Mardi 7 février 2017

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

La réunion est ouverte à 09 heures.

Proposition de loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle - Examen des amendements de séance au texte de la commission

M. Jean-Claude Lenoir, président- L'ordre du jour appelle l'examen des amendements de séance déposés sur la proposition de loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 1er

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement n°  13, qui vise à supprimer l'alinéa 6, est un amendement de cohérence.

L'amendement n° 13 est adopté.

Article 10

L'amendement rédactionnel n°  12 est adopté.

Article additionnel avant l'article 11 (suppression maintenue)

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement n°  14 vise à insérer un article additionnel prévoyant l'entrée en vigueur des dispositions foncières des articles 1er à 5 sous six mois.

L'amendement n° 14 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article 1er

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement no  10, qui tend à augmenter le seuil d'application de l'obligation de filialisation des acquisitions de terres agricoles, aurait plutôt sa place dans une loi sur le foncier agricole.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement no 10.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement no  11 tend à introduire une exception à l'obligation de filialisation des achats de terres agricoles pour les sociétés minières.

M. Henri Cabanel. - L'amendement no  4 vise à empêcher le contournement de l'obligation de filialisation par l'introduction d'un délai de six ans de location des terres.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Cela devra faire l'objet d'une discussion en commission mixte paritaire.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement no 11, ainsi qu'à l'amendement no 4.

Article 3

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement no  1 vise à introduire une exception à la préemption sur des cessions de parts sociales pour les opérations concourant aux mêmes objectifs que les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement no 1.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement no  8, qui vise à fixer l'entrée en vigueur de l'article 3 à six mois après la promulgation de la loi, est satisfait par l'amendement COM-3.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 8.

Article additionnel après l'article 7

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement no  3 vise à obliger les dirigeants des SAFER à fournir des déclarations d'intérêts.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 3.

Article additionnel après l'article 7 bis (supprimé)

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement no  2, qui vise à abroger des dispositions relatives au statut du fermage, trouverait plutôt sa place dans un grand texte sur le foncier agricole.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 2.

Article 8 A

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement no  9 vise à supprimer l'article.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement no 9.

M. Henri Cabanel. - L'amendement no  5 vise à limiter l'assouplissement de l'interdiction d'utilisation des produits phytopharmaceutiques aux seuls établissements publics. Il a pour objectif de permettre le traitement des buis, sans pour autant élargir excessivement l'exception.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Il serait dommage de limiter l'autorisation aux seules collectivités territoriales ; on trouve des buis dans des jardins privés.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement no 5.

M. Henri Cabanel. - L'amendement no  6 vise à limiter le champ de la dérogation prévue à l'article 8 aux seuls dangers sanitaires de première catégorie.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Une telle disposition reviendrait à vider cet article de son sens ; ces dangers sanitaires sont déjà couverts par le droit existant.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement no 6.

Article 10

M. Henri Cabanel. - L'amendement no  7 tend à restaurer la sanction en cas de non-respect des objectifs des certificats d'économie des produits phytosanitaires. Cette sanction ne serait applicable qu'en 2021 ; les distributeurs disposeraient donc de temps pour s'organiser.

M. Bruno Sido. - Qui paiera ?

Mme Sophie Primas. - Les agriculteurs !

M. Henri Cabanel. - Non, les distributeurs.

Mme Sophie Primas. - Alors, le coût reposera finalement sur les consommateurs !

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je ne suis pas favorable à la sanction. Privilégions une approche positive, plutôt que punitive !

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous avons achevé l'examen des amendements de séance déposés sur la proposition de loi.

M. Ladislas Poniatowski. - Notre rapporteur, dont l'amendement sur le foncier est habile, a-t-il les contacts nécessaires ?

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - J'ai auditionné quatorze organisations et pris contact avec toutes les parties prenantes.

Cette question fait partie des « points durs » de la discussion dans la perspective de la commission mixte paritaire, de même que le nouvel article 8 et la transformation de l'article 10.

Les avis donnés par la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :

Article 1er

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. REVET

10

Possibilité d'augmenter le seuil d'application de l'obligation de filialisation des acquisitions de terres agricoles

Défavorable

M. REVET

11

Exception à l'obligation de filialisation des achats de terres agricoles pour les sociétés minières

Défavorable

M. CABANEL

4

Obligation des sociétés d'être locataire depuis 6 ans au moins pour échapper à l'obligation de filialisation en cas de rachats de terres

Défavorable

Article 3

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. COURTEAU

1

Exception au droit de préemption sur des parts de société pour les opérations concourant aux mêmes objectifs que les SAFER

Défavorable

M. de NICOLAY

8

Entrée en vigueur de l'article 3 six mois après la promulgation de la loi

Demande de retrait

Article additionnel après Article 7

Auteur

Objet

Avis de la commission

Mme N. GOULET

3

Déclarations d'intérêt des dirigeants des SAFER

Demande de retrait

Article additionnel après Article 7 bis (Supprimé)

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. REVET

2

Abrogation de différentes dispositions obsolètes ?du statut du fermage

Demande de retrait

Article 8 A

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. LABBÉ

9

Suppression de l'article

Défavorable

M. CABANEL

5

Limitation de la possibilité d'utiliser des produits conventionnels aux seules collectivités territoriales

Défavorable

M. CABANEL

6

Limitation de la possibilité d'utiliser des produits conventionnels pour les seuls dangers sanitaires de 3ème catégorie

Défavorable

Article 10

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. CABANEL

7

Restauration de la sanction pour insuffisance de CEPP

Défavorable

Questions diverses

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous informe que M. Pierre Cuypers remplace M. Michel Houel au sein du groupe de travail sur la politique agricole commune.

La réunion est levée à 09 heures 15.

Mercredi 8 février 2017

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Situation de l'entreprise Alstom - Audition de M. Henri Poupart-Lafarge, Président-directeur général d'Alstom

La réunion est ouverte à 9h30.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous accueillons aujourd'hui M. Henri Poupart-Lafarge, PDG d'Alstom, qui est venu accompagné de plusieurs hauts responsables de son entreprise, notamment M. Jean-Baptiste EYMEOUD, Directeur Général France, ce qui montre l'intérêt porté à cette réunion.

Désormais recentré sur les activités de transport, Alstom se positionne comme un leader mondial des systèmes ferroviaires intégrés.

La santé économique du groupe a été au coeur de l'actualité nationale à l'automne dernier, lorsque des craintes ont couru sur la fermeture du site de Belfort. Toutefois, au cours des dernières semaines, on a assisté à l'annonce de plusieurs contrats importants non seulement en France (on peut citer à cet égard le « méga » contrat du renouvellement des lignes du RER francilien), mais aussi dans le monde (fourniture de trains régionaux au Sénégal ; fourniture d'un système de métro à Hanoï ; projet de tramway à Taïwan ; contrat auprès du mexicain Ferromex pour assurer la maintenance de locomotives...). Selon la presse spécialisée, le carnet de commandes d'Alstom atteindrait aujourd'hui près de 35 milliards d'euros, ce qui démontre que le groupe est dynamique, compétitif et très largement présent dans les zones émergentes où les perspectives de croissance sont les plus fortes.

Monsieur le Président-directeur général, la commission souhaiterait que vous l'éclairiez sur les atouts et la stratégie d'Alstom.

Nous savons par exemple que l'avenir de l'industrie, qui reste à notre sens le coeur d'une économie prospère, ne se joue plus seulement dans la capacité à fournir des biens physiques, mais un « paquet » global qui inclut, autour des matériels, un bouquet de services à haute valeur ajoutée. Comment Alstom se situe-t-il dans ces mutations de fond de l'industrie ?

Nous savons également que le secteur des transports est au coeur de la nécessaire transition écologique de l'économie mondiale. Comment Alstom aborde-t-il cet enjeu ? Quelles sont les innovations, les compétences, les partenariats, les spécialisations selon vous nécessaires pour relever le défi des transports durables ?

Autre question essentielle pour les parlementaires que nous sommes, celle de l'actionnariat : quelle place pour l'État dans Alstom ?

Enfin, au-delà de l'entreprise elle-même, notre commission souhaiterait que vous reveniez également sur le rôle et la capacité d'entraînement qu'Alstom peut et doit jouer sur la filière industrielle des transport dans son ensemble, sur le tissu des PME qui la constitue et sur l'impact qu'on peut en attendre en ce qui concerne l'activité et l'emploi dans nos territoires. Je peux d'ailleurs témoigner de l'importance de cette question pour le département que je représente, puisqu'y est implanté un des sous-traitants du groupe Alstom, en charge de fabriquer notamment les « nez » des TGV.

Monsieur le Président-directeur général, vous avez la parole.

M. Henri Poupart-Lafarge, PDG d'Alstom. - Merci monsieur le président. Je trouve que le moment est opportun pour faire le point sur la situation et la stratégie d'Alstom, car nous fêtons le premier anniversaire du recentrage du groupe sur les activités de transport ferroviaire.

Vous l'avez évoqué, Alstom, c'est aujourd'hui un carnet de commande de plus de 34 milliards d'euros et c'est un chiffre d'affaires de 7 milliards d'euros par an. Nous sommes présents à tous les niveaux de la chaîne ferroviaire. Un peu moins de la moitié de notre activité est réalisée dans les matériels roulants, du tramway jusqu'au TGV, le reste dans des activités de service comme la signalisation, la maintenance, les systèmes (électrification, pose de voies...). La part de l'activité réalisée dans le matériel roulant est plus importante en France que sur nos autres marchés, puisqu'elle y dépasse 80 %. Cela s'explique par le fait que la SNCF et la RATP produisent elles-mêmes les différents services nécessaires à l'exploitation et à la maintenance du matériel que nous leur livrons. À l'export en revanche, nous sommes souvent amenés à livrer des projets de transport clé-en-main, qui comprennent de nombreux services autour du matériel lui-même.

Sur le plan géographique, l'Europe représente environ 60 % de nos marchés, le reste se partageant en parts sensiblement égales entre l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, l'Asie et l'Afrique-Moyen Orient. 20 % de l'activité est à destination de la France. Toutefois, 30 % de l'activité du groupe est d'origine française, j'y reviendrai.

Le marché du transport ferroviaire au niveau mondial est un marché en croissance de 3 % par an. Le principal facteur de croissance est la tendance à l'urbanisation du monde. Plus de 50 % de la population mondiale vit aujourd'hui dans des villes. Cette urbanisation rend nécessaire la création de solution de transport ferroviaire pour décongestionner les villes. C'est la seule solution en termes capacitaires. Un métro, c'est en termes de débit l'équivalent de quinze voies de véhicules. Aujourd'hui, il y a un fort sous-équipement en transports urbains des métropoles des pays émergents. En outre, la polarisation du territoire entre de grandes métropoles crée un besoin pour des liaisons ferroviaires inter cités. Les facteurs et les objectifs environnementaux accompagnent certes ce mouvement, mais constituent en tant que tels un facteur de croissance secondaire : le marché du ferroviaire serait en croissance forte même en l'absence d'objectifs environnementaux. On peut noter que la croissance de l'activité d'Alstom, qui est de 5 % par an, est supérieure au rythme de croissance du marché ferroviaire mondial, ce qui est un signe du dynamisme de l'entreprise.

