Je voudrais rappeler brièvement les diverses initiatives qui ont été prises par la commission des finances pour développer l'épargne retraite ; je citerai ainsi les initiatives de notre président Jean Arthuis, cosignataire d'une proposition de loi avec Charles Descours, celles de Philippe Marini et, enfin, les amendements du Sénat à la loi du 19 février 2001 relative à l'épargne salariale, qui visaient à créer des plans de retraite et qui n'ont pas été repris dans la loi promulgée.

Pour conclure, messieurs les ministres, sachez que nous sommes parfaitement conscients qu'il s'agit d'un texte essentiel, nécessaire et capital. En tant que rapporteur pour avis, je tiens à vous assurer du soutien de la commission des finances qui retrouve, dans le projet de loi que vous nous proposez, bon nombre des analyses, des propositions et des souhaits qu'elle a fréquemment exprimés. Nous en prenons acte et nous le saluons.

Je voudrais enfin vous assurer, messieurs les ministres, que chacun d'entre nous, du moins chacun de ceux qui appartiennent à la majorité de cette assemblée, ici et sur le terrain, s'emploieront à faire comprendre la nécessité et le bien-fondé de la réforme que vous nous proposez. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons entendu les exposés très complets des ministres et des rapporteurs. Après ces deux heures de présentation et d'analyse, pour ne pas retarder davantage le moment où les groupes politiques pourront s'exprimer, impatient que je suis d'entendre leurs réactions et leurs analyses,...

M. Gilbert Chabroux. Vous ne serez pas déçu !

Mme Hélène Luc. Vous faites don de votre intervention !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ... je n'interviendrai, si vous m'y autorisez, monsieur le président, qu'à l'issue de la discussion générale, ce qui me permettra non seulement de faire part de mes dernières réactions, mais aussi, éventuellement, de réagir aux propositions de nos collègues. (Sourires et exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Henri de Raincourt. Très habile !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, chacun ici a conscience du caractère historique de la modification de notre système de retraite, soumise aujourd'hui à notre délibération.

Cette réforme courageuse, que le précédent gouvernement, alors qu'il en avait le temps et les moyens financiers, n'a pas osé entreprendre, il revient aujourd'hui au Gouvernement conduit par M. Jean-Pierre Raffarin de la mettre en oeuvre avec détermination. Le Gouvernement sait qu'il peut compter sur notre plein et entier soutien afin de donner une impulsion nouvelle à un chantier essentiel pour l'avenir de notre pays, et donc pour celui de nos enfants.

Sans en détailler le contenu, ce qu'ont fait excellemment nos deux rapporteurs, MM. Dominique Leclerc et Adrien Gouteyron, dont je veux saluer les analyses particulièrement éclairantes, je souhaite, au début de ce débat, insister sur le caractère emblématique que représente pour notre pays cette refondation durable et sereine du pacte social.

Elle constitue bien évidemment le moyen de préserver l'un des acquis essentiels de notre système de protection sociale et requiert, à ce titre, l'adhésion de la nation entière, comme le ministre des affaires sociales nous l'a rappelé.

Elle est aussi l'une des manifestations de cette volonté de réformer l'Etat et son mode de fonctionnement, comme l'atteste la présence de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, ainsi que son engagement constant aux côtés de M. François Fillon.

En réformant les régimes de la fonction publique, ce projet de loi renforce la solidarité générationnelle et implique une méthodologie renouvelée : il fixe un cadre, des objectifs et invite à la négociation, tout en préconisant plus de transparence dans les finances publiques, plus de « traçabilité » dans les flux financiers de pension dont le poids se révèle chaque jour plus lourd.

En mettant de la lumière dans chaque pièce de la « maison des finances publiques », ce texte contribue à mettre fin à l'obscurité qui, trop souvent, nuit à nos débats, en réduit l'horizon et les perspectives.

Ce texte contribue à faire vivre la lettre, mais également l'esprit de la loi organique du 1er août 2001 relative aux finances publiques. Le texte que nous avions alors adopté à l'unanimité, vous vous en souvenez, avait, en effet, deux mots d'ordre clefs : responsabilité et transparence. A ce titre, il prévoyait, notamment, la création d'un compte des pensions de l'Etat destiné à en préciser le mode de financement, dont la réforme ici proposée va grandement faciliter la mise en place, ce dont je me félicite tout particulièrement. Néanmoins, c'est dans le cadre des prochaines lois de finances que nous bouclerons l'exercice. La loi organique prescrit en effet sans ambiguïté que c'est la loi de finances qui doit régler ces questions. Dans ces conditions, nous serons conduits à revoir l'une des dispositions dont nos collègues députés ont cru devoir prendre l'initiative.

Cette réforme constitue également un élément clef de notre crédibilité en Europe. Confronté à une situation économique difficile, à la montée des aléas budgétaires et au creusement des déficits publics, le gouvernement français fait ainsi la preuve de sa détermination à respecter pleinement ses engagements européens et de sa volonté de réformer en profondeur notre pays afin de l'aider à retrouver les marges de manoeuvre dont nous évoquions la nécessité, voilà quelques jours, à l'occasion du débat d'orientation budgétaire.

Cette réforme est en effet une vraie réforme structurelle, une réforme de fond. C'est la première menée en ce sens depuis bien des années. A ce titre, comme toute réforme structurelle, elle « coûtera » dans un premier temps et son horizon est bien le moyen terme, voire le long terme. Elle n'en est que d'autant plus nécessaire et courageuse. C'est le mérite de votre Gouvernement, messieurs les ministres, que de renoncer, contrairement au précédent, aux mesures d'affichage immédiat, à ce qui est supposé politiquement payant tout de suite avant les prochaines élections, aux actions virtuelles et aux gesticulations.

La voix de la France sera plus crédible, mieux écoutée par nos partenaires. Ainsi, notre monnaie unique, l'euro, ne pourra qu'y gagner en crédibilité, et par là même en efficacité. Nos partenaires européens et la Commission européenne ne s'y sont pas trompés, allant même jusqu'à féliciter personnellement, à l'image de M. Tony Blair, le Premier ministre pour sa détermination et son courage. Vous avez renoncé aux solutions faciles, telle l'augmentation des cotisations, mesure destructrice de compétitivité, destructrice de croissance et d'emploi. C'est votre mérite, messieurs les ministres, soyez-en remerciés.

Mes chers collègues, en apportant notre soutien à cette réforme trop souvent différée, nous renforcerons la place et la crédibilité de notre pays en Europe, nous accroîtrons la transparence de nos finances publiques - celles de la sécurité sociale et celles de l'Etat. Nous réaffirmerons solennellement le prima du politique, fondé sur une éthique de la conviction et sur une éthique de la responsabilité.

Nous rappellerons également que les principes à la base de notre République sont aussi ceux qui ont fondé et vont continuer de fonder notre système de retraites - j'ai nommé la solidarité, l'équité et la justice.

J'ai bien saisi votre message, messieurs les ministres : vous entendez valoriser le travail et l'esprit d'entreprise. Pour faire de la croissance, oui, il faut travailler plus. C'est le prix que l'on doit payer si l'on veut distribuer plus. Ces principes sont ceux que nous voulons pour nos enfants, pour notre pays, afin de conforter durablement sa place en Europe. C'est pour cela que nous entendons assumer pleinement nos responsabilités face à l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 168 minutes ;

Groupe socialiste, 89 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 35 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 32 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 26 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il était urgent de procéder à une réforme du financement des retraites. Aussi le groupe de l'Union centriste tient-il à féliciter le Gouvernement et à saluer le courage qu'il a manifesté en s'attaquant dès maintenant à ce problème.

L'accroissement du déséquilibre démographique et l'amélioration considérable de l'espérance de vie nous contraignent à une telle réforme depuis de nombreuses années. Pourtant, en dix ans, au cours desquels le pouvoir fut partagé entre la gauche et la droite, seule la droite, par deux fois, a eu la volonté et le courage politiques d'engager cette réforme, hier avec Edouard Balladur, aujourd'hui avec Jean-Pierre Raffarin et avec vous, messieurs les ministres.

M. Michel Dreyfus-Schmidt et M. Roland Muzeau. Et Juppé !

Mme Hélène Luc. Vous oubliez Juppé !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Votre projet, messieurs les ministres, est méritoire et va à l'essentiel. En effet, contrairement à ce que certains prétendent, il préserve et sauve le système de retraite par répartition, auquel nous sommes très attachés car il assure la solidarité entre les générations et, progressivement, l'équité entre le public et le privé. C'est ce que n'ont d'ailleurs pas manqué de souligner les grandes figures de la gauche que sont Jacques Delors, Michel Rocard, Bernard Kouchner et notre collègue Michel Charasse en appelant les socialistes à soutenir la démarche.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ils ont bien fait !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Mais le groupe de l'Union centriste constate néanmoins que la réforme, telle qu'elle se présente, risque de ne pas être financée. Nous posons donc la question au Gouvernement : comment pensez-vous financer les régimes de base si l'hypothèse d'un taux de chômage de 4,5 % n'est pas atteinte ?

M. Gilbert Chabroux. Eh oui, ce n'est pas simple !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Pourrez-vous éviter de recourir à une baisse du taux de cotisations entre 2006 et 2020 ?

La préférence de l'UDF allait à un système par points, plus souple et permettant d'éviter cet écueil parce qu'il associait la durée et le taux de cotisations.

Mais soit ! Nous discutons aujourd'hui de votre projet. Le groupe de l'Union centriste se contentera donc de défendre des amendements afin d'améliorer ce texte sans en toucher l'architecture générale, qui nous agrée.

Ces amendements porteront notamment sur la retraite des petits salaires et sur celle des mères de famille. C'est une oeuvre de justice, car ces dernières ont contribué deux fois au financement de nos retraites : une première fois en cotisant et une seconde fois en élevant, hier, des enfants qui sont les actifs d'aujourd'hui.

De plus, ces amendements porteront sur l'équité entre le public et le privé, notamment pour les enseignants, et sur la pénibilité de certains métiers. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, d'avoir accepté le principe d'un accord interprofessionnel avant les négociations par branche.

Monsieur le ministre, vous vous réjouissez du succès de votre projet de loi, et vous avez raison. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Henri de Raincourt. Absolument !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Vous l'avez fait adopter à l'Assemblée nationale ; je ne prends pas de risque en disant que vous allez le faire adopter au Sénat, aisément...

Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est à voir !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. ... et avec notre soutien. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. Quel scoop !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Mais nous attendons néanmoins, monsieur le ministre, que vous preniez en considération nos demandes. Celles-ci restent mesurées, mais elles doivent apporter des apaisements à nos compatriotes qui sont inquiets du changement. Face à la déferlante d'idées fausses,...

Mme Danielle Bidard-Reydet. Pourquoi sont-elles fausses ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. ... qui ont pollué le débat, des Français de bonne foi sont déboussolés.

M. Henri de Raincourt. C'est vrai !

M. Roland Muzeau. On va les entendre !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Certains leaders, syndicalistes ou politiques, ont, il est vrai, pris les Français pour des sots, ou alors leur manque de culture économique est abyssal, ce qui d'ailleurs ne laisse pas d'inquiéter pour les débats à venir !

Monsieur le ministre, face à un tel enjeu pour notre société, le Gouvernement a-t-il apporté toute l'attention qu'il fallait à la préparation du débat ? (Exclamations sur les mêmes travées.)

M. Henri de Raincourt. Oui !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. L'information des Français était-elle suffisante ? (Non ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Nous avons parfois eu le sentiment que la concertation entre les syndicats et les ministres se déroulait en vase clos (Mme Danielle Bidard-Reydet s'exclame) et tournait au colloque pour initiés.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tiens, tiens !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Notre groupe de l'Union centriste ainsi que l'UDF auraient préféré que la négociation fût précédée d'une vaste campagne sur la réforme des retraites, avec, pour conclure, l'organisation d'un référendum. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Marie-Claude Beaudeau. Comme pour la Corse ?

MM. Gérard Delfau et Michel Dreyfus-Schmidt. Chiche !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Mais, aujourd'hui, il est peut-être préférable de ne point en parler ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

On aurait pu organiser un référendum sur l'égalité entre le privé et le public et sur le choix à faire entre l'augmentation de la durée de cotisation ou l'augmentation du taux de cotisation.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Chiche !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. En fait, un problème de méthode se pose : comment réformer la France ? (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

A notre avis, monsieur le ministre, il faut commencer par poser le problème aux Français, à l'opinion publique. Certes, vous avez tenu bon face aux manifestations qui se sont déroulées dans la rue, et vous avez eu raison.

M. Henri de Raincourt. Absolument !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ce n'est pas à la rue de faire la loi, c'est au Parlement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

Mme Hélène Luc. Dans un premier temps, mais on verra plus tard !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Nous avons à inventer une méthode et une stratégie pour que la réforme soit perçue non pas comme celle d'un clan contre un autre, mais comme l'expression de l'intérêt général.

Monsieur le ministre, en ce qui concerne les retraites, nous nous interrogeons légitimement pour savoir comment s'est déroulée cette phase de concertation. Vous avez abordé ce point tout à l'heure. J'aimerais que vous le développiez un peu plus.

Certains syndicats attendaient une négociation en bonne et due forme avec, pour conclusion, la signature d'un protocole.

M. Gilbert Chabroux. Il n'y a rien eu !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Il faut bien l'avouer : cette procédure fut tronquée. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Cela fait le jeu des extrêmes et conduit à un affaiblissement du mouvement syndical, déjà guère brillant. Et en tant qu'ancien responsable syndical, c'est avec tristesse que je m'exprime sur ce point.

Messieurs les ministres, vos noms seront d'ici à quelques jours accolés à une réforme qui laisse une certaine amertume chez des Français soucieux, comme vous, de moderniser la France.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Certes, votre réforme est méritoire. Elle a notre soutien. Mais elle n'est pas terminée.

Mme Danielle Bidard-Reydet. Oh non !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ce n'est seulement qu'un premier pas. Et derrière celle-ci, d'autres se profilent, comme celle de la sécurité sociale.

Si l'on veut éviter un accident regrettable, messieurs les ministres, il faudra, à l'avenir, trouver le moyen de faire les réformes avec tous les Français. (Exclamations sur les travées du groupe CRC. - Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, par les échanges virulents qu'elle suscite, par l'ampleur indéniable de la mobilisation citoyenne dans la rue ces dernières semaines, et tout simplement parce qu'elle touche à l'un des piliers de notre République, la réforme des retraites constitue aujourd'hui l'un des enjeux les plus fondamentaux pour la France de demain.

Vous le savez, messieurs les ministres, l'heure n'est plus à la polémique quant à l'opportunité ou non d'une réforme. La sitation parle en effet d'elle-même : le vieillissement de la population et l'allongement de l'espérance de vie rendent nécessaire une refonte du système actuel, et celle-ci doit bien avoir lieu. C'est cette idée que mes amis radicaux de gauche et moi-même défendons depuis longtemps déjà.

Permettez-moi, mes chers collègues, de débuter mon propos en rappelant ce à quoi je suis particulièrement attaché, comme d'ailleurs un grand nombre d'entre nous.

Le système de retraite par répartition est au coeur du pacte intergénérationnel républicain et doit le rester. Il témoigne d'une solidarité et d'une cohésion nationale indispensable au bon fonctionnement de notre pays.

Les points suivants sont à mes yeux essentiels.

Personne ne peut contester que la retraite et son fonctionnement par répartition sont un patrimoine acquis tant par les salariés que par ceux qui ne le sont pas. Parfois, c'est d'ailleurs le seul patrimoine de certains.

Comme le prévoyait la charte du Conseil national de la Résistance en 1945, et comme l'a récemment rappelé M. le Premier ministre, la retraite devrait permettre aux citoyens de finir dignement leurs jours. Cette idée de dignité doit évidemment être porteuse de sens et constituer le moteur de notre réflexion.

Par ailleurs, le sort des retraités dépendant en premier lieu du niveau de revenu national, il me semble important d'assurer une progression durable de celui-ci, globalement ainsi qu'individuellement.

De même, le changement de rapport entre actifs et retraités en faveur de ces derniers dépend d'une politique de la famille qui, nous le savons, n'a d'effets qu'à long terme.

La politique d'immigration menée par votre Gouvernement devra donc être revue et corrigée, afin de compenser l'effet du papy boom auquel nous sommes aujourd'hui directement confrontés.

M. Gérard Delfau. C'est vrai !

M. Yvon Collin. Dans votre projet de loi, vous devriez non seulement le rappeler, mais aussi faire part des actions à mener en ce sens. Or, messieurs les ministres, vous n'en soufflez mot.

Enfin, l'amélioration de la productivité, l'effort de formation et d'éducation, ainsi qu'une politique de l'emploi forte et stable sont autant de facteurs concomitants à toute réforme du système des retraites.

Mes chers collègues, le dialogue et le respect des opinions de chacun sont le fondement de toute démocratie. Et le débat parlementaire sur la réforme des retraites ne doit en aucun cas déroger à cette règle élémentaire. Les radicaux de gauche tiennent ainsi, par mon entremise, à souligner les quelques éléments positifs de ce projet de loi, qui répondent d'ailleurs à certaines de nos suggestions.

Vous rappelez votre attachement à la répartition, confirmée comme pilier majeur des régimes de retraite, même si la voie est ouverte à des systèmes, à mon sens, « surcomplémentaires ». Encore faut-il que les salariés en aient réellement le contrôle. De même, la retraite à 60 ans n'est, semble-t-il, pas remise en cause. Il reste que votre texte n'apporte pas de garantie précise en la matière. La recherche de convergence entre les différents régimes, ainsi que la mise en place d'un système de « veille », vont aussi dans le sens de nos propositions.

Mais, en tout état de cause, messieurs les ministres, vous devrez prévoir une réforme de votre réforme, car ce texte souffre de certaines lacunes.

Tout d'abord, il me semble fondamental d'augmenter d'une autre manière le financement des retraites, c'est-à-dire par la création d'une contribution sociale sur la valeur ajoutée des entreprises et du capital.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Yvon Collin. Profitons aussi de cette occasion pour remettre à plat les financements sociaux, intégrer au budget de l'Etat les allocations familiales et augmenter de façon concertée les cotisations patronales sur les retraites, le tout pouvant, bien évidemment, se faire progressivement.

Ensuite, pourquoi ne pas demander en urgence au Conseil économique et social et au Conseil d'orientation des retraites de proposer au Gouvernement et à la représentation nationale des modes de financement prenant en compte l'allongement des durées de formation et le phénomène de pluriactivité ? Que dire également de la question des personnes qui se trouvent en fin de carrière dans cette fameuse tranche d'âge des plus de cinquante-cinq ans ?

Enfin, mes chers collègues, les radicaux de gauche pensent qu'il serait juste non seulement de fixer le taux de remplacement à 100 % du SMIC, mais aussi de préciser une garantie moyenne de pension égale à 75 % des périodes de meilleurs revenus.

Dans la même logique, il nous faut impérativement tenir compte de la pénibilité des travaux, tous secteurs confondus, donc de l'inégalité de fait face à l'espérance de vie selon la catégorie de personnes considérée.

Il nous faut ainsi mettre fin ensemble, de manière raisonnée, à une exception française, malheureuse celle-là : la non-réforme du système des retraites. Pourquoi d'ailleurs ne pas nous inspirer des différentes solutions choisies par nos partenaires européens ? Je pense ici plus particulièrement à l'exemple de la Suède, dont la réforme engagée en 1999 rend possible le maintien d'une pension minimale généreuse et la stabilisation durable du taux de cotisation.

Mais, avant tout, plaçons l'exigence de justice sociale au coeur de nos débats devant la Haute Assemblée, afin que la France de demain ne fasse pas les frais d'une réforme incomplète, qui effraie et qui, visiblement, ne profitera pas à tous. Messieurs les ministres, je souhaite que l'examen de votre projet de loi par le Sénat permette d'amender un texte parcellaire que les radicaux de gauche et moi-même ne pouvons soutenir en l'état. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.

M. Claude Domeizel. J'avais envie de commencer mon intervention en vous attribuant un bon point, messieurs les ministres.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Allez-y !

M. Henri de Raincourt. Il ne faut pas vous gêner !

M. Claude Domeizel. Finalement, je vais le faire.

M. Hilaire Flandre. Réflexe d'enseignant !

M. Claude Domeizel. C'est en effet l'enseignant qui réapparaît !

Je vous avais questionnés à deux reprises sur la méthode et sur les délais pour mener à bien cette réforme.

Sur le calendrier - et c'est là le bon point - vous avez respecté les délais. C'est peut-être bien là où le bât blesse. En effet, si vous avez tenu parole sur ces délais, vous n'avez pas vraiment utilisé la méthode de large concertation que vous aviez annoncée. Pour tout dire, l'inverse eût été préférable.

En démocratie, les progrès sociaux sont souvent le produit d'un compromis à partir de rapports de force. C'est encore plus vrai pour débattre d'une réforme fondamentale sur la pérennisation d'un système de solidarité sociale. Mais votre méthode ne va pas dans ce sens, messieurs les ministres, et c'est bien dommage.

Je ne vais pas revenir sur le pourquoi de la nécessité de cette réforme : le rapport actif/retraité, l'allongement de la durée de vie, tout cela a été bien compris. Bon nombre de nos concitoyens ont vite saisi, calculette à la main, à quelle sauce ils allaient être mangés.

Je citerai un exemple, parmi tant d'autres : une femme, fonctionnaire territoriale, née en 1948, donc dans une tranche d'âge charnière, deux enfants nés avant son activité salariée à 29 ans ; ses enfants ne compteront pas pour la bonification. Finalement, c'est une situation très classique chez nos agents de catégorie C. Cet agent percevra 15 % en moins de retraite et le taux de remplacement passera de 66 % à 54 %.

Prenons le cas de son collègue masculin : même âge, deux enfants, même grade, recruté sept ans plus tôt. Dans le cadre de votre projet de loi, messieurs les ministres, il devra attendre 62 ans pour recevoir une retraite identique à celle qu'il aurait perçue à 60 ans avec le système actuel.

Par ces deux exemples, tout est dit ! Les femmes, déjà pénalisées du fait de leur carrière - moins 12 % - le seront encore plus selon votre texte puisqu'elles percevront 15 % de moins. Plus généralement, pour les hommes comme pour les femmes, il s'agit de travailler plus pour gagner moins.

Je rappelle que seulement 39 % de femmes ont validé une carrière complète, contre 82 % d'hommes. Alors, ne chargeons pas plus la barque !

D'ailleurs, ce n'est pas par hasard si la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes n'a pas adopté le rapport présenté le 3 juillet dernier par notre collègue Marcel-Pierre Cléach. Il devait démontrer que la réforme était favorable aux femmes. Il n'y est pas parvenu ! Il faut dire que la cause était indéfendable. (M. Henri de Raincourt rit.)

J'en profite pour saluer l'effort d'imagination déployé par notre collègue pour tenter de nous persuader.

M. le Premier ministre a l'audace de déclarer : « Avec cette nouvelle loi, le temps partiel et les ruptures de travail, dus notamment à l'éducation des enfants, seront mieux pris en compte dans le calcul des retraites. »

Dans la fonction publique, finie, ou presque, la bonification pour enfants nés avant 2004. Pour ceux qui seront nés après 2004, la bonification est supprimée et elle est remplacée par une prétendue validation des interruptions d'activité. Combien de parents vont remplir ces conditions ? Si peu...

Avez-vous mesuré les conséquences de cette nouveauté pour les parents des trente dernières années, où le congé parental n'était réservé qu'au troisième enfant...

M. François Fillon, ministre. Ils ne sont pas concernés !

M. Claude Domeizel. ... ou pour les femmes qui ont eu leur premier enfant avant de travailler ? Et elles sont très nombreuses ! Elles n'auront plus aucune bonification.

C'est une tromperie, car un arrêt d'activité, c'est une perte de salaire. Comment feront les mères de famille monoparentale pour s'arrêter de travailler ?

Et dire que vous appelez cela une « modernisation des avantages familiaux de retraite » !

Le texte est dénommé « projet de loi portant réforme des retraites ». S'agit-il vraiment d'une réforme ?

Les centaines de milliers de Français qui ont défilé dans la rue ont compris que ce que vous proposez ne résoudra pas le problème de fond des retraites ; j'y reviendrai.

J'ai souvent dit à cette tribune, avec mes collègues socialistes, que, sur un sujet aussi sensible, il fallait avant tout rassurer,...

M. Hilaire Flandre. Et ne rien faire !

M. Claude Domeizel. ... persuader que la répartition a bien fonctionné,...

M. Henri de Raincourt. C'est vrai !

M. Claude Domeizel. ... qu'elle fonctionne bien,...

M. Henri de Raincourt. C'est vrai !

M. Claude Domeizel. ... et qu'elle peut encore fonctionner pendant longtemps...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela s'appelle la méthode Coué !

M. Hilaire Flandre. Tout le monde est d'accord là-dessus !

M. Claude Domeizel. ... si l'on se dote des moyens politiques nécessaires.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh bien voilà !

M. Claude Domeizel. Mais encore faut-il en avoir la volonté et ne pas se laisser charmer par les arguments du MEDEF. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. Il y avait longtemps !

M. Claude Domeizel. Or, plutôt que de les rassurer, vous avez affolé les travailleurs. Votre campagne de communication, aux frais du contribuable, que vous espériez profitable à votre projet, a d'ailleurs eu un effet boomerang que vous n'attendiez pas.

M. Gilbert Chabroux. Comme en Corse !

M. Claude Domeizel. En revanche, votre grande réussite, c'est d'avoir créé le trouble chez les Français qui se disent prêts à changer leurs habitudes d'épargne personnelle pour préparer cette échéance. Voilà, nous y sommes : plus la répartition s'affaiblit, plus on incite à la capitalisation, ce qui va inéluctablement creuser l'écart entre les classes sociales.

M. Hilaire Flandre. N'essayez pas de nous faire peur !

M. Claude Domeizel. Vous avez beau marteler votre attachement à la retraite par répartition, nous ne pouvons vous croire.

Vous tentez le passage en force, et avec quelle méthode ! Après avoir divisé le public et le privé, puis les syndicats en tablant sur un accord non majoritaire - l'importance du sujet eût mérité mieux -, vous bâillonnez vos propres troupes à l'Assemblée nationale pour accélérer le débat. Les députés UMP y ont été étonnamment muets. J'espère que les sénateurs de la majorité apporteront leur contribution à la discussion.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Encore faudrait-il qu'ils soient là !

M. Claude Estier. Ils sont déjà absents !

M. Claude Domeizel. Le point sur lequel nous sommes tous d'accord, c'est la nécessité de réformer nos régimes de retraite. Nous, socialistes, en sommes conscients. Mais il n'y a pas l'urgence que vous clamez à chaque discours.

Oui, il faut se donner du temps. Et le gouvernement de Lionel Jospin a eu raison de ne pas se précipiter sur un dossier extrêmement délicat. (Rires sur les travées de l'UMP.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il a eu tort, car il a quand même perdu !

M. Claude Domeizel. Car la retraite est un droit fondamental auquel nos concitoyens sont profondément attachés.

Le gouvernement Jospin a eu raison de créer le Conseil d'orientation des retraites, instance indispensable et gage d'une vision pérenne.

M. François Fillon, ministre. C'est vrai !

M. Claude Domeizel. Je suis heureux, monsieur le ministre, que vous m'approuviez !

Et l'exercice est d'autant plus délicat que, pour réussir une telle réforme, il faut à la fois regarder devant pour préparer 2040, la retraite de nos enfants et de nos petits-enfants, et regarder derrière pour s'appuyer sur un passé à la fois riche et lourd.

Ceux qui nous ont précédés à la Libération ont construit un édifice colossal, mais qui n'était pas exempt de faiblesses, que nous devons gérer aujourd'hui. J'en citerai deux qui me paraissent essentielles.

La première faiblesse est d'avoir abandonné l'idée d'un régime de base universel. A l'époque, le débat a eu lieu. Il fut âpre et passionné. Il y avait, d'un côté, ceux qui, depuis des lustres, avaient pris l'habitude de préparer leurs vieux jours par une capitalisation individuelle et qui ne voulaient pas mêler leur avenir au monde des travailleurs et, de l'autre, ceux qui tenaient jalousement à leur régime parce qu'ils le croyaient infaillible - je pense notamment aux mineurs -, d'où cette multiplicité des régimes que nous connaissons aujourd'hui.

Dans les années soixante, la fragilité du système est vite apparue. Cela a contraint le législateur de 1975, pour venir en aide aux régimes en difficulté, à inventer un système complexe de solidarité entre régimes, la compensation, qui n'est en fait qu'une fiction d'un régime de base universel.

C'est d'ailleurs un aspect fondamental de la question que vous abordez timidement dans votre projet de loi. Mais il est vrai que cela demande du temps, de la réflexion et une bonne dose de concertation, ce dont vous êtes incapables.

M. Jean Chérioux. C'est la meilleure !

M. Claude Domeizel. La deuxième faiblesse de 1945 est que rien n'a été prévu pour provisionner nos régimes et, ainsi, se doter de l'un des piliers indispensables pour un système par répartition ; je veux parler des réserves. Il aura fallu attendre 2000 pour que soit créé un fonds de réserve des retraites. Dans cet hémicycle, j'ai entendu la droite dénigrer cette avancée du gouvernement Jospin.

M. Henri de Raincourt. Il l'avait utilisé pour autre chose !

M. Claude Domeizel. Si je me suis livré à ce bref rappel de l'histoire des retraites, c'est pour rappeler que les décennies de pratiques nous marquent profondément, c'est pour souligner qu'il faut du temps et de la distance pour manoeuvrer un tel paquebot,...

M. Hilaire Flandre. Et un peu de courage !

M. Jean Chérioux. Et de la bonne foi !

M. Claude Domeizel. ... et c'est pour montrer l'importance d'une véritable concertation et d'une information complète et permanente, dont vous avez une conception surprenante : la lettre du Premier ministre, propagande partisane aux frais du contribuable, en est l'un des exemples.

Sur ce point, permettez-moi, messieurs les ministres, de formuler une observation. Contrairement à vos affirmations, la réforme concerne bel et bien les régimes spéciaux : les fonctionnaires en font partie. Et lorsqu'on parle de revoir la surcompensation, on fait également allusion aux mineurs, aux marins, à la RATP, à la SNCF, à EDF-GDF, etc.

Votre texte n'aborde pas de front les questions majeures telles que le lien entre la retraite et la période d'activité, la retraite et la politique de la famille, la solidarité entre régimes, et traite mal, très mal, le problème central du financement.

Vous ne choisissez qu'un paramètre, l'allongement de la durée de cotisation, et qu'une seule variable d'ajustement, la baisse des pensions.

Ce projet de loi est injuste envers les femmes, injuste envers l'ensemble des salariés, car il fait reposer presque tout l'effort - 90 % - sur les salariés.

Votre texte ne prévoit rien, ou si peu, sur la solidarité entre régimes, rien, ou si peu, sur les dispositifs complexes et coûteux de validations entre régimes.

Vous perdez de vue le fait que la retraite est une étape de la vie professionnelle et que l'imbrication entre la retraite et l'emploi est si forte que l'un et l'autre s'influencent réciproquement.

Il ne faut pas sortir d'une grande école pour comprendre que, si l'on favorise exagérément le maintien en activité des plus anciens, on ferme la porte de l'emploi aux plus jeunes ! (M. le président de la commission des affaires sociales s'exclame.)

M. François Fillon, ministre. C'est stupide !

M. Jean Chérioux. Il faut revoir votre copie !

M. Claude Domeizel. C'est le principe des vases communicants : après avoir supprimé les emplois jeunes, vous êtes en train de créer les « emplois vieux ».

Je prendrai un exemple concret, monsieur le ministre : dans une importante administration (Rires sur les travées de l'UMP), l'effet conjugué de toutes ces mesures ferait rester en poste les trois quarts de ses cadres et chercheurs ; seuls deux cents postes, contre actuellement huit cents, pourront être offerts à des jeunes sortant de l'université.

Evoquons un moment la question des quarante annuités étendues aux fonctionnaires. Vous le savez, les socialistes n'admettront pas que l'on aille au-delà de quarante annuités. Par ailleurs, le financement ne peut pas se limiter à cette seule mesure. Mes collègues du groupe socialiste aborderont ce sujet ultérieurement.

Enfin, pour avoir une bonne lisibilité, il faut aussi traiter du problème des carrières longues de ceux qui ont commencé à travailler jeunes et qui ont atteint les quarante annuités avant l'âge de soixante ans.

Lorsqu'on y regarde de près, se dégage la certitude que cette mesure, si elle reste en l'état, sera difficilement applicable, car elle contrevient au principe d'égalité. Cela motivera, de notre part, un recours devant le Conseil constitutionnel.

Dans la fonction publique d'Etat, la pension est une rémunération. Changer les règles de calcul pour tout élément constitutif de la pension et pour toute période antérieure à la loi revient à porter atteinte à l'égalité entre tributaires. C'est aussi vrai pour les avantages familiaux que pour le taux à appliquer aux années validées.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !

M. Claude Domeizel. Je développerai ce point lors de mon intervention sur la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Effort partagé, dites-vous, mais, dans votre projet de loi, le financement des retraites est partagé entre les salariés... et les salariés, à côté d'autres mesures comme l'allègement de charges pour les entreprises, la baisse des impôts, les petits arrangements avec l'ISF.

En matière de financement, votre seul objectif est finalement de limiter les déficits publics, ce au détriment des salariés et des édifices sociaux comme la sécurité sociale ou les mutuelles.

Par parenthèse, tout cela augure mal de la réforme de la branche maladie.

Vous dites que ce projet de loi « tend à donner aux futurs retraités davantage de liberté et de souplesse, afin qu'ils puissent construire en toute connaissance de cause leur propre retraite ».

Mais seront-ils correctement informés ?

Il faudra que nous revenions sur ce problème de l'information et j'y insisterai, car nombreux seront ceux qui, faute d'avoir vu « partir le coup », rencontreront des difficultés pour savoir à quelle sauce ils seront mangés. Ce qui est certain, c'est que, pour eux, le 1er janvier 2004, le couperet tombera !

Au chapitre des « trompe-l'oeil », il faut ajouter les fameuses validations des années d'études. On peut se demander qui pourra prétendre à de telles validations, si ce n'est ceux qui en auront les moyens financiers et ceux qui auront la chance d'accéder à un emploi au lendemain de l'obtention d'un diplôme. Comme mesure sélective et inégalitaire, on ne trouve pas mieux !

Comme vous pouvez l'imaginer, nous voterons contre cette loi parce qu'elle a été imposée sans véritable négociation, parce qu'elle est injuste et incohérente, parce qu'elle remet en cause la retraite à soixante ans, parce qu'elle pénalise les femmes, parce qu'elle porte un mauvais coup à la politique de la famille,...

M. Hilaire Flandre. Parce qu'elle s'attaque aux privilèges ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Claude Domeizel. ... parce qu'elle affaiblit la répartition, parce qu'elle incite ceux qui en auront les moyens à recourir à l'épargne individuelle. Notre ferme opposition ne nous empêchera pas d'intervenir dans le débat, non pas pour limiter les dégâts,...

M. Gilbert Chabroux. C'est impossible !

M. Claude Domeizel. ... la tâche serait immense, mais pour mettre en exergue les dérives principales que consacre ce projet de loi.

Messieurs les ministres, l'histoire des retraites dans notre pays est riche d'événements positifs : la naissance de la sécurité sociale, en 1945 ; l'instauration de la solidarité entre régimes, en 1975 ; la retraite à soixante ans, en 1982. Loin de penser que votre projet marquera un grand moment de l'histoire des retraites, je crois plutôt qu'il restera comme un mauvais coup porté à notre édifice social.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je comprends qu'il faut trouver l'équilibre et que, d'ici à 2040, nous avons le choix entre reculer l'âge de la retraite de dix ans, augmenter le taux de 60 %, baisser les pensions de 50 %.

Je comprends aussi qu'il est coûteux d'accorder la retraite avant l'âge de soixante ans à ceux qui ont atteint les quarante annuités.

Mais les financiers et les économistes, de qui parlent-ils ?

Ils parlent du maçon qui travaille en plein soleil à tous les vents, de l'enseignant qui est confronté tous les jours à sa classe sans disposer d'une minute de repos, de l'infirmière qui assure un travail pénible physiquement et psychologiquement, du marin qui affronte tous les temps. Et je pourrais continuer ainsi mon énumération...

M. Serge Lagauche. Ils ne connaissent pas cela, à droite ! (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Claude Domeizel. Chers collègues de la majorité, croyez-vous qu'en 1936, en se laissant entraîner dans de telles considérations économiques, on aurait créé les congés payés, qu'en 1980 on aurait ramené l'âge de la retraite à 60 ans ? Bien sûr que non !

Certes, nous ne sommes plus au temps de Zola ! Mais vous êtes-vous demandé pourquoi la perspective de travailler plus longtemps est si angoissante pour les salariés ? Pour aborder sainement la réforme des retraites, il faut reparler du travail, de ce que travailler veut dire, de la réalité de la vie laborieuse, de la précarité de l'emploi, de sa valeur émancipatrice, aussi.

Le sociologue Christian Baudelot a dit : « Evacuer la question du travail du débat sur les retraites est une absurdité. Cela ne peut pas marcher. »

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. C'est vrai !

M. Claude Domeizel. « Si la pénibilité du travail ne date pas d'aujourd'hui, poursuit-il, elle est devenue plus mentale, plus violente, y compris dans les professions intellectuelles. »

Voilà, en quelques mots, un beau résumé de la situation qu'il aurait fallu poser en postulat.

M. Jean Chérioux. Résumé tout ce qu'il y a de plus objectif !

M. Claude Domeizel. « Le métier le plus pénible est celui que l'on doit faire toute sa vie », me disait récemment une jeune infirmière. Judicieuse affirmation qui nous amène à repenser la mobilité, la formation continue, en un mot, la gestion de la carrière et de l'emploi.

Voilà ce que je tenais à dire au début de cette discussion générale, sachant que mes collègues ne manqueront pas de compléter mon propos.

Nous avons l'intention de consacrer au débat le temps que nous jugerons nécessaire dans l'intérêt de nos concitoyens et, plus généralement, dans l'intérêt du monde du travail et de la démocratie. (Appaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Messieurs les ministres, après avoir été discuté à l'Assemblée nationale durant quatre semaines, votre projet de réforme des retraites arrive au Sénat.

Et de nouveau, à l'instar de ce que vous avez fait à nos collègues de l'Assemblée nationale, vous escomptez le passage en force ! Vous avez ajouté vingt-deux articles et modifié de façon substantielle l'ensemble du texte initial. Mais vous nous avez refusé le temps de l'étude approfondie de ce nouveau texte.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !

M. François Fillon, ministre. Quatre semaines, tout de même !

Mme Michelle Demessine. Non, messieurs les ministres, le Parlement n'est pas la chambre d'enregistrement des projets du Gouvernement. Il est l'expression de la représentation nationale. A cet égard, je suis particulièrement atterrée de voir les travées de votre majorité aussi clairsemées à l'ouverture d'un débat si important ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC.)