Dans ce contexte, la stratégie d'Alstom repose sur trois piliers.

Le premier est d'accompagner la croissance là où elle a lieu. Depuis une dizaine d'années, le marché du transport ferroviaire est devenu globalisé et nous avons donc cherché à mettre en place un outil de production adapté à cette globalisation. Cela implique deux choses : la proximité physique de l'outil de production par rapport aux marchés desservis, mais aussi la proximité partenariale qui permet de connaître les contraintes et les attentes spécifiques de nos clients pour mieux les satisfaire. Dans ce système, la France joue un rôle particulier. Elle est le pilier industriel et le coeur technologique d'Alstom. Nous y réalisons 80 % de notre R&D. La France est aussi une plateforme d'exportation où nous produisons les composantes stratégiques qui sont ensuite exportées pour servir nos différentes plateformes continentales : 40 % de l'activité française est destinée à l'export.

Le deuxième pilier est la transformation de nos solutions, depuis des produits simples, matériel ferroviaire, vers une offre complète dont les pays émergents sont demandeurs, qui intègre matériel et services. Quand nous livrons un métro clé-en-main, nous fournissons le matériel roulant, mais aussi l'électrification, la signalisation et la maintenance sur l'ensemble du cycle de vie du système. Nous allons vers une situation où les deux tiers de l'activité du groupe proviendront de ces services.

Enfin, le troisième pilier est l'innovation. Ce peut être une innovation technique, dont l'exemple est le train à grande vitesse pendulaire qui sera mis en oeuvre sur la ligne Boston-Washington, pour lequel nous avons remporté l'appel d'offres l'année dernière. Seul Alstom maîtrise cette technologie. Ce peut être une innovation touchant à l'efficacité énergétique, car nous cherchons constamment à réduire la consommation en énergie de nos trains, au travers par exemple de nouvelles chaînes de traction ou de nouveaux matériaux. Ce peut être enfin une innovation que je qualifierais de « disruptive », dans la mesure où elle introduit des solutions technologiques en rupture avec les solutions existantes, comme par exemple le projet de train utilisant des piles à combustibles que nous avons lancé en Allemagne. C'est un pays assez friand de ce type de solution, car, on l'ignore souvent, seule la moitié du réseau allemand est électrifié -ce qui pose des problèmes d'émissions de gaz polluants par des motrices diesel.

Pour terminer cette présentation liminaire, je dirai quelques mots du paysage concurrentiel. Il est de plus en plus tendu. Nous avons face à nous, sur les marchés internationaux et même en Europe, de nombreux concurrents forts, qui peuvent s'appuyer sur un marché domestique dynamique ainsi que sur l'appui des Etats. Je citerais les Chinois, les Coréens et les Japonais. Vous savez par exemple que les Japonais sont entrés récemment en Europe, ce qui soulève la question du caractère asymétrique des relations commerciales, avec d'un côté une Europe très ouverte et, de l'autre, des pays concurrents qui le sont beaucoup moins.

Concernant spécifiquement la situation française, je dirais que nous sommes à la croisée de deux défis, celui du transport en France et celui de l'industrie en France.

Sur le premier point, Alstom, qui réalise 20 % de son activité commerciale en France, a intérêt à ce que la France soit dotée d'un système de transport ferroviaire efficace, capable d'investir. Nous sommes très attentifs aux discussions stratégiques sur l'évolution du ferroviaire en France, par exemple en participant à Fer de France, où se discutent les enjeux du système ferroviaire français. Nous avons collectivement à faire face aux enjeux de financement, de stratégie et de gouvernance de notre système ferroviaire. Il faut mettre à profit la période électorale actuelle pour s'interroger sur notre vision du système ferroviaire. Par exemple, la place du fret. Comme vous le savez, le fret en France va très mal. Nous n'avons pas eu une seule commande de locomotive de fret en France depuis dix ans. Nous en avons exporté en Russie, au Kazakhstan, en Inde, mais nous n'en avons pas vendu en France. Cela a nécessairement des répercussions sur notre outil de production, notamment sur le site de Belfort.

Sur le second point, nous sommes évidemment concernés par l'enjeu de la qualité de la base industrielle française. Nous avons énormément de sous-traitants en France. 80% de ce que nous fabriquons en France est acheté en France, auprès d'un tissu de PME souvent fragilisées par des creux d'activité. Or, ce que je disais de l'impact négatif pour Alstom des difficultés du fret en France se répercute évidemment sur l'ensemble de nos sous-traitants. Il faut donc consolider ce tissu, en particulier avec des initiatives publiques comme le fonds Croissance Rail, où intervient BpiFrance. Alstom a besoin d'un tissu industriel compétitif pour pouvoir continuer à exporter à partir de la France. Car nous faisons face à des concurrents extrêmement agressifs, qui bénéficient d'un soutien fort des États, que ce soit au Japon, en Corée, en Allemagne ou Chine, sous forme de subventions ou de financements à l'exportation. Nous avons donc nous-aussi besoin d'un soutien de ce type. Il existe, mais il faut le renforcer.

Vous êtes sans doute tous, mesdames et messieurs les sénateurs, concernés sur vos territoires par un site d'Alstom. Nous en avons douze en France. Ils ne sont pas très gros, de l'ordre de 400 à 1 200 personnes, mais ils sont répartis sur tout le territoire. Chacun a évidemment son bassin de sous-traitants et je suis donc bien conscient de notre responsabilité dans ce domaine. Certains de nos sites sont des sites « intégrateurs », comme Belfort, Valenciennes ou La Rochelle : ce sont des sites d'assemblage, très dépendants du marché français. D'autres sont des sites « composants ». Ils sont le coeur technologique des trains : traction à Tarbes, bogies au Creusot, etc. Ces sites sont davantage liés à l'activité globale du groupe et exportent plus facilement.

En conclusion, nous sommes un groupe solide, plutôt prospère, en croissance, mais qui fait face à des défis liés à la situation du système ferroviaire français et la compétition intense en « G to G », c'est-à-dire où les négociations impliquent fortement les États.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci pour votre présentation et place maintenant aux questions des sénateurs.

M. Martial Bourquin. - Je vous remercie pour cette présentation de la situation d'Alstom. Je suis maire d'une commune proche de Belfort. Beaucoup de ses habitants travaillent à Alstom. La question de la préservation de ce site historique de l'entreprise est fondamentale. Alstom doit beaucoup à Belfort. Il y avait lundi la signature d'une convention entre l'État, les collectivités territoriales, la SNCF et Alstom pour financer les travaux d'une nouvelle voie d'essai, qui doit permettre la diversification du site de Belfort en en faisant le centre européen de référence pour les essais de TGV. La commande de 15 rames de TGV pour 400 millions d'euros a fait débat. Il convient de rendre cette commande euro-compatible. Le secrétaire d'État, M. Christophe Sirugue a donné des assurances à cet égard. Il convient de tout faire pour conserver et redynamiser le site Alstom de Belfort et les parlementaires que nous sommes veilleront à ce que les engagements pris soient tenus.

Je souhaite vous interroger sur la vente du secteur énergie d'Alstom, opération menée par votre prédécesseur. Cette décision n'a-t-elle pas été une erreur stratégique, au regard de l'impératif de diversification ? L'entreprise General Electric devait créer 1 000 emplois après le rachat de la branche énergie d'Alstom et annonce aujourd'hui la suppression de 800 emplois. Au final, l'abandon de la branche énergie, dans un secteur stratégique pour l'industrie du futur, n'a-t-elle pas été une défaite pour la France et pour le groupe ? Pourtant, votre prédécesseur est parti avec une retraite-chapeau de 4 millions d'euros après avoir vendu la branche énergie aux américains !

M. Ladislas Poniatowski. - J'ai beaucoup apprécié la manière dont vous avez expliqué le travail du groupe Alstom en France et dans le monde. Mais pourquoi ne communiquez-vous pas aussi directement auprès des Français ? Vous avez remporté un nouveau contrat aux États-Unis, ce qui est très positif. Même si le bilan en termes d'emplois est faible pour la France, ce type de contrat est très utile car il permet de continuer à faire prospérer l'entreprise notamment en poursuivant ses efforts de recherche et développement, alors que le marché national est atone. Or, la presse n'a retenu que la faiblesse des retombées en termes d'emplois pour la France de ce contrat.

Vous n'avez pas fait part de vos relations avec la RATP, qui est parfois appelée à intervenir en amont pour conseiller les porteurs de projets d'infrastructures de transport. Mais la RATP peut aussi répondre à des appels d'offres, en partenariat avec d'autres acteurs, car elle est capable de gérer des métros, mais pas de les fournir. Travaillez-vous avec la RATP pour répondre à des appels d'offres ?

M. Franck Montaugé. - L'augmentation du taux d'urbanisation dans le monde entraîne une augmentation des besoins de transport. Les transports de pôles urbains à pôles urbains se développent aussi. Notre pays doit se poser la question de sa vision des transports. Mais cela est aussi vrai pour les territoires ruraux, qui sont éloignés des lignes à grande vitesse. La question des transports intra-régionaux est centrale. Certains pays s'intéressent à des modes de transport innovants, comme le projet « Skytran » développé par la NASA en partenariat avec Israël. Ces modes de transport sont plus économiques. Au-delà de l'exemple de la pile à combustible, l'entreprise Alstom, qui effectue 95 % de sa recherche et développement en France, s'intéresse-t-elle à ces nouvelles technologies de transport, en rupture avec les technologies ferroviaires traditionnelles, comme par exemple la lévitation magnétique ?

Mme Valérie Létard. - Merci pour votre bonne présentation de la manière dont Alstom organise son activité pour répondre à la fois au marché intérieur et aux demandes à l'international. Comment envisagez-vous l'avenir d'Alstom dans les Hauts-de-France, qui accueille surtout des sites destinés à répondre aux besoins du marché intérieur. Peut-on envisager une diversification, pour moins dépendre de carnets de commandes nationaux aléatoires, ce qui crée de grandes inquiétudes ? Par ailleurs, si vous faites appel à des sous-traitants français pour fournir vos différents composants, pouvez-vous aussi les rassurer sur les perspectives offertes pour leur activité ? Ces sous-traitants peuvent-ils se diversifier également et fournir les des composants pour les marchés internationaux ? Les élus et acteurs économiques du territoire sont vivement préoccupés par cette question.

M. Jean-Pierre Bosino. - On peut être fier de disposer en France d'une belle entreprise industrielle comme Alstom.

Je remarque qu'Alstom a bénéficié d'aides importantes : CICE, CIR. Par ailleurs, l'ancien président du groupe a pu bénéficier d'une retraite-chapeau de 6 millions d'euros, malgré l'opposition de l'Assemblée générale des actionnaires. Alstom distribue aussi des dividendes importants à ses actionnaires. Comment expliquez-vous que vous demandiez des soutiens à l'industrie, dans ce contexte ?

Je m'interroge aussi sur le manque d'anticipation de la situation sur le site de Belfort. La chute des commandes sur 2018-2021 était connue. Au passage, alors que l'État est actionnaire à 20 % de l'entreprise, il ne développe pas le fret et, au contraire, favorise le développement du transport en autocar pour les pauvres !

Je m'interroge également sur vos relations avec l'entreprise Bombardier ?

Pouvez-vous nous dire aussi dans quels délais vous payez vos sous-traitants, et en particulier les PME ?

Enfin, quelles sont vos perspectives en termes d'évolution des effectifs salariés d'Alstom ?

M. Gérard César. - Comment expliquez-vous la crise récente connue par Alstom ? Quel est le montant du budget consacré à l'innovation ? Pourriez-vous préciser les termes de votre partenariat avec Bombardier ? Enfin, vous approvisionnez-vous en acier sur le marché chinois ?

M. Yannick Vaugrenard. - S'il y avait une décision de l'Assemblée générale des actionnaires vous concernant, vous y conformeriez-vous ?

La conclusion par Alstom d'un contrat aux États-Unis pour déployer un train pendulaire à grande vitesse est une bonne nouvelle pour permettre le développement technologique de l'entreprise. Comment vous situez-vous en matière de recherche et développement par rapport à vos concurrents ?

Êtes-vous engagés en matière de développement de l'éolien offshore et de l'hydrolien et quelles sont les perspectives en la matière ?

Si la décision prise pour sauvegarder le site Alstom de Belfort est positive pour l'entreprise, ne risque-t-elle pas a contrario de fragiliser la situation financière de la SNCF ?

Vous réalisez 80 % de votre activité avec les sous-traitants et en particulier les PME : respectez-vous des délais de paiement à 45 jours ? Le rôle des donneurs d'ordre est important pour permettre aux PME de devenir, comme en Allemagne, des entreprises de taille intermédiaire. Mais pour cela, il faut aussi qu'elles ne dépendent pas d'un seul donneur d'ordre. C'est aussi l'intérêt d'Alstom.

M. François Calvet. - Le fret est en panne en France et, en conséquence, Alstom n'a pas vendu une seule locomotive depuis 10 ans. Or, à Perpignan, je vois passer un trafic croissant de camions. On a aussi construit une ligne à grande vitesse pour le transport de passagers. À l'inverse, le fret ferroviaire ne se développe pas. Alors que nous disposons d'une plate-forme multimodale sur le marché Saint-Charles qui est le plus gros marché de fruits et légumes d'Europe, celle-ci n'est que très peu utilisée, d'abord parce que la ligne ferroviaire venant d'Espagne n'est pas adaptée et d'autre part du fait des tarifs élevés et des problèmes de fiabilité du fret ferroviaire proposé par la SNCF. Y aurait-il une solution pour reporter le trafic par camions vers le rail ? L'échec de l'écotaxe n'y a pas aidé.

Mme Annie Guillemot. - En tant que présidente du syndicat mixte des transports pour le Rhône et l'agglomération lyonnaise (Sytral), j'ai mené deux appels d'offres de 200 et 100 millions d'euros pour l'acquisition de matériel roulant et l'automatisation d'une nouvelle ligne de métro en agglomération lyonnaise. Il existe une forte concurrence des entreprises sur la commande publique, venant d'Asie, mais aussi d'Espagne. Les entreprises non retenues dans les marchés contestent souvent en justice les décisions d'attribution. Dès le cahier des charges, nous avons besoin d'être accompagnés par des cabinets d'avocats. Par ailleurs, il est de plus en plus difficile de juger des offres, entre les situations de prix cassé et la complexité de l'analyse de la qualité technique des propositions faites aux collectivités. Quel regard portez-vous sur cette situation, qui me préoccupe ?

Mme Delphine Bataille. - Vous avez confirmé des objectifs optimistes à long terme. Quelle est la place de la commande publique, en particulier de la commande publique française dans votre activité future ? Parmi les sites d'Alstom, quels sont ceux qui dépendent le plus fortement de la commande publique en France ? Concernant le marché avec le Vietnam, quels sont les sites français qui devraient en bénéficier ? Quels autres contrats à l'international pourraient bénéficier aux sites français ? Le contrat pour le RER parisien est positif pour Alstom et Bombardier, ce qui bénéficiera aussi aux deux usines des Hauts-de-France. Mais y aura-t-il pérennisation des emplois sur ces sites ? Plusieurs milliards sont investis sur les trains d'équilibre du territoire : ces commandes sont bonnes pour les territoires ruraux mais aussi pour les entreprises. Avez-vous chiffré l'impact de ces commandes pour Alstom ? Enfin, l'opération de sauvetage du site de Belfort d'Alstom, qui est plutôt une entreprise en bonne santé, est portée financièrement par la SNCF, plus en difficulté. Quel regard portez-vous sur cette opération ?

M. Marc Daunis. - Vous avez rappelé l'importance de la concurrence internationale dans le secteur des matériels de transport. Il faut toujours avoir une capacité d'innovation dans ce secteur, pour offrir des solutions innovantes. Or, on constate un besoin croissant en transports d'une part dans les métropoles et d'autre part dans le milieu rural. Le ferroviaire a de plus en plus de difficultés à répondre à cette demande, car on s'oriente vers une personnalisation des réponses aux besoins de transport. Une expérimentation de transport personnel rapide (TPR) avait été menée avec le projet Aramis dans les années 70. La technologie du filaire redevient aussi pertinente. Ma conviction est que la demande de personnalisation va croître. Anticipez-vous cette demande ?

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Monsieur le Président-directeur général, le nombre et la pertinence des questions qui vous ont été posées démontrent l'intérêt que suscite votre audition ; elle rassemble aujourd'hui la quasi-totalité des effectifs de la commission des affaires économiques. Pour ma part, je trouverais utile de pouvoir disposer d'un aperçu géographique des sites Alstom dans le monde : pourriez-vous nous fournir une carte récapitulant les implantations industrielles avec les effectifs et les chiffres d'affaires concernés ?

M. Cédric Perrin. - Merci monsieur le Président de me permettre, bien que je sois membre de la commission des affaires étrangères, de poser une brève question qui porte sur la concurrence et la commande publique dans le domaine ferroviaire. Je reste convaincu que l'Europe doit continuer à produire des trains pour couvrir les besoins de son marché intérieur. Or, au cours des dernières années, Alstom semble avoir perdu un certain nombre de marchés sur des segments que l'entreprise ne jugeait peut-être pas suffisamment intéressants à produire dans ses implantations nationales. En toute logique, pour maintenir la compétitivité-prix de nos chaines de fabrication de trains, il faut produire des volumes suffisamment élevés. Afin de redonner du travail aux entreprises situées en France, votre stratégie prévoit-elle de « reprendre la main » sur ce type de commande qui, je le rappelle, s'était traduit par des achats de trains allemands par la SNCF, essentiellement pour des raisons de coûts.

M. Henri Poupart-Lafarge, Président-directeur général d'Alstom.- Je vous remercie pour vos nombreuses questions.

Le site de Belfort repose sur deux piliers essentiels : les locomotives, notamment de fret, et les motrices de TGV.

Comme vous l'avez très bien souligné, les difficultés du fret ferroviaire ne sont pas seulement liées à son coût assez élevé. Le problème est avant tout celui de la fiabilité et de la ponctualité. Or, ce problème de fiabilité du fret est lui-même la conséquence indirecte de la fiabilité sur le transport des passagers. Je rappelle en effet qu'en France, la priorité est accordée au trafic « passagers ». La situation est inverse aux États-Unis où le fret ferroviaire domine le transport de passagers. Lorsque surviennent des problèmes sur le réseau « passagers » en France, cela se répercute donc sur le fret. Tant que la fiabilité du transport « passagers » ne sera pas parfaite, le fret en sera affecté. Pour notre pays, les questions que vous soulevez ne sont donc pas simples à résoudre, car elles rejoignent celle de l'état général du réseau ferroviaire. Toujours est-il que cette situation a des conséquences sur la composante « fret » du site de Belfort.

Concernant le TGV, il reste le train le plus rentable en France. À la différence des trains régionaux, il n'est pas subventionné. Quand on s'interroge pour savoir s'il y a une crise sur le système TGV, je crois qu'il faut d'abord éclaircir ce qu'on veut faire du TGV. Aujourd'hui, il y a des questionnements sur la charge du TGV, de sorte que le site de Belfort est fragilisé sur ses deux piliers, fret et TGV. Tout ceci renvoie fondamentalement au débat existant entre deux modèles de TGV -le premier dans lequel le TGV se concentre sur certaines grandes lignes et le second où il irriguerait plus largement le territoire. Tant que ce débat de fond n'est pas tranché, cela a tendance à geler les ambitions -y compris d'ailleurs celles de la SNCF, qui doit se demander quel type de modèle promouvoir.

Ces sujets sont sur la table. S'il y a eu cette crise, entre guillemets, c'est aussi parce que nous avons cherché à anticiper l'avenir du site. Je tiens à souligner que la charge d'activité de Belfort ne tombe pas demain. Nous avons encore un an et demi pour traiter ces questions. D'où le plan mis en place par le Gouvernement. Aujourd'hui, je fais confiance au Gouvernement pour respecter ses engagements. De notre côté, nous respectons les nôtres. Nous avons commencé à diversifier les activités du site de Belfort, à la fois sur les services et sur les produits. Nous avons relancé la fabrication de locomotives dites « de manoeuvre » utilisées par exemple pour tracter les trains dans les dépôts ou comme locomotives de secours. Nous répondons, dans ce domaine, à une commande de la Suisse. Nous espérons aussi, cela fait partie des engagements de l'État, pouvoir produire des locomotives de secours pour le TGV. Nous réinvestissons dans cette gamme de produits. Le Gouvernement a prévu de faire le point sur ces sujets le 17 février prochain.

Sur la question de la séparation des activités transport et énergie, la division transport, qui constitue désormais l'activité d'Alstom, n'a pas été impactée négativement par la cession de la branche énergie du groupe. Au contraire, cela a permis de renforcer les finances du groupe et de lui donner un certain élan.

Pour ce qui concerne la question sur la communication, on a trop tendance à valoriser l'activité production. Il est vrai que les TGV américains ne vont pas être produits en France. Je rappelle d'ailleurs que le « Buy American Act » nous oblige à produire 95% de nos trains sur le sol américain. Je note au passage que, de façon étonnante, alors que l'Europe dispose d'un « Buy European Act », cette disposition juridique n'est jamais utilisée dans les appels d'offre. Je suis d'accord sur le fait que la communication devrait davantage valoriser l'aspect engineering, recherche-développement et innovation, car cela vient alimenter notre outil français. Sur les 9000 emplois du groupe en France, nous employons 4 000 ingénieurs. Je souligne d'ailleurs qu'Alstom possède une organisation de l'innovation particulière. Nous avons une activité R&D fondamentale située à Saint-Ouen, qui représente un peu moins de 200 millions d'euros et qui emploie environ 700 de nos 4000 ingénieurs ; mais nous avons aussi une innovation décentralisée : chacun de nos sites sur les territoires intervient dans le domaine de l'ingénierie et du développement. Prenons l'exemple de Tarbes : sur les 600 personnes sur ce site, environ 150 seulement travaillent dans la production proprement dite. Il nous faut donc mieux communiquer sur le lien entre les commandes et les emplois induits en France, même si ce ne sont pas des emplois dans la production mais dans l'innovation et dans l'ingénierie.