M. Jean Chérioux. Pour entendre ce qu'on entend, il faut avoir le coeur bien accroché !

Mme Michelle Demessine. Je constate !

M. Jean Chérioux. Vous verrez après-demain !

M. André Vantomme. Monsieur Chérioux, arrêtez de critiquer !

Mme Michelle Demessine. Pourquoi en effet vouloir traiter ce dossier en urgence, alors qu'il concerne directement tous nos concitoyens, leur vie quotidienne, leur avenir, celui de leurs enfants ou de leurs petits-enfants, quels que soient leurs origines sociales, leurs statuts professionnels, leur âge, leurs revenus et leurs convictions ? Pourquoi user des forceps sur un dossier dont l'enjeu est indissociable des valeurs, des principes qui ont construit l'identité sociale de la France et qui permirent l'essor de son économie et l'épanouissement de son peuple ?

Faut-il y voir la pression du patronat et, plus particulièrement, celle du MEDEF,...

M. Henri de Raincourt. Cela commence !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est le poumon !

Mme Michelle Demessine. ... qui aspire à récupérer le pactole financier que représentent les fonds de la sécurité sociale ? Doit-on y voir les pressions exercées par Bruxelles,...

M. Henri de Raincourt. Ah !

Mme Michelle Demessine. ... qui psalmodie à l'envi l'application sans discussion des dogmes ultralibéraux du pacte de stabilité d'Amsterdam ?

M. Gilbert Chabroux. Très bien !

M. Bernard Murat. Nous, nous voyons ici la main de la CGT !

Mme Michelle Demessine. Vous n'avez donné aucune raison valable. Alors, ce temps d'étude, nous le prendrons et, avec mes collègues, nous nous efforcerons de faire en sorte que le débat ait lieu ici, au Sénat, parce qu'il y a un besoin réel de débat autour de votre projet de réforme des retraites.

Certes, aux frais du contribuable, vous avez communiquez - beaucoup communiqué -,...

M. Henri de Raincourt. Comme vous l'avez fait dans le gouvernement auquel vous apparteniez !

M. Hilaire Flandre. Ils ne s'en souviennent plus !

Mme Michelle Demessine. ... utilisant tous les outils du marketing pour tenter de nous vendre la valeur de vos arguments et la nécessité de la réforme que vous proposez.

Ne vous en déplaise, messieurs les ministres, vous n'avez convaincu personne, personne sinon vous-mêmes et votre majorité.

M. Hilaire Flandre. C'est déjà pas mal !

M. Roland Muzeau. 49,02 % !

M. Henri de Raincourt. Cela fait plus que vous quand même !

Mme Michelle Demessine. Car, une chose est certaine, jamais vous n'avez dit la vérité aux Françaises et aux Français, et vous continuez !

Oui, messieurs les ministres, vous présentez votre réforme comme la condition ultime du « sauvetage de notre système de répartition », comme « la condition de conservation du coeur de notre cohésion sociale », mais elle est tout le contraire.

Le projet de réforme des retraites que vous voulez imposer à nos concitoyens est un véritable cancer social ! Il va défigurer la France dans les prochaines décennies !

Vous prétendez que votre réforme est juste et équitable parce qu'elle restaure l'équilibre des situations entre le public et le privé ? C'est faux !

Messieurs les ministres, vous avez la mémoire sélective. Vous avez tendance à oublier un peu vite les raisons essentielles qui ont construit les décalages tout au long de ces dix dernières années.

A commencer par l'indexation des pensions sur le niveau des prix, décidée par votre majorité en 1986 et par la réforme de M. Balladur de 1993, lui aussi, malgré tout, de votre majorité. Ces deux réformes ont eu un effet dramatique sur la situation des salariés et des retraités du secteur privé.

M. François Fillon, ministre. Tellement dramatique que vous avez laissé en place ces mesures !

M. Henri de Raincourt. Pourquoi ne les avez-vous pas remises en cause ?

Mme Michelle Demessine. En faisant passer, pour le secteur privé, la période de référence de dix ans à vingt-cinq ans pour le calcul des annuités et en portant la durée de cotisation de trente-sept ans et demi à quarante ans, vous avez définitivement installé le déséquilibre entre le secteur privé et le secteur public.

M. François Fillon, ministre. Vous pouviez changer tout cela !

Mme Michelle Demessine. C'est vous et votre majorité qui avez installé les déséquilibres entre les deux secteurs d'activité de la nation. C'est vous, et personne d'autre, qui avez installé l'iniquité entre le public et le privé en écrasant les salariés du secteur privé sous la contrainte. Et vous voudriez aujourd'hui écraser les fonctionnaires, traditionnels boucs émissaires de vos politiques sociales, sous le même joug que leurs collègues du privé au nom de l'équité et de l'égalité ?

Vous voulez restaurer l'équité ? La chose est facile : abrogez les réformes qui l'ont mise à bas !

M. Hilaire Flandre. Et renvoyez les gens sans pensions !

Mme Michelle Demessine. Vous prétendez que votre réforme maintiendra le départ en retraite à soixante ans. C'est également faux !

Même sans changement dans les modes de calcul, et sans l'allongement de la durée de cotisation, le droit à une retraite pleine et entière à soixante ans est déjà un leurre pour les jeunes générations, du public comme du privé.

L'explication est simple. En commençant à travailler en moyenne dans le secteur public à vingt-six ans, et en ne cotisant que trente-sept ans et demi, alors que vous lui en promettez quarante-deux et que le patronat en réclame quarante-cinq, un jeune fonctionnaire ne pourra faire valoir ses droits à la retraite qu'à soixante-trois ans et demi au plus tôt

M. Jacques Oudin. Et alors ?

Mme Michelle Demessine. C'est une évidence, avec votre projet de loi, vous décrétez la fin du droit à la retraite à soixante ans !

Vous prétendez que l'allongement de la durée de cotisation des actifs permettra de répondre à l'arrivée massive des retraités à l'horizon 2020. Rien n'est plus faux !

Cette option ne prend pas en compte la réalité de l'emploi et du marché du travail.

La réalité du marché du travail, c'est qu'aujourd'hui un actif sur trois seulement parvient à l'âge de départ à la retraite en activité. Et ce décalage est encore plus prononcé pour les salariés du secteur privé, puisqu'ils ne sont plus qu'un sur deux à parvenir à cette échéance dans les conditions définies pour bénéficier d'une retraite à taux plein.

La réalité, c'est aussi que les salariés cessent en moyenne d'être en activité vers cinquante-sept ans et demi, parce que les entreprises pratiquent une politique d'emploi discriminatoire à l'encontre des quinquagénaires.

La réalité, c'est encore que les jeunes actifs entrent plus tardivement dans le monde du travail en raison de l'allongement de la durée d'étude et de formation initiale. Un simple calcul démontre que les jeunes débutant une activité salariée après vingt-trois ans ne pourront, même avec la meilleure volonté du monde, acquérir les quarante-deux annuités de cotisations sociales que vous imposez avant l'âge limite de soixante-cinq ans.

Vous prétendez revaloriser le niveau minimum des pensions et le conserver à un bon taux en déclarant qu'aucune pension ne passera sous le seuil plancher de 85 % du SMIC net. Là encore, c'est faux !

Cette augmentation que vous ne mettrez effectivement en oeuvre qu'à l'horizon de l'année 2008 n'est, pour partie, que le résultat de l'effet mécanique de l'augmentation de la durée de cotisation imposée par vous aux salariés. (M. François Fillon, ministre, fait des signes de dénégation.)

Par ailleurs, la pérennisation de l'indexation des pensions sur l'évolution des prix va entériner la perte du pouvoir d'achat des retraités.

Ces dispositions, à l'oeuvre depuis 1993, ont laminé le pouvoir d'achat des pensions, au premier rang desquelles les plus modestes.

Ce que vous donnerez aux petits retraités leur sera immédiatement retiré par les effets négatifs qu'induiront les autres mesures de votre projet de loi. Cette revalorisation-là est également un leurre. Vous affectionnez les trompe-l'oeil, monsieur le ministre !

Vous prétendez que l'ouverture à la capitalisation est la clé qui nous permettra de compléter le niveau des pensions. Une fois de plus, c'est faux !

L'argument pourrait être séduisant s'il n'était, à plus d'un titre, incohérent.

En effet, la capitalisation n'est rien de plus, et vous le savez, qu'un prélèvement sur la masse salariale destiné à l'épargne. Quel changement dans le mécanisme y a-t-il avec la cotisation sociale ? Aucun. En vertu de quoi ce qui serait impossible avec la cotisation sociale deviendrait possible avec la capitalisation ? C'est un vrai mystère !

Par ailleurs, là où la cotisation sociale assurait la mutualisation du risque, le recours à la capitalisation s'appuie sur l'individualisation du risque financier. Les exemples sont légion qui illustrent les conséquences de cette prise de risque. D'Enron à Worldcom, les salariés font les frais de cette financiarisation du système de retraite. C'est ainsi qu'en Grande-Bretagne un retraité sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté, et qu'il n'est pas rare d'observer des « papys » de soixante-dix ans obligés d'occuper n'importe quel « petit boulot » pour compléter leur retraite minimale et survivre !

M. Yves Coquelle. C'est l'objectif de ce gouvernement !

M. Jean Chérioux. Comment est-ce, en Corée du Nord ?

Mme Michelle Demessine. Enfin, selon de récentes études, loin de constituer le nouveau matelas financier de sécurité, les fonds de pension d'entreprises constitueraient un danger comptable. L'arrivée massive des salariés à l'âge de la retraite et la dégradation des marchés boursiers grèveraient les bilans d'entreprise. Conclusion : en Grande-Bretagne, pour récupérer les pertes potentielles, les fonds de pension ont modifié le mécanisme de prestation-cotisation de leur épargne retraite. Ils sont passés d'un système où, à un niveau de cotisation donné, correspond une prestation définie, à un système ou à une cotisation définie, correspond maintenant une prestation variable, ce qui change tout : la totalité des risques est ainsi reportée sur les salariés !

Certains experts le soulignent, le système de capitalisation ne peut atteindre les objectifs qui lui sont dévolus qu'en absorbant les immenses masses financières de la répartition. Et l'on voit là tous les dangers de « cannibalisation » du système de répartition.

Bien évidemment, monsieur le ministre, votre projet de loi n'est pas le premier acte de démantèlement - 1986, 1993, 1995 et 1996 furent des temps forts de la régression sociale - mais il apparaît comme le point d'orgue de toute la construction que vous avez patiemment élaborée avec votre majorité.

Avec ce projet, vous obligez les salariés à travailler plus longtemps qu'ils ne pourront le faire. Vous forcez les salariés d'aujourd'hui et les retraités de demain à assumer individuellement le coût financier de l'allongement de la vie. Vous condamnez, en le masquant, le principe de la répartition et de la solidarité intergénérationnelle, qui a fait ses preuves durant les cinquante dernières années. De cette manière, vous trahissez le message du 21 avril et vous annoncez l'explosion de la cohésion sociale : bel exploit !

M. Hilaire Flandre. N'importe quoi !

Mme Michelle Demessine. Pourtant, tous les acteurs des mouvements sociaux se sont prononcés en faveur d'une réforme de notre système de retraite. Tous se sont mis autour de la table, quand vous les y avez conviés. Tous ont cru à l'honnêteté de votre démarche, mais tous ont été trompés.

M. Jean Chérioux. C'est incroyable !

Mme Michelle Demessine. En effet, vous n'avez jamais voulu entendre les propositions alternatives qu'ils ont formulées, tout comme vous n'avez pas voulu entendre les propositions alternatives que nous vous avons exposées.

Personne ne le conteste, et surtout pas nous : le défi démographique à venir doit être relevé. L'impact, sur notre système par répartition, du doublement du nombre de retraités peut être lourd de conséquences si rien n'est entrepris d'ici à 2040. Les travaux du Conseil d'orientation des retraites montrent que le besoin de financement des pensions de retraite augmentera, selon les scenarii, de quatre ou six points à cette date, passant de 12 % du PIB aujourd'hui à 16 % ou 18 % en 2040.

Toutefois, inquiétante en apparence, la situation démographique n'est pas pour autant catastrophique. En effet, l'histoire nous enseigne que la part nouvelle du PIB qui doit être consacrée aux retraites n'est pas un problème insurmontable. De 1959 à 1990, la part des prestations vieillesse dans le PIB est passée de 5,9 % à 12,6 %, soit un accroissement de près de sept points, sans que le principe de la retraite par répartition ait été remis en cause pour autant. L'âge de départ en retraite a même diminué sur cette période !

Cette simple observation permet de repositionner le débat relatif aux retraites sur son socle principal : le problème de notre système de retraite par répartition réside non pas dans la hausse du nombre de retraités à venir, mais dans la faculté des actifs à contribuer au financement des pensions de retraite.

Cette faculté dépend à la fois du niveau et de la qualité des emplois, ainsi que du niveau des rémunérations soumises à cotisations sociales. Sur ce point, en revanche, la situation est véritablement préoccupante, si l'on en juge par la politique générale de précarisation de l'emploi menée par le Gouvernement.

D'autres solutions existent pourtant qui se distinguent du choix que vous faites : soutenues par nombre de nos concitoyens, vous ne pouvez ni les ignorer, ni les décrédibiliser.

M. Hilaire Flandre. Notre collègue veut nous donner des cours d'économie !

M. Jean Chérioux. Elle en prend plutôt !

Mme Michelle Demessine. Loin d'être irréalisables, ces solutions veulent prendre en compte l'évolution du mode de vie, des conditions de passage de la vie active à la retraite, de l'espérance de vie, des besoins et des aspirations des retraités ; elles expriment la reconnaissance des droits que tous ont acquis par leur contribution passée à la richesse nationale et par leur apport présent à la société ; elles sont indissociables de l'exigence d'une politique orientée vers la construction d'une nouvelle sécurité sociale, d'un système de sécurité d'emploi et de formation.

Ces solutions reposent sur deux fondements qui consistent, pour le premier, à rompre avec la régression du pouvoir d'achat des retraités, pour le second, à garantir le droit et les conditions effectives d'une retraite à taux plein à soixante ans.

La suppression en 1993, avec les mesures Balladur, de l'indexation des retraites du régime général sur les salaires et son remplacement par l'indexation sur les prix ont rompu le lien de solidarité intergénérationnelle qui est à la base même du système de répartition.

Loin d'être des nantis, les retraités figurent parmi les oubliés de la croissance. Il y a donc urgence à inverser la tendance et à déterminer des garanties quant au montant et à l'évolution des pensions de retraite qui permettent leur revalorisation effective et le rattrapage du pouvoir d'achat perdu. A cet égard, nous proposons notamment d'indexer les retraites sur l'évolution moyenne des salaires bruts et de garantir une retraite totale au moins égale à 75 % du salaire brut moyen des dix meilleures années de la carrière.

Mais nous formulons l'impératif social d'augmenter significativement les basses retraites. Face à l'absence de propositions qui caractérise votre projet, nous demandons que le minimum contributif, qui représentait 63 % du SMIC à sa création, revienne à cet étiage. Nous proposons en outre de modifier les règles de la réversion et d'en porter le taux à 60 %.

Je l'ai dit, les mesures Balladur ont entraîné une diminution importante du niveau des pensions de base, amplifiée encore par la mise en place d'une décote par trimestre manquant. Des pénalités du même ordre s'appliquent depuis 1996 aux retraites complémentaires, l'abattement pouvant atteindre jusqu'à 22 %.

Pour corriger ces mauvais effets, nous proposons d'abroger, bien sûr, les dispositions de 1993 et d'assurer le droit et la possibilité de partir à la retraite à taux plein à soixante ans avec 37,5 annuités. Les périodes non travaillées, telles que les études, les contrats d'insertion, la recherche d'un premier emploi, les périodes de chômage et les fins de droits doivent être validées. A cela, nous demandons d'ajouter la suppression de tout principe de décote.

Ces mesures, bien entendu, ont un coût. C'est un fait que nous assumons.

Cette augmentation du besoin de financement souligne avec force l'enjeu de la répartition de la richesse nationale produite par le travail, à condition, bien entendu, d'inverser la tendance de ces dernières années, durant lesquelles la part des salaires dans la valeur ajoutée s'est fortement dégradée, puisqu'elle est passée de 70 % à 60 % alors que la part du capital est passée, elle, de 30 % à 40 %.

Nous sommes à l'évidence devant un choix de société. Quelles orientations devons-nous retenir pour trouver une source de financement supplémentaire pour les pensions de retraite ? Qui doit prendre en charge ce besoin de financement, et comment ?

Nous pensons en effet que notre pays ne pourra assumer de véritable réforme de son système de retraite qu'en s'appuyant sur une réelle politique de l'emploi et des salaires.

Nous proposons également une refonte globale du financement de notre système de retraite par répartition et, plus généralement, de la sécurité sociale. Dans le cours du débat, je formulerai plus en détail les propositions que nous ferons.

Messieurs les ministres, votre projet de réforme s'oppose aux aspirations de nos concitoyens. Il n'est ni juste ni équitable. Nous vous demandons donc une nouvelle fois le retrait de votre projet et l'annonce de vraies négociations. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

(M. Christian Poncelet remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je pense que nous n'allons pas entendre exactement le même discours... (Sourires sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo. On s'en doutait !

M. Henri de Raincourt. ... et l'on peut d'ailleurs se poser la question de savoir si nous avons lu le même texte, mes chers collègues.

M. Gilbert Chabroux. Non, non !

M. Claude Estier. Nous ne l'avons pas lu de la même façon, en tout cas !

M. Henri de Raincourt. Néanmoins, je voudrais remercier nos collègues M. Domeizel et Mme Demessine de leur sollicitude.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah oui ! Merci !

M. Henri de Raincourt. L'un et l'autre se sont inquiétés de l'état de santé du groupe UMP.

M. Roger Karoutchi. Il va bien !

M. Henri de Raincourt. Je peux vous dire qu'il va bien,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Henri de Raincourt. ... et qu'il va même très bien. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Odette Terrade. Il n'est pas là !

M. Henri de Raincourt. Ne vous inquiétez pas, il va venir, et il sera là au bon moment...

M. Gilbert Chabroux. Au dernier moment !

M. Henri de Raincourt. ... pour opérer les bons choix.

Je peux même vous dire que, parmi les réformes engagées dans notre pays, nous, la droite, considérons que la première et la plus belle a été la création de l'UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. François Trucy. Très bien !

M. Roland Muzeau. C'est la seule qui ait réussi !

M. Henri de Raincourt. Car, si l'UMP n'avait pas existé, aurions-nous la force politique pour entraîner le pays derrière nous...

MM. Claude Estier et Roland Muzeau. En Corse !

M. Henri de Raincourt. ... sur la voie très étroite des réformes, voie d'autant plus étroite que, en la matière, les années passées n'ont pas été particulièrement généreuses ?

M. Roger Karoutchi. C'est sûr !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Cela ne va pas être la même chose !

M. Henri de Raincourt. Madame Demessine, lorsque je vous entendais parler de 1986, de 1993, entre autres, me revenait à l'esprit cette réalité lancinante qu'en vingt ans la gauche a été trois fois cinq ans au pouvoir,...

M. Roger Karoutchi. C'est vrai !

Mme Hélène Luc. Et avant ?

M. Henri de Raincourt. ... et nous, trois fois deux ans. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Hélène Luc. Et Juppé ?

Mme Nicole Borvo. Chaque fois que vous avez été là, on l'a senti passer !

M. Henri de Raincourt. Et si des choses doivent être faites, si, en particulier, il faut revenir sur les mesures arrêtées en 1993, vous aviez tout loisir, madame Demessine - d'autant plus que vous aviez l'honneur de siéger au Gouvernement -, d'imposer vos vues, me semble-t-il, si elles étaient justes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Mme Hélène Luc. Le plan Juppé, on l'a encore !

M. le président. Continuez, mon cher collègue ! Ne vous laissez pas interrompre !

M. Henri de Raincourt. Mais j'ai beaucoup de respect pour Mme Luc, monsieur le président !

« En agissant, on se trompe parfois... » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Hélène Luc. On peut se tromper souvent, aussi !

M. Henri de Raincourt. Attendez la suite, mes chers collègues !

« En n'agissant pas, on se trompe toujours » (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), disait Romain Rolland - voilà qui devrait vous plaire -, illustre écrivain mort à Vézelay, la colline éternelle et inspirée située dans le département de l'Yonne. (Sourires.)

M. Claude Domeizel. Voilà qui apporte au débat !

M. Henri de Raincourt. Oui, absolument, monsieur Domeizel, cela apporte énormément au débat, car cela signifie que quand on agit on se trompe parfois,...

Mme Marie-Claude Beaudeau. Il faut toujours agir !

M. Henri de Raincourt. ... mais que quand on n'agit pas on se trompe toujours. C'est d'ailleurs ce que nous vous reprochons.

Le retard accumulé dans le dossier des retraites ne vous a pas laissé ce choix, messieurs les ministres, et, pour vous, l'alternative était simple :...

Mme Marie-Claude Beaudeau. Ah oui !

M. Henri de Raincourt. ... l'urgence organisée ou la catastrophe annoncée. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Vous ne serez pas déçus, mes chers collègues. Attendez la suite !

Le Président de la République en avait fait une de ses priorités (M. Roland Muzeau s'exclame), et le Gouvernement a opté pour l'urgence maîtrisée en privilégiant - voilà qui ne va pas vous plaire - la réflexion sur la précipitation.

Les données du problème sont connues de tous, et plusieurs d'entre nous les ont rappelées. Les échéances calendaires sont inexorables.

Trois clés ouvrent les portes de la résolution du problème et, en réalité, font l'objet de discussions entre nous : le montant de la cotisation, la durée de la cotisation et le niveau de la prestation.

Mme Nicole Borvo. Oui !

M. Henri de Raincourt. Le groupe UMP approuve pleinement les dispositions contenues dans le projet de loi(Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)...

Mme Marie-Claude Beaudeau. Quelle surprise !

M. Henri de Raincourt. ... et, qui plus est, apprécie grandement la méthode utilisée pour son élaboration.

Mme Michelle Demessine. C'est une surprise !

M. Claude Estier. C'est un scoop !

M. Henri de Raincourt. Mieux vaut le préciser, il n'y a pas de secret entre nous !

Mme Nicole Borvo. Là, vous nous épatez !

M. Henri de Raincourt. J'en suis heureux, madame !

M. le président. Cessez d'interrompre l'orateur !

M. Henri de Raincourt. Mais j'aime bien être interrompu, monsieur le président ! Chacun a ses petits travers ! (Rires.)

Je voudrais donc, messieurs les ministres, vous en rendre hommage et, au-delà de vous-mêmes, saluer le courage, la ténacité et la « force tranquille » du Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste. - Admiration ironique sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Face à l'enjeu de cette réforme, il convenait d'abord de prendre le temps d'informer nos compatriotes et de prendre le temps du diagnostic. J'ai entendu tout à l'heure dire à plusieurs reprises que le Gouvernement avait financé des campagnes de communication.

M. Claude Domeizel. C'est vrai !

Mme Michelle Demessine. Mais oui !

M. Henri de Raincourt. Je trouve cela mesquin et misérable.

M. Claude Domeizel. Mais non, ce n'est pas mesquin ! Nous en reparlerons.

M. Henri de Raincourt. Le Gouvernement a agi comme tous ceux qui l'ont précédé.

Mme Michelle Demessine. En plus, il n'a pas convaincu. C'est vraiment du gâchis !

M. Henri de Raincourt. Il convenait encore de prendre le temps de la discussion et de la négociation avec les partenaires sociaux. Il convenait enfin de prendre le temps du choix démocratique, par le débat parlementaire, car, c'est vrai, il ne faut pas l'oublier, c'est le Parlement qui décide.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !

M. Henri de Raincourt. Le Gouvernement n'a brûlé aucune de ces étapes, nous l'apprécions.

La philosophie de cette réforme se caractérise par la réaffirmation de valeurs auxquelles nous sommes, les uns et les autres, attachés : la solidarité, l'équité et la liberté. Acceptons l'effort pour les défendre !

Boris Vian disait : ...

M. Claude Estier. A Vézelay ?

M. Henri de Raincourt. ... « On commence à avoir des malheurs quand on a cessé de ne penser qu'à soi. »

M. Claude Estier. De Romain Rolland à Boris Vian !

M. Henri de Raincourt. Je suis assez éclectique, je ne suis pas comme d'autres, assez bornés. (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Guy Fischer. Il nous fait le coup du mépris !

Mme Nicole Borvo. Des noms !

M. Henri de Raincourt. Vous sentez-vous visée ?

Fondé sur la solidarité, le régime par répartition a bien fonctionné jusqu'à présent ; il a permis d'augmenter le niveau de vie des retraités et de diviser par quatre le nombre d'allocataires du minimum vieillesse.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. 1981 !

M. Henri de Raincourt. Vous avez opportunément rappelé, monsieur le ministre, que le choix en faveur de la répartition était un choix politique, car celle-ci est un moyen de résistance à la désintégration du corps social.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Parce que la Bourse a dégringolé !

M. Henri de Raincourt. Nous défendons le principe d'équité, fondement de notre protection sociale. Retrouvons l'esprit de 1945 et mettons en place des droits et des devoirs équivalents pour tous !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Claude Domeizel. Et ce sont eux qui disent cela !

M. Henri de Raincourt. Il ne s'agit pas de dresser une catégorie de population contre une autre ou une génération contre une autre. Mais, si les Français sont égaux, il ne saurait y en avoir de plus égaux que les autres.

M. Roland Muzeau. Plagiat de Coluche !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. Jean-Marie Messier !

M. Henri de Raincourt. Nous voulons établir un équilibre qui répartisse équitablement entre tous l'effort nécessaire pour sauvegarder le régime auquel nous sommes attachés, et les Français ne comprendraient pas, ne vous en déplaise, si certains devaient cotiser deux années et demie de plus, à pénibilité de tâche comparable.

Mme Nicole Borvo. Visiblement, ils ne vous comprennent pas non plus !

M. Henri de Raincourt. Vous n'en savez rien !

La liberté, c'est de pouvoir préparer sa retraite. Les Français sont attachés à une meilleure connaissance de leurs droits exacts, afin de prendre les bonnes décisions.

Mme Nicole Borvo. Ils sont attachés à leur retraite, oui !

M. Henri de Raincourt. Enfin, je rappelle que la volonté exprimée dans ce projet de loi, contrairement à ce que j'ai entendu, est de maintenir un haut niveau de pension. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. Le pouvoir d'achat a baissé !

M. Henri de Raincourt. Personne ne peut honnêtement prétendre le contraire.

M. Jean Chérioux. Il faut être honnête !

M. Henri de Raincourt. Toutes ces valeurs qui sont icidéfendues sont déterminantes pour l'unité nationale. Avions-nous encore le choix entre le statu quo et l'action ? Non !

Mme Nicole Borvo. Non, pas entre le statu quo et l'action : entre deux, entre trois possibilités !

M. Henri de Raincourt. Nos systèmes de retraite sont aujourd'hui gravement menacés. Il suffit pour s'en convaincre, s'il en était besoin, de lire les excellents rapports de nos non moins excellents collègues, Dominique Leclerc et Adrien Gouteyron, à qui je veux rendre hommage, ainsi qu'aux présidents des commissions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo. Autosatisfaction !

M. Henri de Raincourt. Ces rapports, qui reprennent les différentes études incontestables et incontestées sur ce sujet, dressent un état des lieux inquiétant et constatent que l'équilibre financier de nos régimes est compromis.

Qui ignore encore que les retraités seront de plus en plus nombreux par rapport aux actifs et que la durée de pension sera de plus en plus longue par rapport à celle de la vie active ? Personne !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Et alors ?

M. Henri de Raincourt. Le défi est immense puisqu'il nous faudra trouver 43 milliards d'euros d'ici à 2020 et plus du double d'ici à 2040 !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Plus !

M. Henri de Raincourt. L'immobilisme conduirait donc mécaniquement à réduire de moitié le montant des pensions. La réalité est incontournable ; elle est même obsédante.

C'est bien l'absence de réforme et non la réforme qui conduirait à la remise en cause de la sécurité de notre système et à la diminution drastique des pensions. Les grands perdants seraient bien évidemment les salariés les plus modestes, ceux qui ne pourraient se permettre de compléter le montant de leur pension.

Pourtant, l'idée d'une durée de cotisation de 37,5 ans pour tout le monde est bien défendue - et je viens de l'entendre à l'instant - par ceux-là mêmes qui prétendent s'occuper, seuls, des plus fragiles. Ils prennent en réalité la responsabilité de jeter les bases d'un système parfaitement inégalitaire ! De 1998 à 2001, nous ne l'avons pas oublié, la croissance était là. Où sont donc les économies de précaution destinées à combler, le moment venu, les déficits des comptes sociaux, en prévision d'un retournement toujours possible de conjoncture et d'une évolution démographique connue de tous ? Une fois encore, nous avons vu s'opposer, durant cette période - mais pas dans le bon sens ! -, la cigale et la fourmi.

M. Claude Estier. Et le fonds de réserve ?

M. Henri de Raincourt. Je vais y venir, ne vous inquiétez pas !

C'est seulement au bout de quatre ans que le gouvernement de M. Jospin s'est décidé à évoquer la nécessité de la réforme. Il en est resté au discours.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Voilà !

M. Henri de Raincourt. Les volontés précaires se traduisent par des discours, les volontés fortes par des actes. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Henri de Raincourt. On en déduit que celles de l'époque étaient fragiles !

Quant au fonds de réserve des retraites, monsieur Estier, un fonds de lissage a été créé en 1999 mais n'a été mis en oeuvre qu'en 2002, par le gouvernement actuel.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien !

M. Henri de Raincourt. Ainsi, le peu de travail entrepris n'a pu être achevé. Il est vrai que les Français, entre-temps, vous avaient donné congé ! (Sourires.)

Pis, ce fonds n'a pas été abondé à hauteur des engagements pris. Enfin, cerise sur le gâteau - si j'ose dire -, le gouvernement précédent a ponctionné certaines de ses recettes parmi les plus dynamiques pour financer la mise en oeuvre imposée et funeste des 35 heures ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Car, quand on parle de dialogue social, on ne peut tout de même pas mettre en avant l'exemple des 35 heures !

M. Claude Estier. C'est vraiment votre obsession !

M. Henri de Raincourt. Oui, parce que c'est probablement l'une des fautes les plus graves qui aient été commises contre notre pays !

M. Claude Domeizel. Alors, supprimez les 35 heures ! Allez jusqu'au bout !

M. Henri de Raincourt. Je vous épargnerai la litanie des rapports qui se sont succédé depuis celui de M. Rocard en 1991. Mais vous me permettrez tout de même d'avoir une pensée émue pour celui qu'avait élaboré M. Robert Teulade.

M. Jean Chérioux. Ah !

M. Henri de Raincourt. Comment ne pas citer les propos de M. le Premier ministre, prononcés lors du discours sur les retraites le 21 mars 2000, soit plus de deux ans avant la fin de la législature ?

« Quant à l'allongement de la durée de cotisation, qui permettrait de réduire sensiblement le besoin de financement du régime, il garantirait les retraites des fonctionnaires sans accroître la charge pour la collectivité. Il s'agirait là, et cet élément est essentiel, d'une approche qui préserverait la vie des actifs comme celle des retraités [...]. Elle pourrait être analysée comme un rapprochement entre les situations des agents de la fonction publique et des salariés du privé. »

M. Claude Domeizel. Lisez la déclaration dans son intégralité !

M. Henri de Raincourt. Ne nous étonnons pas, dès lors, que de nombreuses personnalités socialistes n'aient pas renoncé à cette juste perception des choses !

Ainsi, M. Jacques Attali, cité dans une dépêche de l'AFP du mois de juin 2003, explique : « Oui, il faut soutenir la réforme des retraites. Je regrette qu'à partir de 1991 le gouvernement de Michel Rocard n'ait pas appliqué ce qu'il avait courageusement dessiné comme projet ; je regrette que le gouvernement Balladur ne soit pas allé plus loin » - excusez-moi, madame Demessine -, « je regrette que le gouvernement Jospin n'ait rien fait. Maintenant l'échéance est trop proche. Ce n'est pas possible de différer la réforme d'un point de vue financier, politique et démocratique. »

Mme Marie-Claude Beaudeau. Et alors ?

M. Gilbert Chabroux. Mauvaise copie !

M. Henri de Raincourt. De même, M. Delors, ancien ministre des finances, a déclaré sur RTL le 3 juin 2003 :...

M. Jean Chérioux. C'est courageux !

M. Henri de Raincourt. ... « La réforme des retraites est absolument incontournable, pour des raisons démographiques notamment. On n'a que trop tardé à la faire. »

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah !

M. Gilbert Chabroux. Pas celle-là !

M. Henri de Raincourt. Et M. Delors poursuivait : « Bien sûr, il y a plusieurs solutions possibles, mais celle qui consiste à augmenter les cotisations et à oublier le reste n'est pas tenable. »

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Excellent !

M. Henri de Raincourt. Enfin, troisième et dernière citation,...

M. Roland Muzeau. Vous allez continuer longtemps comme cela ?

M. Henri de Raincourt. ... M. Rocard, ancien Premier ministre, a affirmé le 29 mai 2003 : « Cette réforme est indispensable pour éviter la baisse des pensions, que personne ne souhaite. Dans les conditions actuelles, je ne vois pas comment aboutir à un texte moins douloureux. L'allongement de la durée de cotisation est justifié parce que, pour beaucoup de personnes, surtout les plus modestes, la baisse du taux des pensions serait intolérable et l'augmentation des taux de cotisation presque autant. »

M. Michel Dreyfus-Schmidt. On vous le donne, Rocard !

M. Henri de Raincourt. Mes chers collègues, ces déclarations nous confortent dans notre démarche et honorent leurs auteurs.

M. Jean Chérioux. Ils sont courageux, eux !

M. Henri de Raincourt. N'oublions pas cependant le projet communiste. Il a un grand mérite, celui d'exister. Il en a un autre, celui d'être inapplicable,...

M. Roland Muzeau. Laissez-nous faire : on l'appliquera !

M. Henri de Raincourt. ... car il contribuerait à alourdir considérablement la charge de nos régimes.

Mme Michelle Demessine. Pas sûr !

M. Henri de Raincourt. Cette réforme des retraites suscite des inquiétudes, souvent légitimes, mais nourries par la désinformation, la manipulation, voire la recherche de la déstabilisation de la démocratie.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien !

M. Roland Muzeau. Pourquoi pas la subversion ?

M. Henri de Raincourt. Absolument !

M. Roland Muzeau. Il faut rétablir les tribunaux d'exception !

M. Henri de Raincourt. Si chacun peut comprendre la logique globale de la réforme, il est toujours plus difficile d'en appréhender les conséquences au regard de sa situation personnelle et nous avons à l'évidence un devoir de pédagogie.

Nous devons dire à nos compatriotes que cette réforme sécurise et consolide durablement un système que nous voulons sauvegarder,...

M. Gilbert Chabroux. Détruire !

M. Henri de Raincourt. ... que des efforts doivent être accomplis par tous pour y parvenir, que le Gouvernement a déjà beaucoup travaillé dans ce sens, que des modifications substantielles ont été apportées au texte initial, en concertation avec certains partenaires sociaux.

M. Claude Domeizel. Pseudo !

M. Henri de Raincourt. Des pseudo-partenaires sociaux ? La CFDT, par exemple...

Pourtant, de nombreuses interprétations erronées et autres informations fallacieuses circulent depuis des semaines. Des vérités doivent donc être rétablies.

La réforme prévoit un ensemble de mesures cohérentes. Travailler un peu plus garantira le niveau de pension et, contrairement à ce que certains prétendent le droit à la retraite à soixante ans est réaffirmé.

M. Claude Domeizel. C'est faux !

M. Henri de Raincourt. La réforme n'aura pas pour effet une baisse des pensions puisque pour une carrière complète, mécaniquement, chaque génération de retraités est plus aisée que la précédente, du fait de l'augmentation des salaires.

Elle sera très progressive et ne prendra personne au dépourvu.

Elle ne fera peser une charge excessive ni sur les actifs, ni sur nos enfants. C'est un choix important, car même si certains se font une religion de la hausse des prélèvements obligatoires, chacun sait que toute hausse desdits prélèvements aurait pour effet une hausse du coût du travail, donc une baisse de la compétitivité de nos entreprises, donc un accroissement du chômage et une diminution des recettes, ce qui irait à l'encontre du but visé.

M. Claude Estier. Vous avez oublié Juppé !

M. Henri de Raincourt. La réforme permettra aussi, grâce à l'allongement proposé, de conserver en France le régime le plus favorable d'Europe.

M. Gilbert Chabroux. Ce n'est pas vrai !

M. Henri de Raincourt. Si !

Elle comporte, enfin et surtout, de nombreuses avancées significatives.

Premièrement, l'ouverture d'un droit à la retraite avant soixante ans à ceux qui ont eu des carrières longues : c'est une revendication ancienne à laquelle, à ma connaissance, les gouvernements précédents n'avaient pas répondu ; nous nous étions engagés à le faire et cet engagement est tenu.

Deuxièmement, une amélioration de plus de 9 % du minimum de retraite pour les plus modestes.

Troisièmement, un taux de remplacement qui passera de 80 % à 85 % en 2008...

M. Claude Domeizel. On ne rencontre pas les mêmes personnes !

M. Henri de Raincourt. ... pour les salariés ayant effectué toute leur carrière au SMIC. J'ajoute, monsieur Domeizel, que, sans réforme, ce taux tomberait à 60 % en 2020 !

Quatrièmement, l'amélioration de la situation des personnes qui ont cotisé à plusieurs régimes.

Cinquièmement, l'allégement de 10 % à 5 % de la décote par année manquante dans le régime général, ce qui donne un véritable choix pour le départ à la retraite.

Sixièmement, en corollaire, la mise en place d'un bonus de 3 % par an pour ceux qui souhaitent travailler plus longtemps.

L'énumération des progrès que permettra la loi est encore longue.

Un droit à l'épargne est ouvert pour tous : les Français auront désormais accès, soit à titre individuel, soit dans le cadre d'une entreprise, à des produits d'épargne dédiés à la retraite.

La prise en compte d'une partie des primes, réclamée depuis longtemps par les fonctionnaires, est acquise.

Les retraites des exploitants agricoles seront mensualisées. Cette mesure aussi était attendue depuis longtemps.

M. Claude Domeizel. C'est vrai...

M. Henri de Raincourt. Que ne l'avez-vous adoptée !

D'autres avancées significatives, dont nous aurons le loisir de débattre ici dans les jours qui viennent, sont encore proposées. Je pense en particulier aux mesures relatives à la situation des handicapés,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Henri de Raincourt. ... à la situation de ceux que l'on appelle les seniors, à la gestion des carrières dans la fonction publique, à la pénibilité des métiers, à la situation des femmes, ou encore à celle des enseignants du privé.

Certains n'ont pas hésité à remettre en cause la légitimité du Parlement à débattre de ce projet de loi, bousculant à l'occasion les valeurs républicaines qui nous unissent.