J'en viens à la question sur les liens noués avec la RATP, Keolis et les autres partenaires français, notamment les PME. Quand nous allons à l'export, nous nous efforçons au maximum de travailler avec l'environnement français. Systra joue un rôle extrêmement important pour nous. Dans le passé, la RATP était le « parrain » d'un certain nombre de métros dans le monde. Cela s'est un peu perdu. Systra a désormais repris l'activité engineering de la RATP et de la SNCF à l'export. C'est une entreprise florissante mais qui a un peu perdu ce rôle traditionnel de prescripteur de solutions françaises pour nos activités à l'étranger. Nous travaillons néanmoins avec eux compte tenu de leur rôle essentiel, qui est de spécifier les métros. La bataille des normes et des standards est extrêmement importante. Il faut exporter non seulement nos produits mais aussi nos standards.

Sur cette question des partenariats, il faut également garder en tête que la France a la particularité d'avoir trois opérateurs mondiaux urbains. RATP Dev, Keolis et Transdev sont présents en France. Donc les relations que nous pouvons avoir avec eux sont très diverses. Nous pouvons travailler en consortium, en proposant conjointement une solution d'exploitation et de système. Nous pouvons aussi travailler en parallèle lorsque le client achète le matériel d'un côté et les solutions d'exploitation de l'autre. Nous essayons de nous coordonner autant que possible, tout en sachant que ces opérateurs sont en concurrence les uns avec les autres. Dans des grands contrats internationaux, l' « équipe de France » a vraiment du mal à exister par rapport à ses concurrents coréens ou japonais : nous n'avons pas la structure financière et la taille suffisante. C'est un domaine où il faut progresser.

Sur les questions relatives aux innovations technologiques, je crois très fortement à la digitalisation du transport et à la multimodalité. Notre vision globale est que le « coeur » du transport public doit être ferroviaire, car ce moyen reste le plus efficace et le plus environnemental. Il existe cependant des obstacles au ferroviaire. Il reste en particulier à résoudre le problème du « last mile », à savoir celui du déplacement entre le domicile et la gare. C'est pourquoi nous sommes très attentifs à l'émergence de la voiture autonome et des « déplacements doux », qui sont des moyens de répondre à ce problème. Il faut travailler sur la question de l'intermodalité, qui doit accompagner le développement des solutions ferroviaires. Concernant la problématique de la sustentation magnétique, elle ne paraît pas prioritaire. Je rappelle que seul un centimètre carré de chaque roue d'un train est en contact avec le rail et le frottement est donc extrêmement faible ; nous sommes donc déjà quasiment en sustentation.

S'agissant des Haut de France, c'est un coeur historique du ferroviaire français, avec la présence à la fois d'Alstom et de Bombardier. Des alliances ponctuelles ont été conclues avec Bombardier, notamment pour fournir le marché des RER qui exigeait des capacités importantes, car nous voulions réitérer le succès du RER A, mais il n'y a pas d'accord global systématique. Ce territoire rassemble également des centres d'excellence, par exemple Railenium ou encore l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer aux compétences étendues par le quatrième « paquet » ferroviaire. Il y a aussi le centre d'essai ferroviaire dans lequel nous investissons. Dans le passé, on testait moins les trains avant leur mise en service, alors qu'aujourd'hui les opérateurs ont des exigences renforcées de fonctionnement immédiat des équipements livrés.

Comme vous l'avez signalé, le site de Valenciennes est un site intégrateur, assez tributaire de la commande française. Il subit aujourd'hui un chômage technique qui s'explique par le décalage entre la production du RER A, dont la production s'arrête en avril prochain, et le RER E dont la production ne commencera que dans deux ou trois ans. C'est cependant aussi un site exportateur présent notamment sur le marché d'Hanoï, sur celui du Venezuela, de la Belgique... Nous travaillons à donner une exposition globale au site de Valenciennes. Ainsi, c'est sur ce territoire que nous avons positionné le centre d'excellence destiné à concevoir l'intérieur de l'ensemble des trains, ce qui permet d'ailleurs de soutenir l'activité des PME. Nous avons tout intérêt à renforcer ces PME qui réalisent des éléments simples mais fondamentaux et soumis à des contraintes spécifiques dans le domaine ferroviaire : sièges, moquettes, plafonds....

Cela m'amène à la question sur les conditions et les délais de paiement. Nous rémunérons les PME de manière satisfaisante, car nous sommes aussi - contrairement à l'idée reçue - en situation de dépendance à l'égard de ces entreprises : tant qu'il manque un élément produit par nos sous-traitants, un train ne peut pas être livré. Nous avons donc intérêt à disposer d'un tissu de sous-traitants de qualité. Nous avons aussi une politique d'accompagnement, notamment quand un de nos fournisseurs se trouve en difficulté pour nous livrer. Cette approche concerne aussi la question de la globalisation de nos partenaires. Notre groupe s'internationalise et nous souhaitons donc que les PME suivent cette évolution. C'est ce que nous faisons notamment sur le marché sud-africain. Nous mettons en oeuvre des actions pour les soutenir et les accompagner là-bas. Sur les deux milliards d'euros que représente notre activité, 1,3 milliard sont achetés en France et, par conséquent les PME exportent à travers nos productions. Mais nous leur demandons également d'améliorer leur implantation à l'étranger.

J'en viens à des réponses à plusieurs questions spécifiques.

Tout d'abord, par définition, Alstom vit de la commande publique française et étrangère, puisque aucune personne privée n'achète de trains.

Concernant la provenance de l'acier que nous utilisons, il n'est pas économiquement opportun pour Alstom, d'acheter de l'acier ou de l'aluminium en Chine : nos matériels roulants, conçus pour fonctionner pendant 40 ans, nécessitent des composants et des matériaux extrêmement perfectionnés.

S'agissant des coûts de production, je rappelle que la concurrence est vive aussi à l'intérieur de l'Europe, où les concurrents polonais, tchèques ou même espagnols bénéficient de coûts moindres que les coûts français.

Enfin, sur la commande publique, nous devons résoudre un paradoxe : la commande publique, régie par des règles très précises, tend vers le moins disant, alors que dans notre domaine d'activité, il est essentiel de nouer des partenariats de long terme, où le facteur qualité est primordial. Le train que nous produisons est là pour quarante ans : il faut qu'il soit servi et entretenu pendant toute cette période, qu'il possède les qualités techniques et énergétiques adéquates. Or, les opérateurs sont parfois entrainés par la logique des procédures de commande publique à faire l'acquisition de trains qui, au final, ne sont pas conformes à leurs attentes. Il faut donc trouver le moyen d'évoluer du moins au mieux disant : c'est d'autant plus compliqué qu'on constate une très nette judiciarisation de l'action publique et des procédures.

S'agissant du RER, comme évoqué précédemment, Alstom s'est associé à Bombardier pour réitérer le succès du RER A. Quant aux commandes à venir, Alstom travaille notamment en Égypte et au Caire, en vue de la réalisation d'un métropolitain. C'est un marché difficile, car, comme sur d'autres marchés, nous devons faire face à la compétition frontale des coréens. Nous devons donc redoubler d'efforts pour obtenir ce marché. Le site de Reichshoffen a remporté une très belle victoire, en exportant à Dakar le premier train en Afrique de l'Ouest.

Quelques mots, maintenant, sur les implantations d'Alstom dans le monde. J'ai déjà exposé les éléments français. Dans le reste de l'Europe, nous avons un site en Allemagne qui réalise des trains régionaux à destination de l'Allemagne, mais également, dans une moindre mesure, à destination des pays nordiques. En Italie, un site d'Alstom produit des trains régionaux pour le marché domestique et notre fameux train pendulaire Pendolino. Le train qui sera fourni à Amtrak est la combinaison de la technologie française du TGV, notamment du TGV du futur - ce qui est très important, car nous n'aurions jamais remporté le contrat avec Amtrak si le TGV du futur n'avait pas été lancé, y compris pour la France - et la technologie pendulaire, héritée de l'Italie, car il n'y a pas, en France, de trains pendulaires. Nous disposons également d'un site à Barcelone, pour les transports urbains, tels que le métropolitain et le tramway. Enfin, pour terminer sur la zone européenne, je mentionnerai notre site en Pologne, spécialisé dans la sous-traitance de pièces primaires.

En dehors de l'Europe, nous sommes présents aux États-Unis, à travers un site de fabrication de métropolitains, situé dans l'État de New-York, qui sera chargé aussi de la réalisation du TGV pour Amtrak. Nous sommes également dotés d'une base industrielle au Brésil, qui réunit l'ensemble de nos compétences.

S'agissant de l'Asie, Alstom est présent en Inde, sur l'ensemble des compétences de l'entreprise. En revanche, le marché chinois ne nous étant pas ouvert, nous ne vendons en Chine que des composants, et ne disposons d'aucune usine. C'est pourquoi nous avons concentré notre outil industriel asiatique en Inde.

Enfin, nous sommes présents en Afrique subsaharienne, dont le marché commence à murir, et plus précisément en Afrique du Sud, où nous allons ouvrir une usine afin de servir le marché sud-africain.

M. Alain Chatillon. - Je m'étais interrogé, il y a trois ans, dans le cadre de la rédaction de l'avis budgétaire de notre commission portant sur les participations financières de l'État, sur l'opération de restructuration entre General Electric et Alstom. Pouvez-vous nous dire quelles sont les conséquences de cette opération, si vous avez des regrets, bref si vous pensez qu'elle était positive pour votre entreprise et pour le pays ?

M. Bruno Sido. - Je vous poserai une question très courte, à laquelle j'aimerais que vous répondiez en toute franchise : estimez-vous que le fait que l'État figure parmi vos actionnaires constitue plutôt une aide ou un frein à l'évolution de votre entreprise ?

Mme Fabienne Keller. - Je vous interrogerai sur le site de Reichshoffen : où en est la commande de trains d'équilibre du territoire, en principe soumise, comme pour les TGV, à une décision du conseil d'administration de la SNCF qui devrait intervenir à la fin du mois de février ?

M. Henri Poupart-Lafarge. - Sur la vente de l'activité énergie d'Alstom à General Electric, à nouveau, je ne peux que vous répondre en rappelant que notre activité de transport n'a subi aucune conséquence négative suite à cette opération. Je n'étais pas président-directeur général à cette époque. Cette décision a été longuement discutée et commentée. Il appartient à chacun de juger. Personnellement, je n'ai pas d'avis particulier sur la question.