Ayons conscience, comme nous l'a rappelé très récemment M. le Premier ministre, que nous accomplissons une réforme de sécurité nationale qui va sauver nos retraites !

Nous avons pris la mesure du courage et de la détermination qu'il vous a fallu, messieurs les ministres, pour nous présenter cette réforme dont les Français ont besoin.

Nous l'accompagnerons jusqu'à son terme avec la force qui convient, conscients qu'il était plus que temps de passer des paroles et des rapports aux actes !

Jean-Pierre Raffarin déclarait récemment qu'il fallait en France remettre les idées à l'endroit.

M. Jean-Pierre Masseret. A droite !

M. Henri de Raincourt. Cette réforme y contribue : nous l'approuvons. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous informe que l'Assemblée nationale a voté conformes la loi organique portant réforme de la durée du mandat et de l'élection des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat et la loi portant réforme de l'élection des sénateurs.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Reste le Conseil constitutionnel !

M. Henri de Raincourt. Ne vous en faites pas, monsieur Dreyfus-Schmidt !

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après un débat long et parfois laborieux, mais aussi riche de l'expression de toutes les sensibilités politiques de l'Assemblée nationale, il revient à notre assemblée de se saisir du projet de loi portant réforme des retraites.

Ce texte marque, me semble-t-il, un moment important dans l'évolution de notre protection sociale. Il démontre que notre pays est aujourd'hui ouvert à la réforme. Il s'agit là, à n'en pas douter, de l'acquis le plus fondamental que nous allons collectivement retirer du débat des semaines écoulées, et j'espère que le Sénat, sa commission des affaires sociales et le groupe de l'Union centriste, auquel j'appartiens, pourront encore apporter à ce texte quelques améliorations sensibles.

Grâce à votre action conjuguée, messieurs les ministres, notre pays a désormais franchi une étape décisive. Ce qui était présenté comme une mission irréalisable, comme un obstacle qu'aucun gouvernement n'aurait le courage de franchir, s'est transformé en un projet, établi dans la concertation et le dialogue et enrichi par le débat parlementaire.

Si l'on doit aujourd'hui se réjouir d'une chose, c'est sans nul doute de la mise en oeuvre de la méthode de réforme choisie par le Gouvernement, méthode dont nous soutenons le principe. Une réforme ne peut pas être imposée ; elle doit, au contraire, être proposée à partir d'éléments objectifs, être expliquée, concertée puis négociée.

Nos compatriotes ont pris la mesure de l'impact de la situation démographique sur le financement de nos régimes de retraites par répartition, des conséquences de l'allongement de l'espérance de vie, des répercussions de la croissance et de l'emploi sur l'équilibre des régimes. Les salariés, dans leur grande majorité, ont admis la nécessité de cette réforme, même si les efforts à réaliser peuvent leur peser.

Si vous avez rendu la réforme possible, c'est aussi parce que vous l'avez pensée comme un processus évolutif et progressif. Ce processus permettra à toutes les catégories concernées de s'adapter au fil du temps à des modifications annoncées très en amont. En outre, cette réforme, par les rendez-vous qu'elle fixe à intervalles réguliers tous les cinq ans, autorisera les ajustements nécessaires, en fonction, notamment, de la situation économique et sociale. Cela aussi était particulièrement important du fait des choix que vous avez retenus aussi bien en matière d'allongement du temps de travail que de financement.

Parler en effet d'un éventuel allongement du temps de cotisation au-delà de quarante ans n'a aucun sens si le comportement des entreprises à l'égard des salariés de plus de cinquante ans n'évolue pas dans les cinq ans à venir.

M. Gérard Delfau. Très bien !

Mme Valérie Létard. C'est un défi considérable dans le contexte actuel. Je souhaite qu'il soit relevé avec succès et que les chefs d'entreprise prennent vraiment toute leur part à ce changement.

Faire reposer une partie du financement à venir sur un transfert de cotisation de l'assurance chômage à l'assurance vieillesse est certainement une hypothèse intéressante dans la situation démographique à venir. Mais, là encore, si la réalité ne se conforme pas exactement aux projections des experts, il sera impératif d'envisager des solutions alternatives.

Vous avez également rendu la réforme possible parce que vous avez été attentifs à la rendre équitable. Si l'on doit retenir un seul mot de l'ensemble des débats qui se sont tenus jusqu'à présent, c'est le mot « équité ». Cette réforme, qui demande à nos concitoyens encore bien des efforts pour l'avenir, n'est acceptable que parce qu'elle tend à rétablir un traitement équitable de tous les Français face à la retraite.

Le point le plus saillant est bien évidemment l'alignement des durées de cotisation des salariés du privé et des fonctionnaires, mais bien d'autres dispositions du texte vont dans ce sens : l'indexation de toutes les retraites sur les prix ; le rachat des années d'études ouvert à tous ; à terme, la même décote et la même surcote pour tous les régimes ; toutes les dispositions concernant les régimes des artisans, des commerçants, des professions libérales, des agriculteurs pour, peu à peu, les aligner sur un même droit commun ; la prise en compte de la pénibilité ; l'amélioration des retraites des pluripensionnés ; la création d'une épargne retraite individuelle sur le modèle de la PREFON ; l'amélioration de la situation des conjoints survivants.

Il faut reconnaître toutes les avancées importantes apportées par la réforme. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre groupe, qui soutient la démarche du Gouvernement sur ce dossier, votera le projet de loi.

Reconnaître les avancées positives contenues dans ce texte ne nous empêche pas de souhaiter que le débat au Sénat permette éventuellement d'aller encore un peu plus loin dans la recherche d'un système plus juste et plus équitable.

M. Yves Détraigne. Très bien !

Mme Valérie Létard. Je souhaite pour ma part qu'il soit encore possible d'améliorer le texte sur deux points qui me paraissent fondamentaux : les petites retraites et les familles.

Sur la question des plus basses retraites, je n'ignore pas, monsieur le ministre des affaires sociales, le progrès que représente l'article 4 du projet de loi : l'objectif est d'assurer en 2008, à travers les régimes légaux de base et les régimes complémentaires, un montant minimal de retraite égal à 85 % du salaire minimum de croissance net pour une carrière complète.

Cependant, pour avoir commencé ma carrière professionnelle en tant qu'assistante sociale et avoir côtoyé tant de personnes aux revenus faibles, je ne peux m'empêcher de penser que les personnes qui ont travaillé quarante ou quarante et un ou quarante-deux ans au SMIC mériteraient que leur retraite ne soit pas trop inférieure à un salaire minimum qui permet déjà difficilement de faire face à toutes les charges de la vie quotidienne.

C'est pourquoi Philippe Arnaud, Jean-Marie Vanlerenberghe et moi-même avons déposé un amendement tendant à fixer l'objectif prévu à l'article 4 à 90 % du SMIC net, rejoignant ainsi la proposition faite par l'UDF dans son projet sur les retraites. En outre, il faut être réaliste : ce que l'on ne donnera pas en revenus directs pour assurer une retraite décente, ce sont les départements, par l'intermédiaire de l'aide sociale, ou d'autres administrations, dans le cadre de leurs dispositifs d'action sociale, qui finiront par le financer.

S'agissant de la place des familles dans le projet de loi, j'aimerais rappeler, en exergue à mon propos, une phrase prononcée par M. le Premier ministre dans son discours introductif à l'Assemblée nationale le 10 juin dernier : « La politique familiale est devenue une politique de premier plan. » Qui ne souscrirait volontiers à une telle déclaration ?

Le choix de maintenir notre système de retraite fondé sur la répartition appelle à une attention renouvelée en matière d'équilibre démographique, mais se limiter à des raisonnements comptables dans ce domaine est un peu court. Il s'agit bien, à travers les dispositions du projet de loi, de rappeler que l'éducation d'un ou de plusieurs enfants représente, pour les parents qui l'assument, un réel engagement que notre société doit prendre en considération.

Même si l'on tient compte de l'évolution du rôle des « nouveaux pères », il faut aussi reconnaître que les changements de mentalités sont plus lents que les décisions juridictionnelles et que, dans la pratique, ce sont encore les femmes qui, dans la majorité des cas, assument la prise en charge des enfants. La nouveauté, par rapport aux femmes des générations précédentes, c'est que les jeunes femmes d'aujourd'hui souhaitent conserver leur activité professionnelle même lorsqu'elles ont des enfants, mais elles aspirent cependant à un arrêt d'activité au moment de la petite enfance. Notre société doit prendre en compte cette évolution et s'y adapter.

C'est dans cet esprit que notre groupe proposera un amendement qui tend à favoriser cette possibilité de choix : le parent de famille dite nombreuse qui choisit de consacrer du temps à ses enfants, sous forme de congé postnatal, de congé parental d'éducation ou de congé de présence parentale afin de s'occuper d'un enfant malade, verrait ce temps décompté dans le calcul des 25 meilleures années servant de référence pour établir le montant de sa pension.

Ce décompte se ferait dans la limite de trois années au maximum.

Cette disposition vise à aider en priorité les mères de famille d'au moins trois enfants, car les statistiques révèlent qu'elles ont beaucoup plus de difficultés à conserver une activité salariée. Par ailleurs, la durée de leur carrière est plus courte et elles ont été particulièrement pénalisées par les règles de calcul instaurées par la loi de 1993.

Notre groupe présentera également un amendement améliorant la prise en compte du temps partiel et un amendement qui prévoira, en matière de compensations familiales, l'alignement du régime des professions libérales sur le régime général. Les dispositions de l'article 22 nous ont posé problème, notamment en ce qui concerne la disparition de la majoration pour le conjoint inactif. J'espère qu'à l'occasion de la présentation des amendements déposés sur cet article nous obtiendrons des éclaircissements sur ce point.

Je ne parlerai pas de la situation dans la fonction publique : mon collègue Yves Détraigne vous exposera les propositions de notre groupe sur ce volet.

En conclusion, je voterai ce texte avec conviction et confiance. Une impulsion a été donnée et elle va dans la bonne direction. Je souhaite qu'un prochain rendez-vous nous permette de réaliser un pas supplémentaire, qui nous ferait passer de l'objectif d'équité entre les régimes à la réalisation d'une véritable égalité.

En effet, je n'oublie pas que, pour les salariés du privé, les taux de cotisation et le salaire de référence restent fixés selon des règles moins favorables que pour les agents de la fonction publique. Une nouvelle étape pourra, je l'espère, nous permettre - à l'image de ce qui a été accompli pour la décote et la surcote - de revoir ces règles dans le sens d'une meilleure harmonisation.

Enfin, plusieurs déclarations ont été faites récemment pour expliquer que les entreprises publiques concernées par des régimes spéciaux traiteraient de la question des retraites dans le cadre de leur politique sociale. J'ose espérer que ces déclarations ne resteront pas lettre morte et que les salariés de ces entreprises accepteront, eux aussi, la nécessité de prendre part à l'effort commun.

Nous élaborons aujourd'hui cette réforme dans un contexte économique particulièrement dégradé, qui rend nos perceptions de l'avenir assez pessimistes. Le retour de la croissance, qui se profile à l'horizon de 2004, et la diminution du chômage, que nous connaîtrons à la fois grâce à l'évolution démographique et à une meilleure conjoncture économique, devraient changer d'ici à quelques mois cette perspective. Je le souhaite, messieurs les ministres, car cela permettrait de rassurer définitivement nos concitoyens sur la justesse de vos choix et d'assurer durablement la réussite de cette réforme. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.

M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis le début de cette année, le Gouvernement s'est lancé dans une incroyable campagne de propagande pour tenter de convaincre l'opinion publique d'accepter un recul social majeur : une réforme des retraites aux conséquences négatives considérables pour les générations présentes et à venir.

M. Hilaire Flandre. Il fallait le faire avant !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est Michel Rocard qui a commencé avec le Livre blanc !

M. Gilbert Chabroux. Je ne parlerai pas de désinformation ou d'intoxication, comme M. le ministre l'a fait - à tort - il n'y a pas très longtemps, mais force est de reconnaître que les moyens et les arguments utilisés posent problème.

D'abord, l'utilisation des deniers publics, pour un montant de l'ordre de 20 millions d'euros, n'est pas respectueuse des principes élémentaires de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Le mauvais syllogisme sur lequel se fonde cette stratégie est à peu près le suivant : la réforme des retraites est inéluctable,...

M. Henri de Raincourt. Oui !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Exact !

M. Gilbert Chabroux. ... le Gouvernement s'attaque à cette réforme,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Jusque-là, cela va !

M. Gilbert Chabroux. ... et la réforme qu'il présente est donc bonne !

M. Henri de Raincourt. Tout à fait !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est tout à fait cela, sauf que ce n'est pas un syllogisme : c'est un raisonnement !

M. Gilbert Chabroux. Evidemment, cela ne tient pas debout, et il faut approfondir l'analyse.

Parmi toutes les raisons qui sont avancées pour justifier une réforme des retraites, il en est une qui ne peut être contestée : celle qui tient à la démographie, plus précisément à l'allongement de l'espérance de vie. Nous vivons plus longtemps que nos grands-parents et que nos arrière-grands-parents : ce phénomène est profondément positif, c'est un progrès de civilisation qui ouvre des perspectives immenses pour l'épanouissement humain, individuel et collectif. Il faut récuser l'approche réductrice selon laquelle on ne raisonnerait qu'en termes de « vieillissement » de la population, mot que nous avons entendu un peu trop souvent à mon goût. En fait, l'incidence de la mutation démographique en cours est de plus grande ampleur ; elle a de multiples dimensions, tel l'allongement de la scolarité et de la transition vers la vie active ou les problèmes liés au maintien dans l'emploi des plus de cinquante ans.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les jeunes n'ont jamais travaillé aussi tôt qu'aujourd'hui !

M. Gilbert Chabroux. Il faut arrêter de faire du catastrophisme à partir de la démographie, quand ce n'est pas un amalgame entre le problème des retraites, celui du déséquilibre des comptes de l'assurance maladie et celui de la dépendance.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vous qui le faites !

M. Gilbert Chabroux. J'ai découvert dans la Revue de prospection sociale des articles intitulés : « La lutte des âges a commencé » ou « Génération contre génération » ! Or nous savons bien que les retraités contribuent aux solidarités entre générations au sein des familles, ce qui amortit les effets de la crise pour les plus jeunes !

M. Guy Fischer. Tout à fait !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pas assez !

M. Gilbert Chabroux. En outre, nous savons qu'ils jouent un rôle important dans l'économie en soutenant la consommation, particulièrement dans les périodes difficiles, et qu'ils sont très présents et très actifs dans de nombreux secteurs de la vie sociale, par exemple dans la vie associative.

Je voudrais que l'on cesse de dramatiser à propos de ce troisième temps de la vie, qui vient après ceux de la formation et de la production. Pendant longtemps, vieillesse et pauvreté ont été associées. Veut-on en revenir à cette mauvaise image en appauvrissant les retraités, au risque de provoquer, de surcroît, une crise économique ?

M. Hilaire Flandre. C'est à cela que l'on arrivera si nous ne faisons rien !

M. Gilbert Chabroux. La réforme Balladur de 1993 a engagé notre pays sur cette voie ; lorsqu'elle produira ses pleins effets, la baisse des retraites dans le secteur privé sera de l'ordre de 20 %, et 30 % des retraités disposeront de revenus proches du seuil de pauvreté. Comme la proportion de retraités dans la population va augmenter et que ces retraités seront appauvris, l'affaiblissement global du pouvoir d'achat produira une dépression économique permanente.

M. Hilaire Flandre. Vous n'êtes pas un professeur d'économie !

M. Gilbert Chabroux. Or, loin d'annuler ou de corriger les effets de la réforme Balladur, vous voulez, monsieur le ministre, les amplifier et les appliquer à tous les salariés. La population ne s'y trompe pas, qui considère que votre réforme va dans le sens d'une régression sociale et a multiplié les manifestations. Et ce n'est pas fini ! Il n'y avait pas eu de mouvement social d'une telle ampleur depuis 1995, et il s'agissait déjà, alors, du problème des retraites.

Les luttes sociales, depuis un siècle, ont été des luttes pour la conquête du temps. Comment ne pas se battre pour le troisième temps de la vie, pour une retraite décente, pour préserver « le patrimoine de ceux qui n'en ont pas », pour reprendre une formule de Lionel Jospin ?

M. Marcel-Pierre Cléach. Il faut faire payer les riches ! (Sourires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Chacun ses auteurs !

M. Gilbert Chabroux. Comment ne pas faire de comparaison avec les allégements que vous avez accordés à ceux qui ont un patrimoine, par exemple l'allégement de 500 millions d'euros au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune qui a été voté cette année dans le cadre de la loi pour l'initiative économique ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Ce n'est pas assez !

M. Gilbert Chabroux. Comment ne pas évoquer les allégements de la fiscalité pesant sur les entreprises adoptés dans le cadre de la loi de finances de 2003 ? Comment ne pas citer les exonérations de cotisations sociales patronales, qui équivalent à 18 milliards d'euros et qui n'ont pratiquement pas de contrepartie en termes d'emplois ? Et je ne parle pas des allégements d'impôt sur le revenu des personnes physiques qui, comme chacun le sait, profitent essentiellement aux plus riches et n'ont quasiment aucun effet sur l'économie : sur cinq ans, les baisses d'impôt promises par le Président de la République représentent 30 milliards d'euros.

Comment ne pas évoquer également, si l'on opère un rapide retour en arrière, toutes les mesures de régression que vous avez fait voter en une année, particulièrement sur le plan social : la suppression des emplois jeunes, l'abrogation de fait des 35 heures (Murmures amusés sur les travées de l'UMP),...

M. Henri de Raincourt. Hélas !...

M. Gilbert Chabroux. ... la suspension de la loi de modernisation sociale, la remise en question de l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie, et, tout récemment, la création du sous-statut du RMA, le revenu minimum d'activité ?

M. Guy Fischer. Rien que cela !

M. Gilbert Chabroux. Déjà, vous préparez l'opinion à la privatisation de l'assurance maladie, que vous avez mise en faillite ! (Rires sur les travées de l'UMP et au banc des commissions.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. En un an !

M. Gilbert Chabroux. Seize milliards d'euros en un an, ce n'est pas rien !

M. Guy Fischer. Ils peuvent mieux faire !

M. Gilbert Chabroux. On n'avait jamais vu cela !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Ils sont amnésiques !

M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, votre projet de réforme des retraites se situe dans la même ligne, mais, en plus, il vise à tromper l'opinion.

C'est ainsi que vous prétendez, dans l'exposé des motifs, vouloir assurer un haut niveau de retraite. Vous reprenez les déclarations du Président de la République et du Premier ministre, mais l'objectif que vous fixez - « de l'ordre en moyenne des deux tiers du revenu d'activité » - est faible et vague. Il est très inférieur au niveau actuel de la retraite moyenne qui, tous régimes confondus, représente un niveau de vie équivalent à celui des actifs. Vous programmez bien une régression !

J'ai déjà dit que, entérinant la plupart des dispositions de la réforme de 1993, le projet de loi induit inéluctablement la baisse des retraites futures. L'indexation sur les prix conduit, sur vingt ans, soit la vie d'un retraité, à un décrochage à hauteur de 25 % des retraites par rapport aux salaires.

Il faut également souligner que la garantie de 85 % du SMIC n'est pas inscrite dans la durée. Ce taux est accordé au moment de la liquidation, mais il n'y a pas de véritable mécanisme d'indexation permettant de le garantir sur la durée de la retraite.

Enfin, l'allongement de la durée de cotisation contraindra un certain nombre de salariés du public et du privé à cesser leur activité avant d'avoir travaillé le temps requis pour obtenir le taux plein. La proratisation et la décote feront baisser fortement le niveau réel des retraites. Cette situation affectera particulièrement les femmes, plus fréquemment concernées par les interruptions de carrière et la précarité de l'emploi. Le problème des « seniors » se pose également avec acuité, sachant que la France se situe en queue de peloton, au vingt-troisième rang des pays de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, et au dernier rang des pays européens, pour le taux d'activité des plus de cinquante-cinq ans.

Par conséquent, s'agissant du niveau des retraites, la présentation que vous faites, monsieur le ministre, ne devrait tromper personne. Il y manque l'essentiel : la formule qui permettrait aux salariés de calculer leur future retraite !

L'article 1er, qui réaffirme le choix de la répartition dans le domaine des retraites, ne nous paraît pas très fiable, ou plutôt il nous semble fragilisé, pour un certain nombre de raisons.

Tout d'abord, le niveau des retraites étant réduit, le besoin se fera naturellement sentir d'instaurer des fonds de pension et la retraite par capitalisation. La voie est ouverte.

Le projet de loi prévoit d'ailleurs d'accorder une place importante à l'épargne retraite, qui bénéficierait d'une incitation fiscale d'autant plus intéressante que les revenus imposables seraient élevés. Vous créez ainsi des inégalités supplémentaires. Nous n'avons pas oublié la bataille qui a été menée ici, avec acharnement, par la majorité contre l'abrogation de la loi Thomas sur les fonds de pension.

Enfin, le projet de loi ignore le Fonds de réserve des retraites. Nous ne savons pas comment il sera financé ni même s'il sera financé. Vous avez déclaré devant la commission des affaires sociales, monsieur le ministre, que certains doutent de son utilité.

M. Guy Fischer. On pourrait peut-être le supprimer !

M. Gilbert Chabroux. Or ce fonds est indispensable pour permettre au régime par répartition de franchir la période 2020-2040, qui sera particulièrement difficile. Il y va du principe même de la répartition, mais vous ne réglez aucun des problèmes de financement, quel que soit le terme.

M. Hilaire Flandre. C'est vraiment n'importe quoi !

M. le président. M. Chabroux seul a la parole !

M. Gilbert Chabroux. Nous vous avons bien écoutés, et c'est vous qui dites n'importe quoi !

M. Henri de Raincourt. C'est aimable !

M. Gilbert Chabroux. En fait, c'est l'année 2006, et l'on ne me démentira pas, qui marquera le début de la période où l'équilibre financier du système de retraite sera soumis à une forte tension structurelle. La France n'est donc pas en retard, mais vous vous engagez pour 2020 et même pour 2040. Il faut donc prévoir des financements qui ne risquent pas d'être remis en question ; or vous pariez sur une forte baisse du taux de chômage, qui serait divisé par deux et ainsi ramené entre 5 % et 6 % de la population active - et non pas 4,5 %, comme certains l'ont dit : je reprends fidèlement vos propos, monsieur le ministre.

M. François Fillon, ministre. Je vous en remercie !

M. Gilbert Chabroux. Une part des cotisations d'assurance chômage serait alors affectée au financement des retraites. La question de l'emploi est effectivement indissociable de celle des retraites ; il est vain de s'interroger sur l'âge de départ à la retraite ou la durée de cotisation quand on sait que, dans le privé, plus d'une personne sur deux se trouve aujourd'hui en situation d'inactivité avant l'ouverture de ses droits à pension.

Il faut aussi et surtout de la croissance économique et une politique de l'emploi active et volontariste. Vous n'en prenez pas le chemin ! L'expérience montre que la politique d'exonération de cotisations patronales n'a jamais exercé une influence importante sur les créations d'emplois. Pour la première fois depuis 1993, notre pays détruit plus d'emplois qu'il n'en crée. Avec 100 000 chômeurs de plus, vous avez rompu avec la politique de plein emploi dans laquelle s'était engagé le gouvernement précédent. (Protestations sur les travées de l'UMP. - M. le rapporteur s'esclaffe.) Avec deux millions d'emplois créés et un million de chômeurs de moins, c'était forcément plus de cotisants et de tout autres perspectives, pour les retraites, que celles que vous tracez.

M. Claude Domeizel. La vérité vous gêne, chers collègues !

M. Gilbert Chabroux. Le gouvernement précédent, que vous décriez, a fait reculer l'urgence. On peut même considérer que, compte tenu de ce qu'il a fait, il n'y aura pas de gros problèmes de financement avant 2008 (M. le ministre rit), et l'on peut donc déplorer la dramatisation que vous avez orchestrée autour de ce dossier. C'est dans la durée, et sans climat de panique, qu'il faut gérer ces problèmes : il faut prendre des mesures progressives.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il n'y a pas de panique !

M. Hilaire Flandre. Il faut commencer !

M. Gilbert Chabroux. Des solutions existent, et des financements peuvent être trouvés, à condition de sortir du dogme libéral (Ah ! sur les travées de l'UMP), selon lequel tout impôt est, par définition, une charge insupportable, surtout pour les entreprises.

La question est de savoir quelle part des richesses produites peut être affectée au financement des retraites. Au cours des quarante dernières années, la part des retraites dans le produit intérieur brut a augmenté de sept points. L'augmentation a varié, selon les périodes, de 0,5 % à 0,75 % en moyenne par an. Cependant, dans le même temps, le PIB a plus que doublé, et il devrait encore doubler au cours des quarante prochaines années. Il faut aussi relever que le travail ne représente plus aujourd'hui que 60 % du PIB, contre 98 % en 1945.

M. Guy Fischer. Très bien !

M. Gilbert Chabroux. En vingt ans, la part des salaires dans la richesse nationale a baissé de dix points. Cela oblige à revoir l'assiette des cotisations. La base de calcul des cotisations patronales, lesquelles reposent actuellement sur les seuls salaires, doit être élargie à l'ensemble des richesses que les salariés ont contribué à créer. Il faut aller vers plus de transparence dans la solidarité nationale, vers une mise à contribution des entreprises plus favorable à l'emploi et vers une évolution du partage des richesses globalement plus favorable aux revenus du travail.

Selon l'évaluation du Conseil d'orientation des retraites, l'effort financier nécessaire pour maintenir le système avec le taux et les âges de remplacement actuels équivaut à une hausse de quinze points en quarante ans du taux de cotisation pour les retraites. Autrement dit, il correspond à une progression de 0,375 % par an sur la même période. Dans un pays riche, cet accroissement de la charge est supportable. C'est là un emploi tout à fait envisageable d'une partie des gains de productivité, évalués à 1,6 % par an par le Conseil d'orientation des retraites.

M. Claude Domeizel. Belle démonstration !

M. Gilbert Chabroux. C'est un choix parfaitement réaliste, à condition de mieux prendre en compte la valeur ajoutée et les profits, qui n'ont cessé d'augmenter. Contrairement à ce que vous cherchez à faire croire, ce n'est pas le coût du travail qui est trop élevé et qui met en péril la compétitivité des entreprises, c'est bien le coût du capital ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.) L'un des tours de force les plus surprenants des tenants de l'idéologie libérale est d'avoir largement imposé au sein de la société l'idée que le problème serait le coût du travail, et non celui du capital. Or, dans la plupart des grandes entreprises, la masse salariale ne représente plus que de 10 % à 15 % des coûts.

M. Bernard Murat. C'est faux !

M. Guy Fischer. Non, c'est vrai !

M. le président. Laissez l'orateur s'exprimer, mes chers collègues !

M. Gilbert Chabroux. Vous ne pouvez contester ces chiffres ! (Rires sur les travées de l'UMP.)

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Mais si !

M. Gilbert Chabroux. Vous ne pouvez contester que, parallèlement, les actionnaires exigent de plus en plus de dividendes et de rentabilité.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà !

M. Gilbert Chabroux. Ce sont donc les actionnaires et non les salariés qui ponctionnent les entreprises, et ce sont les profits qu'il convient de réduire.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est sous la gauche que les entreprises ont fait le plus de profits !

M. Bernard Murat. C'est du marxisme !

M. Gilbert Chabroux. Mes chers collègues, l'excédent brut d'exploitation des entreprises a augmenté de 14,3 % entre 1992 et 1999, les salaires n'ayant progressé, dans le même temps, que de 6,7 % ! Des financements sont possibles, une réforme est nécessaire.

M. Marcel-Pierre Cléach. Ah !

M. Gilbert Chabroux. Mais celle que vous proposez n'est pas la seule possible ! Une autre voie est envisageable, les Français ne cessent de le dire et de manifester leur opposition à votre projet.

Les derniers sondages montrent que, malgré la campagne de propagande que vous avez menée avec leur argent, ils sont une majorité à remettre en cause cette réforme et à demander l'ouverture de véritables négociations avec les organisations syndicales. Ils veulent des objectifs clairs en matière de niveau des retraites : montant minimal fixé à 100 % du SMIC, garantie du pouvoir d'achat, pérennité du système de répartition. Ils veulent que les salariés ayant cotisé le temps nécessaire puissent partir avant soixante ans. Ils rejettent un projet qui est tout sauf équitable, un projet qui pénalise les femmes par la décote supplémentaire par année d'inactivité, par la proratisation sur cent soixante trimestres, un projet qui ne prend pas directement en compte la pénibilité des métiers alors que les conditions de travail expliquent en partie les différences en termes d'espérance de vie.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr que si !

M. Gilbert Chabroux. Au sein de l'Union européenne et au regard de la convention de Dublin, la France se situe au bas de l'échelle, entre le dixième et le douzième rang, pour les conditions de travail. Il est impératif que la loi comporte des éléments relatifs à la pénibilité. On ne peut se contenter d'une phrase, dans l'exposé des motifs, tendant à « inciter les partenaires sociaux à négocier sur la pénibilité du travail ».

Il faut donc de nouvelles recettes et des objectifs clairs pour une réforme équitable. Il faut aussi une méthode : la négociation ; sur ce plan, comme sur les autres, vous avez échoué. Vous êtes passé à côté, monsieur le ministre, vous avez manqué le rendez-vous de la démocratie sociale.

M. Bernard Murat. Et vous ?

M. Gilbert Chabroux. Nous nous souvenons pourtant du discours de politique générale du Premier ministre, voilà un an : il s'agissait d'engager la rénovation de la démocratie sociale.

C'était là une occasion exceptionnelle de mettre en oeuvre l'amélioration du dialogue social et la réforme de la négociation collective, telles que vous les préconisiez avec le Président de la République et le Premier ministre.

Il est faux de dire qu'il n'y a pas d'autre solution que votre projet. En fait, le Gouvernement a refusé d'examiner toute proposition non conforme aux préceptes du libéralisme économique.

Quoi qu'il en soit, cette réforme manquée des retraites n'est pas près de disparaître de la scène sociale. Elle laissera des traces profondes. Les tentatives d'opposer les salariés du public à ceux du privé, ou les salariés à l'opinion publique, ne peuvent qu'être lourdes de conséquences au regard de la cohésion sociale et des valeurs républicaines. Un peu plus d'un an après le 21 avril 2002, ne prenez-vous pas le risque de renforcer les extrémismes, et d'abord celui de droite ?

M. François Fillon, ministre. Vous, vous risquez surtout de renforcer la démagogie !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Vous avez souffert !

M. Gilbert Chabroux. Contrairement à ce que vous affirmez, la réforme que vous présentez est l'une des plus dures qui aient été engagées en Europe, après celle qui a été menée en Grande-Bretagne et juste derrière la réforme italienne.

M. François Fillon, ministre. Comment peut-on dire des choses pareilles ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et la Finlande ?

M. Gilbert Chabroux. Dans les autres pays, on a beaucoup négocié, on a pris le temps de rechercher un accord aussi large que possible.

M. François Fillon, ministre. La capitalisation a été instaurée partout !

M. Gilbert Chabroux. Cela a duré des mois et des mois, voire des années !

Il est sans doute trop tard pour lancer un appel à l'ouverture d'une véritable négociation. L'Assemblée nationale a voté votre projet de loi, monsieur le ministre. Dans cette enceinte, la majorité...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... godillot...

M. Gilbert Chabroux. ... fera de même. Elle ne demande qu'à le voter conforme.

M. Henri de Raincourt. Evidemment !

M. Gilbert Chabroux. Le Président de la République fera une déclaration solennelle le 14 juillet. Les vacances arrivent. Alors, le pays sera coupé en deux,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le Nord et le Sud !

M. Gilbert Chabroux. ... un peu plus profondément cette fois. Les risques d'explosion seront encore plus grands.

Il faut le rappeler au président du MEDEF, qui estime que le vent ne souffle pas assez fort : qui sème le vent récolte la tempête ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je veux simplement rappeler que la commission des affaires sociales ne se réunira pas ce soir comme prévu puisque le Sénat poursuivra la discussion générale. C'est donc demain matin à neuf heures qu'elle examinera les motions et les amendements extérieurs.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)

PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant réforme des retraites.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Vergès.

M. Paul Vergès. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce n'est pas un Réunionnais qu'il faut convaincre de l'importance de la donnée démographique dans l'élaboration des politiques publiques. Je pense même que cette donnée universelle demeure sous-estimée dans la résolution des problèmes mondiaux bien sûr, mais aussi dans l'approche de ceux de l'outre-mer, de la Réunion en particulier.

Avec les changements climatiques, la révolution démographique en cours est un de ces courants profonds, constants et dynamiques qui opèrent chaque jour silencieusement. Faute d'avoir été anticipée dans ses conséquences dans tous les domaines, elle finira par nous surprendre et déferler comme une vague que l'on n'aura pas voulu voir venir.

Nous vivons aujourd'hui un phénomène qui affecte tous les pays.

D'un côté, la majorité des pays développés, du nord de l'Europe en particulier, sont confrontés au phénomène du vieillissement de leur population ; de l'autre, dans une écrasante proportion, des pays en retard de développement n'ont pas encore achevé leur transition démographique, et leur population continuera d'augmenter au cours des prochaines décennies.

En 2025, c'est-à-dire demain, les pays développés représenteront moins de 20 % de la population mondiale : voilà le défi majeur qui impose une révolution copernicienne des esprits pour pouvoir être relevé.

Alors que nous soulevons aujourd'hui - et à juste titre, compte tenu du vieillissement de la population - ce problème des retraites et que nous posons la question de savoir comment il sera possible d'assurer une retraite décente à l'ensemble des salariés, on se demande, des deux côtés de l'Equateur, comment nourrir, habiller, loger, éduquer des centaines de millions de personnes supplémentaires.

Dans ce débat, le positionnement de la Réunion est inédit.

Inédit, puisque notre île combine dans ses structures économiques et sociales des caractéristiques tant de pays développé que de pays sous-développé. Cet entre-deux est souvent source de difficultés et, dans ce débat sur les retraites, il met en évidence un certain nombre de contradictions en même temps qu'il souligne la nécessité d'une prise en compte de nos spécificités.

En effet, alors que nous sommes invités par M. le ministre des affaires sociales à nous pencher sur la « révolution démographique » en France, nous sommes, à la Réunion, confrontés à une révolution démographique totalement inverse.

En effet, la Réunion comptait 241 000 habitants en 1950, 600 000 habitants en 1990 et elle atteindra probablement, selon les prévisions de l'INSEE, 1 million d'habitants vers 2020-2025.

En conséquence, si nous recensons aujourd'hui, sur une population de 750 000 habitants, 303 000 personnes en âge de travailler, soit 40 % de la population, nous en compterons 444 000 d'ici à 2030, soit une augmentation de 141 000 actifs, ce qui représentera 46 % de la population.

Nous comprenons fort bien la logique qui prévaut sur le plan national : il faut réformer un pays qui verra, d'ici à 2030, s'aggraver le déséquilibre entre le nombre d'actifs cotisants et les retraités ; mais permettez-nous de nous interroger sur les conséquences de l'application à la lettre de cette réforme dans une société en retard de développement, comptant des structures démographiques et sociales diamétralement opposée à celles de la métropole !

L'assimilation législative a ses limites, posées par l'article 73 de la Constitution.

Nos spécificités sociales sont connues : sur une population de 750 000 habitants, la Réunion compte actuellement 330 000 personnes relevant de la CMU, soit 44 % de la population ; plus de 120 000 chômeurs sont inscrits à l'ANPE, dont 63 % sont des chômeurs de longue durée ; plus de 58 % des jeunes de seize à vingt-cinq ans n'ont pas de travail ; 165 000 personnes sont tributaires du RMI, 100 000 sont illettrées... Tous ces chiffres sont des chiffres officiels.

Par ailleurs, l'ensemble des piliers de l'économie réunionnaise pourvoyeurs d'emplois se caractérisent par la saisonnalité des activités. C'est ainsi que la récolte de la canne et sa transformation industrielle s'échelonnent sur une période de cinq mois ; cela vaut également pour les secteurs du tourisme, de la pêche ou des travaux publics, très dépendants des contrats de chantier.

L'application de la réforme à la Réunion se traduira pour les salariés par des difficultés insurmontables afin d'atteindre le nombre d'années de cotisation suffisant pour toucher une retraite pleine. Nous redoutons que cette application ne se traduise par une aggravation du chômage et par la généralisation du minimum vieillesse, qui concerne déjà plus de 51 % des retraités, contre 3,6 % à l'échelon national.

Aussi, je proposerai au cours du débat qu'une étude d'impact soit réalisée sur l'application de la réforme à la Réunion et, si cela était nécessaire, que des dispositions spécifiques, adaptées à notre situation très particulière, puissent, dans un second temps, être imaginées pour notre île.

J'espère, monsieur le ministre, que le Gouvernement se montrera attentif à cette proposition.

Celle-ci permettrait, en effet, d'apaiser les vives inquiétudes des Réunionnais face à cette réforme et de restaurer le climat de confiance nécessaire au développement du pays. Dans un contexte social déjà tendu, ce serait prendre un risque immense que d'ajouter des éléments d'aggravation. Fondé sur un équilibre de plus en plus précaire, notre contrat social demande surtout à être consolidé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous discutons a suscité beaucoup de critiques, de très longs débats à l'Assemblée nationale, et n'a pas été exempt de quelques approches caricaturales.

Pourtant, fondé sur les discussions approfondies conduites au sein du Conseil d'orientation des retraites et éclairé par les nombreux rapports qui ont été élaborés depuis vingt ans, ce projet constitue la suite logique des réformes engagées par le gouvernement de M. Edouard Balladur en 1993 et a pour objet de préparer nos concitoyens à l'échéance 2020.

Il le fait de manière souple et progressive en cherchant à préserver à la fois le mécanisme de la répartition et un haut niveau de pension. C'est donc tout naturellement qu'il joue sur la durée de cotisation et qu'il tente d'harmoniser les différents régimes du secteur privé, du secteur public et ceux des travailleurs indépendants.

Après avoir entendu MM. les ministres, les rapporteurs et mon excellent collègue Henri de Raincourt, je limiterai mon propos à trois questions.

Pourquoi cette réforme indispensable a-t-elle pris tant de retard ? Le texte qui nous est présenté est-il cohérent et ambitieux ? Et, pour reprendre certains qualificatifs venant de l'opposition, s'agit-il d'un mirage ou d'une supercherie ?

Pour quelles raisons cette réforme indispensable a-t-elle pris tant de retard ?

Cette réforme est en effet indispensable, car personne ne peut récuser la démographie. L'allongement continu de l'espérance de vie et la réduction du temps de travail font qu'il y aura de plus en plus de retraités et de moins en moins de personnes actives, sauf à accepter une immigration massive venue du Sud et de l'Est.

Chacun comprend qu'il n'existe que trois solutions : l'augmentation du taux de cotisation, la réduction du montant des pensions et l'allongement des durées d'assurance.