S'agissant de l'État actionnaire, en toute franchise et personnellement : que l'État soit notre actionnaire ou pas, cela ne change rien. Car notre activité nous amène, quoi qu'il arrive, à traiter avec l'État tous les jours. L'État est notre premier client ; il est le régulateur du système ferroviaire ; c'est également l'État qui nous aide pour exporter via le financement de l'export. Prenons l'exemple de Belfort : sa présence au conseil d'administration n'a eu aucun effet. Il en irait différemment si l'État contrôlait Alstom. Mais ce n'est pas le cas : notre entreprise n'est pas une entreprise publique ; elle est gérée comme n'importe quelle entreprise privée. Elle est par ailleurs cotée en bourse. L'État n'a pas besoin de siéger au conseil d'administration pour connaître notre stratégie. Vous savez par ailleurs que l'État doit adopter une décision en octobre sur ce sujet. Il est donc un peu tôt, eu égard aux échéances que nous connaissons tous, pour en parler.

M. Martial Bourquin. - Sur le site de Belfort, le rôle de l'État a été déterminant, à travers sa présence au conseil d'administration. Sans son intervention, le site aurait peut-être été fermé !

M. Henri Poupart-Lafarge. - Nous pouvons en débattre, mais je ne le crois pas. L'Etat serait intervenu de la même manière s'il n'avait pas été actionnaire.

M. Martial Bourquin. - Vous alliez fermer, Monsieur le Président !

M. Henri Poupart-Lafarge. - Ce qui a sauvé, entre guillemets, le site de Belfort, ce n'est pas un veto de l'État au conseil d'administration, mais des commandes, la diversification de l'activité, etc. Par ailleurs, nous n'avions pas l'intention de fermer le site.

S'agissant du site de Reichshoffen, il y a effectivement les commandes des fameux trente trains d'équilibres du territoire. Ces commandes sont déjà passées devant le conseil d'administration. Le prochain conseil d'administration portera sur les commandes de TGV, pas sur les trains d'équilibres du territoire. Il faut maintenant finaliser ces commandes. Nous restons confiants, car elles sont aujourd'hui bien engagées, même si elles ne sont pas encore notifiées. Cette notification dépend des relations entre l'État et la SNCF.

Mme Fabienne Keller. - Parce que l'État ne s'est pas engagé à payer ces trains à la SNCF, est-ce bien cela ?

M. Henri Poupart-Lafarge. - Je ne suis pas en mesure de vous répondre à ce niveau de détails, je vous renvoie donc vers les principaux concernés.

M. Yannick Vaugrenard. - Je souhaite être certain de votre réponse : suivrez-vous la décision de l'assemblée générale des actionnaires concernant votre rémunération ? Ce n'est pas une question anodine.

M. Henri Poupart-Lafarge. - Ma rémunération est déjà passée en assemblée générale et elle a été approuvée, il me semble, à 97%. J'ai donc suivi sa décision. De façon générale, l'assemblée générale est l'organisme souverain d'une entreprise, il faut donc évidemment se conformer à ses décisions. Les dispositions législatives en matière de contrôle de la rémunération des dirigeants, corrigées par la loi dite « Sapin II », souffraient néanmoins de quelques incohérences : faire voter une assemblée générale a posteriori plutôt qu'en amont, de façon purement consultative et non contraignante, créait des situations complexes, comme on a pu l'observer dans le cas d'Alstom : on ne peut pas revenir sur des paiements effectués et légaux. À titre personnel donc, oui, je me conformerai au vote de l'assemblée générale, mais il est souhaitable que le dispositif soit plus cohérent et plus transparent. En effet, la démocratie des assemblées générales n'est pas toujours évidente : les actionnaires qui la composent peuvent changer d'avis, mais ils peuvent également changer eux-mêmes ! Les actionnaires votent aussi avec leurs pieds. Ma réponse est donc claire : oui, mais il y a matière à réfléchir sur la question, même si cela ne relève pas de mes compétences.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Afin de vous éclairer sur l'attention particulière de mes collègues et moi-même concernant la situation du département de l'Orne, je souhaite préciser que ce département est le siège d'une entreprise située dans une petite commune rurale du nom de Mauves-sur-Huisne qui fabrique, à la main, en matériaux composites, les « nez » des locomotives de TGV, de même que la plupart des cabines des tramways, RER et autres TER. Monsieur le Président-Directeur général, je vous remercie d'avoir accepté de venir répondre aux questions de notre commission.

La réunion est close à 11 h 15.

Mercredi 8 février 2017

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Article 13 de la Constitution - Audition de M. Jean François Carenco, candidat proposé aux fonctions de président du collège de la Commission de régulation de l'énergie

La réunion est ouverte à 14 h 45.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous entendons cet après-midi, en application de l'article 13 de la Constitution, M. Jean-François Carenco, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

À l'issue de cette audition, ouverte à la presse et au public et retransmise sur le site du Sénat, nous procèderons au vote et immédiatement après, au dépouillement, l'Assemblée nationale ayant entendu M. Carenco hier soir. Le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Monsieur le préfet, vous êtes donc pressenti pour succéder à la tête de la CRE à M. Philippe de Ladoucette, qui aura exercé ces fonctions pendant près de onze ans - je vous aurais bien souhaité la même longévité, mais cela n'est plus possible juridiquement !

Sans remonter jusqu'au début de votre carrière administrative, je signalerai simplement que vous avez été préfet de plusieurs régions ou départements métropolitains et ultra-marins - vous êtes aujourd'hui préfet d'Île-de-France - et que vous avez exercé les fonctions de directeur de cabinet ou de conseiller spécial de Jean-Louis Borloo aux ministères de l'emploi d'abord, de l'économie ensuite et de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire enfin. Vous êtes, en outre, connu pour votre franc-parler : je ne doute pas que vous nous en ferez la démonstration dans quelques instants !

Comme chacun le sait, la CRE est devenue, au fil des ans et des évolutions législatives, auxquelles nous avons participé, un acteur incontournable du secteur de l'énergie en France ; elle a su démontrer à la fois sa compétence et son indépendance, tant vis-à-vis des opérateurs que du pouvoir politique. Un épisode récent, l'opposition entre la CRE et la ministre de l'écologie sur les nouveaux tarifs d'utilisation des réseaux (TURPE), l'a bien illustré.

Cela m'amène à ma première question : comment comptez-vous maintenir, voire conforter, cette indépendance, en particulier face à un État dont votre prédécesseur avait justement souligné les contradictions, car tiraillé entre les intérêts des entreprises dont il est l'actionnaire, l'ouverture des marchés à d'autres opérateurs exigée par Bruxelles ou la préservation du pouvoir d'achat des consommateurs ?

En matière d'ouverture des marchés justement, lors d'une autre passe d'armes qui avait opposé, cette fois-ci, la CRE et le Médiateur de l'énergie, le régulateur avait eu l'occasion de rappeler que la concurrence n'était pas à l'origine de la hausse des prix de détail observée au cours des dernières années et qu'au contraire, elle avait permis l'émergence d'offres de marché plus attractives que les tarifs réglementés.

D'où mes deux questions suivantes, qui sont du reste très régulièrement soulevées, y compris au sein même de notre commission : en premier lieu, quel bilan tirez-vous de l'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz et, le cas échéant, comment faire mieux ?

Ma deuxième question concerne la suppression possible des tarifs réglementés de vente pour les consommateurs résidentiels, qui est envisagée par la Commission européenne dans le quatrième paquet « Énergie ». Comment comptez-vous gérer cet épineux dossier, dont Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat, nous a bien rappelé, la semaine dernière, qu'outre les questions de fond, ses implications pratiques seraient extrêmement difficiles à gérer au vu du nombre élevé de sites concernés ?

Enfin, quels sont les grands défis auxquels la CRE sera confrontée, selon vous, dans les années à venir ?

M. Jean-François Carenco, candidat proposé aux fonctions de président du collège de la Commission de régulation de l'énergie. - Merci de m'accueillir devant votre commission. Préfet depuis 23 ans, je me présente devant vous pour présider une autorité indépendante. N'y a-t-il pas là une incongruité ? C'est en tout cas une nouveauté... que j'assume. Je vous le dis en toute franchise : c'est moi qui ai sollicité ma nomination à ces fonctions, aujourd'hui soumise à votre avis.

Quelques points particuliers sur ma carrière. J'ai gardé de mes études à HEC un regard sur les nécessités d'une industrie forte pour notre pays. Mon passage dans une collectivité locale m'a donné à connaître de l'intérieur les communes et regroupements de communes, qui sont aujourd'hui appelés à jouer un rôle plus fort, notamment dans les smart grids, nouveaux territoires d'ajustement entre la production et la consommation.

Dans les trois postes que j'ai occupés outre-mer, j'ai découvert les contraintes des zones non interconnectées, l'intermittence des énergies renouvelables ou encore l'importance de la péréquation tarifaire et de la solidarité nationale.

Mes expériences de préfet en poste territorial m'ont confronté aux enjeux du développement des énergies renouvelables, à l'évolution des outils de production, sous toutes leurs formes, et à la difficulté de créer des infrastructures nouvelles dans ce pays. Comme préfet de bassin, dans le Rhône, j'ai aussi eu à connaître des concessions hydrauliques.

Bref, où que l'on soit en poste, l'énergie est au coeur de la fonction de préfet. Certes, ces sujets ne me sont pas familiers, mais j'ai passé plus de cinq années auprès de Jean-Louis Borloo et j'étais notamment en charge de l'énergie et des négociations sur le climat au moment du troisième paquet. Au coeur de ce monde, j'en ai compris la complexité. Au coeur des négociations européennes, j'en ai saisi l'importance et la difficulté. Au coeur de l'interministériel, j'ai fait face à l'âpreté des débats, que vous connaissez... À la tête d'un grand ministère, j'ai découvert la compétence technique, qui force certes le respect, mais qui a parfois le goût immodéré de la complexité...

Je suis convaincu que mon expérience peut être mise au service des enjeux énergétiques et je suis - encore et toujours - animé du devoir de faire avancer les sujets avec une méthode simple : rassembler et faire émerger des consensus entre des acteurs que tout semble opposer.

Je ne suis pas un technicien, mais l'important n'est pas là. L'important, c'est qu'avec le Parlement, la CRE et son président soient pleinement au coeur des enjeux stratégiques de notre système énergétique avec plusieurs objectifs : assurer la fluidité du marché, la sécurité du consommateur et des approvisionnements, le respect des règles européennes, le développement de notre industrie et le rayonnement de la France. Voilà les défis auxquels j'ai souhaité participer avec tous les acteurs !

Quels sont les enjeux ? Le principal, c'est que nous nous situons dans un monde incertain et en total et rapide changement : puissance de calcul, numérisation, internationalisation, nouvelles technologies, aspirations à une nouvelle gouvernance, changement climatique, nouvelles manières d'être citoyen... Le système énergétique n'échappe pas à la règle. Il faut lui donner les moyens d'être agile, de se réinventer. Ce mouvement de réinvention est en marche depuis plusieurs années, largement sous l'impulsion de l'Europe : aujourd'hui, celle-ci propose un quatrième paquet de mesures.

Les enjeux me semblent être globalement les mêmes pour le gaz et l'électricité. Il existe certes des différences, mais aussi cinq principes fondamentaux. La sécurité des approvisionnements constitue l'objectif premier, avant même la défense du consommateur. Cela signifie un équilibre permanent entre offre et demande. En ce qui concerne l'électricité, l'enjeu pour notre pays, au-delà des énergies renouvelables, du stockage ou de la gestion fine entre l'offre et la demande, c'est aussi l'évolution de notre système nucléaire. Vous me direz que ce n'est pas une compétence directe de la CRE, mais du législateur et du Gouvernement. Néanmoins, en tant que gendarme et gardienne du prix et de la régulation des marchés et parce qu'elle est consultée sur les programmes d'investissement dans les réseaux, elle détient une influence forte, qu'elle doit partager avec tous les décideurs.

Et pour le gaz, la sécurisation des approvisionnements est le sujet premier dans la conjoncture de crise internationale. Cette question a plusieurs aspects : les liaisons européennes, les terminaux gaziers, les relations avec les pays fournisseurs, le stockage, le financement, le processus décisionnel, les perspectives de verdissement...

Pour les deux secteurs, la sécurité des approvisionnements rejoint le sujet des marchés et des interconnexions. L'Europe est une plaque énergétique, les règles y sont claires et elle permet - quoi qu'on en dise - d'améliorer la sécurité des consommateurs en élargissant le champ des possibles : optimisation des contraintes, disponibilité à tout moment de moyens de production diversifiés, échanges en base ou pour la satisfaction de la pointe...

Par sa position géographique et sa fonction exportatrice, la France doit être le moteur de cette construction et l'incertitude internationale renforce la nécessité de cette union. À ce stade, les interconnexions européennes sont bien évidemment indispensables. L'ensemble des marchés - gros, détail, effacement, certificats de capacité... - doit être transparent et la CRE a un rôle à jouer pour assurer le meilleur ajustement possible entre l'offre et la demande.

Le Parlement et le Gouvernement ont déjà fait beaucoup de choses. L'intégration européenne, comme les progrès de la numérisation, permettent de nouvelles avancées ; c'est là une tâche importante de la CRE que d'être à l'écoute des exigences de sécurité et de veiller au bon fonctionnement des marchés.

Enfin, la sécurité des approvisionnements passe par la robustesse des gestionnaires de nos réseaux de transport et de distribution, qui doivent allier performance, professionnalisme, agilité et indépendance. Vous le savez, nous avons plusieurs gestionnaires de réseau. Les enjeux de solidité, d'indépendance, d'innovation et de financement sont majeurs et peuvent, le cas échéant, prendre des formes nouvelles. Votre commission, qui a l'habitude d'auditionner les acteurs de marché, connaît parfaitement ces enjeux. Si le développement de l'investissement constitue une question fondamentale, c'est à la CRE d'assurer, dans un dialogue permanent, le juste équilibre entre des objectifs parfois contradictoires : ne pas entraver le développement industriel, tout en favorisant la concurrence, la baisse des prix et le financement des investissements.

Deuxième objectif : la défense des consommateurs finals, domestiques et industriels. Il s'agit d'abord de sécuriser les approvisionnements, mais d'autres considérations sont importantes : les prix, la liberté de choisir, la participation aux décisions, le rôle éventuel en tant que producteur ou encore la défense de l'environnement. Le prix n'est pas le seul sujet aujourd'hui et les autres considérations peuvent parfois apparaître comme nouvelles. En tout cas, du fait de la digitalisation et de l'absolue victoire de l'information et de la communication, c'est un modèle complètement nouveau qui se détermine aujourd'hui dans un monde de stagnation de la consommation.

Le marché a évolué au cours de ces dix dernières années ; je ne reconnais pas ce que j'avais quitté ! La demande d'électricité n'augmente plus, parfois elle stagne ou décroît, alors que le secteur avait fondé tout son développement et son modèle économique sur l'hypothèse d'une demande en hausse permanente. Les gros producteurs ne sont pas tous en forme olympique... L'ancien système électrique était déterminé par les coûts variables, le nouveau par les coûts fixes. Le prix de l'énergie brute, gaz ou électricité, s'efface devant le coût des transports, du raccordement, des taxes ou de la solidarité.

C'est un sujet difficile, car au-delà des choix du Gouvernement et du Parlement qui fixent des feuilles de route dans le cadre européen, toutes les solutions ont des effets contradictoires sur les prix : la suppression des tarifs réglementés, la concurrence entre les producteurs avec un libre accès aux réseaux et à la fourniture d'énergie, le poids relatif de l'énergie dans la construction des tarifs de transport, la tendance haussière de l'ancienne contribution au service public de l'électricité (CSPE), les coûts des énergies renouvelables et leur financement, les enjeux territoriaux, notamment les zones non interconnectées, les coûts de la solidarité... Tous ces sujets ont des solutions qui s'opposent entre elles !

Il me semble que la capacité d'analyse et le respect de la déontologie doivent forger, en toute indépendance, les qualités du dialogue que mène la CRE avec le Parlement, les industriels et le Gouvernement. Sur la fixation du prix, on a bien vu cela à l'occasion de la dernière « turpitude ».

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Turpitude ?

M. Jean-François Carenco. - C'est un terme approprié pour parler du TURPE, vous ne croyez pas  (sourires)?

La liberté de choix, c'est une revendication nouvelle du consommateur, qu'il soit résidentiel ou industriel ; mais le vrai sujet, c'est son éventuel accompagnement. Faut-il forcer le consommateur à quitter son fournisseur historique ? Est-ce notre rôle ? Je n'en sais rien, le Parlement nous le dira...

Les prochaines étapes sont connues : décision du Conseil d'État sur le tarif réglementé du gaz ; fin demandée par l'Union européenne du dernier tarif réglementé sur l'électricité ; redéfinition à terme du tarif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, car le prix du marché risque de lui devenir supérieur.

À mon sens, l'enjeu réside aussi dans le contrôle sur les marchés, dans le rôle de la concurrence et dans la mise en oeuvre de la réglementation relative à l'intégrité et à la transparence des marchés de gros de l'énergie, dite REMIT.

Dorénavant, avec les nouvelles technologies, tout est possible. La libre concurrence et sa place dans le système énergétique sont des enjeux essentiels pour l'avenir, la défense du consommateur et le développement de l'industrie européenne. Nous en connaissons les tenants et les aboutissants, ils sont également contradictoires : monopole face à baisse des prix ; consommateurs face à producteurs ; idéologie face à pragmatisme ; construction européenne face aux replis nationaux...

Avec les propositions de la Commission européenne contenues dans le quatrième paquet « Énergie », avec les questions sur l'avenir du nucléaire et la montée des énergies décentralisées, les débats sur la concurrence ne s'éteindront à l'évidence pas. Tant mieux, mais quelle concurrence ? Celle au service d'une politique du meilleur prix, certainement, mais qui doit aussi assurer l'investissement à long terme, c'est-à-dire la sécurité des approvisionnements, la préservation de l'environnement et l'équilibre de l'Union européenne. Nous devons rechercher une telle optimisation et je pense que la concurrence est d'abord une capacité d'incitation à l'innovation.

En matière de défense du consommateur et de l'environnement, l'irruption du citoyen dans le processus de décision est un sujet nouveau.

Un mot sur les smart grids, le rôle des collectivités locales, les agrégateurs d'effacement, le cloud storage des réseaux face au stockage par les producteurs... Rien ne sert de regretter l'ancien monde avec des citoyens consommateurs silencieux et des contribuables résignés, ce n'est plus le système d'aujourd'hui ! Il nous faut nous réinventer et cela pose d'abord une question sociétale, avant d'être technique et économique. Sous couvert de questions très techniques - poids de l'énergie ou de la puissance dans le tarif réseau, stockage, autorisé ou non, pour les gestionnaires de réseau de transport, tarification du soutirage ou de l'injection pour l'autoproducteur-autoconsommateur... -, ce sont bien des sujets de société qui se dessinent. La CRE doit y apporter son éclairage pour que le Parlement trace la voie.

Certes, ces sujets touchent aussi les questions de la bande de sécurité de production et de son financement, ou du rôle respectif des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution pour les niveaux de raccordement, mais ce sont bien des questions de société. En effet, grâce à l'évolution des techniques, nous avons la capacité de choisir tous les possibles.

La technique donne la capacité de créer un « entre-soi » énergétique dans un paysage qui est aujourd'hui chamboulé. Ce risque n'est pas négligeable et le Parlement doit y faire face, la CRE sera à ses côtés pour l'éclairer.

Troisième objectif : la défense de l'intérêt industriel. Un prix faible et un tassement concomitant de la consommation électrique ou gazière posent la question de la rentabilité économique. Le développement des véhicules électriques peut changer la donne en puissance appelée, mais il faut être vigilant pour que ce ne soit pas le cas en termes de puissance à appeler. C'est une question d'étalement des périodes de charge.

Il appartient au Gouvernement de tout faire, avec vous, pour préserver l'appareil industriel énergétique français - c'est l'une de mes convictions -, tant pour la production lourde que pour les techniques des énergies renouvelables, du stockage, de la production de base ou de l'ingénierie. Sommes-nous loin du rôle de la CRE ? Je ne le crois pas. S'il vous revient, avec le Gouvernement, de trancher, vos décisions doivent s'appuyer sur des analyses objectives, équilibrées, impartiales et indépendantes, que la CRE peut et doit réaliser. Je souhaite qu'à la CRE, la défense de l'emploi ne soit pas hors sujet.

Quatrième objectif : l'environnement et la transition énergétique. C'est une évidence, il faut diminuer l'empreinte écologique de notre système de production. Un jour, vous aurez à décider ce qui va se passer pour les centrales à charbon et les énergies fossiles.

La dynamique des énergies renouvelables a été enclenchée par Jean-Louis Borloo - je le dis avec un plaisir non dissimulé. L'enjeu des prix persiste et il me semble encore nécessaire de les soutenir, même si les coûts de revient baissent. Ce soutien n'est pas sans effet sur les prix fixes, en particulier du fait de l'ancienne CSPE. Cette régulation concerne évidemment la CRE, mais le Parlement a tranché la question de la forme de ce soutien : un prix de marché avec prime, après appel d'offres, en lieu et place de l'obligation d'achat à prix fixe. In fine, les énergies renouvelables triompheront, comme elles le font déjà dans de nombreux pays.

Divers sujets se posent encore sur ces énergies renouvelables et restent importants : les zones non interconnectées, les niveaux de raccordement, le power to gas, procédé fascinant qui permet le stockage de la surproduction des énergies renouvelables grâce à leur transformation en hydrogène ou en méthane de synthèse - un tel projet démarre à Fos-sur-Mer. On le voit, les énergies nouvelles sont un enjeu gigantesque, quelle que soit leur forme.