Refuser aujourd'hui les trois orientations ou, comme le propose M. Blondel, revenir sur la réforme de 1993 en alignant tout le monde sur 37,5 ans de durée de cotisation déboucherait inéluctablement sur l'aggravation rapide des prélèvements sociaux et le recul de la compétitivité de notre pays dans l'Union européenne.

Le Gouvernement a choisi de faire converger le secteur public et le secteur privé vers 40 annuités, puis de se diriger, en fonction de l'augmentation de la durée de vie, vers 41 et 42 annuités en 2020.

Personne ne devrait contester cette progressivité raisonnable, puisqu'elle est liée à l'augmentation de l'espérance de vie et que plusieurs rendez-vous sont prévus pour adapter l'augmentation de la durée de cotisation à la situation réelle de notre économie et de notre démographie.

Cette réforme a pris du retard pour plusieurs raisons, dont la forte implication de certains syndicats dans la fonction publique et la crainte d'aborder la vraie négociation avec les organisations qui acceptent de préparer l'avenir. L'illusion que la constitution d'un fonds de réserve des retraites pourrait tout à la fois exonérer d'une démarche réformatrice et éloigner le plus possible l'horreur que représente pour certains la création d'une véritable épargne retraite ne s'est pas encore dissipée.

Et c'est là que réside, pour parler comme certains dirigeants de l'opposition, la véritable « supercherie » promue par le précédent gouvernement : les déficits annoncés en 2020 et en 2040, tant pour le régime général que pour ceux des fonctions publiques et des entreprises à statut spécial, sont tels que le fonds de réserve créé en 1999 n'est qu'un alibi, voire une simple rustine.

J'ajoute que, à l'inverse, les déclarations faites par certains experts du MEDEF annonçant que le système de répartition était condamné et qu'il faudrait, tôt ou tard, doter notre pays de fonds de pension à l'américaine n'ont guère facilité l'action des gouvernements successifs. Cela aussi était excessif.

C'est pourquoi je tiens à rendre hommage à l'actuel gouvernement d'avoir présenté un projet d'ensemble progressif, chiffré, et d'avoir engagé une concertation sérieuse avec des organisations patronales et syndicales. Lorsque j'entends condamner les dirigeants de la CFDT et de la CGC au motif qu'ils ont conclu la discussion par un accord, je ne peux que me demander si l'opinion publique et les médias ont bien pris conscience que l'évolution à long terme de notre société ne peut pas s'organiser par la seule utilisation du droit de grève. Il nous faut, au contraire, partir d'un constat démographique, chiffrer les déficits à venir et trouver, ensemble, des solutions progressives et raisonnables.

Le projet de loi qui nous est présenté est-il cohérent et ambitieux ?

L'excellent rapport de notre collègue M. Leclerc, complété par celui de M. Gouteyron, tout aussi excellent, démontre clairement que la réforme proposée par le Gouvernement est équilibrée puisqu'elle propose un ensemble cohérent de mesures techniques et financières qui permettent de répondre aux enjeux que constituent le travail et la retraite, tout en assurant le financement de notre système par répartition de manière progressive et à un horizon raisonnable, c'est-à-dire 2020.

Je note d'ailleurs que nos collègues députés et les membres de la commission des affaires sociales du Sénat n'ont pas modifié, ou n'entendent pas modifier, l'économie générale du projet de loi, mais ont fait accepter par le Gouvernement, ou lui proposeront d'accepter, des dispositions complémentaires et de nécessaires précisions. C'est dans cet esprit que je tiens à présenter quelques observations.

Presque partout en Europe, l'âge légal de départ en retraite est fixé à 65 ans et le financement des retraites repose en partie sur des systèmes de capitalisation. Chaque pays a compris - les Etats-Unis l'ont déjà fait voilà une douzaine d'années - que, dans une économie mondialisée, mieux valait jouer sur la durée du temps d'assurance que sur la hausse continue du prélèvement fiscal et social, sous peine de pousser les entreprises à se délocaliser et les jeunes à s'expatrier. Au demeurant, il n'y a pas que moi qui le dis : dans un excellent article donné au Monde, Michel Rocard a dit exactement la même chose sur la délocalisation et sur l'expatriation des jeunes.

Heureusement, le projet dont nous débattons est fondé sur deux éléments essentiels, à savoir l'incitation faite aux entreprises de conserver les seniors deux à trois années de plus - car la France est le pays européen dans lequel l'âge réel de départ en retraite est le plus bas - et, dans le titre V, la mise en oeuvre de dispositifs d'épargne-retraite à la fois individuels et collectifs qui seront très utiles à partir de 2020 et nous permettront de mieux aborder l'échéance de 2040.

J'estime, en conséquence, que le projet est ambitieux en ce qu'il vise à corriger l'une des idées fausses les plus répandues dans ce pays depuis trente ans : favoriser le départ des anciens doit entraîner mécaniquement l'embauche des jeunes ; d'où les systèmes de retraite anticipée de dégagement des cadres et de congés spéciaux. De mon point de vue, c'est le vrai défi que le Gouvernement nous propose de relever. La plupart de nos partenaires, et notamment ceux qui sont dans l'euro, y sont parvenus, alors que nous conservons un taux anormalement élevé de chômage des jeunes en dépit d'un âge moyen de départ à la retraite qui, à peine supérieur à cinquante-sept ans, est l'un des plus bas d'Europe.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Absolument !

M. Jean-Pierre Fourcade. Certains des orateurs précédents ont relevé d'autres éléments du projet de loi. Je me bornerai donc a répéter que, pour les titulaires de faibles rémunérations, pour les veuves, pour les agriculteurs, pour les fonctionnaires qui n'ont pas choisi la PREFON, pour les handicapés, pour les familles nombreuses, pour ceux qui ont commencé à travailler dès quatorze ans, le texte en discussion va dans le sens de la justice. Je tiens à en féliciter le Gouvernement, qui a accepté d'aggraver un petit peu le déficit en prenant des mesures de justice.

J'annonce que mon groupe votera en faveur des amendements proposés par les rapporteurs qui complètent cette orientation, dont je n'ai d'ailleurs pas trouvé trace dans les médias... Comme si cet ensemble de mesures sociales profitant vraiment aux gens qui ont des difficultés aujourd'hui n'intéressait nullement l'ensemble de ceux qui prétendent donner quelque écho aux débats parlementaires.

M. Henri de Raincourt. Il ne faut pas s'en étonner !

M. Jean-Pierre Fourcade. C'est pour cette raison que j'insiste sur le caractère équitable du texte qui nous est présenté.

Toutefois, je formulerai un regret, messieurs les ministres : vous n'êtes pas allés assez loin dans la recherche de la transparence pour les retraites des fonctionnaires de l'Etat. J'aurais souhaité qu'une caisse analogue à la CNRACL, ou fusionnée avec elle, soit mise en place pour que tous les agents publics aient le même statut.

Vous avez donné quelques chiffres : 60 milliards d'euros consacrés aux pensions, 30 milliards d'euros aux retraites. Quels sont les taux ? Comment cela fonctionne-t-il ? Quelles sont les garanties ? J'espère que l'application de la loi organique sur le budget vous obligera à aller dans la voie d'une plus grande précision, et le plus tôt sera le mieux.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Enfin, la réforme proposée s'apparente-t-elle à un « mirage » ou à une « supercherie » ?

A ceux qui s'offusquent de ce que le présent projet de loi ne parvienne pas à supprimer tout déficit des régimes de retraite à l'horizon 2020 et qu'il fasse expressément mention d'une majoration des cotisations à partir de 2008, je dirai que c'est en grande partie la conséquence de l'inaction des gouvernements précédents qui ont eu la chance, eux, de gérer les affaires du pays en période de bonne conjoncture économique. Il eût été plus facile d'aligner le secteur public sur le secteur privé quand le taux de croissance dépassait 3 % que de le décider aujourd'hui, à un moment où les contreparties s'avèrent beaucoup plus difficiles à proposer.

C'est pourquoi le jugement positif que je porte sur le projet de loi s'appuie sur les avancées sociales - et non pas corporatistes - qu'il recèle et sur l'aspect progressif de sa mise en oeuvre.

Il me semble que ce projet de loi est vraiment bâti sur la perspective d'une « évolution progressive » jusqu'en 2020.

La condamnation sans appel que formulait une grande voix socialiste, celle de M. Strauss-Kahn, dans Le Monde du 20 juin dernier me paraît particulièrement mal fondée.

L'argument essentiel de M. Strauss-Kahn consiste à contester qu'à l'horizon 2008 l'augmentation, sans doute nécessaire, des cotisations de retraite puisse s'effectuer par redéploiement des cotisations de chômage. Il déclare que ce redéploiement est un « mirage », et c'est pour lui une « supercherie » que de l'envisager. Comme s'il ne savait pas qu'à partir de 2006 - c'est inscrit dans notre démographie, nul ne le conteste - le nombre des départs en retraite excédera celui des jeunes et des femmes qui se présenteront sur le marché du travail ! Comme s'il ne savait pas que c'est précisément la situation que connaissent un certain nombre de nos voisins, notamment nos voisins britanniques ! Je rappelle qu'en Grande-Bretagne le taux de chômage se situait à 5,1 % en 2001 et qu'il sera sans doute de 5,7 % en 2003, avec une croissance qui est très légèrement supérieure à la nôtre, alors qu'il était chez nous de 8 % en 2001 et qu'il sera à 9 %, voire plus, en 2003.

M. Gilbert Chabroux. Bien plus !

M. Jean-Pierre Fourcade. Or la raison essentielle de la faiblesse relative du taux de chômage britannique réside dans la diminution de la population active.

En tout cas, je regrette qu'on parle de mirage ou de supercherie alors qu'il s'agit d'un projet sérieux, qui tient compte de la réalité démographique de notre pays et qui se fonde sur un certain nombre d'éléments bien connus de nos voisins et que chacun peut aujourd'hui mesurer.

En réalité, la véritable supercherie, c'est d'avoir fait croire aux Français qu'en augmentant l'emploi public et en réduisant la durée du travail on pouvait à la fois lutter contre le chômage et financer nos régimes de retraite.

Heureusement, le gouvernement auquel vous appartenez, messieurs les ministres, s'est engagé dans une autre voie, celle du développement des emplois productifs, celle du dialogue avec les syndicats responsables.

C'est parce que je suis persuadé qu'il faut enfin sortir de la civilisation du « tout public » et accepter d'affronter la concurrence internationale avec les meilleurs atouts possibles que, comme l'ensemble de mon groupe, je soutiens résolument le projet du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat que nous engageons aujourd'hui aurait dû venir devant le Parlement voilà plusieurs années. Nous sommes donc particulièrement satisfaits que le Premier ministre et le Gouvernement actuels osent enfin affronter une réalité trop longtemps dissimulée.

La réforme de notre système de retraite est en effet devenue incontournable. Les chiffres parlent, hélas !, d'eux-mêmes. Si, voilà quarante ans, un actif n'avait à financer par ses cotisations que le quart de la pension d'un retraité, il doit aujourd'hui en financer la moitié et devra demain, vers 2040, en financer pratiquement la totalité.

De plus, compte tenu de l'allongement de la durée de vie de nos compatriotes, et donc de la période pendant laquelle les Français touchent une retraite, chaque actif devra non seulement prendre en charge une part croissante de la retraite des inactifs, mais aussi la prendre en charge sur une plus longue durée. Cela, il y a longtemps qu'on le sait. Il est grand temps d'en tirer les conséquences.

« Au cours des cinquante prochaines années, le vieillissement de la population est inéluctable. Que le taux de fécondité actuel soit maintenu ou même qu'il rejoigne le niveau qui assure le renouvellement des générations, la part des personnes âgées de plus de soixante ans sera multipliée par environ 1,5 et la proportion des plus de soixante-dix ans par environ 2 au cours du prochain demi-siècle. Même avec des hypothèses économiques favorables au plein emploi, les régimes de retraite connaîtront des problèmes de financement avec, à partir de 2005, l'arrivée massive à l'âge de la retraite des générations nombreuses de l'après-guerre. »

Ce n'est pas moi qui le dis, pas même le Premier ministre actuel, Jean-Pierre Raffarin, mais le Premier ministre d'il y a douze ans, Michel Rocard, dans sa préface au Livre blanc sur les retraites, par lequel il ouvrait un débat que le Gouvernement actuel a enfin le courage de reprendre.

Si, à l'époque, Michel Rocard considérait déjà que « ne rien faire était exclu », il est a fortiori devenu aujourd'hui plus qu'urgent de s'atteler à la tâche, et cela autrement qu'avec un énième rapport ou un énième comité d'experts.

La nécessité de la réforme étant acquise pour tous les responsables de bonne foi de notre pays et un quasi-consensus se dégageant pour conserver notre système par répartition, la marge de manoeuvre est étroite. Les solutions ne sont pas nombreuses.

Veut-on augmenter les cotisations, sachant qu'il faudrait alors en doubler le montant dans les quarante prochaines années pour maintenir le niveau actuel des pensions ? Mais, dans ce cas, est-on prêt à accepter une réduction de la rémunération nette des actifs pour sauvegarder celle des inactifs ?

Je suis, comme vous tous, convaincu que la réponse à cette question est négative, y compris, voire surtout chez ceux qui préféreraient une augmentation de la cotisation à un allongement de sa durée.

Veut-on alors que l'augmentation des cotisations se traduise par une charge supplémentaire nette pour les entreprises ? Mais, dans ce cas, il faut clairement dire que l'on est prêt à voir s'accélérer l'indéniable mouvement de désindustrialisation auquel notre pays est confronté depuis quelques années. Vous me permettrez de vous rappeler que, entre mars 2002 et mars 2003, notre pays a perdu 89 000 emplois industriels.

M. Roland Muzeau. Sous quel gouvernement ?

M. Yves Détraigne. Veut-on alors trouver l'argent ailleurs, par exemple, comme le proposent certains responsables politiques et syndicaux, en taxant les bénéfices et les profits financiers ? Mais, dans ce cas, il faut dire aussi que l'on est prêt à voir les capitaux s'expatrier. Et qu'on ne se plaigne pas, alors, de voir les fonds de pensions anglo-saxons détenir une part croissante de notre outil industriel !

Dès lors que l'on n'est pas prêt à accepter toutes les conséquences d'une augmentation des cotisations, est-on disposé à réduire le montant des pensions, sachant que ce serait carrément de moitié qu'il faudrait le diminuer pour garantir l'équilibre financier du système ? Sûrement pas, d'autant que ce serait le plus sûr moyen d'aboutir à une retraite à deux vitesses et d'accroître le fossé entre les personnes âgées vivant de leur pension de retraite et celles qui sont en mesure de la compléter par d'autres revenus. Cela n'est pas acceptable.

Si l'on veut donc maintenir un système de retraite par répartition - et il me semble qu'on n'a pas su faire preuve de suffisamment de pédagogie pour expliquer qu'il s'agit d'un système dans lequel les cotisations des actifs doivent être suffisantes pour financer les pensions des retraités -, le déplacement du curseur entre période d'activité et période de retraite paraît la seule solution envisageable.

C'est cette dernière que le Gouvernement a choisie, et nous ne pouvons que l'approuver.

De même, nous ne pouvons qu'être d'accord avec l'alignement de la durée de cotisation des salariés de la fonction publique sur celle des salariés du privé. Comment, en effet, peut-on admettre en ce début de xxie siècle qu'une partie des Français, qui est déjà celle qui bénéficie de la garantie de l'emploi, puisse se permettre de travailler moins longtemps que la partie la plus exposée, qui, elle, a accepté en 1993, sans bloquer le pays, l'augmentation de la durée de ses cotisations décidée par le gouvernement Balladur ? C'est une simple question de bon sens, de justice et d'équité !

Je note d'ailleurs que nos principaux partenaires européens ont déjà achevé ou engagé la réforme de leur système de retraite. N'en déplaise à un certain nombre de nos concitoyens, il n'y a malheureusement pas d'exception française dans ce domaine, pas plus que dans d'autres. Les faits sont têtus !

Nous avons donc le devoir de réformer notre système de retraite et de soutenir le Gouvernement dans sa démarche, même si nous sommes conscients que la réforme qui nous est proposée aujourd'hui ne règle en fait qu'une partie du problème.

En effet, dans ses projections, le Gouvernement estime que la réforme qu'il préconise permettra de combler, en 2020, environ 45 % du besoin de financement des principaux régimes de bases - c'est-à-dire fonction publique et régime général -, mais en tablant sur l'abaissement du taux de chômage à 4,5 %. Ce pari est audacieux et le gap restant à financer risque, hélas ! d'être plus important encore que ne le craint le Gouvernement.

Il faut donc garder à l'esprit que, si cette réforme est absolument nécessaire, son impact restera limité et qu'il faudra sans tarder réfléchir aux mesures complémentaires qui devront absolument être prises. Je pense d'ailleurs que celles-ci ne pourront pas, contrairement à ce que prévoit la présente réforme pour aujourd'hui, reposer sur un nouvel allongement des durées de cotisation : cela risquerait fort d'être perçu par nos compatriotes comme une fuite en avant et ils ne l'accepteraient pas.

Par ailleurs, ce projet, messieurs les ministres, laisse de côté la question des régimes spéciaux qui, pour la plupart, ont une situation démographique pire encore que le régime général et ne survivent que grâce à des transferts venant d'autres régimes. Nous aurions souhaité que la question des régimes spéciaux soit abordée à l'occasion de cette réforme. Elle ne l'est pas. Nous en prenons acte tout en rappelant que ce ne peut être que partie remise.

Dans l'immédiat, il s'agit de réussir la réforme qui nous est proposée. Nous considérons donc qu'il est de notre devoir de membres de la majorité et d'élus responsables d'adopter le projet que vous nous soumettez, même si nous pensons qu'il peut et doit être amélioré au cours de la discussion qui s'engage.

Pour sa part, dans un souci d'équité, le groupe de l'Union centriste estime que plusieurs dispositions du texte méritent d'être amendées, notamment celles qui touchent au financement du projet, à la prise en compte de certaines situations familiales, aux métiers pénibles ou aux petites retraites. Ma collègue Valérie Létard a évoqué quelques-uns des amendements que le groupe de l'Union centriste défendra sur ces sujets.

Tel sont les principaux axes sur lesquels le groupe de l'Union centriste juge qu'il est possible d'améliorer le projet sans en remettre en cause l'architecture ni le dénaturer.

Messieurs les ministres, en conclusion de cette intervention, je vous rappellerai le voeu du groupe de l'Union centriste d'être entendu par le Gouvernement. Nous souhaitons que la discussion qui s'engage aujourd'hui dans notre hémicycle ne soit ni bloquée ni inutile. Il y va de l'acceptation de la réforme par le plus grand nombre et de la crédibilité de l'action de la majorité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. André Vallet.

M. André Vallet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, santé, retraite, financement de la protection sociale : l'heure de la réforme sonne dans notre pays depuis plusieurs années sans que les gouvernements précédents, notamment le dernier, qui a bénéficié d'une situation économique incomparablement meilleure que celle que nous connaissons aujourd'hui et qui a disposé de cinq longues années, n'assument ce dossier des retraites, dossier difficile, controversé mais crucial pour l'avenir social de notre pays.

Je tenais, messieurs les ministres, au nom de la majorité du groupe du Rassemblement démocratique, social et européen, à vous féliciter d'avoir eu, avec tout le Gouvernement, le courage politique d'ouvrir ce débat, d'avoir gardé pour objectif la garantie d'un revenu décent pour les retraités et d'avoir recouru, quoi qu'on en dise, à la méthode de la concertation avec les organisations professionnelles, mais aussi avec le pays, même si l'on peut regretter que les médias aient été plus prompts à laisser les éternels protestataires distiller toute une série de contrevérités plutôt que de donner, sans caricature, les nécessaires explications sur ce dossier.

Il m'est difficile, en quelques minutes, de revenir sur le fond du texte, d'autant que nos rapporteurs l'ont brillamment résumé. J'aimerais néanmoins aborder trois sujets.

Le premier, c'est le financement, qui semble lié à la prévision bien incertaine d'un chômage de 4,5 % en 2020.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. De 5 à 6 %.

M. André Vallet. Qu'adviendra-t-il si ce taux optimiste n'est pas atteint ? Se dirige-t-on progressivement vers une augmentation de la CSG ?

Depuis dix ans, le système des retraites a connu un certain nombre de réformes dans de nombreux pays européens. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous dire quel système européen se rapproche le plus de celui que vous nous proposez ?

J'aimerais enfin revenir sur les mouvements sociaux qui ont émaillé le mois de mai à propos de ce projet de loi. M. le ministre de la fonction publique pourrait-il nous communiquer le nombre de journées de grève par rapport aux journées travaillées, car nous n'avons jamais su exactement quel était le nombre de grévistes, sinon par les organisations syndicales ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Il serait donc utile que vous fassiez le point.

M. Henri de Raincourt. C'est une bonne idée !

M. André Vallet. Où en est-on du paiement des journées de grève ? Les consignes du Premier ministre sont-elles respectées ?

Un sénateur de l'UMP. Bonne question !

M. André Vallet. Si le citoyen est souvent désabusé vis-à-vis de la classe politique, c'est parce qu'il considère qu'elle n'agit pas. Quelle que soit l'appréciation que l'on porte sur ce projet de loi, personne ne peut contester la volonté politique du Gouvernement.

Permettez-moi, en concluant, de regretter que ce dossier n'ait pas réussi à réunir la droite et la gauche, et que la gauche ait laissé les extrêmes surenchérir aveuglément.

MM. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, et Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. André Vallet. Avec une telle attitude, craignons, demain, de nouveaux 21 avril...

Messieurs les ministres, je suis persuadé que votre gouvernement, à terme, sortira grandi de cette épreuve, que la fronde antiréforme s'affaiblira...

M. Henri de Raincourt. Bien sûr !

M. André Vallet. ... et que le bon sens l'emportera, comme cela a souvent été le cas dans l'histoire de notre pays. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.

Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui entend réformer le système des retraites par répartition, fondement de notre pacte social. Efficace pour lutter contre la paupérisation des personnes âgées et fournir un niveau de pension correct pour la majorité des Français, ce système présente ainsi de nombreuses garanties. Les liens qu'il tisse entre les générations nous commandent de le maintenir à tout prix en repoussant les « sirènes » de la capitalisation et de l'individualisation de la retraite, système incertain et source de graves inégalités entre les citoyens. Les Français en sont parfaitement conscients. C'est pourquoi, à chaque fois qu'un gouvernement tente d'imposer une réforme sans avoir pris le temps suffisant de la concertation et, surtout, de la négociation, il provoque des résistances légitimes. Ainsi, huit ans après les manifestations consécutives au projet du gouvernement Juppé, votre gouvernement ne fait pas, loin s'en faut, l'unanimité sur cette réforme.

La France aura le regrettable privilège d'être le seul pays à n'avoir pas trouvé un consensus sur la question. Le Gouvernement en porte la seule responsabilité en ayant réduit au minimum le temps des négociations. Chez nos voisins européens, ces dernières ont duré plusieurs mois, voire plusieurs années !

La première réunion avec l'ensemble des partenaires sociaux s'est tenue le 28 février dernier. Trois mois plus tard, le Gouvernement considère que l'affaire est entendue alors même que des milliers de manifestants sont dans la rue et qu'une majorité de Français ne croit pas en la réforme.

Voici le temps du débat parlementaire. Il est regrettable que vous ayez réduit votre majorité au silence. L'avez-vous fait par souci de gagner du temps ou afin de masquer certaines divergences sur votre projet ?

Néanmoins, personne ne nie la nécessité d'une réforme du système des retraites par répartition. Nous connaissons tous les principales raisons qui la justifient. Ne rien faire conduirait mécaniquement à diviser par deux le taux moyen de remplacement à l'horizon 2040.

Toutefois, cette réforme ne peut se mener que dans un climat pacifié, enclin au dialogue social. C'est pour créer ces conditions propices que le gouvernement de Lionel Jospin a instauré, par décret du 10 mai 2000, le Conseil d'orientation des retraites. Celui-ci a réuni l'ensemble des partenaires sociaux, à l'exception du MEDEF, qui a refusé d'y participer. Ses travaux font aujourd'hui l'unanimité. Ils ont non seulement permis de conforter le choix du système par répartition, mais également abouti à un diagnostic partagé sur lequel repose aujourd'hui votre projet de loi.

Par ailleurs, en prévision des besoins de financement à venir, le gouvernement de Lionel Jospin a mis en place le Fonds de réserve pour les retraites dès 1998. Abonder le fonds d'ici à 2020 à hauteur de 153 milliards d'euros, comme il était initialement prévu, permettrait d'amortir 50 % du coût supplémentaire de la retraite.

Mais cette réforme n'est pas la simple résolution d'une équation mathématique avec, d'un côté, les actifs et, de l'autre, les retraités. Cette réforme, c'est d'abord et avant tout un choix de société.

En effet, il me paraît légitime de penser que, lorsqu'un pays riche voit sa population vieillir, une part plus forte de son PIB soit consacrée à cette dernière. Concrètement, il s'agirait pour la France d'augmenter de 6 points de PIB les dépenses de vieillesse sur les quarante prochaines années pour résoudre ce problème. C'est loin de relever de l'impossible, comme le Gouvernement tente de nous le faire croire : une telle hausse a déjà été réalisée.

Votre projet actuel repose uniquement sur un choix comptable, dans la continuité de celui de M. Balladur en 1993, celui de l'allongement de la durée de cotisation et de la baisse du montant des pensions. Il s'agit de l'harmonisation par le bas du régime général et de celui de la fonction publique, qui fait peser le poids de la réforme sur les seuls actifs. Partager l'effort était pourtant la volonté affichée par le Gouvernement. Mais, à aucun moment n'est posée la question fondamentale de la répartition des richesses. Bien au contraire, votre projet de loi exonère le MEDEF et le patronat de tout effort.

Votre refus dogmatique d'augmenter les cotisations au prétexte que vous pénaliseriez la compétitivité des entreprises est infondé. C'est un fait établi dans tous les pays de l'OCDE.

Par ailleurs, nous n'avons pas le même regard vis-à-vis des personnes retraitées. En effet, à la lecture de votre projet de loi, la retraite apparaît comme un véritable handicap pour notre société. Vous oubliez et vous niez les personnes retraitées en tant qu'acteurs économiques à part entière, consommateurs disposant d'un fort pouvoir redistributif en faveur de leurs enfants et petits-enfants. Vous oubliez que ce sont eux qui, dans les périodes de crise, permettent de soutenir la croissance.

Le fait d'appauvrir progressivement les retraités est économiquement et moralement un mauvais choix. Ne mesure-t-on pas une société évoluée à l'attention qu'elle porte à ses anciens ? Ce que vous nous promettez pour l'avenir, c'est la dégradation tant des conditions de vie des actifs que du pouvoir d'achat des inactifs.

Vous nous présentez ce projet de loi comme étant notre seule et unique porte de sortie, mais pour aller où ? Il ne résout en rien le principal problème des retraites, à savoir leur financement. N'est-ce pas le plus grand des paradoxes que de vouloir imposer une réforme impopulaire et douloureuse alors que vous savez pertinemment qu'elle ne suffira pas à financer les pensions des futurs retraités ?

Le projet de loi prévoit, pour le régime de la fonction publique, le recours à « l'effort accru des employeurs publics », en fait, des contribuables ! Mais comment le Gouvernement pourrait-il trouver les fonds nécessaires alors qu'il continue obstinément à vouloir diminuer les impôts des plus aisés ?

Comptez-vous faire des économies dans des domaines qui souffrent déjà de moindres financements et de gels de crédits, comme l'éducation, la culture, ou bien reprendre de la main gauche ce que vous avez donné de la main droite ?

De même, je m'interroge sur la façon dont vous envisagez de combler le manque à gagner du régime général. Votre projet prévoit un transfert des cotisations chômage vers la branche vieillesse ; toutefois, le scénario très optimiste que vous nous proposez suppose le retour au plein emploi, avec un taux de chômage de 5 à 6 % d'ici à 2020.

Une telle baisse du chômage n'est possible que si le Gouvernement engage une politique d'ampleur en matière d'emploi. Entre 1997 et 2002, deux millions d'emplois ont été créés. Or, depuis un an, la France compte 127 400 chômeurs de plus.

M. François Fillon, ministre. Depuis deux ans...

Mme Claire-Lise Campion. Les plans de licenciement massifs se multiplient, ne provoquant que l'indifférence du Gouvernement. L'acharnement dont vous faites preuve pour démonter tous les outils favorables à la création ou au maintien d'emplois laisse sceptique quant à l'objectif d'un taux de chômage de 6 % en 2020, qui est pourtant l'objectif sur lequel est fondée la viabilité financière du projet de loi !

Il eût été préférable de valoriser les outils mis en place par le gouvernement de Lionel Jospin en la matière !

Par ailleurs, votre partenaire privilégié ne vous facilite pas la tâche ! Comment comptez-vous persuader le MEDEF qui, par la voix de son président, s'oppose à ce que les entreprises soient contraintes de garder leurs salariés jusqu'à soixante-cinq ans ou de les licencier pour pouvoir s'en séparer, comme le stipule le projet de loi ?

Pourtant, face au problème des retraites, plusieurs stratégies sont possibles : préfinancer les retraites publiques en constituant des réserves, ou encore abonder le fonds de réserves pour les retraites en lui attribuant de nouvelles ressources, notamment une contribution sur la richesse produite, une majoration de la contribution sur les revenus du patrimoine et une affectation équivalente aux allégements fiscaux.

J'en viens maintenant à un sujet qui me tient particulièrement à coeur : les femmes. Selon l'exposé des motifs, le projet de loi vise à préserver l'équité et l'esprit de justice sociale de nos régimes. Il ne s'agit que d'un effet d'annonce. En réalité, vous creusez un peu plus les disparités au détriment des femmes.

La situation des femmes a été complètement omise des concertations et du projet de loi. Pourtant, les femmes cumulent des désavantages qui auraient dû vous pousser à en tenir compte. Elles effectuent rarement une carrière complète. Seules 39 % des femmes parmi les retraités perçoivent une pension à taux plein, comme nous l'avons dit. Allonger le temps de cotisation de deux années pour les travailleurs du secteur privé et de quatre ans et demi pour les fonctionnaires, avec le système de la décote, condamne de nombreuses femmes, qui se sont arrêtées de travailler pour élever leurs enfants ou qui subissent un temps partiel, à avoir une retraite précaire.

L'octroi de compensations familiales à destination des femmes vise à rééquilibrer leur situation face à la retraite, afin notamment de leur permettre d'obtenir une retraite à taux plein grâce à l'attribution d'une bonification de deux années dans le régime général pour chaque enfant né et d'une année dans les régimes de la fonction publique.

Je relèverai la seule amélioration apportée par le projet de loi, portant sur les conditions d'accès à la majoration de la durée d'assurance dans le régime général. Les femmes bénéficieront dorénavant d'une majoration de la durée d'assurance d'un trimestre par année ou fraction d'année durant laquelle elles ont élevé un enfant pendant deux ans. Jusqu'à présent, toute majoration était réservée aux mères qui avaient élevé un enfant pendant au moins neuf ans avant son seizième anniversaire, ce qui avait pour effet de pénaliser les femmes ayant perdu un enfant en bas âge.

En revanche, la situation des femmes relevant de la fonction publique est beaucoup moins enviable. Certes, dans la continuité de la jurisprudence Griesmar de la Cour de justice des Communautés européennes du 29 novembre 2001, le présent projet de loi prévoit que les hommes et les femmes fonctionnaires pourront désormais jouir d'une validation équivalente à la durée du congé parental que l'un ou l'autre aura pris pour s'occuper de son enfant.

Je soutiendrai toujours toute mesure qui favorisera la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, tant pour l'homme que pour la femme.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est bien !

Mme Claire-Lise Campion. Mais pas au détriment des femmes !

Sous couvert de rétablir une égalité entre les hommes et les femmes dans l'accompagnement de leur enfant durant les premières années de son existence, vous remettez en cause un acquis et incitez en fait les femmes à arrêter de travailler.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et les hommes !

Mme Claire-Lise Campion. Cette mesure les pénalisera doublement au moment de leur retraite. D'une part, elle leur supprimera l'année de bonification qui se justifie par les nombreux désavantages professionnels qu'elles subissent du seul fait d'être femme. D'autre part, si les périodes d'interruption d'activité seront bien prises en compte pour la durée d'assurance, leurs droits à pension ne seront que proportionnels.

M. Jean-Paul Delevoye, ministre. Mais non, c'est faux !

Mme Claire-Lise Campion. Il s'agit non plus de bonification mais de validation. Les femmes comme les hommes toucheront ainsi une pension moindre.

Nous ne sommes plus dans une logique de compensation, mais dans un système d'incitation : incitation pour la femme à se retirer du marché du travail. Or, vous le savez, après trois ans d'inactivité professionnelle, il est encore plus difficile pour une femme de reprendre une carrière.

Si l'on se réfère à la conférence de la famille qui s'est tenue au mois d'avril dernier, il apparaît que les diverses allocations de congé parental proposées sont largement insuffisantes pour inciter les hommes, et surtout les femmes, qui restent de loin majoritaires, à interrompre leur carrière professionnelle pour s'occuper de leurs enfants. Seuls ceux, et surtout celles, qui touchent de bas salaires et travaillent dans des conditions difficiles ou précaires ont des raisons de prendre ce congé parental dont le montant, avec l'économie des frais de garde, se rapproche d'un SMIC.

En conclusion, je dirai que la plupart des femmes fonctionnaires verront leur acquis régresser, et ce en dépit de l'amendement adopté par l'Assemblée nationale rétablissant, pour la femme, une majoration de la durée d'assurance de six mois pour chaque enfant né. Nous sommes loin de l'année de bonification qui prévalait jusqu'à présent !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !

Mme Claire-Lise Campion. En fait, le Gouvernement nous propose un alignement vers le bas. La décision de la Cour de justice des Communautés européennes ne le contraignait en aucune façon à supprimer l'année de bonification en faveur des femmes. C'est donc à mauvais escient qu'il invoque cette jurisprudence communautaire, de manière à revenir sur un instrument fondamental de la politique familiale. Il était tout à fait possible de conserver la bonification d'un an en la fondant sur la maternité, ce que nous vous proposerons, mes chers collègues.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non, on ne peut pas.

Mme Claire-Lise Campion. Il ne sert à rien de faire des effets d'annonce en avril et de revenir sur des acquis sociaux en juin. De fait, je le répète, les choix politiques du Gouvernement se font au détriment des femmes et notamment de celles qui veulent concilier vie professionnelle et vie familiale. Et pourtant, si l'on veut maintenir un haut niveau de natalité dans ce pays, il est indispensable d'offrir de fortes garanties permettant aux femmes d'assumer à la fois leur enfant et leur emploi.

Ce projet de loi va dans le sens inverse. Vous faites fi, monsieur le ministre, des recommandations du COR, auquel, au demeurant, vous ne manquez pas de vous référer. Ce dernier avait mis en garde sur l'allongement de la période de référence mis en oeuvre par la réforme Balladur et suggérait des mesures spécifiques destinées à en atténuer les effets pour les femmes. Seule une discrimination positive permettrait le rétablissement d'une équité. Nous en sommes loin ! La différence des niveaux de pension entre les hommes et les femmes, du fait notamment des disparités de carrière, est aujourd'hui de 42 %.

Certes, à l'horizon 2020, sans cette réforme, l'écart des pensions entre les sexes devait tendre à se réduire et la retraite moyenne des femmes aurait dû atteindre 78 % du montant de celle des hommes : un mieux pas encore suffisant. Mais, avec le présent projet de loi, ce rattrapage n'aura pas lieu.

Contrairement au mouvement engagé par le gouvernement précédent tendant à améliorer la situation des femmes tant dans leur vie professionnelle que familiale, ce projet de loi initie une régression du droit des femmes, ce qui est représentatif de la conception que vous avez de la place de celles-ci dans notre société. Je le regrette !

M. François Fillon, ministre. Vos propos sont scandaleux !

Mme Claire-Lise Campion. Ainsi, de la même manière que nos collègues de l'Assemblée nationale, je vous demande, monsieur le ministre, de nous faire connaître, d'ici à l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les effets cumulés de toutes les dispositions défavorables aux femmes que comporte ce projet.

M. François Fillon, ministre. C'est scandaleux !

Mme Claire-Lise Campion. Les femmes doivent savoir clairement ce qui les attend ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, chers collègues, notre système de retraite, fondé en 1945, a fait ses preuves. De 1970 à 2000, les retraités sont passés de cinq à douze millions et le financement des retraites de 7,3 % à 12,6 % du PIB sans problème majeur.

Pourquoi ce système ne serait-il pas en mesure d'accompagner une évolution démographique réelle, qui s'annonce toutefois moins brutale que celle que nous avons connue ? Quelle est donc, messieurs les ministres, la raison d'être de votre réforme ?

Vous prétendez « sauver la répartition ». Au contraire, votre loi organise son dépérissement en jouant sur deux paramètres : d'une part, l'allongement indéfini pour tous de la durée de cotisation, après avoir fait sauter le verrou des 37,5 annuités dans la fonction publique, et, d'autre part, la baisse des pensions.

Au total, votre projet de loi fait porter sur les futurs salariés 90 % des 17 milliards d'euros d'effort financier d'ici à 2020. Mais il n'est encore qu'une étape dans votre plan d'affaiblissement de la retraite par répartition, après les réformes Balladur de 1993 et les accords AGIRC-ARRCO de 1994 et 1996.

D'ici à 2020, 24 milliards de besoin de financement ne sont pas couverts par votre projet de loi. Pour y faire face, c'est tout juste si vous évoquez un réajustement symbolique du taux de cotisation vieillesse de 0,2 % en 2006 et un basculement plus qu'hypothétique des cotisations chômage vers l'assurance vieillesse à partir de cette date.

Ainsi, vous réservez d'autres sacrifices aux salariés et aux retraités.

Messieurs les ministres, vous vous appliquez à casser le moteur de la répartition, son financement fondamental. Comme le MEDEF, vous avez un ennemi juré : la cotisation sociale patronale, dont vous gelez le taux dans ce projet de loi et dont vous multipliez les exonérations.

M. François Fillon, ministre. L'avez-vous augmenté ?

Mme Marie-Claude Beaudeau. Votre réforme des retraites, vous l'avez déjà engagée avec vos lois sur les contrats-jeunes et l'harmonisation des SMIC en portant, à la suite de vos prédécesseurs, je vous le concède, les exonérations de cotisations patronales à 23 milliards d'euros par an.

Le Premier ministre ne cesse de proclamer que la baisse des charges est la clé de voûte de sa politique.

M. Henri de Raincourt. Il a raison !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Non ! Les cotisations sociales patronales ne sont pas des « charges ». Elles constituent, et, chers collègues, vos prédécesseurs à la Libération le disaient comme nous, la part socialisée du salaire.

M. Roland Muzeau. Eh oui !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Votre projet de loi repose sur deux présupposés qui sont des tromperies : l'apocalypse démographique et le dogme de la baisse du coût du travail.

Pourtant, la politique de baisse des charges a déjà fait la preuve de son incapacité à créer des emplois et de sa propension à développer la précarité, à comprimer la consommation populaire, base d'une croissance saine.

Avec le recul de notre protection sociale, de nos services publics, ce sont les vrais atouts du développement de notre pays, de sa « compétitivité », pour parler comme vous, que vous sapez.

Votre projet de loi traduit un choix de classe : celui de baisser le salaire socialisé, le financement de la répartition, au bénéfice du patronat, celui d'obliger les salariés qui le pourront à compenser la baisse de leur retraite par des sacrifices sur leur salaire net, celui de détourner cette épargne vers les marchés financiers via les fonds d'épargne salariale ou fonds de pension, qui sont l'objet du titre V de votre projet de loi.

Là se trouve votre troisième tromperie : que la capitalisation puisse constituer une réponse face à l'évolution démographique. Or le financement des retraites, vous le savez bien, ne peut s'effectuer que par un prélèvement en temps réel sur la richesse créée par le travail des actifs, avec la répartition comme avec la capitalisation.

La capitalisation est un mode injuste et aléatoire de financement qui exclut les plus modestes, oppose les retraités aux salariés, les salariés entre eux et place les retraites à la merci de la Bourse.

M. François Fillon, ministre. Nous sommes d'accord !

Mme Marie-Claude Beaudeau. La cotisation sociale, au contraire, est le gage d'un financement sûr et juste de nos retraites comme prélèvement direct sur le lieu de la création de richesse par le travail. C'est la meilleure, sinon la seule clef de répartition juste et solidaire des gains de productivité à venir.

Puisqu'il y aura plus de retraités dans la population, le pays devra consacrer aux retraites une part plus importante du PIB. Le COR estime entre 4 % et 5 % la part supplémentaire du PIB qui devra y être consacrée d'ici à 2040.

Où est le problème ? Même en envisageant une croissance annuelle modeste de 1,6 %, le reste du revenu disponible pour les actifs et l'investissement augmentera toujours de façon significative.

Notre pays a les moyens de financer un haut niveau de retraites en revenant sur les mesures Balladur, c'est-à-dire après 37,5 annuités pour tous, calculé sur les dix meilleures années dans le privé et indexé sur les salaires.

Notre pays peut et doit augmenter les retraites des femmes, dont les carrières sont plus précaires, prévoir un départ progressif anticipé des travailleurs postés, des travailleurs de nuit, des personnes handicapées.

Pour cela, il faut dès à présent revenir sur les exonérations de cotisations sociales et élargir l'assiette à toutes les formes de rémunérations. Les PEA et les PPESV coûtent déjà 2 milliards au budget de l'Etat et 6 milliards à la sécurité sociale. J'ai noté, messieurs les ministres, qu'il y a de l'argent pour soutenir la capitalisation, mais qu'il n'y en a pas pour la répartition !

Enfin, il suffirait d'augmenter de 0,34 % par an le taux de la cotisation vieillesse patronale, inchangé depuis 1979, pour faire face aux besoins de financement d'ici à 2020.

M. François Fillon, ministre. Vous ne l'avez pas fait !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Depuis vingt ans, la part des salaires dans la valeur ajoutée a reculé de 8 %, l'équivalent grosso modo de l'augmentation des profits. C'est bien là qu'il faut prendre l'argent pour les retraites : par la baisse du chômage, par l'augmentation des salaires et des cotisations sociales patronales.

Votre projet de loi, messieurs les ministres, tend à supprimer un acquis social historique. Le mouvement social récent, auquel vous devrez répondre très bientôt, a sonné l'heure de la reconquête.

Messieurs les ministres, ne faites pas, pour les retraites, ce que vous venez de faire pour la Corse. Sachez entendre la voix populaire ! (Très bien et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Marcel-Pierre Cléach.

M. Henri de Raincourt. La voix populaire ! (Sourires.)

Mme Gisèle Printz. Le défenseur des femmes !

Mme Danièle Pourtaud. Défenseur masculin !

M. Marcel-Pierre Cléach. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos rapporteurs et les orateurs qui m'ont précédé vous ont livré leurs analyses du projet de loi portant réforme du système de retraites qui est soumis à vos discussions.

En ce qui me concerne, en ma qualité de membre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, j'analyserai le projet au regard des principes de parité et d'égalité des chances. (Ah ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Représente-t-il une amélioration par rapport aux règles actuelles ou, comme nous l'entendons dire ici ou là de manière manichéenne, une totale régression ?

La situation du régime de retraites actuelle se caractérise par sa complexité, complexité qui le rend difficilement compréhensible. La seule base de documentation de la caisse nationale d'assurance vieillesse comprend 30 000 textes et 2 500 pages d'instruction. Il est donc difficile d'établir un panorama clair des régimes de retraite et de réversion.

Le Conseil d'orientation des retraites a toutefois réussi à établir un document qui représente l'une des rares sources synthétisant la réglementation des différents régimes. En simplifiant, que peut-on retenir aujourd'hui de l'ensemble des dispositions réglementaires qui caractérisent notre système de retraites ?

Il apparaît tout d'abord que la pension de retraite moyenne des femmes représente la moitié de celle des hommes. Pour les retraités de 60 ans et plus, la pension moyenne de droit direct des femmes ne représente que 47 % de celle des hommes. En y ajoutant les droits dérivés, en particulier la pension de réversion, l'écart se réduit, et la retraite moyenne des femmes s'établit à 57 % de celle des hommes. Autour de ces moyennes, la dispersion des retraites féminines est beaucoup plus forte que celle des hommes.

Les générations les plus anciennes, âgées de 85 ans et plus, sont les plus mal loties en matière de retraite, avec des pensions inférieures à la moyenne.

Il apparaît ensuite que 60 % des retraites des femmes sont portés au minimum contributif. Ce minimum contributif, qui représente aujourd'hui environ 60 % du SMIC, prestations des régimes complémentaires comprises, bénéficie à près de trois millions de retraités. Il était destiné, lors de sa création, à ceux qui avaient cotisé longtemps, sur la base de salaires modestes.

Selon la CNAV, en 1999, plus de 56 % des retraites des femmes étaient portés au minimum contributif contre 25 % pour les hommes.

Il apparaît enfin que les inégalités de retraites sont extrêmement variables selon les générations et les professions.

Outre les écarts de salaires, qui peuvent se chiffrer à 25 % en moyenne, les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes s'expliquent par des carrières et, donc, des durées d'assurance très différentes : 85 % des hommes ont pu faire valider une carrière complète, contre 39 % seulement des femmes.

Les inégalités sont marquées selon les statuts. Les plus faibles retraites sont perçues par les anciens artisans, les commerçants et les exploitants agricoles, tandis que les anciens membres de professions libérales et les anciens salariés, à l'exception des salariés agricoles, ont des retraites, en moyenne, nettement plus élevées.

Heureusement, les projections convergent vers un rééquilibrage à long terme. Sous l'effet de la participation croissante des femmes au marché du travail et de l'augmentation de leurs qualifications, l'écart de niveau de retraite entre hommes et femmes, qui a déjà commencé à se réduire, devrait diminuer fortement à l'horizon 2020 avec l'arrivée à la retraite des générations du baby boom.

Toujours à l'horizon 2020, selon les simulations, l'écart des pensions entre les sexes se réduirait notablement et la retraite moyenne des femmes s'établirait à 78 % de celle des hommes.

En 2020, les inégalités de retraites entre les hommes et les femmes pourrait se réduire à 22 %.

L'écart moyen de pensions entre les sexes dans la fonction publique représente, d'après les chiffres publiés par la Cour des comptes, 18 %. Cet écart diminue rapidement, puisqu'il s'établit à 11 % pour les agents partis en retraite en 2001.

Les inégalités hommes-femmes sont moins marquées dans la fonction publique que dans le secteur privé : 53 % tous régimes confondus, contre 18 % dans la fonction publique.

Pour l'ensemble des femmes salariées du secteur privé, y compris celles qui ont eu des carrières courtes, qui ont interrompu leurs activités professionnelles pour élever leurs enfants et qui ont donc peu cotisé, l'écart moyen des pensions de droit direct entre hommes et femmes est de 63 %.

En regard de cette situation, qui reste marquée par des disparités importantes, notamment entre les retraités du secteur privé - qu'ils ou elles relèvent du régime général ou des régimes particuliers des professions libérales, des artisans et commerçants, des professions agricoles - et les retraités de la fonction publique, il convient maintenant d'analyser si le projet de loi qui nous est présenté, amendé et complété par les travaux de l'Assemblée nationale, apporte des progrès ou s'il convient de l'améliorer encore.

Il apparaît clairement que le projet de loi comporte, outre l'objectif essentiel de sauvegarde du principe de la retraite par répartition, des objectifs spécifiques qui, du point de vue de l'analyse à laquelle je me suis livrée, répondent aux préoccupations ci-après : mise en conformité au droit européen du régime de retraite de la fonction publique ; mise en conformité au droit européen des réversions dans la fonction publique ; préservation de certains avantages propres à la fonction publique ; amélioration de la situation des conjoints survivants du régime général ; maintien des compensations familiales en faveur des mères de famille relevant du régime général ; revalorisation du minimum contributif et, enfin, choix d'outils de rééquilibrage adaptés aux caractéristiques de l'emploi féminin.

L'Assemblée nationale a, de surcroît, apporté de nombreuses améliorations au projet initial.

Le projet de loi satisfait l'exigence européenne d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes fonctionnaires.

L'article L. 12 du code des pensions réserve en effet, aujourd'hui, aux seules femmes fonctionnaires une bonification d'une annuité pour chacun de leurs enfants légitimes, de leurs enfants naturels dont la filiation est établie ou de leurs enfants adoptifs.

Un requérant, M. Griesmar, père de trois enfants, a contesté cette exclusion des hommes et obtenu gain de cause.

La Cour de justice des Communautés européennes, saisie par le Conseil d'Etat de la question de la validité de cette disposition, a indiqué que « le principe de l'égalité des rémunérations est méconnu par ce dispositif, qui exclut du bénéfice de la bonification les fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l'éducation de leurs enfants ». Dans sa décision du 29 juillet 2002, le Conseil d'Etat a suivi ce raisonnement.

Le Gouvernement s'est donc trouvé confronté à l'obligation de mise en conformité des dispositions réglementaires actuelles avec cette jurisprudence, nonobstant le coût induit par l'extension à l'ensemble des conjoints des dispositions de l'article L. 12 du code des pensions précité.

C'est ainsi qu'ont été prévues deux dispositions, l'une conservant le dispositif actuel pour les enfants nés ou adoptés avant le 1er janvier 2004 et élevés pendant neuf ans avant leur vingt et unième anniversaire, avec extension du dispositif aux hommes sous la même condition.

C'est une mesure importante, car il s'agit là d'une compensation dont ont bénéficié, en 2001, 87 % des femmes fonctionnaires parties en retraite.

Pour l'avenir, c'est-à-dire pour les enfants nés ou adoptés après le 1er janvier 2004, l'article 27 du projet de loi initial remplace la bonification d'un an par enfant pour tous les fonctionnaires, hommes et femmes, par une validation gratuite de périodes d'interruption ou de réduction d'activité effectivement consacrées à l'éducation d'un enfant ou aux soins donnés à un enfant gravement malade ou atteint d'un handicap, pour une durée maximale de trois ans par enfant. La validation est gratuite, mais la période validable est limitée à trois ans par enfant, ce qui n'est pas négligeable.

L'Assemblée nationale a, en outre, voté une modification de l'article 31 permettant d'accorder une bonification d'un an pour les femmes fonctionnaires ou militaires ayant accouché au cours de leurs années d'études avant leur recrutement dans la fonction publique, sous certaines conditions.

Elle a également voté un amendement, d'ailleurs présenté par le rapporteur du projet de loi, comportant le bénéfice d'une majoration de durée d'assurance de six mois destinée à compenser les désavantages de carrières qu'induisent pour les femmes fonctionnaires les interruptions liées à l'accouchement.

Ces deux mesures constituent véritablement une compensation aux inconvénients du nouveau dispositif.

En matière de réversion dans la fonction publique, le projet de loi étend également le dispositif existant de pension de réversion des veuves de fonctionnaires aux hommes veufs de femmes fonctionnaires.

La nouvelle rédaction du code des pensions civiles et militaires substitue, pour l'essentiel, la notion de conjoint à celle de veuve. Il convient de préciser que le code civil ne vise par le terme de conjoint que les couples mariés.

En revanche, le fond même du dispositif n'est pas modifié : ainsi, le conjoint a droit à 50 %, sans plafonnement, de la pension du fonctionnaire décédé. Le total de la pension de réversion et des ressources extérieures du conjoint survivant ne peut être inférieur à un minimum.

L'Assemblée nationale a adopté, à l'article 32 du projet de loi, un amendement qui prévoit la non-application de la décote aux pensions de réversion lorsque le décès du fonctionnaire intervient avant la liquidation de sa pension.

Je rappelle, par ailleurs, que l'article 34 du projet de loi préserve pour certaines femmes fonctionnaires le droit de partir de façon anticipée, sans condition d'âge et avec jouissance immédiate de leurs droits, dès lors qu'elles ont quinze ans de service et trois enfants vivants - ou décédés par faits de guerre - ou un enfant vivant invalide au moins à 80 %.

Il m'apparaîtrait souhaitable, par ailleurs, que la loi accorde, sous forme de majoration de la durée d'assurance, une compensation spécifique pour les parents d'enfants handicapés. Cette mesure complèterait le dispositif actuel qui est conservé par le projet de loi et qui prévoit la possibilité de départ anticipé des femmes fonctionnaires ayant un enfant invalide.

J'en viens maintenant aux dispositions qui concernent le régime général.

Le projet de loi améliore incontestablement la situation des conjoints survivants en simplifiant le régime de la réversion, supprimant les conditions d'âge, d'absence de remariage et de durée de mariage pour bénéficier de la réversion. Le conjoint survivant devra seulement satisfaire à des conditions de ressources.

L'Assemblée nationale a, en outre, adopté à l'article 22 un amendement de la commission des affaires sociales tendant à augmenter le plafond de revenus et à améliorer l'accès à la réversion, en particulier lorsque le conjoint survivant vit en ménage.

Le dispositif du projet de loi prévoit également le maintien des compensations familiales en faveur des mères de famille relevant du régime général.

Aujourd'hui, une femme qui relève du régime général a droit à une majoration de sa durée d'assurance retraite de deux ans par enfant. Les femmes ayant en moyenne deux enfants, ce sont quatre ans supplémentaires qui peuvent ainsi être validés au régime général. Cependant, cette validation ne donne droit à aucun avantage au titre des régimes complémentaires.

Si ces compensations ne donnent pas de droits importants en termes de salaire qui sera pris en compte pour le calcul de la pension, en revanche, le gain est substantiel en termes de durée.

L'Assemblée nationale a elle-même adopté un certain nombre de mesures nouvelles : majoration de la durée d'assurance pour les mères ayant perdu un enfant en bas âge dans la limite de huit trimestres par enfant ; majoration de la durée d'assurance dans la limite de douze trimestres pour les parents d'enfants handicapés ; extension du champ de l'assurance vieillesse des parents au foyer pour les parents d'enfants handicapés.

Il s'agit ici de permettre au membre de la famille d'un enfant handicapé, qui n'exerce pas d'activité professionnelle ou qui l'a réduite pour assumer la fonction de tierce personne, de ne plus cotiser lui-même pour acquérir des droits à la retraite. Les cotisations seront désormais prises en charge par la CNAF.

Concernant le minimum contributif, qui est, aujourd'hui, inférieur au minimum vieillesse, le projet de loi fixe comme objectif d'assurer en 2008, à travers les régimes légaux de base et complémentaires, un montant minimal de retraite égal à 85 % du salaire minimum de croissance net de prélèvements sociaux pour une carrière complète.

Cette disposition est très importante pour les femmes, dont un grand nombre travaille dans certaines industries, mécanique ou textile par exemple, pour de petits salaires.

Enfin, le projet de loi met en place des outils de rééquilibrage adaptés aux caractéristiques de l'emploi féminin. La main-d'oeuvre féminine présente aujord'hui, deux caractéristiques spécifiques : les femmes sont plus diplômées que les hommes et elles travaillent à temps partiel dans une proportion six fois supérieure à celle des hommes.

En 2001, l'INSEE a recensé 10,6 millions de femmes ayant un emploi, dont un tiers à temps partiel : cette modalité concerne ainsi 30 % des femmes, contre à peine 5 % des hommes.

Il s'agit donc de l'élargissement de la possibilité pour les assurés entrés tardivement sur le marché du travail de racheter des cotisations afin, notamment, de tenir compte des perspectives d'allongement de la durée de cotisation.

L'Assemblée nationale a étendu explicitement ce dispositif aux commerçants, aux industriels et aux artisans.

En ce qui concerne les fonctionnaires, l'article 28 leur ouvre, sous certaines conditions, la possibilité de racheter les années d'études accomplies dans les établissements d'enseignement supérieur, les écoles techniques supérieures et les grandes écoles et dans les classes du second degré préparatoires à ces grandes écoles.

L'Assemblée nationale a adopté à cet égard un amendement du Gouvernement qui supprime le lien entre les années rachetées et le concours d'entrée, et porte à quatre ans le délai séparant l'obtention du diplôme à l'affiliation du régime.

Ce rachat, bien sûr, n'est pas gratuit, mais il convient de noter qu'il s'accompagne de possibilités d'étalement du paiement dans le temps et de déductibilité fiscale de l'assiette de l'impôt sur le revenu dans des conditions prévues à l'article 81 du projet de loi.

Un autre dispositif de rééquilibrage m'apparaît particulièrement favorable aux femmes dont la carrière est souvent discontinue ou caractérisée par un temps partiel important.

Aujourd'hui, dans le régime général, la législation ne permet pas à tout salarié exerçant une activité à temps partiel de cotiser pour sa future pension de retraite de base sur une assiette correspondant à un emploi à temps plein.

Avec l'article 23, les salariés déjà employés à temps partiel ou embauchés à temps partiel pourront, dès le 1er janvier 2004, compléter leurs droits à pension de retraite. Cette disposition a été étendue aux salariés agricoles par l'Assemblée nationale.

En ce qui concerne les fonctionnaires, une possibilité analogue est prévue à l'article 30 du projet de loi : les fonctionnaires travaillant à temps partiel pourront demander à verser une retenue pour pension majorée correspondant à un service à temps plein. Cette surcotisation permettra d'augmenter la durée des services pris en compte d'au plus quatre trimestres au total.

Le Gouvernement a indiqué que le rachat serait déductible de l'impôt sur le revenu dans les conditions fixées à l'article 81 du projet de loi.

Je rappelle que, à côté de cette possibilité de surcotisation qui relève du choix volontaire du fonctionnaire de travailler à temps partiel, l'article 27 du projet de loi prévoit la validation gratuite du temps partiel pour motif familial.

Il apparaît donc que le projet de loi, tel qu'il a été complété par nos collègues de l'Assemblée nationale, comporte des dispositions favorables au double point de vue de la parité et de l'égalité de chances ; que, dans certains cas, il améliore la situation des conjoints hommes, mais que, il améliore, très directement ou par voie de conséquence, la situation des conjointes qui sont les plus nombreuses dans ce cas.

Le projet de loi, vous le constatez, mes chers collègues, contient de nombreuses dispositions visant à améliorer la situation actuelle.

Nous pouvons, les uns et les autres, porter des appréciations différentes sur les choix faits par le Gouvernement, choix qui tiennent largement compte de la quasi-obligation dans laquelle nous nous trouvons de ne pas aggraver le fardeau des prélèvements obligatoires et qui expriment la volonté largement partagée de conserver un taux de liquidation aussi satisfaisant que possible.

Il est facile de souhaiter plus et mieux, il est facile de critiquer cette réforme courageuse, mais je crois moins facile d'apparaître crédible dans une critique frontale, sans nuances, quand on a détenu le pouvoir législatif et présidentiel pendant de nombreuses années, des années économiquement fastes,...

M. Henri de Raincourt. Absolument !

M. François Fillon, ministre. Eh oui !

M. Marcel-Pierre Cléach. ... sans avoir eu le courage et la responsabilité de traiter le problème...

M. Roland Muzeau. Caricature !

M. Marcel-Pierre Cléach. ... autrement que par l'élaboration de nombreux rapports. Seule tranche la création du COR, mesure constructive, mais qui, vous l'avouerez, ne nécessitait pas un courage exceptionnel.

M. Roland Muzeau. C'est lassant !

M. Marcel-Pierre Cléach. Je voterai bien sûr le projet de loi, messieurs les ministres, tout en ayant conscience de ses limites, du souhaitable et du possible, en vous remerciant de la ténacité et du courage dont vous avez fait preuve depuis plusieurs mois, et en souhaitant que le débat, dans cette assemblée, soit digne et de meilleure qualité que celui qu'ont offert aux Français certains de nos collègues de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Excellente mise au point !

Mme Danièle Pourtaud. N'importe quoi !

M. Claude Domeizel. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.

M. Claude Domeizel. Monsieur le président, je serai très bref.

Mes collègues, membres de la délégation aux droits des femmes et moi-même, ne voudrions pas qu'il y ait confusion.

Quand on monte à la tribune, on dit absolument ce qu'on veut ; mais, M. Cléach ayant été désigné comme rapporteur par la délégation aux droits des femmes, il ne faudrait pas que l'on puisse penser qu'il a lu le rapport de la délégation, alors que celui-ci n'a pas été adopté.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis, et M. François Fillon, ministre. Il n'a jamais dit cela !

M. Claude Domeizel. Je le sais bien, mais la précision me semblait devoir être apportée afin qu'aucune confusion ne soit possible.

M. Gilbert Chabroux. Absolument !

M. le président. Monsieur Domeizel, M. Cléach s'est inscrit dans la discussion générale, et c'est à ce titre qu'il s'est exprimé.

M. Claude Domeizel. C'était textuellement le rapport qu'il a proposé à la délégation !

M. le président. Il s'exprimait non en tant que rapporteur, mais en tant qu'orateur inscrit !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Permettez-moi, monsieur Domeizel, de m'étonner. Vous vous êtes plaint que M. Cléach n'ait pas été entendu par la commission des affaires sociales, ce qui s'explique par le fait que la délégation n'a adopté aucune recommandation !

J'estime, monsieur Domeizel, que M. Cléach vient de vous apporter satisfaction puisqu'il a fait un rapport pour vous tout seul ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Mais il est vrai que M. Cléach est tellement convaincant dans sa démonstration...

M. Claude Domeizel. Tellement convaincant que son rapport n'a pas été adopté !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ... que l'on a effectivement eu le sentiment qu'il parlait au nom de la délégation !

M. Gilbert Chabroux. Erreur !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après plusieurs semaines d'attente dues à l'activisme législatif d'une opposition qui a privilégié la démagogie et la défense d'intérêts particuliers, ...

M. Henri de Raincourt. Cela démarre très bien !

Mme Françoise Férat. ... nous sommes donc saisis - j'allais dire : enfin ! - de l'examen du projet de loi portant réforme des retraites.

Je tiens, en guise de préambule, à adresser mes plus vives et sincères félicitations au Gouvernement et à saluer plus particulièrement le courage avec lequel MM. Fillon et Delevoye...

M. Roland Muzeau. Ils n'écoutent pas !

Mme Françoise Férat. ... ont abordé cette délicate réforme.

M. Henri de Raincourt. Très bien !

M. Roland Muzeau. Heureusement que je veille ! (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Henri de Raincourt. Ecoutez donc !

Mme Françoise Férat. L'épreuve est d'autant plus périlleuse que la précédente équipe gouvernementale a préféré éluder le problème et le reporter sine die sans prêter la moindre attention aux conséquences pour les générations à venir.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Courage, fuyons !

Mme Françoise Férat. Aujourd'hui, par ce projet de loi, auquel le groupe de l'Union centriste pourra, je l'espère, apporter sa contribution, il est certes demandé un important effort financier, mais, en contrepartie, il est proposé d'assurer la pérennité du système des retraites par répartition.

Contrairement aux allégations entendues sur tel ou tel banc de l'Assemblée nationale, ce texte est véritablement source de justice sociale.

En effet, si nous avions renoncé à cette réforme, nous aurions tous porté la responsabilité du déclin inexorable de notre système de retraite. Si nous avions renoncé à cette réforme, nous aurions tous porté la responsabilité de l'avènement d'un système de retraite par capitalisation.

M. François Fillon, ministre du travail et de la solidarité. Eh oui !

Mme Françoise Férat. Si nous avions renoncé à cette réforme, nous aurions tous, enfin, porté la lourde responsabilité de l'appauvrissement de ceux qui perçoivent les basses pensions et de l'enrichissement de ceux qui perçoivent les plus élevées.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Voilà !

Mme Françoise Férat. Je ne peux dès lors que souscrire à la philosophie générale de ce texte, qui a pour objet de sauver notre système de retraite à la française et de répondre à un véritable souci d'équité entre les fonctionnaires et les salariés du privé.

J'apporte d'autant plus mon soutien à ce texte, qu'il a été amélioré par les discussions entre le Gouvernement et les syndicats, discussions qui ont, en particulier, permis d'aboutir à la garantie d'une retraite minimale s'élevant à 85 % du SMIC, à l'intégration partielle des primes de la fonction publique dans le calcul de la pension, à l'instauration d'une réelle souplesse dans le choix du départ à la retraite et à l'affirmation d'un traitement équitable des pluripensionnés.

Pour autant, je souhaite appeler l'attention du Gouvernement sur un sujet qui me préoccupe au plus haut point : la définition des métiers pénibles.

Pour ma part, je considère la pénibilité comme le souci, partagé par la solidarité nationale, de permettre le départ à la retraite prématuré à ceux qui ont exercé une activité professionnelle particulièrement éprouvante.

Aussi devons-nous nous atteler à une définition objective et générale de la notion de pénibilité.

Il existe à ce titre des indicateurs fiables qui pourraient contribuer à une telle définition : durée de vie moyenne par catégorie socioprofessionnelle, risques infectieux, taux d'accidents professionnels, répétition des gardes de nuit et de week-end, environnement professionnel, pression psychologique, contraintes physiques... Malheureusement, cette liste n'est pas exhaustive !

Si le compromis signé par le Gouvernement et certains syndicats le 15 mai dernier a permis de prendre cette préoccupation en compte, il me semble toutefois indispensable de confier aux partenaires sociaux la mission d'énumérer, par le biais d'un accord interprofessionnel, des critères généraux de pénibilité. Il leur reviendrait ensuite de négocier et d'arrêter branche par branche, dans des délais raisonnables, la liste des métiers pénibles justifiant une cessation d'activité anticipée. De même, pour assurer la réussite de ces négociations, il conviendrait d'affirmer dès à présent la caractère évolutif de la notion de pénibilité.

Dans cette perspective messieurs les ministres, je souhaiterais que l'Etat veille à la tenue effective de ces négociations et de ces procédures périodiques de révision.

Pour illustrer tout l'intérêt de telles révisions, qui concernent autant le secteur public que le secteur privé, j'évoquerai successivement la situation des techniciens de laboratoire des centres hospitaliers...

M. Guy Fischer. Ah !

M. Roland Muzeau. La promesse de M. Mattei n'a pas été tenue !

Mme Françoise Férat. ... et celle de certains enseignants.

En dépit d'arguments parfaitement légitimes que nombre d'entre nous ont relayés, les techniciens de laboratoire n'ont jamais été intégrés en catégorie « B » active. Or un rapport récemment rendu public prévoit de leur refuser cette modification statutaire au motif qu'ils ne sont pas en contact direct avec le malade et ne mènent pas une activité éprouvante.

M. Roland Muzeau. C'est une trahison !

Mme Françoise Férat. Je conteste une telle vision de la profession, qui en nie complètement la dangerosité et la pénibilité. En effet, ces personnels manipulent, souvent dans l'urgence, le sang et autres liquides biologiques. Les gardes de nuit et de week-end, l'absence de congé fixe hebdomadaire, témoignent en outre du souci constant des techniciens de laboratoire de contribuer à la permanence de la chaîne de soins. C'est pourquoi il me semble que le rapport que j'évoquais à l'instant ne rend pas compte des contraintes qui leur sont imposées et qui ont été par ailleurs accrues avec la mise en oeuvre des 35 heures.

Ces personnels accomplissent donc des tâches qui sont en totale inadéquation avec leur classement actuel. J'espère par conséquent que la révision de la notion de pénibilité, qui doit être menée simultanément dans le privé et dans le public, leur permettra d'être intégrés aux professions actives des centres hospitaliers.

De même, je forme le voeu que vous accueilliez favorablement un amendement, présenté par ma collègue Anne-Marie Payet et moi-même, qui vise à accorder une majoration de pension pour les enseignants qui ont exercé pendant au moins dix ans dans une zone reconnue difficile ou auprès d'élèves en difficulté.

Bien évidemment, la réforme des retraites ne doit pas être appréciée à travers le prisme de ces situations singulières ; elle appelle au contraire une prise de position fondée sur sa portée générale.

Partageant largement les orientations de cette réforme, qui est juste, équilibrée et équitable, je lui apporterai mon soutien indéfectible. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà plus de dix ans que le dossier que nous abordons aujourd'hui est en instance.

« Ne rien faire aujourd'hui conduirait à terme à la condamnation de la répartition et à la rupture des solidarités essentielles. Ne rien faire conduirait à subir une augmentation inéluctable des prélèvements sociaux, réduisant le pouvoir d'achat espéré par les actifs, pesant sur la capacité d'épargne des ménages et des entreprises, mettant finalement en péril la compétitivité de l'économie et aggravant le chômage. » C'est ainsi que Michel Rocard préfaçait en 1991 le Livre blanc sur les retraites, ajoutant de vive voix : « Ce dossier est assez explosif pour faire tomber cinq ou six gouvernements. »

Si son avertissement a été entendu par la gauche, Michel Rocard voulait-il dire qu'il ne fallait rien faire ? Ce n'est pas sûr.

M. Roland Muzeau. Proposez-lui d'adhérer !

M. Gilbert Barbier. Depuis la « réforme Balladur », en 1993, et la tentative, sans doute mal présentée, du « plan Juppé » en 1995,...

M. Roland Muzeau. Ah oui ! Ce n'était qu'une question de présentation !

M. Gilbert Barbier. ... de nombreux rapports et débats se sont succédé. Mais rien n'a été entrepris, sinon la mise en place en 2000 du Conseil d'orientation des retraites, le COR, dont les travaux, il faut le reconnaître sont riches d'enseignements. Et la gauche, encore aujourd'hui, semble tergiverser et ne pas vouloir admettre la nécessité d'agir vite !

Pourtant, à l'évidence, la question de la sauvegarde de notre système de retraite se pose avec encore plus d'acuité qu'en 1991. Chacun sait désormais que l'arrivée à l'âge de la retraite, à partir de 2005, des générations nombreuses d'après-guerre et l'allongement de l'espérance de vie, tendance positive entre toutes, entraîneront dès 2010 un accroissement considérable des besoins de financement. Les projections du COR les établissent à un minimum de 2 points supplémentaires du produit intérieur brut en 2020 et de 4 points supplémentaires en 2040.

On peut arguer de la fragilité de prévisions faites à si longue échéance pour les contester. Telle est cependant la règle du jeu, et il faut reconnaître que ces prévisions sont bâties sur des paramètres économiques difficiles à contrôler vingt ou trente ans à l'avance. Mais il ne faut pas attendre de miracle démographique ni surestimer les marges de manoeuvre susceptibles d'être dégagées par la croissance et par les gains de productivité.

En revanche, 2010, c'est demain, et tout est déjà joué. C'est particulièrement vrai pour ce qui concerne l'importance des retraites de la fonction publique d'Etat, dont chacun sait, à commencer par les manifestants qui relèvent de ce secteur, qu'elles représenteront une charge considérable dans les prochaines années.

Nous avons donc un devoir de lucidité, de vérité vis-à-vis des Français, mais aussi un impératif d'agir. Gouverner, c'est en effet prévoir et gérer le temps long. Une réforme immédiate, étalée sur plusieurs années, sera toujours plus acceptable qu'un sursaut dans l'urgence.

D'ailleurs, les plus grands pays industrialisés l'ont bien compris : confrontés aux mêmes tendances, certains se sont attelés depuis bien longtemps à réformer leur système de retraite sans que cela provoque les mobilisations que nous connaissons.

Nos voisins allemands, pour ne prendre que cet exemple, ont récemment affirmé qu'il faudra travailler plus longtemps pour obtenir une retraite moins généreuse. On observe d'ailleurs un point de convergence dans les réformes déjà acquises en Europe : le relèvement de l'âge légal de la retraite, jusqu'à 65 ans dans la plupart des cas, voire jusqu'à 67 ans.

M. Guy Fischer. C'est formidable !

M. Roland Muzeau. C'est cela, le progrès !

M. Gilbert Barbier. Après dix ans d'hésitation en France, nous voilà, enfin, devant une proposition concrète de réforme. Je voudrais saluer ici le courage de ce gouvernement, qui a su prendre le problème à bras le corps et faire preuve de fermeté sans exclure la concertation.

Quels doivent être les objectifs d'une réforme ambitieuse ? D'abord, sauvegarder le système par répartition en garantissant son financement ; ensuite, retrouver l'équité des salariés devant la retraite, garantir une retraite minimale digne de ce nom à ceux qui ont travaillé toute leur vie, assurer des avantages particuliers à ceux dont les métiers sont les plus pénibles ; enfin, donner à chacun une certaine liberté de choix pour leur départ à la retraite.

Le projet de loi que vous nous présentez, messieurs les ministres, répond globalement à ces objectifs.

En premier lieu, il tend vers l'équité et renforce la justice sociale à travers tout à la fois l'alignement progressif de la durée de cotisation du secteur public sur celle du secteur privé, la mise en oeuvre d'une décote et d'une surcote identiques dans les deux secteurs, l'indexation pour tous de la retraite sur les prix, la garantie d'une pension équivalant à 85 % du SMIC pour ceux qui ont des revenus modestes et qui ont effectué une carrière complète au SMIC, la prise en compte de la pénibilité grâce à la négociation de branche qui est ouverte, l'amélioration de la situation des conjoints survivants, enfin, la bonification pour éducation d'enfants, ainsi que cela vient d'être rappelé.

En second lieu, il apporte de la souplesse au système, permettant à chacun de construire sa retraite grâce à la possibilité ouverte aux assurés qui sont en activité depuis l'âge de 14, 15 et 16 ans de faire valoir leurs droits avant 60 ans ; à l'extension des possibilités de rachat d'annuités ; à la mise en place d'un dispositif d'épargne pour le complément à la retraite.

Dans ce projet de loi, le Gouvernement n'a pas voulu aller jusqu'au bout d'une réforme qui comporte encore des inégalités entre les salariés du public et ceux du privé, s'agissant notamment du salaire de référence pour le calcul de la retraite - les vingt-cinq meilleures années pour les premiers, les six derniers mois pour les seconds - ou des taux de cotisation. Peut-être le jeu complexe des primes était-il difficile à mettre à plat ?

Par ailleurs, les régimes spéciaux ne sont pas touchés. Vous avez répondu sèchement, en commission, à la question d'un de nos collègues, monsieur le ministre. Cependant, des efforts ont été demandés hier aux salariés du privé, aujourd'hui à ceux de la fonction publique. Comment justifier qu'une partie de nos concitoyens reste à l'écart de cet effort collectif ? Le besoin de financement de ces régimes sera de 13 milliards d'euros par an en 2020. On ne peut prétendre que la réforme concerne tout le monde tout en laissant de côté les retraites les plus favorables en termes d'âge de départ et de durée de cotisation, et en demandant à la collectivité de payer le déficit des caisses concernées !

Enfin, des questions subsistent sur l'équilibre financier des régimes de retraite.

L'allongement de la durée de cotisation et l'indexation des pensions sur les prix vont sans aucun doute dégager des ressources, mais ils ne peuvent suffire à assurer l'équilibre. Vous comptez, messieurs les ministres, sur le retour au plein emploi pour trouver des marges supplémentaires ; mais quel est le réalisme de cette affirmation ? Un transfert massif de l'assurance chômage vers les régimes de retraite est-il par ailleurs souhaitable ?

J'ai bien compris que vous n'avez pas voulu bloquer dans une réforme figée pour vingt ans des dispositifs qui, naturellement, devront s'adapter à la situation de l'emploi, au taux d'activité et à la démographie. L'engagement a été pris d'un rendez-vous tous les cinq ans pour réajuster les paramètres de financement.

Quoi qu'il en soit, le scénario de référence du Conseil d'orientation des retraites me paraît fondé sur des hypothèses bien volontaristes, pour ne pas dire trop optimistes.

La recherche d'autres financements - sur la valeur ajoutée, par exemple, ou par l'augmentation progressive du taux de cotisation, solutions avancées par beaucoup, notamment par les jusqu'au-boutistes des 37,5 ans pour tous - aurait toujours le défaut de nuire à coup sûr à la compétitivité des entreprises soumises à la loi française, avec les conséquences que cela aurait sur l'emploi et sur les délocalisations dont nous percevons déjà jour après jour les ravages sur le plan social.

Pour finir, je veux parler de l'employabilité des plus de 50 ans. La sortie anticipée du marché de l'emploi des travailleurs âgés conduit à s'interroger sur le recours excessif au mécanisme de préretraite. Des dispositifs sont prévus pour limiter ce recours, et le groupe du RDSE proposera d'ailleurs un amendement à ce sujet, mais c'est malheureusement plus dans les mentalités et les pratiques que de profonds changements doivent intervenir. Je forme le voeu que notre société et ses entreprises aient à coeur et comprennent l'intérêt qui s'attache à la valorisation de l'expérience et de la compétence.

Bien qu'incomplet, ce projet de loi a le mérite d'exister et constitue un pas important vers la consolidation des retraites. C'est pourquoi la majorité de mon groupe le votera.

Je fais confiance aux Français pour distinguer d'ici peu les leaders politiques et syndicaux qui auront assumé un choix responsable de ceux qui se seront enfermés dans une obstruction démagogique. A ces derniers, je suggère de méditer ce propos d'une grande figure de notre histoire sociale.

« Je comprends que nous discutions sur les modalités de ce projet, que nous cherchions le moyen de l'améliorer, je comprends par exemple que plusieurs d'entre vous réclament qu'une part plus large soit faite à la répartition et que la capitalisation, sans être supprimée, soit réduite à des proportions moindres. Mais ce que je ne comprends pas, c'est que le comité de la CGT dise aux ouvriers : "Prenez garde, ce qu'on veut faire avec cette loi, c'est voler l'argent des ouvriers." Cet enfantillage, ce sont les socialistes qui, les premiers, l'ont propagé et accrédité.

M. Gilbert Chabroux. Comment ?

M. Gilbert Barbier. Demain, si nous ne rectifions pas notre état d'esprit, si nous ne nous habituons pas à être sérieux, à regarder toujours la réalité des choses,...