La moindre consommation d'énergies fossiles est une nécessité. Les énergies au charbon sont condamnées - ce sera au Parlement de le décider de manière définitive -, mais le vrai sujet aujourd'hui, c'est le maintien ou non des centrales à cycle combiné gaz ; plusieurs questions se posent : le prix, les certificats de capacité, la mise sous cocon des centrales... Cette année, nous en avons eu besoin et la question posée est celle du niveau d'acceptabilité du risque de défaillance : n'accepter qu'un maximum de trois heures par an nous place parmi les meilleurs dans le monde... Soyons-en fiers, car peu de pays en sont là ! C'est bien la qualité de notre système énergétique qui permet cela.

Enfin, je pense que nous nous dirigeons vers une moindre consommation globale, ce qui n'est pas plus mal si nous réussissons à gérer ce phénomène. La CRE doit aussi être en capacité de vous éclairer sur ce sujet. Cependant, permettez-moi de vous livrer quelques-unes de mes interrogations. Quelles sont les conséquences du développement des véhicules électriques en termes d'énergie à produire et de distribution ? Influence de la baisse tendancielle de la consommation sur le parc nucléaire, tarification des réseaux, substitution de la fourniture d'une énergie par celle de services énergétiques... Ces sujets sont liés aux compteurs Linky et Gazpar, qui font naître des craintes parmi certains de nos concitoyens ; il faut donc les encadrer, mais reconnaissons qu'ils ouvrent aussi des possibilités. Ces chantiers et ce changement structurel sont devant nous, la CRE doit y prendre toute sa part afin de les accompagner, tout en garantissant le bon fonctionnement du système.

La construction de l'Europe, qui me paraît être une évidence, pose d'abord la question des interconnexions et des marchés en pointe entre les pays européens. Faut-il travailler encore avec la Grande-Bretagne ? Que faire avec l'Italie ou l'Espagne ? En tout cas, je veux saluer l'initiative de RTE sur les systèmes en flux.

La proposition de quatrième paquet est indispensable et j'y suis favorable, mais elle pose un certain nombre de questions en termes de rigidité législative, de centralisation et d'uniformisation, alors que la mise en place des énergies renouvelables appelle, au contraire, finesse et décentralisation. En outre, il prévoit un niveau de régulation qui pourra apparaître comme politiquement inexplicable : comment les sénateurs de Bretagne vont-ils justifier qu'un délestage à Quimper a été décidé à Ljubljana ?

L'énergie n'est pas une compétence propre de la Commission européenne, elle est partagée avec les États membres : la Commission fait donc une proposition et les États doivent se prononcer. Une extension des compétences nécessiterait un changement de traité. Le temps du débat et des décisions vient et il faut que la CRE puisse aider le Gouvernement et le Parlement à construire cette nouvelle Europe énergétique.

D'ores et déjà, je note le caractère éminemment technocratique du système des codes réseaux, tant dans leurs méthodes de construction que dans leur approbation en comitologie. En outre, le sujet de la précarité énergétique me semble devoir être mieux pris en compte.

Le marché de l'énergie joue un rôle central dans la solidarité intra-européenne et la CRE doit tenir toute sa place au sein des instances européennes compétentes, comme l'agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) et la conférence des régulateurs, pour défendre les positions et le modèle français. Encore faut-il qu'elle en ait les moyens humains et budgétaires ! Je n'ai pas encore approfondi ces sujets... Je pense que la France peut, grâce à la CRE, peser au maximum sur la mise en place de ce quatrième paquet grâce à nos représentants au sein des organes que je viens de citer. La CRE doit être en première ligne à Bruxelles et auprès de vous pour élaborer au profit du Parlement un corpus de réflexions sur ces sujets à la fois très techniques et sociétaux.

Voilà les principaux éléments, monsieur le président, que je souhaitais vous soumettre. Il me semble nécessaire de rassembler tous les acteurs : le Parlement, le Gouvernement, les producteurs, les gestionnaires de réseau de transport ou de distribution, les consommateurs, les citoyens... Je pense que la CRE peut être ce petit ferment qui permet, ensemble, de tracer un chemin partagé. Je souhaite d'ailleurs saluer le président Ladoucette, qui, après Jean Syrota, a indéniablement marqué cette institution ; il a pesé sur le paysage énergétique. Qu'il en soit remercié !

En conclusion, la CRE doit d'abord remplir pleinement et à temps ses compétences, afin d'accompagner les évolutions majeures dont je viens de parler. Elle doit ainsi concourir au fonctionnement du marché de l'électricité et du gaz naturel au bénéfice des consommateurs et en cohérence avec les objectifs de la politique énergétique, notamment la réduction des gaz à effet de serre, la maîtrise de la demande en énergie ou le développement des industries renouvelables. Cela touche des questions de prix, de marchés, de réseaux, de zones non interconnectées ou d'appels d'offres des énergies renouvelables et notre présence dans les instances européennes est importante pour y apporter les réponses justes.

Je souhaiterais, en tant que président du collège de la CRE, être très présent en personne à Bruxelles pour appuyer les positions de notre République. La CRE, organe de réflexion et d'information équilibré, ne doit pas se substituer aux choix politiques, mais être au service des politiques, sous l'autorité du Parlement auquel elle rend compte. Indépendante du Gouvernement, elle est au service de la Nation - cela va mieux en le disant. Think tank permanent, elle permet qu'ensemble les partenaires nationaux de la construction de l'Europe énergétique tracent des chemins de convergence et dessinent l'avenir ensemble. Je souhaite qu'elle soit un intervenant majeur auprès des instances européennes et un vecteur pédagogique. La constitution des nouveaux équilibres énergétiques ne peut se faire sans convaincre les citoyens. Le président de la CRE, seul, n'est rien. Toutes les décisions sont collégiales, avec un collège intransigeant, courageux, pleinement conscient du devoir d'ingratitude que vous pourriez me confier. Tous les avis et décisions seront pris dans le plus grand respect de la déontologie et des règles d'éthique que vous avez rappelées dans la loi organique du 20 janvier 2017. J'espère vous avoir convaincus que je peux être utile à mon pays dans ce poste où peut se construire son avenir énergétique, notre avenir. Il faut un peu de courage, de détermination ; je n'en manque pas.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci, monsieur le préfet. Vous avez confirmé votre franc-parler...

M. Ladislas Poniatowski. - Vous êtes précédé d'une certaine réputation de fermeté, exprimée dans vos différents postes de préfet et de directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo. Ce n'est pas pour me déplaire car le futur président de la CRE doit assurer son indépendance vis-à-vis de tous les acteurs - producteurs d'électricité, de gaz, gestionnaires de réseaux, pouvoirs publics... - et vis-à-vis de votre propre administration. Je vous fais confiance et suis favorable à votre candidature.

À peine arrivé, vous êtes précédé d'une déclaration très sévère de la CRE sur le quatrième paquet énergie - sur lequel nous nous prononcerons prochainement - notamment sur le renforcement des règles proposées pour les mécanismes d'ajustement. L'Union européenne se mêle de plus en plus de ce qui ne la regarde pas. J'approuve cette position de la CRE, j'espère que vous la défendrez. La CRE a aussi porté n jugement sévère sur les nouveaux pouvoirs pouvant être accordés à l'ACER, association de tous les régulateurs européens, qui pourrait en particulier prendre ses décisions à la majorité simple. Non : le régulateur français doit rester indépendant.

La CSPE n'existe plus grâce au Parlement et au Gouvernement. Mais il risque du coup de ne plus y avoir de transparence car la CSPE ne pourra plus augmenter pour son volet énergies renouvelables. Le consommateur ne verra plus rien, c'est peut-être une erreur, car le financement des énergies renouvelables sera dilué dans l'évolution des taxes sur le pétrole.

Mercredi prochain, nous adopterons un texte sur l'autoconsommation, après un accord obtenu en commission mixte paritaire. Vous allez devoir élaborer un tarif d'accès aux réseaux spécifique pour les petits autoconsommateurs dont on ne sait s'il aboutira à augmenter ou à réduire leur facture. Vous voulez défendre les autoconsommateurs, soyez vigilants sur ce sujet.

La CRE a toujours refusé de définir une zone sud et une zone nord pour le photovoltaïque. Or la production de photovoltaïque rapporte beaucoup plus à Toulouse qu'au Nord de la Loire. Seriez-vous enfin favorable à ce zonage ? Le régulateur a toujours été fermé sur ce sujet.

La CRE doit adopter, chaque année, le barème de raccordement d'Enedis, qui n'est pas exemplaire et réalise des travaux trop coûteux. Votre administration, forte juridiquement mais moins sur le plan technique, se fait régulièrement rouler dans la farine par les ingénieurs d'Enedis. Je vous fais confiance pour ne pas vous laisser faire.

M. Roland Courteau. - Vous êtes attaché à l'indépendance de la CRE, qui dépend à la fois de son collège et de son président. Cela ne signifie pas une absence de dialogue avec le Gouvernement ni que la CRE outrepasse son rôle : la définition de la politique énergétique française est du ressort du Gouvernement et du Parlement. Vous m'avez rassuré sur ce point. Mais j'ai été surpris par les problèmes liés au nouveau TURPE, peut-être par manque d'information. Le quatrième paquet compliquera la situation. L'ACER doit-elle établir la méthodologie d'élaboration des tarifs de réseau de transport et de distribution, et que pensez-vous du renforcement de ses pouvoirs ? Doit-elle rester une agence de coopération de régulateurs ou devenir une agence de direction ? Êtes-vous favorable au vote de ses décisions à la majorité simple ?

Que pensez-vous de la nécessité de maintenir des tarifs réglementés en électricité, malgré l'hostilité constante de la Commission européenne, pour les usagers domestiques le souhaitant ? C'est une composante essentielle du service public en France, à laquelle nos concitoyens sont attachés. Le prix de l'électricité a révélé des dysfonctionnements dans le mécanisme de l'ARENH. Quelles évolutions de ce mécanisme proposeriez-vous ?

M. Alain Chatillon. - M. Carenco, que je connais depuis quelques années, est un homme d'engagement, qui a horreur de la langue de bois, et qui a une formation économique - ce n'est pas toujours le cas. Il a la capacité de rassembler sur l'essentiel et de simplifier les procédures - je l'ai vu à l'oeuvre dans ma région Midi-Pyrénées. Auprès de Jean-Louis Borloo, il a montré ses compétences et ses connaissances du domaine de l'énergie. Je ne peux donc être que favorable à sa candidature.

M. Yannick Vaugrenard. - Monsieur le préfet, ne vous connaissant pas, je suis heureux d'avoir le privilège de vous écouter. Vous avez été préfet durant 23 ans. Nous avons, incontestablement, écouté un grand commis de l'État. La CRE a un rôle d'éclairage et d'aide à la décision sur des questions de société de moyen et long terme.

L'abandon du nucléaire au plus tôt est-il, selon vous, une exigence impérative ? La sécurité des approvisionnements vient-elle avant la prise en compte des énergies renouvelables ? Souhaitez-vous vous appuyer davantage sur le bon sens et la responsabilité face parfois à une communication politique de très court terme ? Quel devrait être le rôle de la CRE face aux exigences d'aménagement du territoire ? Je me félicite que vous vous soyez engagé à être le représentant direct de la CRE à Bruxelles.