M. Jean-Pierre Masseret. C'est réactionnaire !

M. Gilbert Barbier. ... à mettre toujours nos pensées en harmonie avec les actes et les faits, demain s'élargira de cercle en cercle, contre les lois nécessaires, une suspicion, une méfiance que nous aurons créées nous-mêmes. »

Ces propos ont été tenus le 26 novembre 1900, à l'hippodrome de Lille, lors d'un débat sur les retraites par un certain Jean Jaurès ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. Roland Muzeau. Les enfants travaillaient dès douze ans dans les mines à cette époque !

M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger.

M. Yves Krattinger. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le mot « réforme » est à la mode, mais encore faut-il savoir de quelle réforme il peut s'agir. Par curiosité, j'ai consulté le dictionnaire et constaté qu'il y avait en effet trois sens possibles.

Premier sens, la réforme est « une amélioration apportée dans le domaine moral ou social ».

M. Henri de Raincourt. C'est tout à fait cela !

M. Yves Krattinger. Dans ce cas, la réforme est une bonne chose. Mais deuxième sens, réformer, c'est aussi « rétablir dans sa forme primitive une règle qui s'est corrompue ». Si c'est cette définition qui s'applique à votre texte,...

M. Hilaire Flandre. Elle peut s'y appliquer !

M. Yves Krattinger. ... on peut s'interroger.

Enfin, troisième sens, la réforme est la « mise hors de service de ce qui y est devenu impropre ». Cela devient plus dangereux !

S'agissant du présent projet de loi, dans quel sens faut-il donc prendre le mot « réforme », messieurs les ministres ?

M. Henri de Raincourt. Le bon sens !

M. Yves Krattinger. Dans chacun des pays de l'Union européenne, l'intérêt général a commandé de consacrer du temps à l'obtention d'un consensus national garant de la qualité des mesures mises en place en même temps que de leur pérennité.

Dans notre pays, le Gouvernement aurait probablement pu parvenir à contruire avec les organisations de salariés les bases d'un véritable accord.

Il ne l'a pas fait. Force est de constater que, partant d'une pseudo-concertation qui ne voulait pas être une négociation - vous l'avez souvent répété -, il a ensuite basculé dans une négociation bâclée, puisqu'elle s'est jouée en quelques heures, et ainsi créé les conditions d'une tension sociale extrême.

Tactiquement, vous avez gagné.

M. Claude Domeizel. Pas encore !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Rien n'est jamais gagné !

M. Yves Krattinger. Vous avez su isoler ceux que vos collaborateurs appelaient les « mortels », c'est-à-dire les salariés des régimes spéciaux, provisoirement épargnés, de ceux qu'ils rangeaient dans les « venimeux »...

M. Dominique Leclerc, rapporteur. C'est insensé !

M. Yves Krattinger. ... - je l'ai lu -, à savoir les enseignants et les salariés des différentes fonctions publiques, qui représentent la masse des fonctionnaires.

M. François Fillon, ministre. On ne peut pas laisser dire cela !

Où l'avez-vous lu ? Donnez vos sources !

M. Yves Krattinger. Monsieur le ministre, vous me répondrez tout à l'heure !

M. François Fillon, ministre. Donnez vos sources ! On ne peut pas dire devant le Sénat que le Gouvernement traite les fonctionnaires de « venimeux » !

M. Yves Krattinger. Tout à l'heure, monsieur le ministre !

M. François Fillon, ministre. Vous vous déshonorez !

M. Yves Krattinger. Naguère appelés les hussards de la République, les enseignants ont aujourd'hui le sentiment d'en être plutôt les parias. Le Gouvernement a cherché à opposer les salariés du public et ceux du privé en comparant constamment les 37,5 annuités des fonctionnaires aux 40 annuités exigées aujourd'hui des salariés du privé.

MM. Claude Domeizel et Guy Fischer. C'est vrai !

M. Yves Krattinger. Votre copie, monsieur le ministre, est devant le Sénat. Allons droit au but : votre plan est un mirage et nous craignons que le réveil ne soit très douloureux.

Le constat est la seule chose qui est partagée. La vie dure plus longtemps, c'est très heureux pour tous. Il y a donc plus de retraités de plus de retraites à verser. Si l'on ne change rien, si nous ne changeons ni le niveau des cotisations, ni la durée d'activité, ni le taux de remplacement, les dépenses, c'est certain, dépasseront largement les recettes et, nous en sommes d'accord, si aucune mesure n'est prise, le financement ne sera plus assuré.

M. Josselin de Rohan. Pourquoi n'avez-vous rien fait pendant cinq ans ?

M. Yves Krattinger. M. Balladur avait choisi une méthode : s'attaquer aux dépenses en baissant le niveau des retraites.

Ce sont les salariés du secteur privé qui portent l'essentiel de l'effort par la diminution du montant des pensions.

M. Hilaire Flandre. C'est une façon de calculer !

Mme Nicole Borvo. On voit bien que ce n'est pas votre retraite qui est en jeu !

M. Yves Krattinger. Les retraités du secteur privé voient leur revenu décrocher sensiblement...

M. Hilaire Flandre. Il fallait augmenter aussi la durée des cotisations, et, cela, vous en étiez incapables !

M. le président. Mon cher collègue, laissons se dérouler ce débat ; l'examen des amendements donnera à chacun maintes occasions d'intervenir.

M. Henri de Raincourt. Pas trop, j'espère, monsieur le président !

M. Guy Fischer. Faites-nous confiance !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Krattinger.

M. Yves Krattinger. Les retraités du secteur privé voient, disais-je, leur revenu progressivement décrocher par rapport à celui des actifs, et le passage, pour les mêmes salariés, de 37,5 à 40 du nombre d'annuités exigées pour obtenir une retraite à taux plein à soixante ans n'a pas eu, loin s'en faut, l'effet pronostiqué sur l'allongement de la durée des carrières.

M. Claude Domeizel. En plus, c'est illégal !

M. Yves Krattinger. Au-delà de cinquante-cinq ans, les salariés sont souvent « jetés » comme des Kleenex usagés...

M. Guy Fischer. C'est vrai !

M. Yves Krattinger. ... ce qui fait que l'âge de cessation d'activité dans le privé est toujours égal, à quelques décimales près, à l'âge de départ des salariés du public, soit environ 57,5 ans, situation à propos de laquelle nous ne pouvons manquer de nous interroger, et j'y reviendrai d'ailleurs.

La retraite nette moyenne, légèrement supérieure à 75 % du revenu net moyen en activité, est à peu près la même, mais cette égalité apparente cache en effet des disparités et des injustices importantes qu'il faut certainement corriger.

Ajoutons que les retraités du public et du privé ne sont pas les privilégiés que l'on suppose puisque, tous revenus confondus, le niveau de vie moyen des retraités est équivalent à celui des actifs, ce qui n'est tout de même pas scandaleux dans une société comme la nôtre.

Le Gouvernement dit vouloir sauver les retraites et maintenir le pouvoir d'achat des retraités.

M. Roland Muzeau. C'est un mensonge !

M. Yves Krattinger. Il est bien évident que la paupérisation ne peut être un objectif affiché, mais, s'il y a plus de retraités et que leur revenu est maintenu, il sera, vous en conviendrez, nécessaire de trouver des recettes supplémentaires.

Deux paramètres principaux influent sur les produits : le niveau de l'activité, qui se traduit principalement par le nombre des actifs qui cotisent, et l'importance du montant prélevé sur le produit intérieur pour financer les retraites.

Le Gouvernement propose l'augmentation des cotisations de retraite sans augmenter les prélèvements obligatoires, en redéployant les cotisations d'assurance chômage à l'horizon 2008.

Cette solution repose sur l'hypothèse d'une baisse considérable du taux de chômage, aujourd'hui à 9,3 %. Mais la réduction du chômage, vous le savez, suppose une politique active en faveur de l'emploi. Or, nous ne décelons pas la volonté de mener une telle politique dans vos propositions. Au contraire, vous annulez de manière systématique tous les dispositifs mis en place par le Gouvernement précédent.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !

M. Yves Krattinger. De notre point de vue, pour faire baisser le chômage, il faut engager des dépenses importantes. Toutes les expériences montrent que, dans la meilleure hypothèse, un équilibre s'établit sur le plan budgétaire entre les recettes supplémentaires dégagées par les emplois créés et les dépenses engagées pour favoriser ces créations d'emplois.

M. Claude Domeizel. Très bonne démonstration !

M. François Fillon, ministre. Purement socialiste !

M. Yves Krattinger. En résumé, la baisse du chômage de masse a un coût, et, plus on descend bas, plus ce coût est important. D'ailleurs, quand vous avez mis en place le revenu minimum d'activité, que, personnellement, je ne désapprouve pas, vous avez suivi cette règle. Le redéploiement des cotisations chômage devra bénéficier prioritairement aux dépenses actives pour l'emploi, mais ces moyens ne seront donc pas disponibles pour financer les retraites !

Le Gouvernement espère augmenter le nombre des actifs cotisants en allongeant la durée de cotisation jusqu'à 42 ans en 2020. Mais y aura-t-il plus d'heures de travail à réaliser parce que le nombre des actifs disponibles sera plus élevé ? Nous sommes désolés de devoir dire que nous ne voyons pas clairement la relation entre la cause et l'effet escompté !

Mme Danièle Pourtaud. C'est une litote !

M. Yves Krattinger. L'allongement de la durée de cotisation ne va pas s'accompagner de la création en un coup de baguette magique d'un plus grand nombre de postes de travail. Les salariés en tout cas ont du mal à le croire, car les carrières sont de plus en plus courtes, l'entrée dans la vie active étant de plus en plus tardive et la sortie de plus en plus précoce.

Ils craignent que l'on ne transforme les jeunes retraités en chômeurs âgés, et que l'on ne multiplie aux portes de la fonction publique le nombre des jeunes chômeurs dont les emplois virtuels seront occupés par ceux qui seront maintenus en activité.

Tout cela ne crée aucune ressource nouvelle et ne solutionne en rien les problèmes posés.

On peut craindre que, par une espèce de tour de passe-passe, on n'en arrive à terme à avoir un système de financement des retraites grosso modo équilibré, mais avec en contrepoint un déficit considérable de l'assurance chômage, et c'est alors le système d'assurance chômage qui sera à son tour mis en cause.

MM. Claude Domeizel et Roland Muzeau. Et voilà !

M. François Fillon, ministre. Mais non ! Ce sont les partenaires sociaux qui décident !

M. Hilaire Flandre. Cela relève d'une étonnante mauvaise foi !

M. Yves Krattinger. Monsieur le ministre, vos propositions peuvent donc conduire à la fois à une paupérisation accrue des chômeurs et à l'augmentation du nombre des retraités.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Tout est là !

M. Hilaire Flandre. Quelle mauvaise foi !

M. Yves Krattinger. Cela ouvrirait inexorablement la porte aux fonds de pensions, pour ceux qui en ont les moyens. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan. Quelle horreur !

M. Yves Krattinger. A nos yeux, il est impossible d'ignorer le principe de réalité : ceux qui travaillent financent les revenus de ceux qui ne travaillent pas, quelle que soit leur situation du moment,...

M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas nouveau !

M. Yves Krattinger. ... chômeurs, retraités, allocataires du revenu minimum d'insertion et des minima sociaux.

Le résultat ultime de votre réforme pourrait bien être la baisse progressive du taux de remplacement, ce qui conduirait inexorablement à la paupérisation de la plupart des retraités. Vous auriez donc, monsieur le ministre, donné l'impression de vouloir tout changer, pour finalement amplifier seulement les mesures Balladur.

M. Josselin de Rohan. Et vous, qu'avez-vous fait ?

M. Yves Krattinger. La majeure partie des cotisants prendraient alors leur retraite sans avoir atteint le nombre d'annuités permettant de recevoir une pension à taux plein.

Pour éviter cette situation, il faut faire des propositions. Les miennes sont inspirées par la méthode...

MM. Josselin de Rohan, Henri de Raincourt et Joseph Ostermann. Coué !

M. Yves Krattinger. ... dites du « gagnant-gagnant » : pour que la communauté nationale gagne, il faut que tout le monde gagne.

M. Hilaire Flandre. Il faut que tout le monde travaille, c'est clair !

Mme Nicole Borvo. Ils sont nombreux ceux qui voudraient travailler et qui ne le peuvent pas !

M. Yves Krattinger. Je propose que, pour tous les actifs, du public ou du privé, l'accroissement de la durée de cotisation et la baisse du chômage soient liés, de façon que tout le monde oeuvre dans le même sens, la baisse du taux de chômage étant le moteur du dispositif.

Ainsi, monsieur le ministre, un taux de chômage de 8,5 % ouvrirait la porte à une augmentation de la durée de cotisation à 38 annuités, avec un taux de 7,5 %, on passerait à 38,5 annuités, et ainsi de suite, jusqu'à arriver à 40 annuités, lorsque le chômage aura chuté à 4,5 %, conformément à l'objectif affiché à terme.

M. François Fillon, ministre. C'est à peu près ce qu'on propose.

M. Yves Krattinger. Sauf que vous prenez le problème par le biais de l'évolution de la durée de cotisation, alors que je vous propose de le faire de l'évolution du chômage le moteur.

M. François Fillon, ministre. Et les rendez-vous ?

M. Yves Krattinger. Cela constituerait un véritable contrat de société et les membres de la communauté nationale tout entière, salariés, retraités, entreprises et pouvoirs publics, seraient conduits à travailler ensemble, à négocier l'accroissement du nombre d'heures travaillées et donc de la richesse à partager.

Les salariés prolongés trouveraient enfin les emplois nécessaires à leur maintien en activité, lequel serait justifié par les besoins en main-d'oeuvre d'une économie qui serait revigorée, car ce qui compte, vous le savez, ce n'est pas seulement l'âge auquel un salarié prend sa retraite ou quitte son emploi, mais surtout le climat et le contexte dans lequel il vit ses dernières années d'activité.

Faire des actifs prolongés des acteurs indispensables du développement économique, telle doit être l'ambition de la nation tout entière.

Messieurs les ministres, vous serez forcément obligés de consacrer une part plus importante du PIB aux retraités. Si vous ne le faisiez pas vous nourririez un conflit entre les générations qui diviserait les Français et condamnerait ceux qui auraient mis en place cette réforme.

M. François Fillon, ministre. Pas vous...

M. le président. Monsieur Krattinger, je vous prie de conclure.

M. Yves Krattinger. Entre l'amélioration du domaine social, le rétablissement de la discipline ou la mise hors service de ce qui y serait devenu impropre, il faut faire un choix clair.

La nation ne doit pas culpabiliser les retraités en les désignant comme ceux qui coûtent cher. Il ne faut pas créer les conditions d'un conflit entre les générations.

J'ai le sentiment que nous ne marchons pas encore sur la même voie et vous ne changerez certainement pas radicalement d'avis aujourd'hui, mais, connaissant votre parcours, je ne désespère pas, monsieur le ministre, qu'à un moment donné vous évoluiez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. François Fillon, ministre. C'est vous qui évoluerez !

M. le président. La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la principale critique que l'on peut formuler à l'encontre de ce projet de loi, c'est que le financement n'est pas assuré.

Contrairement à ce qui est affirmé solennellement à l'article 1er, le texte ne garantit pas la pérennisation du système de retraite par répartition des Français, car le déficit prévisible n'est couvert que partiellement par l'allongement de la durée de cotisation. Pour le reste, vous vous en remettez, monsieur le ministre des affaires sociales, à une improbable baisse du chômage, vous refusant par principe à recourir à un relèvement des cotisations vieillesse.

J'estime d'ailleurs que l'on a eu tort de focaliser le débat sur l'alignement du secteur public sur le secteur privé, car les travaux du Conseil d'orientation des retraites ont bien fait ressortir, comme le disait à l'instant mon collègue socialiste, que, contrairement à une idée reçue, il n'y avait pas d'inégalité entre le secteur privé et le secteur public s'agissant de l'âge moyen de cessation effective d'activité.

L'allongement de la durée de cotisation entraînera sans doute des effets pervers pour le montant des pensions. En effet, peu de salariés auront la possibilité de cotiser suffisamment longtemps pour bénéficier d'une retraite à taux plein. La baisse moyenne du montant des retraites pourrait ainsi être, à terme, de l'ordre de 30 %. Cette dégradation incitera les salariés en ayant les moyens à s'engager sur la voie de la capitalisation, comme vous les y invitez d'ailleurs, monsieur le ministre, en transformant les plans Fabius en plans d'épargne pour la retraite.

Je crains cependant que vous ne fassiez fausse route, car, contrairement à l'opinion couramment admise, répartition et capitalisation ne sont pas deux systèmes complémentaires ; ils sont, à mon sens, incompatibles. Le développement des fonds de pension aurait pour effet de « cannibaliser » le régime de retraite par répartition. De plus, il ne permettrait pas d'absorber le choc démographique, car il n'engendrerait pas un rendement supérieur à celui du système par répartition. Surtout, la capitalisation est opaque, coûteuse et aléatoire. Même les Américains s'en sont rendu compte, à la suite des scandales Enron et Worldcom, et la remettent en question.

Si je suis opposé à la retraite par capitalisation, je ne considère pas, en revanche, que la durée de cotisation soit un sujet tabou. Bien au contraire, j'estime par exemple que sa modulation en fonction de la pénibilité du travail constitue non seulement une urgence, mais encore une obligation. On ne saurait se satisfaire des dispositions de votre texte tendant simplement à inviter les partenaires à définir les métiers pénibles. Pourquoi n'avez-vous pas repris la proposition du COR, qui recommande l'inscription dans la loi des critères de pénibilité ?

Le relèvement des cotisations vieillesse constitue l'autre levier dont nous disposons. Cependant, vous vous êtes refusé à l'utiliser, monsieur le ministre, invoquant les arguments du patronat, qui ne veut pas que l'on alourdisse les charges des entreprises, au motif que cela nuirait à leur compétitivité. Or, selon une étude de l'OCDE de 1998, il n'existe pas de lien statistique entre le coût du travail et l'emploi. Le montant des exonérations de cotisations patronales s'accroît régulièrement, comme les profits des grands groupes français, de même que les rémunérations et les indemnités de licenciement versées aux dirigeants de ceux-ci. Voilà dix ans, les allégements de cotisations sociales patronales représentaient moins de un milliard d'euros ; en 2002, ils ont atteint 21 milliards d'euros et n'ont servi qu'à tirer vers le bas qualifications et salaires, n'empêchant pas le chômage de perdurer.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. François Autain. Venons-en donc à votre hypothèse la plus aléatoire, monsieur le ministre, à savoir la réduction du taux de chômage.

Tout d'abord, le recul rapide et quasiment mécanique du chômage en raison du facteur démographique est un postulat de plus en plus contesté. Les comparaisons internationales établies par le CEPII, le Centre d'études prospectives et d'informations internationales, ne montrent nullement qu'une relation significative existerait entre l'évolution de la population active et le niveau du chômage. A cet égard, l'exemple de l'Allemagne est probant, puisque ce pays bat des records en matière de chômage alors que sa population active diminue.

Par ailleurs, le chômage devrait, selon toutes probabilités, se maintenir à un niveau élevé dans les années à venir,...

Mme Nicole Borvo. C'est sûr !

M. François Autain. ... en l'absence d'une politique macroéconomique volontariste, rendue impossible par les règles communautaires que les gouvernements des pays de l'Union européenne ont, malheureusement, délibérément fixées.

Enfin, il convient d'évoquer les engagements relatifs à l'âge de la retraite pris au sommet européen de Barcelone de 2002 et la récente prise de position de la Commission européenne en faveur de la libéralisation des fonds de pension : autant dire, monsieur le ministre, que l'Europe et sa logique libérale « plombent » cette réforme avant même sa mise en oeuvre.

Je doute que vous soyez capable, surtout si vous êtes seul, de résister à la pression en vue du démantèlement des protections sociales, à laquelle n'échappe aucun gouvernement d'Europe occidentale, et je crains que vous n'acceptiez en silence une probable dégénérescence de notre système de répartition, faisant le lit de la capitalisation. C'est pourquoi je ne voterai pas votre projet de loi, estimant qu'il existait d'autres moyens, que vous avez, hélas ! refusé d'utiliser, de sauver notre régime de retraite par répartition. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Guy Fischer. Ah ! Les régimes spéciaux !

M. le président. Chaque intervenant aura à coeur, je n'en doute pas, de contribuer à ce que nous puissions achever cette discussion générale dans des délais raisonnables.

M. Guy Fischer. Il ne faut pas occulter le débat !

M. Alain Vasselle. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à féliciter le Gouvernement de son courage et de son engagement dans une réforme devenue incontournable et indispensable pour sauver notre système de retraite par répartition.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme Danièle Pourtaud. Quelle surprise !

M. Alain Vasselle. Je tiens également à souligner l'excellence du travail effectué par nos rapporteurs,...

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Merci !

Mme Nicole Borvo. Que de fleurs !

M. Alain Vasselle. ... avec le soutien des présidents des commissions et de tous les membres de ces dernières. Je ne doute pas que ce travail remarquable suscitera un soutien massif de la part de la Haute Assemblée.

Mes chers collègues, les socialistes se disaient les défenseurs du système de retraite par répartition.

M. Henri de Raincourt. Oh !

M. Alain Vasselle. Pourtant, en reportant sans cesse la réforme, ils n'ont fait que l'affaiblir. Connaissant pertinemment l'impopularité des mesures à prendre pour que le financement des retraites puisse être, à terme, assuré, ils ont préféré l'inaction à l'action responsable. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Malgré les nombreuses études, les nombreux rapports dont les conclusions tendaient toutes à préconiser la réforme, la gauche n'a cherché qu'à gagner du temps. Même les conclusions très alarmistes du Livre blanc sur les retraites, commandité par le gouvernement Rocard en 1991, n'ont pas poussé ce dernier à réagir. (Murmures sur les mêmes travées.) Seul le gouvernement Balladur a eu, en 1993, le courage d'engager une réforme pour le secteur privé, par les voies réglementaire et législative à la fois.

Ainsi, plusieurs dispositions présentées dans le Livre blanc ont été appliquées aux 12 millions de salariés du régime général : allongement progressif de la durée de cotisation, élargissement de la période de référence et indexation sur les prix.

Dans le même temps, les fonctionnaires continuaient à bénéficier d'une indexation des retraites sur les salaires, d'une durée de cotisation limitée à trente-sept ans et demi et d'un taux de remplacement calculé en fonction des seuls trois derniers mois d'activité...

Mme Marie-Claude Beaudeau. Que vous ont fait les fonctionnaires ?

M. Alain Vasselle. Ce statut privilégié est devenu peu à peu inacceptable aux yeux de ceux de nos concitoyens qui sont confrontés au spectre du chômage, à l'absence de garantie d'emploi et donc à l'absence de perspectives de carrière stable.

Que mon propos ne soit pas mal interprété : je ne m'en prends pas, pour autant, à la fonction publique.

M. Guy Fischer. Tiens ! A peine !

M. Roland Muzeau. Vous n'aimez pas les fonctionnaires !

M. Alain Vasselle. Vous voilà, monsieur Delevoye, rassuré, du moins je l'espère !

Cependant, des mesures d'alignement des deux régimes étaient nécessaires. En effet, pouvait-on indéfiniment laisser les choses en l'état, sans rendre plus équitable notre système de retraite, en veillant à ce que l'effort demandé concerne tous les Français, quel que soit leur régime d'affiliation, même si cela doit s'opérer par étapes successives ? Je considère que les régimes spéciaux, qui ne sont pas concernés par notre débat d'aujourd'hui, devront à leur tour participer à l'effort collectif, de préférence de leur propre initiative ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo. Les intéressés ont bien fait de se mettre en grève, monsieur Vasselle !

M. Guy Fischer. Vous êtes le premier à attaquer les régimes spéciaux !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Vasselle.

M. Alain Vasselle. On cherche à me provoquer sur ma gauche, monsieur le président ! (Rires sur les mêmes travées.) J'en ai l'habitude, ils essaient de me faire perdre du temps !

M. le président. Ne vous laissez pas distraire, monsieur Vasselle.

M. Alain Vasselle. J'achève là ma parenthèse sur l'alignement des régimes : je ne me livrerai pas à l'analyse des mesures ô combien nécessaires figurant dans ce texte ; d'autres l'ont fait avant moi avec beaucoup de pertinence.

M. Henri de Raincourt. C'est vrai ! (Sourires.)

M. Alain Vasselle. A ce stade, je souhaiterais simplement étudier le présent projet de loi sous un angle particulier : celui des équilibres financiers. (Ah ! sur les travées du groupe CRC.)

Vous n'êtes pas sans savoir, mes chers collègues, que c'est un sujet auquel j'essaie de demeurer très attentif. Je crois en effet important de souligner que cette réforme ne portera pleinement ses fruits que si elle s'accompagne d'un effort tenace pour rétablir les équilibres financiers, clarifier les flux, assurer la séparation financière des différentes branches, opérer une répartition rigoureuse entre ce qui ressortit à la solidarité nationale et ce qui relève de l'assurance.

J'évoquerai en particulier la situation du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, et celle du Fonds de réserve pour les retraites, le F2R.

Au-delà de la réforme concernant le régime de base, le gouvernement d'Edouard Balladur avait créé le FSV, qui, dès l'origine, traduisait le principe consistant à distinguer, au sein des prestations vieillesse, celles qui relèvent de l'assurance et celles qui sont servies au titre de la solidarité.

Le FSV a donc été initialement constitué, en 1993, sur le fondement d'une mission cohérente, à savoir le financement des prestations d'assurance vieillesse à caractère non contributif.

Il disposait de ressources propres affectées, à savoir : une fraction de la CSG, 100 % des droits sur les alcools et sur les boissons alcoolisées - on sait ce qu'ils sont devenus -, la contribution sociale de solidarité des sociétés et la taxe sur les produits de prévoyance.

Cependant, le Fonds de solidarité vieillesse a progressivement subi un « démembrement » de cette cohérence d'origine, qu'il s'agisse de ses recettes ou de ses dépenses.

S'agissant de ses recettes, le FSV a ainsi perdu la totalité du produit des droits sur les alcools au profit du FOREC, ainsi que, en 2002, l'affectation de la taxe sur les produits de prévoyance.

Parallèlement, la fraction de CSG dont il bénéficie a été réduite en 2001, une première fois au profit de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, puis une seconde fois au profit du fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA.

Enfin, le circuit de distribution pour le moins subtil du produit de la contribution sociale de solidarité des sociétés entre les régimes de sécurité sociale des professions indépendantes, le budget annexe des prestations sociales agricoles, le BAPSA, et le FSV réduit généralement ce dernier à la portion incongrue... (Sourires.)

S'agissant de ses dépenses, deux mesures nouvelles ont mis à mal la cohérence des interventions du FSV à partir de 2001.

Il s'agit, d'une part, de l'extension de son champ d'action aux régimes de retraite complémentaire, par la mise à sa charge de la dette de l'Etat à l'égard de l'AGIRC et de l'ARRCO.

Il s'agit, d'autre part, du transfert progressif à la CNAF du coût des majorations de pension pour enfants que le FSV finançait, au titre de la solidarité nationale, depuis 1994.

Le « dépeçage » du FSV a eu pour conséquence de « déstabiliser » les bases financières de celui-ci.

M. Claude Domeizel. On n'y comprend rien ! (Sourires.)

Mme Nicole Borvo. Si, on comprend très bien !

M. Alain Vasselle. Si vous n'y comprenez rien, monsieur Domeizel, pourquoi ne l'avez-vous point fait remarquer au gouvernement que vous souteniez ? Cela aurait peut-être permis de changer quelque chose, à moins que vous n'ayez eu que peu d'influence sur celui-ci à l'époque ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Conjugué à l'augmentation du nombre des prises en charge liée à la remontée du chômage, le changement du périmètre des recettes et des charges du fonds s'est traduit par une dégradation de son résultat.

Alors qu'en 2000 le fonds était bénéficiaire à hauteur de 287 millions d'euros, il est devenu déficitaire pour 86 millions d'euros en 2001, et pour 1,4 milliard d'euros en 2002. Avant mesures nouvelles, ce déficit devrait s'établir à 923 millions d'euros en 2003.

M. Henri de Raincourt. C'est tragique !

M. Alain Vasselle. Dès lors, le rétablissement de l'équilibre financier du FSV ne saurait être assuré par des mesures ponctuelles. Seule la restauration d'un périmètre cohérent de recettes et de dépenses, sur la base de celui qui avait été défini en 1993, devrait permettre de rétablir l'équilibre des comptes.

Cela est d'autant plus nécessaire que, conformément aux mesures prises lors de la création du Fonds de réserve pour les retraites, les excédents du FSV devaient alimenter ce dernier pour tout ou partie.

Instauré par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, le F2R avait pour mission exclusive la constitution de réserves. Il devait être alimenté par des recettes pérennes, afin d'atteindre 1 000 milliards de francs en 2020.

Outre les excédents du FSV, les recettes du F2R étaient constituées d'une fraction de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés, de l'excédent de la CNAVTS, d'une fraction du prélèvement social de 2 % portant sur les recettes du patrimoine et les produits de placement et, enfin, du produit de la vente des licences UMTS : c'est là, je le souligne, l'exemple parfait de la recette hypothétique, annoncée un jour puis remise en question le lendemain du fait de la réalité de l'économie.

Quoi qu'il en soit, l'ensemble des recettes actuelles ne permettra pas d'atteindre les 1 000 milliards de francs prévus, puisqu'elles ne sont que de 25 milliards à 30 milliards de francs par an, et non pas de 50 milliards de francs ! Seuls les excédents du FSV auraient pu permettre d'atteindre ce niveau de réserves, voire de le dépasser.

Certes, le F2R n'a pas vocation à intervenir sur la période définie par la présente réforme. Cependant, la politique irresponsable de l'ancien gouvernement a rendu le FSV déficitaire, faisant ainsi courir le risque que le F2R ne puisse pas jouer pleinement, dans le futur, son rôle de « fonds de lissage ».

A ce stade, on me permettra de rappeler quelques principes fondamentaux, dont le respect pourrait contribuer à assainir la situation.

Comme je l'ai précédemment indiqué, les gouvernements de MM. Balladur et Juppé et les majorités qui les soutenaient s'étaient engagés sur deux principes : le premier était d'aller vers une séparation et une autonomie des branches ; le second était de prévoir que tout allégement de charges sociales serait compensé intégralement, pour la sécurité sociale, par l'Etat.

Malheureusement, ces deux principes ont été mis à mal par la précédente majorité socialiste et communiste.

M. Henri de Raincourt. Oh ! (Sourires.)

M. Alain Vasselle. Ainsi, alors que l'économie nationale connaissait une embellie historique, la sécurité sociale s'est vu infliger des prélèvements inacceptables, alors que tous les espoirs de lui voir atteindre l'équilibre étaient permis. Nous en payons le prix aujourd'hui.

Cela est d'autant plus inacceptable que ces prélèvements ont servi à financer, par le biais du FOREC, la politique de l'emploi, on ne peut plus contestable, du gouvernement précédent.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. Alain Vasselle. Cela illustre bien l'irresponsabilité de Mme Aubry et du gouvernement Jospin !

M. Henri de Raincourt. Oui, c'est clair !

M. Alain Vasselle. Notre devoir aujourd'hui, messieurs les ministres, mes chers collègues, est de renouer avec les principes que j'évoquais et d'engager les réformes avec pour objectif non seulement la compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales,...

Mme Gisèle Printz. Ah !

M. Alain Vasselle. ... mais également la séparation et l'autonomie des branches. Il faudra, pour ce faire, s'imposer rigueur et contraintes, mais je sais gré à M. Fillon d'avoir mis en oeuvre ces réformes.

Ces principes posés, qu'en est-il de la situation des comptes sociaux ?

Il en est, en réalité, de la sécurité sociale comme de la branche retraite : aujourd'hui, seule une réforme structurelle digne de ce nom de chacune des branches permettra le retour à l'équilibre.

Les branches famille et accidents du travail devraient, à mon avis, atteindre cet objectif sans difficulté majeure.

La réforme de la branche maladie annoncée par le Gouvernement s'annonce, quant à elle, plus ardue. Mais à chaque jour suffit sa peine !

La réforme que nous engageons ce soir devrait également permettre d'atteindre cet objectif d'équilibre, à condition toutefois de poursuivre l'oeuvre de clarification des compétences et des flux financiers pour chacune des branches et pour les fonds qui leur sont attachés. Le partage doit être clairement fait entre ce qui ressortit à l'assurance et ce qui relève de la solidarité. A cet égard, la branche vieillesse, qui a montré l'exemple en 1993, doit conserver ce caractère exemplaire et aller plus avant encore dans cette voie.

C'est pourquoi il me paraît souhaitable, messieurs les ministres, que le Gouvernement renouvelle ses engagements et réaffirme sa volonté de remettre rapidement de l'ordre dans les compétences et les flux financiers du FSV, que son prédécesseur a mis à mal pour financer les 35 heures. Il convient en outre de confier au F2R la mission de « lisser » la future augmentation des cotisations au cours de la période 2020-2040. Nous avons le devoir, mes chers collègues, de préparer dès à présent le financement dans des conditions acceptables de la retraite des jeunes qui viennent de rentrer dans la vie active.

A ce propos, pourriez-vous, messieurs les ministres, nous dévoiler vos intentions concernant le devenir du F2R ? Comment comptez-vous l'alimenter, de telle sorte qu'il atteigne les 1 000 milliards de francs en 2020 ? Si la conjoncture économique permettait, grâce à la politique dynamique menée par le Gouvernement, de renouer avec la croissance, ...

Mme Nicole Borvo. Ce serait un miracle !

M. Alain Vasselle. ... pourquoi ne pas faire jouer au F2R un rôle avant 2020, afin qu'il contribue pour partie au financement de la réforme des retraites ?

S'agissant de cette dernière, le Sénat se prépare à vous apporter un soutien massif et, je l'espère, rapide. En effet, nous avons assez perdu de temps déjà ! Nous allons une fois de plus, grâce à cette réforme, pouvoir démontrer aux Françaises et aux Français que, par des actes et non par des paroles, nous préparons leur avenir, celui des générations présentes et futures.

Notre soutien, messieurs les ministres, vous est donc acquis. Merci de votre courage. Nul doute que les Français sauront reconnaître, le moment venu,...

M. Guy Fischer. Lors du prochain référendum !

M. Alain Vasselle. ... la pertinence de votre action, et de la nôtre ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la discussion du projet de loi portant réforme des retraites nous invite à regarder vers l'avenir. En effet, le débat qui s'est ouvert aujourd'hui au Sénat permettra de penser et de proposer un système pour les générations futures. Pour autant, nous ne devons pas oublier l'ensemble de ceux de nos concitoyens qui ont connu des situations difficiles et pénibles.

Aujourd'hui, Dieu merci ! les conditions de travail s'améliorent sans cesse au bénéfice de l'homme, ce dont nous devons nous réjouir.

Toutefois, certains métiers ont connu, par le passé, des épisodes de dangerosité et de pénibilité accrues. Nous nous devons donc de compenser les handicaps liés à l'exercice de certaines professions. Il est important également de créer des conditions d'égalité entre tous les citoyens et tous les régimes qui peuvent exister. Les disparités et les dérogations correspondaient, dans le passé, à des situations précises et venaient compenser des contraintes de travail particulières. Aujourd'hui, notre devoir est de faire en sorte que tous nos concitoyens soient soumis aux mêmes contributions et aux mêmes lois : il y va de la solidarité et de l'égalité entre les citoyens. Par conséquent, n'oublions pas ceux qui ont travaillé durement et pensons à appréhender leur situation avec justice et reconnaissance.

Les droits à la retraite ont été des étapes qui ont engendré des avancées sociales indispensables. Ces acquis se sont étalés sur plusieurs décennies et de façon différenciée selon les acteurs professionnels.

Permettez-moi d'évoquer plus particulièrement les retraites des agriculteurs, de ceux qui oeuvrent directement au sein d'une exploitation agricole. Dans ce domaine, comme dans d'autres, la parité doit plus que jamais être respectée. Nos agriculteurs sont de vrais acteurs de l'aménagement du territoire, de l'environnement, sans oublier l'essentiel de leur mission, qui consiste à nourrir le monde.

Chers collègues, regardons la vérité en face. Aujourd'hui, en 2003, nombreux sont ceux qui travaillent encore sept jours sur sept et n'ont pas la possibilité de prendre des congés. Toute la génération de l'après-guerre, qui a aidé à la reconstruction de la France, a connu cette situation. Oui, la profession d'agriculteur est particulièrement exigeante. Elle nécessite un engagement et un investissement permanents.

Engagement, investissement, incertitudes, trois mots clés qui sont toujours d'actualité ; une actualité qu'a connue et que connaît encore la majorité des agriculteurs, particulièrement les éleveurs.

Etre livré aux aléas du climat, aux mutations successives, aux directives nationales, européennes ou mondiales, aux cycles de production, sans oublier les exigences des consommateurs ou l'effondrement des filières, c'est loin d'être l'expérience de la facilité.

Tout cela génère du stress et de multiples contrariétés. Ce n'est pas facile, la santé en prend un coup. L'agriculteur n'a pas le droit de s'arrêter, il ne peut faire grève ! Car il ne peut pas abandonner la vache sans la traire. Il ne peut pas non plus abandonner la valorisation du lait ou laisser les animaux sans soins ni alimentation.

Ne décourageons pas - je sais que ce n'est pas votre objectif, messieurs les ministres - ceux qui travaillent durement et pour qui la santé se détériore inévitablement au fil des ans. Quelles perspectives voulons-nous donner demain aux jeunes qui désirent s'installer ? Nous ne devons pas les effrayer en leur projetant une retraite trop modeste.

Le 1er juillet 1952, pour la première fois, les paysans de France, qui représentaient une partie importante de la population active, recevaient leur première retraite.

Quatre ans plus tard, le Fonds national de solidarité permettait d'obtenir, sous conditions, un complément certes modeste mais apprécié. C'était le minimum vieillesse.

Jusqu'à ce jour, pour un homme de la terre, la plus belle retraite ne reste-t-elle pas la chance de pouvoir travailler jusqu'à la limite de ses possibilités, voire de ses forces ?

Depuis 1952, des améliorations se sont produites, mais elles sont toujours restées timorées par rapport à beaucoup d'autres catégories professionnelles.

Au 1er janvier 2003, le montant mensuel moyen de la retraite pour un chef d'exploitation s'élevait à 423 euros, soit 2 780 francs. En ce qui concerne le conjoint, le montant de la retraite s'élevait à 1 803 francs par mois.

Les épouses de nos agriculteurs ne sont-elles pas restées silencieuses depuis trop d'années face à cette situation de misère ? Peut-on et doit-on l'accepter ? Tout travail mérite salaire. Je proposerai donc, avec les membres de mon groupe, deux amendements qui visent à améliorer ces retraites.

Messieurs les ministres, je vous remercie d'avoir su écouter et comprendre la France profonde. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Danièle Pourtaud.