M. Bruno Sido. - À plusieurs reprises, vous avez cité la sécurité des approvisionnements, puis indiqué que « les énergies renouvelables triompheront ». N'y a-t-il pas un hiatus entre ces deux propositions ? La commission des affaires économiques m'avait confié la présidence d'une mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique, à la suite d'un black-out provoqué par un opérateur allemand. Je vous enverrai mon rapport, dont le champ s'étendait à toute l'Europe.

Avant d'évoquer le prix de l'électricité ou son origine, nos concitoyens veulent d'abord de l'électricité ! Je ne suis pas opposé aux énergies renouvelables ; vous avez eu la prudence de ne pas évoquer de date. Elles triompheront le jour où on saura les stocker.

Je m'oppose sur un point à Ladislas Poniatowski. Je compte beaucoup sur l'Europe. Le black-out était dû à un bateau qui avait coupé une ligne haute tension. Notre rapport concluait à la nécessité d'avoir un régulateur européen.

M. Franck Montaugé. - Merci pour cette audition extrêmement claire. Vous souhaitez positionner la CRE pour anticiper l'émergence d'un nouveau modèle économique. Comment mobiliserez-vous vos services par rapport à la construction de ce nouveau modèle de l'électricité ? Lors d'un colloque de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) sur les smart grids, d'aucuns constataient que le développement des énergies renouvelables bouleverse notre système de gestion, très vertical, et pourrait remettre en question la péréquation tarifaire. Nous sommes très attachés à ce principe. L'émergence des nouveaux systèmes de production locaux le remet en question. Les block chains touchent à la valorisation et à la monétarisation des échanges énergétiques. La technique est disponible. Ne cassons pas ce qu'il y a autour. Comment mobiliserez-vous votre collège sur ces sujets ?

La CRE doit-elle se positionner ou rester neutre sur la situation d'EDF par rapport à ses obligations et ses engagements ? Si les choses se passent bien, les consommateurs seront ravis, mais sinon les conséquences seront considérables. La CRE pourrait avoir intérêt à se positionner sur ce sujet.

M. Pierre Cuypers. - Vous avez été mon préfet de région, je sais que vous respectez vos engagements. J'apprécie que vous vouliez être présent à Bruxelles. La Commission européenne envisage de réduire l'obligation d'incorporation de biocarburants de 7 % à 3,8 %. Cette décision cataclysmique réduirait de moitié la production d'énergies renouvelables de première génération - c'est-à-dire de la biomasse - alors que les deuxième et troisième générations ne sont ni compétitives, ni performantes, ni applicables techniquement. Cela bouleverserait une production qui s'incorpore très bien au gazole comme à l'essence et qui participe à la réduction des gaz à effet de serre. Quelle serait votre influence, en face de la Commission et des États-membres, pour que le taux de 3,8 % ne soit pas appliqué ?

Mme Delphine Bataille. - Vous avez évoqué l'objectif de sécurité des approvisionnements. Que pensez-vous de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte en la matière ? Voulez-vous en modifier certaines orientations ? Le maintien de nos capacités de production d'énergie nucléaire est-il indispensable à l'approvisionnement en électricité de la France, ou les énergies renouvelables sont-elles déjà une alternative crédible ? Notre approvisionnement risque-t-il d'être menacé par l'arrêt de la centrale de Fessenheim ?

M. Michel Magras. - J'ajoute mon nom à la liste de ceux qui vous connaissent, vous avez été mon préfet de région dans les années 2000... Je porte la voix des outre-mer, qui bénéficient de la péréquation nationale des tarifs d'électricité - d'ailleurs récemment étendue à Wallis et Futuna. Cette péréquation est menacée. Avec votre présidence, les outre-mer auraient-ils des raisons d'être inquiets ?

M. Jean-Pierre Bosino. - Je n'ai pas le plaisir de vous connaître. Vous avez évoqué le système énergétique français mais aussi expliqué votre interrogation pour savoir si la CRE devait inciter le consommateur à quitter l'opérateur historique. Vous avez parlé de tendances à la décentralisation. Que représentent pour vous les valeurs d'égalité de traitement et d'accès à l'énergie, et les tarifs régulés ? Que représente pour vous le système français de régulation de l'énergie par rapport à un système plus concurrentiel ou plus décentralisé ?

Sans regretter l'ancien monde, n'oublions pas que des mesures importantes sur l'énergie ont été décidées depuis 1945. Bien qu'anciennes, elles ont permis à notre pays de se développer. Les casser ne nous fera pas évoluer dans le bon sens...

M. Jean-François Carenco. - Je suis surpris de votre question. Je suis préfet depuis 23 ans : si j'avais voulu faire autre chose, les occasions n'auraient pas manqué... J'ai une certaine idée du service public et de notre pays.

Le nouveau monde n'a rien à voir avec la politique. La politique relève du Gouvernement ou du Parlement. Mon rôle, c'est de vous dire qu'il faut regarder le monde : nous avons appris à programmer en Basic, j'ai appris ensuite ce qu'étaient les exaflops et les pétaflops, et maintenant on nous parle d'ordinateurs quantiques, avec des milliards de milliards d'opération à la seconde... Ce nouveau monde arrive quoique vous fassiez. Dans ma jeunesse, Jacques Attali parlait d'énergie et d'information. Quarante ans après, l'information domine l'énergie. C'est le rôle de la CRE et des industriels que d'éclairer les choix des politiques sur ce nouveau monde.

Le système français se fonde d'abord sur la sécurité des approvisionnements. Notre acceptabilité de la défaillance est de trois heures par an, c'est le meilleur système au monde. Il nous permet d'exporter de l'énergie, et est l'un des rares secteurs excédentaires du commerce extérieur. Oui, nos industries françaises sont extrêmement fortes, à la pointe de la technologie, avec un tarif de base régulé.

Sur tous ces sujets, nous sommes aussi à l'intérieur de l'Europe. Il n'y a pas de vérité unique. Le temps de la synthèse est ancien, nous vivons aujourd'hui avec ces contradictions, et cela vaut pour le système énergétique. Mais je ne dirai rien sur la politique.

Pour conforter l'indépendance de la CRE, il faut dire les choses et s'appuyer sur du collégial, mon expérience de préfet m'y aidera. Je n'approuve pas le dépôt par Enedis d'une question prioritaire de constitutionnalité. Ce n'est pas le rôle d'une entreprise publique, fût-elle assurée de son indépendance. Nous devons construire ensemble notre système. Si la concurrence est un peu liée à la baisse des prix, elle est d'abord liée à l'innovation. On doit naviguer entre tout cela.

La suppression des tarifs réglementés revient à Bruxelles. Je suis prêt à m'y rendre pour porter la voix de la Nation. Mais in fine, la Commission ne décide pas seule : il y a des gouvernements et un parlement. Les tarifs réglementés concernent les plus faibles de nos concitoyens. Mais demain, rien ne dit que le tarif de marché ne soit pas moins cher que le tarif réglementé. Regardez ce qui se passe sur les prix industriels...

Oui, monsieur Poniatowski, il faut regarder les constructions tarifaires. Quant à la CSPE, vu le rôle de la CRE dans les appels d'offres, ses travaux doivent être publics. L'autoconsommation est à notre porte : qui aurait pu l'imaginer ? Elle pose d'importantes questions, mais répond à une aspiration forte. N'est-ce pas la version énergétique de l'entre-soi ? N'oublions pas la solidarité : in fine, qui paie le réseau ? Et nous devons développer une industrie exportatrice. Saisissons les opportunités, mais avec prudence, et sans céder à un effet de mode. L'idée des boucles locales est féconde, et ne doit pas être écartée d'un revers de main. Les tarifs de soutirage et d'injection sont maîtrisés par la CRE. La vraie question, c'est le stockage : cloud-storage ou stockage par le producteur ? Le débat est ouvert.

À monsieur Courteau, qui m'interroge sur l'ACER, je répondrai que c'est le Président de la République qui mène les négociations internationales. Ma position personnelle est que le président de la CRE doit être à Bruxelles, et qu'il doit être très présent au sein de la conférence des régulateurs comme auprès des ambassadeurs à Bruxelles ou de l'ENTSO-E, l'association des gestionnaires des réseaux de transport d'électricité. La plaque européenne est indispensable, car elle diversifie les ressources. Mais ne cédons pas à l'idée que cela relève de la technocratie. Et le prix ne fait pas tout.

M. Roland Courteau. - Faut-il renforcer le pouvoir de l'ACER ?

M. Jean-François Carenco. - Non, mais c'est à vous de le dire !

M. Roland Courteau. - Nous souhaitons connaître votre avis, comme sur les tarifs réglementés. M. de Ladoucette était contre. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-François Carenco. - Je ne dirai jamais que je suis contre. Le président de la CRE n'a pas à se substituer aux parlementaires, ou au Gouvernement.

Oui, les régions veulent prendre du pouvoir, grâce aux boucles locales. Je réponds : la sécurité d'abord ! Attention à l'entre-soi énergétique, nous devons préserver la solidarité nationale et l'existence de notre industrie.

À monsieur Sido, les énergies renouvelables triompheront lorsqu'on saura les stocker correctement et lorsque nous n'aurons plus besoin du nucléaire en base, à une échéance qui dépendra aussi de l'évolution de la consommation. Pour l'heure, les 1 800 mégawatts  de Fessenheim ne sont pas indispensables à notre sécurité d'approvisionnement. Mais Fessenheim, ce sont aussi, à l'évidence, d'autres sujets que la satisfaction immédiate, en France, de l'équilibre offre demande.

De même, je ne saurais plaider pour des blocs régionaux de régulation au niveau européen. La création de nouveaux blocs est une surprise. La CRE doit aider à définir la voie à suivre, en rassemblant les acteurs de l'énergie.

Je ne saurais vous répondre sur les biocarburants, mais je sais que la biomasse est un vrai sujet. Pour baisser les prix proposés aux industriels, outre la baisse des tarifs de transport, l'effacement, l'interruptibilité, qu'il faut développer, il y a aussi la biomasse industrielle, pour leur propre consommation ou pour l'injecter sur le réseau. J'y suis très favorable, car je considère que l'industrie doit imprégner notre réflexion énergétique.

Quelle question, monsieur Magras ! Après la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre et Miquelon et la Guadeloupe, comment penserai-je autrement ? Certes, les coûts de production ne sont pas les mêmes, et la prégnance des sources d'énergies renouvelables y est si forte qu'elle congestionne parfois le réseau. Mais c'est la France.

On ne pourra pas, pour longtemps encore, opposer le nucléaire aux énergies renouvelables. Cherchons des complémentarités. On a besoin d'une production en base et on a besoin d'exporter. Et protégeons notre industrie.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci.

Vote sur la proposition de nomination aux fonctions de président du collège de la Commission de Régulation de l'énergie

La commission procède au vote sur la candidature de M. Jean-François Carenco, candidat proposé aux fonctions de Président du collège de la Commission de régulation de l'énergie.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Voici les résultats du scrutin : 26 voix pour, 3 voix contre.

La réunion est close à 16 h 05.