Mme Danièle Pourtaud. « L'égalité n'est jamais acquise, c'est toujours un combat ! » A l'heure où nous examinons le projet de loi sur les retraites, cette pensée de François Mitterrand sonne aujourd'hui comme le glas, ultime étape avant le purgatoire, s'il existe !

M. Gilbert Chabroux. Le chemin du paradis !

Mme Danièle Pourtaud. Mais je laisse à d'autres les vérités métaphysiques.

Votre réforme, messieurs les ministres, va non seulement pénaliser l'ensemble des Français, mais aggraver les inégalités entre les hommes et les femmes. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

Allonger la durée de cotisation et appliquer sans réserve le système de décote obligera les Français à travailler plus pour une retraite diminuée. Cette réforme va généraliser les retraités pauvres et les retraitées très pauvres.

Déjà en 2001, l'écart de niveau de pension entre les hommes et les femmes atteignait 42 %. Une femme perçoit aujourd'hui 848 euros par mois en moyenne, contre 1 461 euros pour un homme. Et si, sur dix retraités, trois perçoivent une retraite inférieure au minimum vieillesse, soit moins de 577 euros, ce sont à 83 % des femmes !

Un tel déséquilibre n'est que le reflet des inégalités professionnelles qui existent entre les deux sexes. C'est arithmétique : un nombre plus faible d'annuités cotisées et des salaires plus faibles donnent des retraites beaucoup plus faibles.

M. Hilaire Flandre. Mais plus longues !

Mme Danièle Pourtaud. C'est bien connu, les femmes gagnent en moyenne 25 % de moins que les hommes, et à poste égal 15 % de moins. Elles ne sont que 26 % à occuper un poste d'encadrement. Par ailleurs, 80 % des travailleurs à temps partiel sont des femmes. Elles forment le gros du bataillon des salariés pauvres : 80 % des 3 200 000 Français qui travaillent pour un salaire inférieur au SMIC.

Pourquoi ces inégalités salariales ? Parce que les femmes travaillent moins bien ? Parce qu'elles sont moins compétentes ? Parce qu'elles sont moins valables ?

M. Nicolas About, président de la commision des affaires sociales. Peut-être parce que les socialistes ont été au pouvoir !

Mme Danièle Pourtaud. Non. Je n'imagine pas que vous le pensiez.

Nous savons qu'outre le plafond de verre qui les empêche d'accéder aux postes les mieux rémunérés elles ont des carrières incomplètes, freinées par la prise en charge des enfants.

Encore aujourd'hui, dans notre pays, l'éducation des enfants et les tâches domestiques reposent à 80 % sur les femmes. Malheureusement, les habitudes ont la vie dure. Ce sont les femmes qui refusent les responsabilités, les réunions tardives ou les horaires extensibles, afin de rester disponibles pour leurs enfants dans les premières années. Travailler quatre jours par semaine est un choix féminin.

Ce sont également les femmes qui interrompent leur carrière, elles qui dans 99 % des cas prennent un congé parental d'éducation à partir du deuxième enfant. Seulement 80 % des femmes travaillent avec un enfant à charge et 32 % à partir de trois enfants. D'ailleurs, c'est bien ce modèle que le Gouvernement favorise, puisque, lors de la dernière conférence de la famille, vous avez décidé d'ouvrir l'allocation parentale d'éducation dès le premier enfant, pour les naissances à compter du 1er janvier 2004, ce qui encourage les femmes à s'arrêter de travailler, avec toutes les difficultés que l'on sait pour retrouver un emploi. Dans ces conditions, comment pourront-elles cotiser assez pour une retraite décente ? Et je ne parle pas de celles qui auront leurs enfants avant de travailler. Celles-là, c'est simple, vous les ignorez. En tout cas vous les privez d'avantages familiaux si elles sont fonctionnaires. J'y reviendrai dans le débat.

Enfin, vous le savez, le Conseil d'orientation des retraites y a consacré plusieurs études, seulement 39 % des femmes, en 2001, ont pu faire valider une carrière complète, contre 85 % des hommes. Quand les hommes ont travaillé 160 trimestres, les femmes ont validé à peine 122 trimestres, c'est-à-dire 30,5 annuités.

Alors, quelle est votre réponse, messieurs les ministres ? Accroître les inégalités et l'injustice ! Je citerai quelques exemples.

J'évoquerai d'abord l'allongement de la durée de cotisation. Déjà, les femmes n'arrivent pas à cotiser 37,5 annuités, alors est-ce bien réaliste 40 annuités pour tous en 2008, comme vous le proposez avec l'alignement sur le secteur privé, et 42 annuités en 2020 ? Et pourquoi pas 45 en 2030 et 55 en 2040, puisque, en tout état de cause, votre projet n'est pas financé ?

Je laisse le soin à d'autres, comme aurait dit Victor Hugo, d'interroger « la bouche d'ombre » de la longévité...

Mais le comble, c'est le système de décote, véritable surenchère aux inégalités, ou « double peine » si vous préférez.

M. François Fillon, ministre. La décote existe déjà !

Mme Danièle Pourtaud. Il s'agit, à terme, d'un abattement de 5 % sur la pension par année manquante, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Ce dispositif empêchera définitivement les Français de prendre leur retraite à 60 ans, au risque de voir leur pension réduite comme peau de chagrin. Quant aux femmes, elles auront intérêt à ménager leur santé, s'il leur manque une dizaine d'annuités en 2020, ce qui les condamnera automatiquement à toucher le minimum vieillesse. Quel progrès !

Ici et là, vous avez ouvert des chantiers, mais avec de fausses solutions, comme le rachat des années d'études, ou des années à temps partiel qui compteront comme un temps plein. Mais qui pourra se l'offrir ? Les mêmes, sans doute, qui auront recours aux fonds de pension ! S'agissant des conjointes d'artisan et de commerçant, le dispositif proposé est loin d'être satisfaisant. Là encore, nous y reviendrons dans le débat.

J'en viens aux avantages familiaux, qui compensent de manière insuffisante des carrières freinées et incomplètes : vous les balayez pour les femmes fonctionnaires.

Supprimer la bonification d'un an par enfant est une véritable régression.

Il s'agit, d'abord, d'une mesure inéquitable par rapport aux femmes du secteur privé, qui conservent une bonification de deux ans par enfant.

Il s'agit, ensuite, d'une mesure pernicieuse, car vous incitez les femmes à cesser toute activité professionnelle, puisque, en contrepartie, elles pourront valider les années correspondant à un congé parental dans la limite de trois ans par enfant. Il n'est plus à démontrer qu'une interruption totale handicape gravement la progression d'une carrière.

Il s'agit, enfin, d'une mesure hypocrite, car vous vous réfugiez derrière la jurisprudence européenne pour transformer une régression pour les femmes en un progrès pour l'égalité entre les sexes.

M. Henri de Raincourt. Pour les hommes !

Mme Danièle Pourtaud. Le fameux arrêt Griesmar imposait en effet d'étendre les avantages familiaux aux hommes, qui pourront, eux aussi, s'ils prennent un congé parental, cotiser moins longtemps. Bravo de l'avoir fait ! Mais il faut bien constater que la commission européenne aux affaires sociales avance précisément en sens inverse. Après avoir constaté des inégalités irréductibles, elle réfléchit à des discriminations positives en faveur des femmes. C'est d'ailleurs aussi ce que demande le Centre national d'information sur les droits des femmes, le CNIDF, que nous avons auditionné, en délégation.

Pour ne pas oblitérer le temps de mes collègues, j'en arrive à ma conclusion. Finalement, la majorité sénatoriale adopte la posture du pire pour faire avaler l'inacceptable. Se féliciter, comme a tenté de le faire l'ex-rapporteur de la délégation aux droits des femmes...

M. Marcel-Pierre Cléach. Merci pour lui !

Mme Danièle Pourtaud. ... qui, paraît-il, s'exprimait à titre personnel, qu'en 2020 l'écart de pension entre les femmes et les hommes serait ramené à 22 %, « c'est moins pire », pour parler comme dans la Guerre des Boutons, que les 42 % aujourd'hui, certes, mais ce n'est en rien une avancée pour les femmes ! Pardonnez-moi, mais je ne peux me contenter de ce minimalisme et je suis heureuse que la délégation n'ait pas validé ce rapport !

M. Claude Domeizel. Nous aussi !

Mme Danièle Pourtaud. Au total, voilà une réforme qui sape la solidarité entre les générations et les régimes, et qui, de plus, ne se donne pas les moyens de ses ambitions : pas de politique de relance du plein emploi et pas de politique nataliste adaptée. Alors que les exemples européens montrent que le taux d'activité des femmes est proportionnel au développement des modes de garde, le Gouvernement a, exactement à l'inverse, amputé très largement les crédits destinés à la construction de crèches !

C'est donc une réforme injuste, qui ne fait qu'attiser les discriminations sexistes. Messieurs les ministres, les Français ne s'y tromperont pas, et les Françaises non plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Henri de Raincourt. C'est ce qu'on verra !

M. François Fillon, ministre. Quelle démagogie !

M. le président. La parole est à M. Joseph Ostermann.

M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat entame le débat tant attendu sur la réforme des retraites. Je tiens particulièrement à féliciter le Gouvernement et vous-mêmes, messieurs les ministres, d'avoir eu le courage d'engager une réforme, certes indispensable, mais difficile et risquée sur le plan politique. Vous pouvez être assurés du soutien inconditionnel de votre majorité parlementaire. Le gouvernement de M. Lionel Jospin n'a malheureusement pas fait montre d'un tel courage,...

M. Claude Domeizel. Encore !

M. Henri de Raincourt. Il faut faire de la pédagogie ! (Sourires.)

M. Joseph Ostermann. ... alors même que les données du problème lui étaient connues et qu'il bénéficiait d'une conjoncture économique largement favorable. Mais, surtout, il n'a pas su ou n'a pas voulu profiter de la loi sur les 35 heures pour négocier une baisse de la durée du travail hebdomadaire en échange d'un allongement du temps travaillé tout au long de la vie.

Cette politique de l'autruche est d'autant plus regrettable que, du fait de ces années d'attentisme, la réforme est maintenant plus douloureuse à mettre en oeuvre. Ainsi, grâce au gouvernement Balladur, le passage de trente-sept ans et demi à quarante ans de la durée de cotisation dans le secteur privé a pu s'étaler sur dix ans, alors que l'allongement applicable aux fonctionnaires ne se fera que sur cinq ans.

On peut d'ailleurs considérer que ce délai bref de mise en oeuvre constitue la seule circonstance atténuante justifiant les mouvements de grève qu'a connus récemment le secteur public. Je dis bien « la seule », car ces mouvements de grève ont choqué nombre de nos concitoyens, salariés du secteur privé ou chefs d'entreprise. Je n'ai aucune envie de dresser nos concitoyens les uns contre les autres. Le secteur public qui se crispe sur ses avantages ne fait que creuser ainsi le fossé existant avec le secteur privé. En effet, à un moment où la conjoncture économique reste très dégradée, la sécurité de l'emploi dont bénéficient les employés de la fonction publique apparaît aux yeux des salariés du secteur privé, qui, pour nombre d'entre eux, ont été ou sont confrontés de près ou de loin au chômage, comme un privilège.

Ces grèves ont, en outre, un coût élevé pour notre économie. La perte peut être évaluée d'ores et déjà à 700 millions d'euros. Par ailleurs, les grèves dans les transports et à La Poste pénalisent de très petites entreprises, qui, pour la plupart, sont privées de la possibilité de faire des provisions budgétaires consistantes et risque de rencontrer des difficultés de paiement, d'autant que la conjoncture des derniers mois est loin d'être favorable.

Après la forme, permettez-moi de formuler quelques interrogations et réflexions quant au contenu de la réforme et plus précisément sur deux points prinicipaux : l'allongement de la durée de cotisation et l'épargne retraite.

En ce qui concerne l'allongement de l'âge effectif de la retraite tout d'abord, tout le monde s'accorde pour dire qu'il s'agit de la solution la plus adaptée. Ainsi, l'économiste Michel Didier, dans son ouvrage Des idées pour la croissance, conclut que l'adoption d'un tel dispositif pourrait conduire à un gain de niveau de vie d'environ 24 % et que « c'est le seul modèle gagnant-gagnant ».

Se pose toutefois la question du transfert des personnes concernées vers le marché de l'emploi, dans un pays où le taux d'activité des personnes de plus de 55 ans n'est que de 34 % et où l'écart moyen entre le moment où un salarié du secteur privé cesse de travailler et le moment où il fait valoir ses droits à la retraite est de deux ans et demi. Cet écart correspond, pour 18 % d'entre eux, à une période de chômage dispensée de recherche d'emploi et, pour 21 %, à une préretraite. Cette situation est en partie due à une évolution des mentalités tant du côté des salariés et retraités que du côté des entreprises elles-mêmes.

Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas demain la veille pour les entreprises !

M. Joseph Ostermann. La définition de la retraite a changé. Après avoir été considérée comme une mise à l'écart, elle est désormais perçue comme un revenu de remplacement lié à l'âge, répondant aux préoccupations d'emploi des entreprises et aux aspirations de temps libre, en fin de carrière, des salariés.

S'agissant des entreprises, plusieurs études menées récemment sont alarmantes. Elles concluent, d'une part, à l'absence de volonté de recruter des plus de 50 ans et, d'autre part, à l'impréparation globale des entreprises face aux départs à la retraite de la génération du baby-boom qui auront lieu dans les années à venir.

Ainsi, selon une étude du ministère du travail, un employeur sur quatre persiste à penser que la part relative des salariés âgés a des effets négatifs sur la productivité.

Autre exemple, une étude de la CEGOS auprès de trois cents directeurs des ressources humaines a révélé que deux tiers d'entre eux n'envisagent pas de recruter des salariés de plus de cinquante ans. Enfin, selon un sondage réalisé en avril par l'Institut français d'opinion publique, l'IFOP, 60 % seulement des entreprises interrogées envisagent de remplacer leurs cadres qui partiront à la retraite à compter de 2004.

Beaucoup reste donc à accomplir pour faire évoluer les mentalités, d'autant que le secteur public lui-même ne semble pas toujours montrer l'exemple. Ainsi, le gouverneur de la Banque de France mise sur les préretraites pour réduire les effectifs du réseau. Ce n'est sans doute pas le meilleur exemple.

Afin d'accroître le nombre de cotisants et d'allonger la durée de cotisation, des actions doivent être engagées dès aujourd'hui, d'une part en direction des jeunes, afin de favoriser leur entrée et leur insertion durable sur le marché du travail et, d'autre part, en direction des salariés de plus de cinquante-cinq ans, afin de prolonger leur durée d'activité.

En ce qui concerne les jeunes, monsieur le ministre, nous ne pouvons que saluer les nombreuses actions que vous avez déjà engagées, depuis votre arrivée au ministère du travail, pour leur permettre de s'insérer durablement dans le monde du travail.

S'agissant des plus de cinquante-cinq ans, là, malheureusement, il convient d'amorcer un large virage.

Votre projet, monsieur le ministre, propose quelques bonnes pistes telles que l'instauration d'un système de surcote, le recentrage des préretraites, le report à soixante-cinq ans de la possibilité de mise en retraite d'office ou encore un aménagement des règles de retraite progressive. Tout cela me semble aller dans la bonne direction.

On peut toutefois se demander si d'autres pistes ne mériteraient pas d'être explorées. La formation professionnelle me paraît être la voie à privilégier, tant pour l'emploi des seniors que pour celui des jeunes.

Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous apporter quelques précisions quant à l'état d'avancement des négociations et au calendrier précis de présentation de la réforme devant le Parlement ?

Par ailleurs, ne conviendrait-il pas de réexaminer certains disposifs qui peuvent avoir un effet dissuasif sur la recherche d'emploi des plus de cinquante-cinq ans. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer si vous disposez d'une évaluation de ces dispositifs ?

Enfin, je souhaiterais terminer mon intervention sur le volet relatif à l'épargne retraite.

Sur ce point, là encore, le texte soumis à notre examen témoigne du pragmatisme du Gouvernement.

Le Sénat ne peut qu'encourager le développement de tels dispositifs, puisqu'il avait, en son temps, adopté un système d'épargne retraite que Jean Chérioux et moi-même lui avions soumis à l'occasion de l'examen de la loi Fabius sur l'épargne salariale.

Vous avez en effet, monsieur le ministre, choisi dans un premier temps de transférer les PPESV - plans partenariaux d'épargne salariale volontaire - vers l'épargne retraite. Cette option présente plusieurs avantages à mes yeux.

Premièrement, elle s'insère à l'intérieur d'une enveloppe fiscale et sociale existante et ne compromet donc pas l'objectif de réduction du déficit public.

Deuxièmement, sa mise en oeuvre sera aisée et rapide, le dispositif étant connu et maîtrisé.

Troisièmement, l'insertion du projet d'acquisition de la résidence principale combinée avec la sortie en capital aura un effet incitatif, en particulier chez les plus jeunes salariés.

Quatrièmement, son coût de fonctionnement et de distribution est modéré.

Enfin, dernier avantage et non des moindres : cet outil permettra à chaque salarié d'exercer sa liberté d'arbitrage personnelle entre travailler plus longtemps, constituer une épargne en vue de la retraite ou accepter une baisse de son taux de remplacement.

Le seul point sur lequel je souhaiterais attirer votre attention, monsieur le ministre, réside dans le relatif déficit de notoriété dont souffrent les actuels PPESV.

En effet, une enquête réalisée l'année dernière à la demande des caisses d'épargne révélait que seuls 30 % des chefs d'entreprise connaissent les dispositifs créés.

Ne conviendrait-il pas, par conséquent, de créer un effet de levier supplémentaire en liant la souscription d'un PPESVR à un crédit d'impôt jusqu'à ce que le dispositif ait atteint la popularité désirée ?

Dans un deuxième temps, le projet pose le principe de la création de plans d'épargne pour la retraite. Au cours du débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale, vous avez su, monsieur le ministre, en préciser les grandes lignes.

Compte tenu de l'urgence, nous serons amenés à examiner dans les meilleurs délais la mise en oeuvre de ces dispositifs.

Monsieur le ministre, sous réserve de ces quelques interrogations, sur lesquelles je ne doute pas que vous nous apporterez les éclaircissements souhaités, le groupe politique auquel j'appartiens et moi-même voterons cette réforme à la fois pragmatique et courageuse. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Messieurs les ministres, votre projet de loi sur les retraites a eu au moins un avantage : il a été visible par la mobilisation qu'il a déclenché dans la rue. On ne pouvait pas en dire autant de lois tout aussi dévastatrices comme celles habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance ou établissant les nouvelles règles du RMI-RMA. Pièce par pièce, le Gouvernement s'emploie à démonter l'édifice des protections qui garantissaient à chacun le respect de ses droits.

Que la compétitivité, au risque d'exclure, la baisse des impôts, au risque d'une diminution des services, soient vos outils favoris est très vite apparu.

En revanche, que même arithmétiquement vos propositions soient incorrectes ne s'est révélé qu'après quelques mois.

M. Mer avait initié le « vrai-faux » calcul en fondant son budget sur la croissance.

Et vous récidivez, en prétendant résoudre l'équation de l'équilibre du système des retraites avec des leviers qui ne fonctionnent pas. La croissance n'est pas au rendez-vous.

La durée prolongée des cotisations à laquelle vous voulez contraindre les salariés ne peut se décréter. Le Comité d'orientation des retraites pronostiquait dans le meilleur des cas, à l'horizon 2020, une moyenne de 38,5 annuités effectives.

Les plans sociaux et préretraites non consentis continuent de s'accumuler.

L'allongement de la durée des cotisations représente 50 % de l'économie de votre système, mais les pouvoirs publics ne maîtrisent pas le comportement des entreprises à l'égard de leurs salariés dépassant la cinquantaine.

Diminuer l'enveloppe des pensions par la dégradation du rapport retraite-salaire ne peut vous rapporter 33 % du financement qu'avec l'outil très injuste de la décote, une décote qui frappe les femmes, les étudiants, les ouvriers des régions en difficultés, où le travail s'accomplit de restructurations en délocalisations, de délocalisations en fermetures, de fermetures en plan social, et de plan social en licenciements.

Ce n'est plus une décote, c'est une punition ! Et, comme ceux qui la subissent ne l'ont pas choisie, c'est la double peine !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Curieuse définition de la double peine !

Mme Marie-Christine Blandin. Enfin, vouloir trouver les 15 % qui restent pour boucler l'équilibre, c'est faire des voeux pieux pour que les moyens de l'indemnisation du chômage puissent glisser vers les retraites. Encore faut-il que le MEDEF cesse de se servir de la masse salariale pour consolider les dividendes de ses actionnaires !

Nos amendements montreront comment nous nous positionnons par rapport à la solidarité, à la prise en compte du contexte réel, à l'attention portée aux situations les plus injustes.

Je voudrais, pour conclure, lever deux tabous et démonter un épouvantail.

Le premier tabou, c'est l'augmentation des cotisations, dont vous n'avez même pas voulu débattre. Or c'est possible, les ressources existent, et vous y viendrez. Vous y viendrez car chômage et plans sociaux vous y contraindront. D'ailleurs, vous avez pris soin d'annoncer des rendez-vous, dont 2008.

C'est possible, avec un gain de productivité de 1,6 % en contenant l'augmentation du salaire moyen à 55 % au lieu de 66 % à l'horizon envisagé par le COR. Les ressources existent puisque vous envisagez l'épargne salariale, voire la capitalisation. Pour cela, il faut bien prélever !

Le deuxième tabou, c'est la taxation des profits.

Mais pourquoi donc taxer les profits ? Simplement parce que les profits ont taxé les salaires ! Depuis des années, la valeur ajoutée profite de plus en plus aux entreprises et de moins en moins aux salariés. Et soudain l'employeur se retourne vers eux en disant : « Mais comment allez-vous financer vos retraites ? » Si le ratio des retombées sur les salariés par rapport aux retombées sur l'entreprise ne s'était pas dégradé, on aurait de quoi rassembler deux fois les sommes nécessaires au franchissement de l'échéance 2040.

Le cynisme de la question adressée aux salariés : « Comment allez-vous financer vos retraites ? » dans le contexte actuel mérite une courte illustration.

Imaginons un fermier sous la royauté faisant récolter ses vergers et accordant pour salaire une part de la cueillette. Les paysans emportent leurs fruits pour les manger ; c'est le salaire. Ils en prélèvent une part pour faire des confitures qu'ils consommeront plus tard ; c'est le salaire différé. Il est gagné, mais conservé pour demain.

Un jour, le fermier exige que l'on travaille beaucoup plus vite et que l'on récolte beaucoup plus de fruits - c'est le gain de productivité - mais il en laisse de moins en moins aux cueilleurs. Il ose les interpeller en disant : « Mais avec quoi allez-vous faire vos confitures ? Vous allez être obligés de venir récolter quelques semaines de plus ! » C'est exactement l'esprit de cette réforme. (Sourires.)

J'ajouterai que les pauvres cueilleurs, même s'ils acceptaient de prolonger leur tâche, risqueraient de ne trouver à l'automne que les branches nues, tout comme les ouvriers de ma région ne trouvent plus d'embauche à l'automne de leur vie !

Enfin l'épouvantail, c'est l'équation : « hier un actif pour un retraité, demain un actif pour deux retraités ». Sans rappeler qu'hier encore certains persiflaient sur les immigrés qui, par leur salaire, « nourissent 40 personnes de leur village en Afrique », je souhaite remettre les comparaisons en place.

Ce qui importe, c'est le nombre d'actifs par rapport au nombre global d'inactifs. La solidarité nous invite donc à revenir vers le concret, le quotidien.

Essayez de vous projeter dans le monde que vous nous préparez ! Evaluons sérieusement le pouvoir d'achat qui attend un tiers des retraités de demain, sans oublier ceux qui dépendent du RMI, du RMA ou de l'intermittence. Cela s'appelle la pauvreté. Mais, me direz-vous, ce sera le problème des collectivités puisque tout leur aura été transféré ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui est un texte de justice, de préservation sociale et de courage.

C'est un texte de justice.

Pouvions-nous accepter de maintenir une France des retraites, elle aussi, à deux vitesses : celle à 40 ans de cotisation et celle à 37 ans et demi ? Une France citoyenne se doit d'assurer l'égalité des droits et de refuser leur simple mitoyenneté.

C'est aussi une réforme de préservation sociale.

Qui pourrait honnêtement prétendre que, demain, les actifs de moins en moins nombreux auraient pu payer des cotisations de plus en plus élevées permettant à une foule croissante de retraités de percevoir des pensions d'un montant équivalent à celui d'aujourd'hui ? Bien peu, je le pense.

Face à cette révolution liée à l'espérance de vie, révolution qui est celle du vieillissement, il fallait enfin agir. C'est pourquoi la réforme présentée est une réforme de sauvegarde de notre système de retraite par répartition, système bâti dans un tout autre contexte démographique.

C'est aussi, nous le savons bien, une oeuvre de courage.

Oui, il a fallu beaucoup de lucidité et de détermination au Gouvernement et à certains partenaires sociaux pour mener cette réforme à son terme parlementaire, tant les conservatismes qui paralysent notre pays s'y sont opposés depuis des années, par le silence, le renvoi aux rapports successifs ou les excès d'une virulence parfois très démagogique.

Enfin, après cinq ans d'inertie, cette réforme est soumise à notre examen, alors même que les problèmes qu'il s'agit de résoudre sont identifiés depuis près de quinze ans. En fait, il faut bien le noter, rien n'a été fait au cours de la précédente législature.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais si !

M. Gérard Larcher. Aujourd'hui, la voie de l'avenir est tracée. C'est une voie bâtie sur la solidarité ; c'est une réponse collective face à l'expression de tous les individualismes manifestés depuis un certain nombre de semaines.

Néanmoins, en dépit des explications du Gouvernement et d'un certain nombre de partenaires sociaux signataires de l'accord, les Français doivent encore mieux comprendre le caractère indispensable de cette réforme. Il nous faut donc continuer à faire oeuvre de pédagogie. C'est le rôle des parlementaires que nous sommes.

Sur le fond, cette réforme est conforme aux aspirations profondes de notre pays : elle comporte des avancées pour l'avenir des jeunes générations.

Oui, que dire aux Français ?

Que tout d'abord la réforme est conforme, à la fois, aux aspirations de notre société en termes de solidarité et au « possible » en termes de financement.

Etre pédagogue, c'est expliquer aux Français que la réforme proposée est une réforme à imaginer sur vingt ans et que l'on va négocier chaque nouvelle étape tous les cinq ans.

La négociation actuelle n'a pas statufié les choses ; le prochain rendez-vous est en 2008, le suivant en 2012.

Disons-leur aussi que le régime proposé compte parmi les plus performants des pays de la Communauté européenne, pour les secteurs tant public que privé.

Les carrières longues, pour ceux qui ont travaillé à partir de 14, 15 ou 16 ans et qui souhaitent partir avant 60 ans sans justifier de 40 annuités de cotisations, bénéficient d'une mesure d'équité, fruit du dialogue social et de la négociation.

Le souci de la pénibilité demeure d'actualité, puisque le Gouvernement soumettra un rapport-bilan au Parlement sur sa prise en compte ; un accord-cadre interprofessionnel sera proposé en 2004 et des négociations par branche seront engagées.

Rappelons que le droit à l'information est à développer.

Un groupement d'intérêt public doit répondre à ce besoin pour une information régulière dans l'emploi public et privé, à la manière de « l'enveloppe orange » qui existe en Suède et dont on a beaucoup parlé. Oui, il faut créer, ici et là, où que nous soyons et quelles que soient nos responsabilités, le réflexe de l'information retraite.

Permettez-moi maintenant de formuler quelques réflexions pour l'avenir.

S'agissant des basses pensions, le minimum a été fixé à 85 % d'un SMIC net ; c'est un progrès de la négociation et un acquis des partenaires sociaux. Mais nous devons réfléchir pour faire mieux, à échéance, avec l'implication des régimes complémentaires.

Concernant le financement, il ne faudra pas se priver, à terme, d'examiner certaines hypothèses ; n'oublions pas la hausse de la cotisation vieillesse que vous avez annoncée pour 2006, monsieur le ministre. Nous utiliserons donc aussi ce levier-là !

Je terminerai en formulant quelques réflexions sur l'égalité entre les cotisants, une mesure phare de la réforme. Certes, il y a allongement de la durée de cotisation à 40 ans pour les fonctionnaires, puis un passage progressif pour tous à 41 et 42 ans, mais je voudrais rappeler que le taux de cotisation demeure différent.

Par exemple entre les enseignants du privé et ceux du public, l'équité ne sera pas totale ; c'est un point sur lequel nous devons réfléchir.

Je me réjouis du maintien des avantages familiaux et des progrès réalisés en ce domaine ; je pense notamment à la majoration pour les parents ayant élevé trois enfants, mais aussi pour les parents d'enfants lourdement handicapés.

En conclusion, messieurs les ministres, au nom de mon groupe, je vous réassurerai de notre confiance.

Oui, nous allons être à vos côtés pour construire la France de nos enfants, faite de cohésion et de solidarité nouvelles, refusant de rejeter sur les seules générations futures le poids de la solidarité.

Enfin, messieurs les ministres, je dois vous dire que je partage avec vous le souci de rédéfinir collectivement le rapport de notre société au travail. S'il est engagement individuel, le travail est aussi une réponse à un besoin collectif.

Bronislaw Geremek, parlant des exclus de longue durée du travail, disait qu'ils avaient « le sentiment d'être inutiles au monde ». Cette valeur d'utilité au monde par le travail, nous devrions un peu l'avoir à l'esprit ce soir, dans l'intérêt même de notre pays et de notre solidarité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret.

M. Jean-Pierre Masseret. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes tous partis d'un constat partagé sur la nécessité de prendre en compte le nombre croissant des retraités qui vont vivre plus longtemps, donc de consacrer une part croissante de la richesse nationale au financement de cette réalité.

Mais là se limite le point d'accord entre nous. En effet, ce projet de loi conteste fondamentalement un des piliers de la république sociale que les Français ont construit au fil du temps par leur travail : la retraite.

Il s'agit du niveau de cette retraite, du pouvoir d'achat de la retraite, de la fonction même des retraites dans le niveau de consommation et au regard de la croissance économique. J'ai entendu parler cet après-midi de moment historique. Eh bien, si le moment est historique, c'est malheureusement à cause de cette remise en cause.

L'inspiration de votre réforme - c'est votre droit le plus absolu - est de nature libérale. Avec certaines autres réformes qui ont déjà été évoquées à cette tribune, la politique que vous menez ressemble furieusement à la politique qu'a conduite, voilà vingt ans, Mme Thatcher.

Il n'est donc pas surprenant, mes chers collègues, que nous la combattions, que nous la condamnions, en dépit des déclarations que vous nous opposez depuis cet après-midi, déclarations émanant de ce que le général de Gaulle eût appelé un quarteron ; cette expression est d'ailleurs reprise souvent par mon ami Michel Dreyfus-Schmidt. (Sourires.)

J'ai aussi entendu plusieurs orateurs de la majorité faire référence aux valeurs de la République pour valider le projet de loi en discussion. Or j'ai la faiblesse de penser, messieurs les ministres, que le projet de réforme que vous défendez s'éloigne singulièrement de la République sociale dont nous sommes tous comptables, de cette République qu'exprime avec force et exigence le bloc de constitutionnalité dont fait notamment partie le préambule de 1946, qui est toujours un élément de référence.

Les valeurs de la République, ce ne sont pas simplement trois mots inscrits au fronton des bâtiments publics. C'est une exigence qui repose sur chacune et chacun d'entre nous, à quelque niveau de responsabilité que nous nous situions, et particulièrement lorsque nous sommes membres du Parlement.

Je note avec regret que vous êtes parvenus à diviser le front syndical, faisant croire à certains de vos interlocuteurs qu'à défaut d'accord signé avant le congrès socialiste de Dijon votre majorité à l'Assemblée nationale serait plus féroce, plus brutale, plus dure que vous-mêmes.

En réalité, nous avons le sentiment que, au cours des derniers mois, on a confondu : « échange d'informations » avec « dialogue », « tour de table » avec « négociation ».

Les analyses et observations faites par mes camarades du groupe socialiste permettent de dire que votre projet consiste à étendre aux retraités du secteur privé et du secteur public la précarité, la flexibilité et, d'une certaine manière, l'insécurité. L'objectif réel, derrière les mots rassurants, est, on l'a bien compris, de peser sur les salaires, de réduire les revenus de transfert, de favoriser la rémunération toujours plus exigeante du capital.

Ces critiques, je les résumerai aux trois points qui sont, à mes yeux, les plus concrets.

En allongeant la durée des cotisations, le risque est d'accroître le chômage des jeunes. En allongeant la durée des cotisations, on rend quasiment impossible, pour le salarié, de toucher sa retraite complète.

J'ai eu l'occasion d'organiser deux ou trois réunions publiques rassemblant environ trente personnes seulement. D'abord, j'ai constaté que, sur les trente personnes présentes, vingt au moins connaissaient des situations différentes au regard de la retraite. Ensuite, je me suis aperçu qu'en appliquant par anticipation certaines des mesures que vous préconisez il serait effectivement très difficile pour beaucoup de ces personnes de percevoir une retraite à taux plein.

Par ailleurs, en indexant la retraite sur les prix plutôt que sur les salaires - et je suis là en désaccord avec Jean-Paul Delevoye -, on induit une baisse programmée du pouvoir d'achat.

M. Guy Fischer. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Masseret. Cette mesure est plus lourde de conséquences pour l'avenir qu'on ne l'imagine. Je crains que, ajoutée à d'autres mesures, elle ne soit susceptible d'amener demain des millions de retraités dans la rue. Vous comprenez donc toutes les raisons que nous avons de nous opposer à ce qui nous est proposé.

En fait, il ne fallait pas limiter le choix politique à la diminution du niveau des retraites et à l'augmentation de la durée des cotisations. Nous disposions de divers paramètres, de divers instruments. Encore fallait-il vouloir s'en saisir ! C'est dans cette volonté que réside la différence entre la droite et la gauche. C'est la question du taux de cotisation, de l'assiette des cotisations, du recours à l'impôt, du niveau des salaires, du partage entre les salaires et les profits - comment ne pas constater le retard des salaires dans le partage des richesses ? -, de la politique de l'emploi, de la gestion des dégrèvements fiscaux et sociaux, donc de la répartition de la richesse créée.

En privilégiant la baisse du niveau des retraites et l'allongement de la durée des cotisations, votre choix est nettement orienté vers la pression exercée sur les seuls salaires.

Je conclurai en faisant référence à une déclaration récente de M. le Premier ministre sur le purgatoire et le paradis, laquelle nous conduit à réviser notre antique vision. On pensait jusqu'à présent qu'il était plus difficile à un riche d'entrer au paradis qu'à un chameau de passer par le chas d'une aiguille. Or votre projet, manifestement, ouvre aux plus aisés de nos compatriotes des horizons paradisiaques, condamnant donc les pauvres âmes au purgatoire. Pardonnez-nous, mais nous ne croyons pas au paradis libéral dont vous vous faites les promoteurs ! Notre opposition ne fait donc pas de doute. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Girod.

M. Paul Girod. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à cette heure, je ne vous infligerai pas un long discours, me contentant de vous livrer quelques réflexions sur l'ambiance dans laquelle se déroule ce débat et sur un certain nombre de points de départ qu'il ne me semble pas inutile de rappeler.

Le Livre blanc de Michel Rocard...

M. Gilbert Chabroux. Encore ?

M. Paul Girod. Pourquoi ? Serait-ce un mauvais auteur ? Il me semblait pourtant que c'était quelqu'un que vous aimiez bien...

Après le Livre blanc de Michel Rocard, quelques années passent et M. Balladur s'attaque au sujet.

Vient ensuite le rapport Charpin. Quelle horreur ! Il disait la vérité, il fallait donc l'exécuter. On ne l'a pas exécuté, mais on l'a étouffé avec un rapport Teulade !

M. Henri de Raincourt. Excellent !

M. Paul Girod. Et puis on n'a plus rien fait. On s'est installé dans un certain confort intellectuel en se disant qu'après tout, puisque tout allait bien aujourd'hui, cela irait bien demain !

Le débat qui nous a occupés cet après-midi me semble étonnamment représentatif de la différence d'approche entre le gouvernement actuel et la majorité qui a été désavouée il y a un peu plus d'un an.

Car à quoi avons-nous assisté cet après-midi, mes chers collègues ? A l'étalage de toute une série de photographies sur la France d'aujourd'hui. On nous a expliqué que, si l'on applique maintenant la réforme qui doit s'étaler sur vingt ans, la situation que les gens connaîtront demain s'en trouvera modifiée. C'est bien évident !

Mais ce n'est pas aux gens d'aujourd'hui que la réforme va s'appliquer ! Elle va s'appliquer au fur et à mesure de l'évolution de notre démographie et au fur et à mesure de la modification de l'espérance de vie aux différents âges.

C'est cela, me semble-t-il, chers collègues, qui nous divise. Vous avez en fait la manie de prendre une photographie de la société française à un moment donné et de la « redistribuer » à votre idée. La gestion d'un pays consiste non pas à se livrer à ce genre de redistribution dans l'instant, mais à essayer d'agir sur les phénomènes profonds d'une société pour qu'elle évolue à la fois dans le sens de la justice et dans celui de l'efficacité.

Agir sur les dérivées, pour utiliser le vocabulaire des mathématiciens, n'est pas du tout la même chose que de redécouper une photographie pour la recomposer à l'envers ! Le courage de ce gouvernement est justement de s'être attaqué à ce problème difficile en prenant en compte les prévisions, et non pas la situation de l'instant, en essayant de faire en sorte que l'évolution des choses se fasse de telle manière que soient préservés le régime par répartition, la justice entre nos concitoyens et l'efficacité de notre économie. C'est la raison pour laquelle, avec d'autres, je soutiendrai cette réforme.

Encore faut-il cependant, messieurs les ministres, que par des points de détail on ne gêne pas l'application de certains dispositifs existants. Je pense ici à un point très particulier dont nous aurons l'occasion de reparler au moment où nous examinerons le titre V.

Le ministère des finances n'a pas répondu à un certain nombre de questions qui lui ont été posées concernant l'applicabilité de l'article 83 du code général des impôts à certains régimes, qui intéressent des salariés se situant à la limite entre le public et le privé. Je crois que, le moment venu, il vous faudra, messieurs les ministres, nous apporter les éclaircissements qui s'imposent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite, en cet instant, vous soumettre deux réflexions et vous faire part d'une réaction.

Ma première réflexion porte sur le temps politique.

Aujourd'hui, nous légiférons sur la base d'un diagnostic qui est bien connu depuis 1991, c'est-à-dire, pour faire plaisir à nos collègues communistes, depuis la publication du Livre blanc qu'avait commandé Michel Rocard.

Mme Nicole Borvo. Nous étions contre ! Merci de le rappeler !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il aura donc fallu plus de dix ans pour que ce dossier soit pris « à bras le corps », comme le disait Lionel Jospin à son arrivée à Matignon. Il l'a pris tellement à bras le corps qu'il l'a étouffé ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

C'est dire la difficulté, dans une démocratie ponctuée par des échéances électorales, de prendre les décisions nécessaires en temps utile et d'anticiper l'avenir. L'urgence est, hélas ! le temps politique par excellence. Or, parfois, la démocratie pêche par manque de courage politique.

Aujourd'hui, à l'issue d'une législature où le temps des rapports a rimé avec le temps des reports, nous sommes bien dans l'urgence. Et notre situation serait encore pire si, en 1993, le gouvernement d'Edouard Balladur n'avait pas commencé à réformer le régime général.

En mai 1998, M. Lionel Jospin, qui était votre Premier ministre, chers collègues de gauche, avait souligné l'« absolue nécessité » de ces aménagements, qu'il imputait aux vertus pédagogiques du Livre blanc de 1991.

Que n'a-t-il tiré les conséquences du rapport Charpin, qui concluait, quant à lui, à l'absolue nécessité de réduire l'écart croissant apparaissant entre un régime général partiellement réformé et un secteur public ne varictur ?

De fait, aujourd'hui, certains estimeront que les mesures applicables dans les trois fonctions publiques sont brutales. Pour ma part, je ne le pense pas. Certains mécanismes ne se mettront en place que progressivement jusqu'en 2020. Mais chacun conviendra que, si l'on était parti plus tôt, le rythme aurait été moins soutenu.

Je voudrais aussi parler de ce que j'appellerai « l'occasion manquée ». On a en effet manqué l'occasion de conduire une réflexion globale sur la répartition du travail tout au long de la vie.

Le précédent gouvernement n'a pas réformé les retraites, mais il a mis en place les 35 heures.

M. Henri de Raincourt. Quelle erreur !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'était, dans un cas, une abstention fâcheuse et, dans l'autre cas, une initiative lourde de conséquences. Nous en voyons aujourd'hui le prix.

Mme Nicole Borvo. C'est sûr, toute avancée sociale a un prix !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous en voyons le prix dans le secteur privé. Nous en voyons le prix pour nos finances publiques à travers le coût budgétaire des exonérations de charges qui accompagnaient inévitablement cette mesure. Nous en voyons le coût dans la fonction publique, et particulièrement à l'hôpital - ce qui a évidemment des effets sur l'assurance maladie -, où elle entraîne une grave désorganisation et l'obligation, en définitive, de racheter les jours de RTT.

Quelle occasion perdue de ne pas avoir lié, dès l'origine, la question du temps de travail, qu'il soit hebdomadaire ou annuel, et celle de l'allongement de la vie active !

Quelle occasion perdue de n'avoir pas réfléchi globalement sur les rythmes de vie et les rythmes de travail !

Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui introduit plus de souplesse et plus de choix. Je pense notamment à la façon dont les rachats de cotisations sont facilités, pour les années d'études ou le temps partiel, ou encore à l'instauration d'une surcote, qui permet à ceux qui souhaitent travailler plus longtemps d'améliorer leur retraite.

Toutefois, à l'évidence, ce projet de loi intervient dans un contexte contraint puisque, par la force des choses, les deux questions ont été totalement dissociées.

Je me tournerai maintenant vers M. Chabroux pour faire part d'une réaction. Au demeurant, je pourrais me tourner vers d'autres, Mme Pourtaud en particulier, qui a évoqué la situation actuelle des retraites des femmes, laquelle, en fin de compte, ne découle que de l'absence de travail des socialistes durant la période où ils étaient au pouvoir. (Mme Nicole Borvo s'esclaffe.)

Monsieur Chabroux, vous avez évoqué longuement la réforme de l'assiette des cotisations patronales de sécurité sociale.

Vous n'auriez pas dû le faire, car cette réforme est un autre exemple du « temps des rapports » que nous avons dénoncé à propos des retraites.

Vous vous souvenez certainement qu'en octobre 1998 notre commission avait auditionné M. Jean-François Chadelat et M. Edouard Malinvaud. Pourquoi ? Parce que le Gouvernement avait demandé un rapport à M. Chadelat, qui avait expertisé la question de l'inclusion de la valeur ajoutée dans l'assiette des cotisations. Son rapport y était plutôt favorable. Qu'a fait alors le Gouvernement ? Il a commandé un autre rapport, cette fois à M. Malinvaud, lequel s'est révélé plutôt défavorable à la valeur ajoutée. Tiens donc !

Qu'a fait finalement le Gouvernement ? Rien !

Chadelat Malinvaud, Charpin Teulade, c'est un peu la même méthode : un rapport chasse ou tente de chasser l'autre.

Mais je suis injuste ! J'oubliais que le précédent gouvernement avait créé un fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale : c'était le vrai nom du FOREC, ce fonds qui devait compenser à la sécurité sociale les exonérations de charges liées aux 35 heures, ce qu'il n'a d'ailleurs pas fait.

Comme ce fonds a été alimenté, un moment, par la taxe générale sur les activités polluantes et par une contribution sur les bénéfices des sociétés, le gouvernement précédent a prétendu qu'il avait réformé l'assiette des cotisations patronales en y incluant un élément « pollution » et un élément « bénéfice ». Cependant, comme le FOREC a ensuite été alimenté par un incroyable inventaire à la Prévert des « rossignols » de la fiscalité, le gouvernement de M. Jospin a cessé de prétendre quoi que ce soit.

Voilà, monsieur Chabroux, la véritable histoire de la réforme de l'assiette des cotisations patronales de sécurité sociale. Elle méritait, je pense, d'être rappelée.

M. Gilbert Chabroux. On en reparlera !

M. Nicolas About, président de la commision des affaires sociales. Cette histoire est significative, monsieur Chabroux, des méthodes anciennes, et elle doit vous conduire, vous et vos amis politiques, à plus de modestie, à plus de mesure...

Mme Nicole Borvo. Vous aussi, vous devriez être plus modestes !

M. Nicolas About, président de la commission des finances. ... et au respect pour cette réforme courageuse, qui tire sa force de la recherche de l'équité et de la justice, sa solidité de l'engagement progressif à tenir compte des données futures de notre société. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées de RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. François Fillon, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette discussion générale nous a indiscutablement permis d'entrer dans le vif du débat. Nous voyons désormais se dessiner les arguments des uns et des autres.

Je voudrais essayer de répondre à quelques-unes des interrogations qui ont été adressées au Gouvernement, en priant les intervenants de me pardonner si, à cette heure avancée, je ne reprends pas toutes les questions. Mais la discussion des articles nous permettra d'aborder longuement chaque sujet.

Je veux tout d'abord remercier les rapporteurs de leurs contributions et de l'enrichissement qu'ils entendent apporter à cette réforme.

Je souhaite notamment, rendre hommage à la qualité du travail qu'a accompli M. Leclerc ainsi qu'à la clarté de son intervention dans un domaine où la technicité le dispute à l'obscurité des rédactions juridiques.

Comme il l'a indiqué, c'est le choix de la réforme qui permet de faire avancer la justice sociale et non pas celui du statu quo, et il a eu raison d'insister sur les mesures que prévoit le texte en ce qui concerne les longues carrières, les petites retraites, les retraites agricoles, la pénibilité, ou bien encore la prise en compte des situations spécifiques des parents d'enfants handicapés. Sur tous ces points, nous avançons.

Je remercie également M. Adrien Gouteyron, qui a excellemment requalifié le retournement démographique de 2006. Il a parlé d'affaissement : il a raison. Il prend ainsi la suite de grandes personnalités qui avaient annoncé ce bouleversement ; je pense notamment à Alfred Sauvy et à Michel Debré, chacun à sa manière.

Comme l'a souligné M. Gilbert Barbier, cette réforme est donc la première de celles qui devront intervenir pour garantir le modèle social français contre les effets du vieillissement de notre pays.

Monsieur Gouteyron, vous avez avec raison indiqué que cette réforme était importante pour deux raisons : elle est concentrée sur l'un des principaux socles de notre dispositif de solidarité ; elle incarne, comme l'ont également bien laissé entendre Joseph Ostermann et Paul Girod, un virage politique caractérisé par la fermeté au service de l'intérêt général et par l'anticipation face à une mutation de long terme.

Le président Jean Arthuis a opportunément mis l'accent sur la dimension européenne de notre action. Lorsque la France se réforme, elle élargit en effet son influence et son poids au sein de l'Union parce que nos partenaires européens respectent les actes et non les discours.

M. Yves Détraigne dit fort justement que les Etats européens, sur le dossier des retraites, avaient dès à présent pris de l'avance sur notre pays. Il était donc temps d'agir. J'aurai l'occasion, dans un instant, de revenir sur quelques-uns des exemples que nous aurions effectivement pu suivre.

M. Henri de Raincourt, dans une intervention où son talent habituel a pu s'exprimer, a qualifié avec justesse et une pointe d'humour la méthode du Gouvernement de « force tranquille ». Si nous nous sommes montrés à la fois fermes et sereins, monsieur de Raincourt, c'est précisément parce que nous avons la conviction que nous faisons notre devoir : devoir à l'égard de notre pacte social ; devoir à l'égard d'une certaine idée de la politique, qui n'est pas l'art d'esquiver les sujets difficiles, mais de dessiner courageusement l'avenir ; devoir vis-à-vis des générations futures, celles de nos enfants et de nos petits-enfants, qui n'ont pas à payer l'inaction et l'imprévoyance de leurs aînés.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe a regretté que la concertation n'ait pas été suffisante et, en fin de compte, comme beaucoup d'autres orateurs, que nous n'ayons pas réussi à obtenir le consensus qui s'est dégagé dans beaucoup d'autres pays européens.

Je voudrais m'arrêter un instant sur ce point pour exprimer un regret : en janvier, j'avais tendu la main à l'ensemble des groupes politiques et à l'ensemble des partenaires sociaux afin d'essayer de construire un consensus autour des retraites.

Je n'ignore pas le retard de notre pays en matière de pratique du dialogue social, mais j'espérais que nous pourrions faire un petit bout de chemin avec certains partenaires, notamment politiques, dans la mesure où nous avions choisi de nous appuyer sur les travaux du Conseil d'orientation des retraites, dont la présidente déclarait voilà quelques jours à l'AFP qu'elle retrouvait dans la réforme l'essentiel des préconisations.

C'est ainsi que j'ai reçu, au mois de février, avec Jean-Paul Delevoye, l'ensemble des partis politiques.

Le parti socialiste n'a fait aucune proposition à ce moment-là. Il a fallu attendre la fin du mois de mai pour que, dans un tract de quatre pages - une page d'éditorial du premier secrétaire, une page de critique de la réforme du Gouvernement et une page et demie de propositions et de vagues chiffrages sur la réforme -, un projet ou quelques propositions émanent du parti socialiste.

Le parti communiste, lorsque je l'ai reçu au mois de février, n'a fait aucune proposition.

Mme Nicole Borvo. L'entretien a duré dix minutes !

M. François Fillon, ministre. Non, il a duré le temps que vous vouliez, parce que nous étions tout à fait disponibles pour vous recevoir !

Il a fallu attendre le mois de mai pour que le parti communiste construise effectivement un projet, dont nous aurons l'occasion de débattre.

Mme Nicole Borvo. Absolument !

M. François Fillon, ministre. Ce projet est cohérent avec les convictions et avec les positions anciennes de ce parti, mais il nous semble totalement irréaliste dans le monde dans lequel nous vivons.

Je ne citerai pas les autres formations politiques de l'opposition, même si je meurs d'envie d'évoquer ceux qui m'ont proposé, pour financer les retraites, d'instaurer un salaire dès dix-huit ans, de manière que tous les jeunes puissent cotiser dès cet âge pour financer les retraites ! (Rires sur plusieurs travées de l'UMP.)

Naturellement, le débat a été plus fructueux avec les partenaires sociaux. Nous avons tenu plus de vingt et une réunions avec l'ensemble des confédérations syndicales. Au cours de ces réunions, nous avons évoqué tous les aspects de la réforme des retraites. D'ailleurs, dans l'exposé des motifs et dans les trois premiers articles du projet de loi, on retrouve la déclaration commune qui résulte du travail du groupe confédéral.

Pouvions-nous aller plus loin que l'accord que nous avons obtenu avec les organisations qui ont accepté de soutenir la réforme, et notamment le relevé de décisions du 15 mai ?

Or, parmi les deux grandes organisations syndicales qui se sont opposées à notre réforme, l'une avait posé comme préalable l'instauration de trente-sept années et demie de cotisations pour tous. Ce préalable est d'autant plus inacceptable que - et j'aurai l'occasion de le faire remarquer à plusieurs reprises au cours de ce débat - le gouvernement précédent n'est en rien revenu sur les décisions qui avaient été prises dans le cadre de la réforme Balladur.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

M. François Fillon, ministre. Quant à l'autre grande organisation syndicale, elle a formulé un certain nombre de critiques, de propositions, mais elle ne nous a jamais présenté de véritable alternative, notamment en matière de financement.

La vérité, c'est que nous sommes dans un pays où les organisations syndicales progressent sur la voie du réformisme. Il faut, pour les y aider, que nous changions les règles de la négociation collective.

Je remarque que ceux qui réclament aujourd'hui à cor et à cri des accords majoritaires n'ont jamais rien fait pour modifier les conditions du dialogue social. Nous allons le faire, mais cela demande du temps. On ne peut pas, du jour au lendemain, demander à une organisation comme la CGT, qui n'a jamais signé un accord sur un sujet comme celui-là, d'accompagner jusqu'au bout un gouvernement dans une réforme aussi difficile que celle des retraites.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien !

M. François Fillon, ministre. Le fait de dire, comme beaucoup d'orateurs de l'opposition, qu'il n'y a pas eu de négociation ou qu'il y a eu un simulacre de négociation est insultant pour le Gouvernement - il y est habitué - mais surtout pour les organisations syndicales qui ont accepté de signer cet acccord. C'est dire, notamment à la CFDT, qu'elle n'a aucune conviction, puisqu'elle a signé un accord qui n'a jamais été réellement négocié.

Je pense que c'est une erreur politique de porter ce jugement sur la négociation qui a eu lieu. On peut la trouver insuffisante, on peut être en désaccord avec ses conclusions, mais on ne peut pas prétendre qu'il n'y a pas eu de négociations.

Mme Nicole Borvo. C'est le peuple qui tranche !

M. François Fillon, ministre. Quant à l'idée selon laquelle il aurait dû y avoir une négociation avec un accord majoritaire sur les retraites, cela voudrait dire tout simplement que c'est aux partenaires sociaux, et à eux seuls, de régler cette question. Cela n'a évidemment aucun sens, dans la mesure où la question des retraites dépasse de beaucoup la compétence des seuls partenaires sociaux, ne serait-ce que parce qu'elle ne concerne pas uniquement les salariés.

Mme Nicole Borvo. Il fallait organiser un référendum !

M. François Fillon, ministre. C'est au Parlement que la réforme des retraites devait se faire.

Mme Létard a eu raison de souligner, comme M. Vallet, que le fil rouge de la réforme est l'équité : l'équité entre le secteur public et le secteur privé, l'équité entre les salariés, selon qu'ils ont fait leur carrière dans un ou plusieurs régimes, dans de grandes ou de petites entreprises ; l'équité entre les actifs et les retraités ; l'équité entre les retraités eux-mêmes, au bénéfice des plus modestes.

Mme Létard a indiqué que les femmes ayant des enfants souhaitaient poursuivre leur activité professionnelle, mais qu'elles entendaient consacrer du temps à leurs enfants lors de la période de la petite enfance.

Je veux rappeler ici que les avantages familiaux ou les compensations familiales de retraite ne sont pas remis en cause dans le régime général. Les femmes disposent, notamment, de deux années de majoration de durée d'assurance, ce qui permet à une mère de trois enfants ayant réellement travaillé trente-quatre ans de disposer de quarante années de durée d'assurance à soixante ans.

Le schéma qu'a présenté Mme Létard est intéressant. Il tend à compenser réellement les périodes d'inactivité liées à l'éducation des enfants. Aujourd'hui, le dispositif de l'assurance vieillesse des parents au foyer répond à ce besoin, mais il est placé, vous le savez, sous condition de ressources.

Le dispositif proposé par Mme Létard, qui est d'ailleurs celui que le Gouvernement a retenu dans la fonction publique pour les enfants nés après le 1er janvier 2004, est difficilement compatible avec le système de majoration de la durée d'assurance, puisque cela reviendrait, au fond, à opérer une double compensation.

M. Fourcade, avec son esprit de synthèse habituel, a parfaitement résumé les enjeux de la réforme. Il a eu raison de dénoncer le vrai mirage, la plus dangereuse des supercheries qui consistent à faire croire que l'on peut préserver notre modèle social en diminuant le temps consacré par chacun à la création des richesses qui sont ensuite partagées au nom de la solidarité.

M. Jean Boyer a indiqué à juste titre que la retraite des exploitants agricoles reste insuffisante. La mise en oeuvre des régimes complémentaires devrait leur permettre de disposer à l'avenir de meilleures pensions. Ce projet de loi prévoit en outre la mensualisation des retraites agricoles, et ce, dès le 1er janvier 2004. Cette promesse, dont la réalisation a été longtemps différée, aura été tenue par l'actuelle majorité.

M. Vasselle, concernant le financement de cette réforme, a eu raison de souligner une fois encore la nécessité de clarifier les flux financiers qui interviennent dans notre système de finances sociales. Sur le FSV, l'analyse de M. Vasselle est d'une clarté irréfutable : son déséquilibre a été organisé par le gouvernement précédent. Ce choix est préjudiciable au financement des avantages non contributifs, c'est-à-dire des mesures de solidarité.

D'une manière générale, je souhaite une clarification des relations entre l'Etat et le régime général. Les prochains PLFSS devront engager ce chantier et conforter en même temps une véritable autonomie des branches, chacune devant trouver son équilibre. C'est à ce prix que les partenaires sociaux accepteront d'assumer les responsabilités collectives que la loi leur confie.

Si je puis me permettre de faire une réponse collective aux interventions de l'opposition,...

Mme Nicole Borvo. Ne vous en privez pas !

M. François Fillon, ministre. ... que j'ai écoutées avec beaucoup d'attention, je remarquerai tout d'abord que, comme à l'Assemblée nationale, l'opposition ne présente pas un visage unique face à cette réforme.

Le parti communiste a défendu un projet alternatif, qui, me semble-t-il, est caractérisé par deux éléments.

D'une part, la situation ne serait pas si urgente. Aux yeux du parti communiste, nous exagérons le défi démographique et ses conséquences. Or cette vision, vous le savez, n'est ni celle du Conseil d'orientation des retraites ni celle du Gouvernement.

D'autre part, le parti communiste nous dit - et il est en cela cohérent avec les positions qu'il a toujours tenues - que la France est suffisamment riche et qu'il n'y a qu'à augmenter les impôts et taxer.

Cette fiscalisation tous azimuts n'a, selon moi, d'autre objectif que de financer le statu quo. Elle part du principe que tous les moyens sont bons pour financer notre contrat social. C'est une erreur, me semble-t-il. Le contrat social ne peut être financé que si notre économie continue de créer plus de richesse.

Mme Nicole Borvo. Ah !

M. François Fillon, ministre. Cette dynamique économique ne doit pas être étouffée si nous voulons qu'elle contribue à notre prospérité sociale.

Que se passerait-il si l'on décidait d'augmenter à nouveau la part des salaires dans la valeur ajoutée, notamment par le biais d'un nouveau prélèvement fiscal pour financer les retraites ? Cette question doit s'analyser exactement comme l'inverse d'une baisse des charges pour les entreprises.

Mme Nicole Borvo. On voit le résultat de la baisse des charges sur le chômage, alors faisons l'inverse !

M. François Fillon, ministre. Ces dernières réagiraient à cette hausse du coût du travail en réduisant les embauches de façon à restaurer leur rentabilité. Il en découlerait une forte augmentation du chômage. C'est exactement ce qui s'est passé dans les années soixante-dix et quatre-vingt, à la suite des chocs pétroliers et de la hausse régulière des prélèvements fiscaux et sociaux.

Dans toutes les options qui réclament une forte hausse de la fiscalité,...

M. Roland Muzeau. Nous n'avons pas demandé une hausse de la fiscalité !

M. François Fillon, ministre. ... il existe un risque, insuffisamment perçu, de dresser les actifs contre les retraités. Faut-il rappeler que le taux de pauvreté monétaire des retraités est estimé à 4 % contre 8 % pour les actifs ? Faut-il rappeler que le revenu des retraités - plusieurs sénateurs l'ont d'ailleurs souligné - est en moyenne équivalent à celui des actifs, alors même que leurs charges sont inférieures ? Il y a effectivement une évolution inévitable de la part du PIB consacrée au paiement des retraites, mais il faut réformer le système pour qu'il ne soit pas rejeté brutalement par les actifs de demain s'ils venaient à récuser une croissance excessive des impôts.

Quant au parti socialiste, j'ai eu le sentiment, comme à l'Assemblée nationale, qu'il se plaçait davantage dans une posture de dénonciation de la réforme que de véritable contre-projet. Ses rares contre-propositions font, elles aussi, assez souvent appel à la fiscalité. Nous n'écartons d'ailleurs pas, je l'ai dit, la fiscalité, mais nous cherchons à l'utiliser de façon raisonnable. Pour de bonnes et de moins bonnes raisons, le paramètre de l'augmentation de la durée de cotisation continue à gêner le parti socialiste. L'opposition a beau esquiver le sujet, il est impossible de réformer les retraites sans solliciter l'effort de tous les Français.

Mme Nicole Borvo. De tous les Français, oui !

M. François Fillon, ministre. Cet effort consiste à travailler plus longtemps et mieux. Face à cette exigence, l'opposition se réfugie derrière le taux de chômage pour dire que notre pari est impossible. Je n'ignore pas, madame Pourtaud, les difficultés d'une société marquée par le plein emploi. Mais on ne peut pas non plus affirmer, comme plusieurs d'entre vous l'ont fait, que la démographie sera sans incidence sur la réduction du chômage de demain.

L'exemple de l'Allemagne, que plusieurs d'entre vous ont cité, notamment M. Autain, n'est pas tout à fait convaincant. En effet, c'est la partie orientale de l'Allemagne, dont les structures ne sont pas tout à fait identiques à celles de la partie occidentale, qui alimente actuellement fortement le chômage.

Comment peut-on refuser d'admettre que la réduction massive du nombre des actifs liée à l'évolution démographique aura quelques effets - et je ne dis pas que ces effets seront mécaniques - sur les chiffres du chômage ?

Pour que cette baisse de la démographie se traduise par une baisse du chômage, il y a une condition ; il nous faut parvenir à augmenter le taux d'activité, c'est-à-dire que les jeunes travaillent plus tôt et les salariés âgés de plus de cinquante ans plus longtemps. Une telle condition suppose une modification en profondeur de notre système de formation.

M. Domeizel a dit tout à l'heure qu'il ne fallait pas être polytechnicien pour comprendre qu'un départ à la retraite créait un emploi. Il ne faut pas non plus être polytechnicien pour constater que la France a, avec le taux d'activité le plus bas, le taux de chômage des jeunes le plus élevé. Ce raisonnement alimente depuis vingt ans le discours politique - à droite comme à gauche, d'ailleurs - et a abouti à une vision malthusienne de l'économie qui fait de la France le pays d'Europe qui a les moins bonnes performances en matière de taux d'activité.

C'est la raison pour laquelle la réforme à venir de la formation professionnelle constitue une pièce essentielle, indispensable de l'ensemble que je commence à vous présenter aujourd'hui avec la réforme des retraites.

Il s'agit donc de travailler plus longtemps et mieux pour sauver les retraites, mais j'entends l'opposition affirmer que, pour les salariés, le cap des quarante ans est infranchissable ! Puis-je lui préciser qu'il y a beaucoup de salariés qui ont dès à présent bien plus de quarante années de durée d'assurance ? De la même façon, il a été beaucoup question des pays européens ce soir ; or une chose n'a pas été dite, c'est que, dans tous les pays de l'Union européenne, la durée de cotisation est égale à quarante-cinq annuités. J'ai entendu M. Gilbert Chabroux affirmer, avec la manière qui le caractérise, que cette réforme était la plus dure de toutes les réformes en Europe, avec quarante annuités puis quarante et une annuités en 2012, quand tous les autres en sont à quarante-cinq !

M. Gilbert Chabroux. Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. François Fillon, ministre. Que se passe-t-il dans les autres pays européens ? Tous les pays européens - pas seulement trois, quatre ou la moitié d'entre eux - qu'ils soient gouvernés par la gauche ou par la droite ont une retraite à soixante-cinq ans avec une durée de cotisation avoisinant quarante-cinq annuités.

Il est cependant un point sur lequel je rejoins l'opposition : la durée d'assurance nécessite, c'est vrai, sur le moyen et sur le long terme, une réorganisation du travail, notamment du travail des seniors, une valorisation de leur expérience et de nouvelles modalités d'exercice de leur profession. C'est une mutation des pratiques que nous engageons avec cette réforme, mais qu'il faudra creuser et enrichir dans les prochaines années.

Dans un étonnant discours, M. Chabroux a parlé d'une incroyable campagne de propagande.

M. Gilbert Chabroux. C'est vrai !

M. François Fillon, ministre. Je n'ose pas qualifier son discours, fondé sur une série de contrevérités et de slogans excessifs : régression sociale, capitalisation, passage en force... Ce qui est sûr, c'est que le parti socialiste n'a jamais eu à affronter les crispations sociales sur le dossier des retraites puisqu'il n'a jamais osé le traiter !

Comme à l'accoutumée, le discours développé par le groupe socialiste porte moins sur les retraites que sur l'ensemble des éléments de la conjoncture économique ou sociale. Ce discours montre, en fait, la gêne du parti socialiste sur ce dossier. Constamment, les orateurs socialistes passent à côté du sujet, que ce soit sur la durée de cotisation, sur la convergence publique privée ou encore sur les conditions du sauvetage de la répartition. La demande insistante de financements complémentaires révèle en réalité l'aspiration de ce parti à toujours plus de prélèvements pour financer le statu quo.

M. Jean Arthuis, président de la commission de finances. Oui !

M. François Fillon, ministre. Il a repris la thèse selon laquelle il y a eu une baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée pour montrer qu'il y a un trésor caché pour financer les retraites. C'est une illusion que l'économiste Thomas Piketty, qui n'est pas susceptible d'être marqué par le dogme libéral, a tout récemment dissipée, en rappelant que la part des salaires dans la valeur ajoutée n'a fait que retrouver, après la montée de la décennie soixante-dix, un niveau presque équivalent à celui d'avant la crise pétrolière.

Quant aux richesses du capital que l'on pourrait taxer, je ferai quelques remarques : les recettes de l'impôt sur les sociétés représentent 37 milliards d'euros et les plus-values potentielles sur les stock-options 2,3 milliards d'euros. Les économistes MM. Cohen, Fitoussi et Pisani-Ferry en concluaient, voilà quelques semaines, que ces ressources n'étaient pas à la hauteur des enjeux.

Nous avons aussi entendu dire à plusieurs reprises que cette réforme viendrait pénaliser les femmes. On ne peut pas dire cela. M. Marcel-Pierre Cléach, avec la précision et le coeur qui le caractérisent, a d'ailleurs mis l'accent sur les avancées de notre projet et sur la nécessité absolue de porter un regard attentif aux situations familiales.

Notre système - et c'est le fondement même de la répartition - est fondé sur un principe contributif. Le principal facteur de la faiblesse des pensions des femmes est le suivant : toutes les femmes qui n'ont pas travaillé et celles qui ont travaillé ont parfois des durées de cotisations courtes, voire très courtes !

Mme Nicole Borvo. C'est ce qu'on dit !

M. François Fillon, ministre. Contrairement aux assertions, le montant moyen des pensions servies aux femmes va continuer à s'améliorer de manière considérable dans les années à venir, compte tenu de l'augmentation de la durée des carrières féminines. On ne peut pas prétendre que la réforme que nous proposons vienne en quoi que ce soit aggraver cette situation.

Mme Nicole Borvo. Bien sûr que si !

M. François Fillon, ministre. On peut estimer qu'il n'y a pas eu assez d'efforts de faits dans le passé (Exclamations sur les travées du groupe CRC)... pour rapprocher la condition des femmes de celle des hommes en matière de salaires, de droit au travail, mais le fait d'allonger la durée de cotisation de manière égale pour les femmes ne peut pas, - et là encore il n'y a pas besoin d'être polytechnicien pour le comprendre - introduire une nouvelle aggravation de la situation des femmes par rapport à celle des hommes,... (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe CRC)

Mme Nicole Borvo. Elles ne peuvent déjà pas cotiser trente-sept ans et demi ; elles ne pourront pas aller jusqu'à quarante-deux ! C'est incroyable !

M. François Fillon, ministre. ... d'autant que nous avons maintenu les avantages familiaux qui permettent, dans bien des cas, de répondre aux difficultés.

Le vrai combat que nous devons mener est celui de l'égalité professionnelle, de l'égalité sur le plan des salaires.

Mme Nicole Borvo. Ah !

M. François Fillon, ministre. Mme Demessine considère que la disposition de l'article 4 du projet de loi relative au pourcentage de 85 % du SMIC n'est qu'un trompe-l'oeil. Faut-il rappeler que cette mesure sera réalisée par trois revalorisations de 3 % des minimas contributifs d'ici à 2008 et qu'une garantie de 85 % correspond à un coût potentiel de 600 millions d'euros en 2020 ? Parler de trompe-l'oeil dans ces conditions n'est pas franchement sérieux !

Mais je demanderai à Mme Demessine quelles ont été les revalorisations du minimum contributif qui sont intervenues en 1997 et 2002, au moment même où elle était membre du gouvernement de M. Jospin. Aucune ! Il n'y a pas eu de revalorisation du minimum contributif à cette époque !

Vous demandez aujourd'hui l'abrogation des décrets de 1993 et le retour à l'indexation des pensions sur les salaires. Or que s'est-il passé de 1997 à 2002 ? Alors que vous étiez membre du gouvernement de M. Jospin, avez-vous abrogé les décrets de 1993 ? Etes-vous revenue sur les décisions de 1987 en matière d'indexation des pensions sur les salaires ? En réalité, je ne vous ai jamais entendue demander cette abrogation. Je ne vous ai pas entendue non plus demander le retour à l'indexation des pensions sur les salaires.

Vous avez indiqué que le Gouvernement acceptait pour la capitalisation ce qu'il refusait pour la répartition, à savoir un effort de cotisation supplémentaire. Vous avez également considéré que le dispositif de capitalisation allait fragiliser les régimes de retraite par répartition.

Ces arguments seraient éventuellement recevables si la capitalisation était un mécanisme obligatoire, comme c'est d'ailleurs le cas dans de nombreux pays européens qui ont été cités tout à l'heure en exemple et...

M. Jean-Paul Delevoye, ministre. Oui !

M. François Fillon, ministre. ... dont les réformes sont considérées comme merveilleuses et consensuelles, mais qui, eux, ont instauré un mécanisme de capitalisation obligatoire, comme en Suède, notamment. Ce n'est pas ce que nous proposons.

Ces arguments seraient éventuellement recevables si le dispositif créé par le projet de loi prévoyait un abondement par l'employeur. Ce n'est pas le cas.

Le nouveau plan d'épargne individuel pour la retraite sera alimenté par les seuls versements volontaires des salariés. Cela ne pèsera donc pas sur le coût du travail.

Mme Nicole Borvo. Cela pèsera sur la consommation !

M. François Fillon, ministre. Mme Demessine s'est appuyée sur la situation de la Grande-Bretagne. Précisément, ce gouvernement n'a pas fait le choix du système de retraite britannique.

Nous avons choisi, pour notre part, de confirmer le système par répartition et de maintenir un haut niveau de retraite à travers ce système. Par conséquent, parler de cannibalisation, de démantèlement du régime par répartition est une accusation fallacieuse, et c'est bien la posture du groupe communiste : irréaliste, exagérément coûteuse, conservatrice et ignorante du choc démographique qui mènerait le système à la faillite et, finalement, les retraités à la ruine ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

En fait, la meilleure façon de favoriser la capitalisation aurait été de ne pas faire de réforme. Ainsi, on se serait retrouvé, dans quelques années, devant un déficit abyssal des pensions des salariés du secteur privé et, tout naturellent, le niveau des pensions ayant chuté brutalement, la capitalisation se serait alors introduite de manière sauvage. C'est ce que nous avons refusé et c'est ce que, d'une certaine façon, en tardant tellement à engager la réforme, vous avez rendu plus difficile, plus douloureux et plus fragile.

M. Vergès a évoqué, comme il l'avait fait en commission, avec beaucoup de gravité et avec la passion qu'on lui connaît pour son île, les difficultés économiques et sociales de la Réunion et les différences qui caractérisent la démographie de cette île.

Je lui ai déjà répondu en commission que le Gouvernement serait à l'avenir bien évidemment attentif aux conséquences qu'aurait le projet de loi sur les salariés réunionnais. Mais - M. Paul Vergès me comprendra - le système des retraites, au-delà des disparités régionales et des spécificités démographiques, est fondé sur la solidarité. Il constitue un tout, où chaque membre de la communauté nationale est le maillon d'une même chaîne.

M. Collin a évoqué la réforme de la réforme, point sur lequel je ne suis pas en désaccord avec lui en ce que cela signifie la nécessité d'un pilotage continu de la réforme. A cet égard, il sera intéressant de voir jusqu'en 2020 quelle sera l'attitude de ceux qui, majorité après majorité, auront le devoir de conduire les affaires de notre pays. Si cela se passe comme pour les décrets de 1993, je n'ai pas beaucoup d'inquiétude quant à la pérennité de la réforme que nous sommes en train de proposer !

Je dois dire que M. Krattinger m'a fait quelque peu sortir de mes gonds, ce qui est assez inhabituel chez moi. En effet, je considère qu'il est tout à fait choquant de citer certains propos de mes collaborateurs, propos insultants à l'égard des enseignants ou d'autres fonctionnaires, sans apporter la moindre preuve de ce que l'on avance ! D'ailleurs, je mets au défi M. Krattinger d'apporter une telle preuve au Sénat.

Quant à la démonstration qu'il a faite selon laquelle notre réforme allait finalement se traduire par une baisse drastique des moyens destinés à la lutte contre le chômage, c'est juste oublier un détail : ce sont les partenaires sociaux qui gèrent le chômage et ce sont eux qui devront prendre la décision de réduire les cotisations afin que le montant global des prélèvements obligatoires, lorsque nous augmenterons les cotisations vieillesse à partir de 2008, ne soit pas insupportable. Naturellement, on peut imaginer que leur sens des responsabilités les conduira à ne pas accepter l'hypothèse que vous venez d'évoquer.

Vous voyez que, dans le défi que nous voulons relever ensemble, qui est celui de l'amélioration du taux d'activité dans notre pays, la responsabilité des entreprises est considérable. Certains d'entre vous considèrent qu'elles ne l'assumeront jamais. Nous, nous pensons que les entreprises sont placées devant un choix. Soit elles changent leur comportement à l'égard, notamment, des salariés âgés,...

Mme Michelle Demessine. Et des jeunes !

M. François Fillon, ministre ... parce que nous sommes placés devant une nouvelle situation en matière démographique, et alors on pourra maintenir les prélèvements obligatoires à un niveau raisonnable,...

Mme Nicole Borvo. Elles n'embauchent ni les jeunes ni les vieux !

M. François Fillon, ministre. Mais vous les avez vous-mêmes encouragées avec des préretraites qui ont été financées par l'ensemble des majorités depuis vingt ans ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Soit elles ne le font pas, et alors les prélèvements obligatoires augmenteront, parce que le choix que nous avons fait est celui de maintenir le niveau des pensions et donc d'augmenter, d'ici à 2020, de trois points les cotisations retraites.

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, le débat est désormais entre nous engagé. L'opposition a multiplié les critiques, mais la somme des critiques n'a jamais constitué un contre-projet solide. La majorité, pour sa part, est prête à prendre ses responsabilités. Je crois que nos échanges permettront à nos concitoyens de saisir la différence entre ceux qui sont sur la défensive et ceux qui sont dans l'action au profit de la rénovation de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Nicole Borvo. On verra !

M. le président. La suite de la discussion est donc renvoyée à la prochaine séance.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant réforme des retraites
Exception d'irrecevabilité

10

TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par l'Assemblé nationale après déclaration d'urgence, modifiant la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive.

Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 384, distribué et renvoyé à la commission des affaires culturelles.

11

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président. J'ai reçu de MM. Gérard Larcher, Gérard César, Michel Bécot, Philippe Arnaud et Daniel Reiner un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan à la suite d'une mission effectuée en Iran du 15 au 18 avril 2003, par une délégation de la commission des affaires économiques et du Plan.

Le rapport d'information sera imprimé sous le numéro 385 est distribué.

12

DÉPÔT D'UN AVIS

M. le président. J'ai reçu de M. Adrien Gouteyron un avis présenté au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme des retraites (n° 378, 2002-2003).

L'avis sera imprimé sous le n° 383 et distribué.

13

DÉPÔTS RATTACHÉS POUR ORDRE

AU PROCÈS-VERBAL

DE LA SÉANCE DU 2 JUILLET 2003

DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI

M. le président. M. le président du Sénat a reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme des retraites.

Ce projet de loi sera imprimé sous le numéro 378, distribué et renvoyé à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION

DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 2791/1999 établissant certaines mesures de contrôle applicables dans la zone de la convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l'Atlantique du nord-est.

Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2328 et distribué.

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministe le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- proposition de décision du Conseil relatif à la conclusion d'un accord entre la Communauté européenne et le Canada relatif au commerce des vins et boissons spiritueuses.

Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2329 et distribué.

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean-Guy Branger un rapport, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Australie sur l'emploi des personnes à charge des membres des missions officielles d'un Etat dans l'autre (n° 371, 2002-2003).

Ce rapport sera imprimé sous le numéro 381 et distribué.

M. le président du Sénat a reçu de M. Dominique Leclerc un rapport, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme des retraites (n° 378, 2002-2003).

Ce rapport sera imprimé sous le numéro 382 et distribué.

DÉPÔT DE RAPPORTS D'INFORMATION

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de MM. Philippe Nachbar et Philippe Richert un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires culturelles par la mission d'information chargée d'étudier la gestion des collections des musées.

Ce rapport d'information sera imprimé sous le numéro 379 et distribué.

M. le président du Sénat a reçu de MM. Michel Pelchat et Jean-Pierre Masseret un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à la suite d'une mission effectuée le 10 février 2003 par une délégation chargée d'étudier l'expérimentation en métropole du soutien militaire à l'insertion des jeunes.

Ce rapport d'information sera imprimé sous le numéro 380 et distribué.

14

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mardi 8 juillet 2003, à onze heures, seize heures et le soir.

Suite de la discussion du projet de loi (n° 378, 2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant réforme de retraites.

Rapport (n° 382, 2002-2003) fait par M. Dominique Leclerc, au nom de la commission des affaires sociales.

Avis (n° 383, 2002-2003) de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée le mardi 8 juillet 2003, à une heure trente.)

Le Directeur

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD