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Table des matières



Conventions internationales (Procédure simplifiée)

Résultats de la gestion et approbation des comptes de l'année 2024 (Procédure accélérée)

Discussion générale

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Vincent Capo-Canellas

M. Pascal Savoldelli

Mme Ghislaine Senée

Mme Isabelle Briquet

M. Marc Laménie

M. Jean-Baptiste Blanc

M. Stéphane Fouassin

M. Christian Bilhac

M. Vincent Delahaye

M. Stéphane Sautarel

M. Jean Pierre Vogel

Discussion des articles

Article liminaire

M. Vincent Delahaye

M. Christian Bilhac

M. Pascal Savoldelli

Article 1er

Article 7

Article 8

Article 9

M. Pierre Barros

M. Jean Pierre Vogel

Approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2024 (Procédure accélérée)

Discussion générale

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales

M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis de la commission des finances

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Bernard Jomier

M. Daniel Chasseing

Mme Corinne Imbert

M. Stéphane Fouassin

M. Christian Bilhac

M. Olivier Henno

Mme Pascale Gruny

Discussion des articles

Article 1er

Mme Raymonde Poncet Monge

Article 3

Décret complémentaire à la convocation du Parlement en session extraordinaire

Ordre du jour du mardi 24 juin 2025




SÉANCE

du lundi 23 juin 2025

106e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente

Secrétaires : M. Bernard Buis, M. Fabien Genet.

La séance est ouverte à 16 heures.

Conventions internationales (Procédure simplifiée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l'approbation de conventions internationales.

Pour ces trois projets de loi, la Conférence des présidents a retenu la procédure d'examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l'adoption de ces textes.

Le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Suriname, après engagement de la procédure accélérée, est adopté.

Le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d'évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d'une situation de crise, après engagement de la procédure accélérée, est adopté.

Le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale du 28 mai 1996 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Brésil, après engagement de la procédure accélérée, est adopté.

Résultats de la gestion et approbation des comptes de l'année 2024 (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024.

Discussion générale

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics .  - Ce texte technique et comptable est essentiel, car il traduit la réalité des choses. C'est le devoir de l'exécutif auprès de la représentation nationale, et de l'État auprès des contribuables, de tenir les objectifs fixés en loi de finances par le Parlement et d'en rendre compte.

Redresser les finances publiques est une exigence impérieuse. Pour rester souverain, notre pays doit contenir sa dette.

Ce projet de loi est un préalable au débat budgétaire. Il a été rejeté ces trois dernières années, alors qu'il constitue une étape indispensable pour une gestion politique apaisée. Je regrette son rejet sans débat à l'Assemblée nationale, et par votre commission des finances.

La gestion 2024 a été marquée par de nombreux aléas et une très forte régulation budgétaire en cours d'année -  décret d'annulation de crédits en février 2024, surgels à l'été. Sans oublier la loi spéciale.

Nous pouvons tous spéculer sur ce qu'auraient pu ou dû être les décisions en 2024. La commission des finances du Sénat y a travaillé. La dégradation en 2024 a été réelle, les efforts de l'État aussi.

Nous devrons tirer les leçons de ces années mouvementées : inflation, hausse des prix de l'énergie... Nous devons travailler non seulement sur 2026, mais jusqu'à 2029 pour revenir un déficit public inférieur à 3 % du PIB. Il ne peut y avoir de souveraineté durable sans redressement de nos comptes.

La situation des finances publiques est grave : le déficit public est de 5,8 % de PIB, bien au-dessus des 4,4 % prévus en loi de finances. Cet écart supérieur à 0,5 point de PIB a été considéré par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) comme important. Conformément à l'article 62 de la Lolf, le Gouvernement présente dans ce projet de loi les raisons de cet écart et les mesures pour y remédier.

À la suite des crises, notre économie a connu des évolutions structurelles inattendues ; elle reste exposée à de forts aléas extérieurs.

En 2023 et 2024, l'élasticité des recettes a été faible : quand le PIB augmentait de 1 %, elles ne progressaient que de 0,4 % puis de 0,6 %. En revanche, les dépenses ont été inférieures de 7 milliards d'euros par rapport aux crédits votés.

En 2025, nous avons engagé des efforts courageux pour redresser les finances publiques, à la suite du compromis en commission mixte paritaire (CMP). Nous avons réuni le premier comité d'alerte sur les finances publiques en avril. Prochaine réunion, ce 26 juin.

L'objectif de 5,4 % de déficit est ambitieux, mais atteignable, grâce à la diminution de moitié des reports de crédits, à la constitution d'une réserve de précaution de 8,7 milliards d'euros - ainsi que d'une réserve de 1,1 milliard d'euros pour l'Ondam - et à la diminution des dotations au regard des niveaux de trésorerie. La dépense publique ne peut plus être automatique.

La croissance économique pour 2025 a été révisée à 0,7 % et 5 milliards d'euros de crédits ont été annulés ou gelés.

Nous assumons nos responsabilités pour repasser sous la barre des 3 % de déficit en 2029, en tâchant d'anticiper les aléas et en y associant le Parlement.

Nous préparons les premières orientations du budget, en faisant non pas moins, mais mieux, en mettant les bons moyens au bon endroit, en réorganisant les structures publiques - agences, opérateurs, ministères  - pour mieux servir les Français. Cela repose sur le consentement à l'impôt de nos concitoyens, ne l'oublions pas. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Vincent Capo-Canellas, Marc Laménie et Mme Élisabeth Doineau applaudissent également.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Vincent Capo-Canellas et Marc Laménie applaudissent également.) L'exercice budgétaire 2024 est un exemple parfait de mauvaise gestion budgétaire.

Alors que nous avions affiché en 2023 le déficit le plus élevé de toute la Ve République, hors crise, nous avons battu un nouveau record en 2024 avec un déficit de 5,8 % - pour une prévision de 4,4 %. Cet écart, de 41 milliards d'euros, n'est justifié par aucune crise.

Les deux chambres se sont saisies du sujet : mission d'information au Sénat, commission d'enquête à l'Assemblée nationale. Ce n'est plus un dérapage, mais une plongée en eaux profondes.

Trois facteurs d'explication : le dérapage de 2023 sur 2024, que le Gouvernement n'avait pas anticipé ; des prévisions de croissance trop optimistes ; un aveuglement et un manque de volonté politique jusqu'à la dissolution. Il a fallu attendre les gouvernements Barnier puis Bayrou pour que la gravité de la situation soit prise au sérieux.

Le déficit public de l'État atteint 155 milliards d'euros -  c'est considérable. Même en supprimant les dépenses pour l'enseignement et l'armée, nous serions toujours en déficit.

Ce qui saute aux yeux, c'est l'extrême lenteur du redressement après la crise du covid, par rapport à la crise de 2008.

Les précédents gouvernements, perfusés au déficit public, ont anesthésié les Français. Ils ont foncé dans le mur en souriant comme le ravi de la crèche. Les auditions des « responsables » de la situation sont éclairantes : « ce n'est pas moi », « tout va bien », « j'ai tout bien fait »...

Depuis 2017, les dépenses de l'État ont augmenté de 10,5 %, quand les recettes diminuaient de plus de 8 %. En 2019, le déficit public était de 3 % ! Depuis, les recettes de l'État se sont effondrées et les dépenses ont explosé. Nul besoin d'avoir fait HEC pour comprendre que l'on va dans le mur. L'État n'a pas adapté ses dépenses aux recettes : il dépense 1,50 euro pour 1 euro de recettes. Cherchez l'erreur...

Les recettes ont été surestimées en loi de finances initiale pour 2024, sans que le Gouvernement étaye ses prévisions. (Mme Amélie de Montchalin proteste.) L'impôt sur les sociétés a produit 57 milliards d'euros au lieu des 72 milliards attendus.

Les dépenses de masse salariale, hors de contrôle, bondissent de 6,6 milliards d'euros en 2024 sous l'effet de mesures catégorielles inconscientes et de la hausse des effectifs de la fonction publique : plus 6 700 ETP, alors même que la loi de programmation des finances publiques appelait à la stabilité des effectifs. Quelle incohérence !

Pourtant, aucune mesure de redressement n'a été prise. On se gargarise du décret d'annulation de février, d'un montant effectivement historique, mais le mois suivant, 16 milliards d'euros de crédits reportés viennent plus que compenser ces annulations. Surtout, le Gouvernement a failli en ne présentant pas de projet de loi de finances rectificative (PLFR) en cours d'année.

Tâchons au moins de tirer des leçons de cet exercice 2024 calamiteux : les prévisions de croissance doivent être raisonnables et s'appuyer sur les prévisions des économistes ; les recettes fiscales ne doivent pas être calculées sur la base d'élasticités déraisonnables ; il faut mettre fin aux reports de crédits -  je salue les efforts du Gouvernement Bayrou ; il ne faut pas faire l'économie d'un PLFR si la situation le justifie ; enfin, le Gouvernement doit travailler en toute transparence avec le Parlement et les Français, or nous n'y sommes pas.

Les Français ont besoin de comprendre les raisons de cette dégradation historique : pourquoi et à cause de qui en sommes-nous arrivés là ?

Le titre de l'exposé des motifs de ce projet de loi résonne comme une provocation : « un résultat s'inscrivant dans une trajectoire de redressement des comptes publics et s'appuyant sur un pilotage renforcé de la dépense. » Nous parlons de 2024... Encore le ravi de la crèche !

Voilà pourquoi la commission des finances du Sénat propose de rejeter ce projet de loi. J'espère que l'exécution 2025 verra une gestion plus rigoureuse et plus sereine. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)

M. Vincent Capo-Canellas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous sommes à un moment critique de l'évolution du monde, où la capacité d'action de la France et de l'Europe est interrogée.

L'année 2024 a connu une succession baroque d'événements politiques -  dissolution, gouvernement intérimaire, censure. Je déplore l'absence de PLFR, alors que les recettes n'étaient pas au rendez-vous. Il y a eu des mesures de gestion en février dernier, mais le Parlement aurait dû en débattre.

Plutôt que de dissoudre, il aurait mieux valu chercher un compromis politique. Il aurait aussi fallu présenter un PLFR, même s'il n'est pas certain qu'il aurait été adopté.

Résultat : une année 2024 catastrophique. L'ampleur du dérapage a été documentée par la commission des finances. Le déficit public, à 5,8 %, est loin des 4,4 % du PIB prévus en loi de finances initiale. Les restes à payer ont doublé depuis 2018. La dissolution et la censure ont aussi coûté cher.

Le groupe UC ne votera pas ce projet de loi et s'y opposera dans sa grande majorité.

D'autres inquiétudes pointent : résultats du conclave sur les retraites, évolution du cours du pétrole...

La leçon pour 2025, c'est qu'il faut veiller à la stabilité et que tous les partis politiques de gouvernement doivent faire des compromis. Il faut rétablir nos comptes et préserver la croissance ; c'est en marchant sur ces deux jambes que nous sortirons des difficultés. Cela suppose de faire des choix dans les politiques publiques, comme nous avons l'habitude de le faire dans les collectivités territoriales.

Au-delà, se posent des questions de fond : le décrochage de l'Europe sur l'innovation et l'investissement, le poids des charges salariales. Des industriels au salon du Bourget m'ont fait part de leur tentation d'investir ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Pascal Savoldelli .  - Ce projet de loi engage une conception de la démocratie parlementaire. Les faits sont têtus : le déficit public est en décalage de 1,4 point par rapport à la prévision. S'est-on trompé lourdement ou a-t-on trompé volontairement ? Une collectivité territoriale aurait été mise sous tutelle du préfet pour un tel écart.

C'est l'échec de la théorie du ruissellement qui prétendait que les cadeaux au capital allaient se transformer en emplois, croissance et équilibre budgétaire ; on attend toujours... (M. Bernard Jomier s'exclame.)

Face à ces résultats -  155,9 milliards d'euros de déficit, plus de 2 600 milliards de dettes  - , le Gouvernement aurait pu choisir la vérité et le débat. Il a préféré l'évitement et une gestion solitaire : pas de collectif budgétaire, pas de débat parlementaire, 13,7 milliards d'euros de crédits annulés, le rabot plutôt que la boussole.

Le déficit ne vient pas de la dépense mais des renoncements fiscaux depuis 2017 : suppression de l'ISF, de la taxe d'habitation y compris sur les plus aisés, et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), baisse de l'impôt sur les sociétés et de la fiscalité sur le capital avec le prélèvement forfaitaire unique. Le tout pour 62 milliards d'euros par an, soit 310 milliards d'euros depuis 2018 !

Avec quels résultats ? L'emploi industriel recule, le nombre de travailleurs précaires a doublé, la France est le pays le plus inégalitaire d'Europe.

Madame la ministre, vous avez souvent parlé du coût de la censure. Mais quid du coût de l'illusion ? Et de celui du renoncement, avec le rejet de la taxe Zucman au Sénat ? (Mme Amélie de Montchalin proteste.)

Depuis 2013, les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements » ont augmenté de 70 %. Les restitutions atteignent 30,4 % des rentrées fiscales : un record !

Vous avez construit un budget hors sol et contourné le Parlement pour en masquer les failles. Même chose en 2025 : pour justifier l'austérité imposée aux collectivités territoriales, vous avez prétendu un dérapage de 17 milliards d'euros, en réalité deux fois moindre. Cette exagération a préparé le terrain aux coupes.

Côté recettes, vos 17,4 milliards d'euros reposent en grande partie sur du sable : contribution sur les hauts revenus, 1,4 milliard d'euros au lieu des 4 milliards attendus ; surtaxe sur les bénéfices, 8 milliards au lieu de 12... Et ces dispositifs ne seront pas reconduits.

Nous ne voulons pas avaliser votre aveuglement. L'Assemblée nationale a rejeté ce texte, le Sénat s'apprête à le faire : ce sera un événement politique. Nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Ghislaine Senée .  - Après huit ans d'un gouvernement prétendument bon gestionnaire, comment en sommes-nous arrivés à une situation aussi catastrophique : 5,8 % de déficit public, 113 % de dette, 23 milliards d'euros de recettes manquantes ?

L'année 2024 marque la faillite sans appel d'un système qui repose sur le « toujours moins d'impôts » et sur des coupes budgétaires aux effets récessifs.

Nous assistons à un double renoncement.

Premièrement, l'absence de réponse face au dérèglement climatique. Les experts s'épuisent à le répéter : l'urgence est de préparer un avenir viable. Pourtant, 4,2 milliards d'euros de dépenses favorables à l'environnement ont été annulés en 2024. Les gouvernements Macron portent une lourde responsabilité.

Deuxièmement, le choix politique assumé de l'amplification des inégalités. Le président Macron voulait plus de millionnaires, engagement tenu. La France est montée sur la troisième marche du podium mondial : cocorico ! La fortune des 500 Français les plus riches est passée de 570 à 1 225 milliards d'euros. L'enrichissement à folle vitesse et l'évitement de l'impôt sont consacrés.

Alors que le coût des dépenses fiscales est passé de 90 à 95 milliards en 2024, les dépenses pour le climat ou les personnes les plus éloignées de l'emploi sont sacrifiées. Et le détournement de la TVA à des fins de compensation appauvrit l'État. Vous aurez décidément tout fait pour nous emmener dans le mur.

Pourtant, il existe un autre chemin budgétaire. Car des recettes, il y en a ! Près de 100 milliards d'euros de dividendes ont été versés en 2024. Faisons contribuer chacun selon ses facultés, conformément à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et investissons dans les services publics -  santé, école, recherche.

Le GEST votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Isabelle Briquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le projet de loi n'est pas un simple texte comptable. Il est l'aveu d'une gestion désastreuse des finances publiques et de l'incapacité du Gouvernement à respecter ses engagements pris devant la représentation nationale.

Le groupe SER votera contre, non par esprit d'opposition systématique, mais pour dénoncer une politique budgétaire erratique, un désarmement fiscal de l'État qui nous conduit dans l'impasse et le refus constant du Gouvernement d'accepter nos propositions. Nous dénonçons aussi des prévisions de recettes trop optimistes et des sous-évaluations de dépenses.

Les chiffres du déficit et de la dette révèlent l'ampleur du dérapage. En 2019, la dette représentait 98 % du PIB : soit plus de quinze points de PIB en cinq ans ! Certes, les crises sanitaire et énergétique expliquent en partie la situation, mais ces chiffres révèlent aussi l'incapacité du Gouvernement à redresser la barre.

Dès la fin de l'année 2023, l'administration fiscale savait que l'impôt sur les sociétés reculait, que la TVA ralentissait, que l'impôt sur le revenu stagnait, mais les ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave n'en dirent rien au Parlement.

Ce n'était pas un accident, mais une stratégie d'inaction, un calcul politique pour éviter un débat sur un projet de loi de finances rectificative et une motion de censure. Qu'a fait le Gouvernement à la place ? Il a annulé 10 milliards d'euros par décret, sans débat. Et toutes nos propositions de recettes nouvelles ont été systématiquement refusées.

Résultat : l'asphyxie des services publics, des transferts de charges vers les collectivités territoriales. Désarmées fiscalement, rendues dépendantes de dotations, ces dernières n'ont plus les moyens d'assurer les services publics qui leur incombent. Des piscines, des bibliothèques ferment. Les départements ne peuvent plus répondre aux besoins des plus fragiles. Les régions ne peuvent plus investir dans la mobilité. Les services publics nationaux souffrent également.

Et que dire de la transition écologique ? La France est en retard. Agriculture durable, transports du quotidien, rénovation thermique, ces chantiers nécessitent des investissements massifs. Or que fait-on ? On annonce des milliards, avant de les reporter. Résultat de ce stop and go : l'illisibilité, pour les collectivités comme pour les entreprises.

Notre groupe refuse cette logique d'austérité qui ne dit pas son nom.

Nous ne nions pas la nécessité de mieux calibrer les politiques publiques, mais refusons de faire du débat budgétaire un exercice arithmétique déconnecté du réel. Analyser les dépenses sans s'interroger sur les recettes, scruter le moindre euro versé aux hôpitaux et aux écoles en ignorant les milliards des niches fiscales, est une erreur.

Le coût des dépenses fiscales s'élève à 160 milliards d'euros par an. Combien de niches sont réellement utiles ? Combien bénéficient aux plus modestes ou à la transition écologique ? Il faut tout remettre à plat. Ne tolérons pas que des milliards échappent au débat parlementaire.

La France est l'un des pays européens où la part des dépenses fiscales rapportée au PIB est la plus élevée. C'est aussi l'un des rares pays à ne pas les assortir d'un objectif ni d'un calendrier d'évaluation.

Le taux de prélèvement effectif sur les revenus du capital est inférieur à celui sur les revenus du travail. C'est une anomalie.

Depuis 2018, avec l'instauration de la flat tax et la suppression de l'ISF, les plus hauts patrimoines ont vu leur contribution se réduire, sans que ces mesures produisent les effets escomptés. L'impact de ces baisses d'impôt a été largement surévalué. Nous avons réduit nos recettes sans obtenir en contrepartie les gains de croissance annoncés.

Dans le même temps, la charge fiscale reste lourde sur les classes moyennes, les jeunes actifs, les plus modestes. Ce n'est pas tenable.

Pourtant, le Gouvernement refuse toujours une contribution pour les plus hauts patrimoines - voyez le refus du Gouvernement de soutenir la taxe Zucman.

Début 2025, les socialistes ont choisi de ne pas censurer le Gouvernement, au nom de la stabilité des institutions et de l'intérêt supérieur du pays. Nous attendions non une récompense, mais un changement de méthode. Notre attitude responsable ne nous oblige toutefois pas à une complaisance aveugle. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Christian Bilhac applaudissent également.)

M. Marc Laménie .  - Comme tous les résultats comptables, ce document est une mine d'or. Ce sont des documents de qualité, très denses -  1 450 pages pour la première partie du PLF 2024 !

Nous le savons, nous pouvons faire dire aux chiffres ce que nous voulons. Par rapport à 2023, le déficit a baissé de 10 %, les dépenses ont diminué et les recettes augmenté. Le montant des recettes fiscales nettes s'élève à 325 milliards d'euros, contre 435 milliards d'euros pour les dépenses nettes. La vérité, c'est que les comptes ont été moins mauvais en 2024 qu'en 2023.

Les hypothèses de départ étaient en décalage avec la réalité, tant pour les recettes que pour les dépenses. Ainsi, le produit de l'impôt sur les sociétés est en décalage de 14,6 milliards d'euros par rapport aux prévisions - c'est plus que le budget de la justice...

Nous cherchons à pressurer nos concitoyens pour en tirer plus d'impôts, espérant rendre notre population plus heureuse, mais nous recevons toujours moins qu'escompté. Pourtant, de bons économistes, comme l'Américain Arthur Laffer et, bien avant lui, le Français Jean-Baptiste Say nous l'avaient dit : trop d'impôt tue l'impôt. Les faits leur donnent raison.

Mais depuis 1981, la plupart des politiques ont préféré lire un autre économiste du XIXe siècle, Karl Marx, qui appelait à s'en prendre au grand méchant capital. Il a eu malheureusement plus de succès en France que Jean-Baptiste Say.

Les dépenses sont aussi en décalage complet avec la loi de finances initiale, supérieures de 9,8 milliards d'euros par rapport aux crédits votés à l'automne 2023. Si l'exécution budgétaire avait été fidèle aux montants votés, nous aurions pu acheter 80 Rafale... Nous devons réduire nos dépenses, non par dogmatisme, mais par nécessité, tout en renforçant les politiques régaliennes.

La conséquence de tout cela, c'est la dette, qui repart à la hausse, à 113 % du PIB en 2024, contre 110 % en 2023.

Nous devons examiner le prochain projet de loi de finances avec sérieux, sans dogmatisme. Des solutions existent pour que les prochains projets de loi d'approbation des comptes soient plus réjouissants à adopter : il faut baisser les dépenses, puis baisser les impôts.

Le groupe Les Indépendants s'abstiendra. (MM. Vincent Capo-Canellas et Christian Bilhac applaudissent.)

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.) En 1830, le baron Louis, partisan d'un redressement des finances publiques françaises, déclarait : « Faites-moi de bonnes politiques, je vous ferai de bonnes finances. »

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Originaire de Toul !

M. Jean-Baptiste Blanc.  - Nous n'avons ni les unes ni les autres.

L'année 2024 confirme le dérapage extraordinaire de nos comptes publics, en raison de la mauvaise gestion d'un Gouvernement qui n'a pas voulu, ou pas su - nous ne saurons jamais - prendre ses responsabilités. Après des erreurs de prévision, il a opéré un léger resserrage de boulons, mais le tout sans méthode et surtout sans le Parlement.

Le Gouvernement n'a pris aucune mesure significative sur les dépenses des administrations de sécurité sociale ni sur celles des collectivités territoriales. De l'attentisme, des mesurettes, aucune projection sur le long terme, aucune réforme de structure. Pour quelle raison ? Nous ne le savons toujours pas. Pourquoi pas de projet de loi de finances rectificative ? Nous ne le savons pas non plus.

Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » a été, une nouvelle fois, sous-budgété. Il mériterait d'être rendu plus sincère via une révision du mode de calcul des aides. Le programme « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » a connu de nombreuses annulations en cours d'année, notamment concernant la rénovation énergétique des logements. Idem pour le programme « Politique de la ville ». L'État s'est progressivement désinvesti, avec un taux d'exécution de seulement 81,9 %. Quelle sera la participation de l'État au nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) ? Ne faisons pas de ces programmes cruciaux des variables d'ajustement.

Madame la ministre, vous souhaitez retrouver une souveraineté durable et changer de méthode. Dont acte. En attendant, comment ne pas voter contre ce projet de loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)

M. Stéphane Fouassin .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Comme chaque année, nous réglons nos comptes : ceux de 2024, mais aussi de 2021, 2022 et 2023. Inlassablement, la même question : les comptes de la France vont-ils mieux ? Chaque année, nous répondons non.

Les chiffres du déficit et de la dette imposent lucidité et détermination. Mais il serait injuste de ne pas souligner l'effort réel de l'exécutif pour contenir les dépenses, dans un contexte économique complexe. Madame la ministre, vous l'avez rappelé devant l'Assemblée nationale : la situation s'est dégradée, mais l'État n'a pas baissé les bras.

Certes, la pente est raide, mais les sentiers escarpés peuvent mener à des sommets qui valent la peine -  c'est un Réunionnais qui vous le dit ! L'objectif d'un déficit à 3 % en 2029 doit rester notre boussole : il y va de notre crédibilité et de notre souveraineté.

Car tout n'est pas négatif : le solde budgétaire s'améliore. Les dépenses environnementales progressent, à 54,6 milliards d'euros, un effort essentiel pour préparer l'avenir. La croissance de 1,1 %, modeste mais réelle, garantit la continuité de nos services publics.

Néanmoins, il serait irresponsable de se contenter de ces avancées. Écoutons la Cour des comptes, sur l'encadrement des reports de crédits ou encore l'apurement des autorisations d'engagement obsolètes.

Ne cédons pas à la tentation d'un rejet de principe de ce texte : ce serait céder à un réflexe politicien, qui affaiblit notre parole budgétaire et compromet notre crédibilité face à nos partenaires et aux marchés.

Ce texte n'est pas un exercice technique, mais politique : celui de la transparence. En l'adoptant, nous ne validons pas une orientation ou une politique, nous reconnaissons simplement la réalité des comptes 2024.

Oui, la situation est préoccupante. Mais nous débattrons des choix et des réformes nécessaires lors du projet de loi de finances.

Montrons que notre démocratie est capable de regarder ses comptes en face. Nous devons rompre avec l'instabilité et l'ambiguïté, tracer une voie claire, responsable et durable. Cela suppose du courage politique. Fidèle à sa ligne, le RDPI votera l'approbation de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Christian Bilhac .  - Madame la ministre, en 2020, vous déclariez que « l'État de demain est un État honnête et transparent sur ses résultats ». Au vu des résultats de l'exercice 2024, l'honnêteté et la transparence m'obligent à vous décerner le bonnet d'âne ! L'exécution du budget 2024 brille par la médiocrité : reports, gels, surgels, coups de rabot, c'est le degré zéro de la gestion budgétaire.

Cela n'a pas suffi à éviter la bérézina. Les dépenses publiques ont augmenté de 63 milliards, plus que les recettes, et plus vite que l'activité économique. À l'inverse, les recettes ont été peu dynamiques et inférieures à la croissance. Résultat : la dette atteint 113 points de PIB. En 2024, la France est le pays européen avec le déficit le plus important.

Côté recettes, les résultats sont mauvais. En 2024, les recettes fiscales continuent d'être très inférieures aux prévisions, comme c'est le cas depuis 2020 ; cet écart atteint 22,8 milliards en 2024.

Les erreurs de prévision nous coûtent cher. Depuis 2023, le Sénat implore le Gouvernement d'améliorer ses méthodes. Votre prédécesseur a installé un comité scientifique. Sur la base de son rapport, vous avez présenté un plan d'action le 4 mars dernier : le Sénat y sera attentif.

Côté dépenses, la loi de finances pour 2024 privilégiait l'inertie et le statu quo, à rebours de ce qu'exige la situation. Elle ne contenait aucune réforme structurelle et manquait d'ambition. Pourtant, les revues de dépenses auraient dû inspirer le Gouvernement.

Ce manque de vision est la conséquence de l'instabilité politique. Pour contenir le déficit, on ressort de la boîte à outils ce bon vieux rabot. Notre action publique mérite mieux que des tableaux Excel.

Je ne voterai donc pas ce texte, comme la majorité des membres du RDSE. La politique de rabot est incompatible avec une stratégie budgétaire pluriannuelle fondée sur la croissance et la justice fiscale.

Le RDSE appelle le Gouvernement à changer de logiciel budgétaire et à prendre de vraies mesures de croissance et de justice sociale. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Vincent Delahaye .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je regrette que nous ne passions pas plus de temps sur la réalité des comptes, alors que nous en passons tant sur le virtuel, lors du budget...

Le Printemps de l'évaluation, sur lequel vous communiquiez tant, a fait long feu. Dommage.

Vous regrettez que nous ne votions pas ces comptes, madame la ministre. Mais comment pourrions-nous le faire ? La Cour des comptes a émis seize réserves, dont cinq fondamentales !

Soyez rassurée : que le Parlement vote contre n'entraîne aucune conséquence. Ce n'est que si la Cour des comptes ne certifiait pas les comptes qu'il se passerait peut-être quelque chose. On verrait alors que ce ne sont pas les élus qui décident, mais l'administration. Je le déplore.

Personne n'est responsable : en 2024, nous avons eu quatre Premiers ministres ! La dégradation est progressive. Quand on compare - ce qui n'est pas aisé, faute d'informations de Bercy sur ce qui relève de l'exceptionnel et de l'ordinaire - on s'aperçoit qu'entre 2019 et 2024, la dépense publique a augmenté de 10 %. Ce n'est pas grand-chose, presque de l'austérité, diront certains ; mais c'est tout de même 45 milliards d'euros ! Pendant ce temps, les recettes ont baissé de 10 %. Résultat, on creuse le trou.

Le déficit s'élève à 155 milliards d'euros. Plus parlant que des points de PIB, cela signifie que 35 % de nos dépenses ne sont pas couvertes par nos recettes. Imaginez un ménage qui gagne 2 000 euros et en dépense 3 000 chaque mois ! Cela ne durerait pas longtemps. Quant aux 3 400 milliards d'euros de dette, c'est plus de dix ans d'impôts - TVA comprise. Ces ordres de grandeur montrent le chemin d'effort à suivre.

En 2024, on s'est complètement trompé sur les recettes. Madame la ministre, j'espère que vous serez encore là lors du prochain budget, et que nous aurons des informations détaillées. Les prévisions de recettes ne doivent pas dépendre de modèles, mais être assumées politiquement.

Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. Stéphane Sautarel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'année 2004 est l'annus horribilis : solde public dégradé de 20 milliards d'euros, déficit à 5,8 %, dette en hausse de 200 milliards, pour atteindre 113 % du PIB.

Les recettes diminuent de 22,5 milliards d'euros. Si les dépenses ont été freinées de 7 milliards d'euros par rapport aux prévisions, cela tient à de la fin du bouclier tarifaire sur l'énergie - c'est donc conjoncturel.

L'État a émis pour 285 milliards d'euros de dette. La trajectoire de la charge de la dette est explosive. Nous atteindrons les 100 milliards de remboursements d'intérêts de la dette en 2028 - si son coût n'augmente pas d'ici là. C'est vertigineux. En 2028, notre pays brûlera un tiers de ce qu'il prélève sur les Français pour rembourser les intérêts de sa dette !

L'État dit vouloir trouver 40 milliards d'euros d'économies - ce qui semble déjà insurmontable à certains. Or pour financer notre dette, il nous faudra trouver 40 milliards d'euros en sus, soit 80 milliards d'euros - et sans doute plus pour financer l'effort de défense. Cela n'a rien d'impossible. Le total de la dépense publique en 2024 s'élevait à 1 670 milliards ; en 2026, en tendanciel, à 1 750 milliards. La différence est de 80. En 2019, nous étions à 1 350 milliards : la France dépense 300 milliards d'euros de plus, tout cela à crédit.

Notre pays souffre de l'addiction à la dépense publique. Excès d'endettement, niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé de l'OCDE, temps de travail le plus faible au monde ou presque : voilà les racines du mal.

Comme en 1958, nous devons faire preuve de courage pour engager un véritable sursaut. Commençons par une année blanche, qui s'applique à tous sans exception. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

M. Jean Pierre Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.) La qualité de la reddition des comptes publics est un problème trop souvent éludé. Notre responsabilité de parlementaires est d'exiger la production de comptes réguliers et sincères, respectueux des normes fondamentales de la comptabilité publique. Or ce n'est pas le cas. La Cour des comptes a exprimé des réserves en relevant cinq anomalies significatives et onze postes pour lesquels elle dit manquer d'éléments probants suffisants pour pouvoir se prononcer. Ces réserves ne sont pas des détails : dans le secteur privé, de telles incertitudes conduiraient à un refus de certification, avec de graves conséquences.

L'État, année après année, présente des comptes qui ne répondent pas aux standards qu'il impose aux autres acteurs économiques.

L'article 47-2, alinéa 2 de la Constitution n'est pas respecté. L'approbation des comptes suppose qu'ils soient fiables. Or comment les approuver avec des réserves aussi lourdes ?

Un exemple : les engagements de retraite des agents de l'État atteignent 1 641 milliards d'euros au 31 décembre 2024, or cette dette n'apparaît que dans les annexes. Une forme de dissimulation que nous ne pouvons plus accepter. Dans le privé, de tels engagements doivent être provisionnés et intégrés au passif.

Cessons de présenter des comptes déconnectés et de masquer les véritables déséquilibres. En donnant une image plus sincère, nous soulignerions l'urgence de réformes structurelles. L'État pourrait s'appuyer sur deux colloques qui se sont tenus au Sénat - l'un en février 2024, présidé par Jean Arthuis, intitulé « Reddition de comptes publics et Démocratie », l'autre en juin, sur la certification des comptes des collectivités locales.

Un État doit pouvoir agir sur ses dysfonctionnements par une bonne régulation de son système comptable. Cela réduirait les coûts cachés et réduirait son déficit par une meilleure maîtrise des finances publiques. Le Gouvernement et la représentation nationale doivent s'interroger sur la nécessité d'avoir des comptes réguliers et sincères. Climat, numérique, géopolitique : autant de transitions puissantes dans un contexte de surendettement chronique.

Conformément à la Lolf, l'État doit présenter des comptes consolidés, avec l'agrégation des comptes de la sécurité sociale.

Le vote sur le compte général de l'État est un acte de responsabilité démocratique : je voterai contre, non par posture, mais par rigueur et exigence. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Je regrette vivement que ces comptes ne soient pas approuvés. Approuver les comptes, c'est non pas approuver une politique, mais considérer qu'ils sont sincères. On pourrait croire que vous pensez que cette photographie de la réalité qui vous est présentée n'est pas sincère. (M. Vincent Delahaye s'exclame.)

Le Gouvernement agit pour redresser la trajectoire, dans un objectif de souveraineté. Car si nous ne maîtrisons pas notre dette, nous paierons, en 2029, 100 milliards d'euros d'intérêts à nos créanciers.

Monsieur le rapporteur général, vous voudriez que nous travaillions avec le Parlement. Vous l'avez dit, nous devons mieux prévoir. C'est pourquoi nous travaillons avec un cercle de prévisionnistes depuis mars dernier, pour éviter tout soupçon sur les prévisions.

Les reports ont été divisés par deux, début 2025 - nous avons mis un peu d'ordre. Je m'engage à faire aussi bien l'an prochain.

Dépense particulièrement dynamique, la masse salariale a augmenté de 6,7 %, du fait des recrutements et des mesures catégorielles. Je vous communique un chiffre qui n'a pas été divulgué jusqu'à présent : en 2025, nous réduirons la croissance de la masse salariale à 1,5 % au maximum, ce qui correspond au seul glissement vieillesse technicité (GVT). Les mesures catégorielles seront financées par des réductions d'effectifs. Il s'agit de limiter les dépenses à ce qui est finançable. Avec 0,7 % de croissance et 0,7 % d'inflation, nous maintenons la masse salariale à cet étiage.

Monsieur Savoldelli, vous avez fait un bilan de notre action depuis sept ans. J'en ai un autre à vous proposer.

M. Pascal Savoldelli.  - Il y a combien de bilans ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Baisse du chômage, taux d'emploi record, un million d'apprentis, reste à charge zéro sur les lunettes et prothèses...

M. Pascal Savoldelli.  - Ce n'est pas sérieux !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Le niveau de prélèvements obligatoires est de 42,8 % ; les recettes publiques représentent 53,1 % de notre PIB. Quiconque de sérieux, qui voit la baisse du consentement à l'impôt, ne peut penser raisonnable d'augmenter nos recettes publiques au-delà de 51,3 %. Les recettes publiques, ce sont les prélèvements obligatoires, plus toutes les redevances.

M. Pascal Savoldelli.  - Incroyable ! On n'est pas à l'école !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Vous avez évoqué la taxe Zucman, en disant que nous refusions une taxe de 2 % sur les revenus des milliardaires. Or il s'agit d'une taxe de 2 % sur leur patrimoine : ce n'est pas la même chose. (Protestations à gauche)

M. Pascal Savoldelli.  - J'ai parlé des revenus économiques !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Il y a le flux - le revenu - et le patrimoine. Il faut être clair.

M. Jean-Luc Fichet.  - Et alors ?

M. Bernard Jomier.  - Donc vous acceptez de taxer le patrimoine ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Madame Briquet, je suis d'accord avec vous : le travail mené par les parlementaires sur les niches fiscales est essentiel. Nous recevrons chaque groupe parlementaire avant le 11 juillet. Nous sommes à votre écoute.

Merci, monsieur Vogel, pour votre travail sur la reddition des comptes ; monsieur Delahaye, l'inquiétude n'est pas justifiée. La Cour des comptes a effectivement souligné cinq sujets sur lesquels notre manière de rapporter les comptes ne correspond pas à ses attentes. J'ai demandé à mes services d'en faire une priorité. Mais je n'ai pas la main sur le sujet, pas plus que la DGFiP ; ce travail relève du Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP). Le CNOCP, la Cour et les administrations doivent travailler ensemble de bonne foi pour résoudre ce différend. La Cour des comptes ne dit pas qu'il y aurait maquillage ou insincérité : le désaccord porte sur la forme.

En revanche, je suis très inquiète de ce qu'indique la non-certification des comptes de la branche famille, à savoir des milliards d'indus, de retards, de difficultés.

Là, c'est bien un sujet de fond - auquel nous nous attelons, avec le préremplissage des déclarations mensuelles.

Discussion des articles

Article liminaire

M. Vincent Delahaye .  - Parler d'article d'équilibre est un peu fort, puisqu'il s'agit d'un déséquilibre...

Madame la ministre, je me réjouis que des instructions aient été données à Bercy, car depuis des années, rien ne change.

Certifier des comptes, c'est juger leur sincérité, mais aussi leur exactitude et la réalité économique derrière les chiffres.

Un exemple : en 2024, l'aide médicale de l'État (AME) a représenté 1,280 milliard d'euros de dépense, mais les comptes retracent 1,120 milliard d'euros - soit 160 millions d'écart, de dette vis-à-vis de la sécurité sociale. La réalité des dépenses n'est pas reflétée dans les comptes. Il faut se rapprocher de l'exactitude avant de pouvoir voter ces comptes.

M. Christian Bilhac .  - Madame la ministre, vous nous expliquez que ce vote serait un exercice technique, et non un jugement sur l'exécution budgétaire. J'ai fait moins d'études que vous, mais j'ai appris que la loi de règlement était le corollaire de l'autorisation budgétaire accordée à l'exécutif par les représentants du peuple pour les dépenses et les recettes : on vérifie si l'exécutif a respecté les volontés du peuple. Or ni les recettes ni les dépenses prévues au projet de loi de finances ne sont respectées. Comment voulez-vous que l'on vote pour ?

M. Pascal Savoldelli .  - Je réagis au ton employé par la ministre pour nous répondre. Je n'ai pas parlé du revenu fiscal mais du revenu économique, du revenu du patrimoine des plus riches. Que vous soyez contre la taxe Zucman, soit - c'est un choix économique, politique.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - On en reparlera !

M. Pascal Savoldelli.  - Vous n'acceptez jamais qu'on dise autre chose que ce que vous voulez entendre !

Sur les prélèvements obligatoires, il faut argumenter, pas seulement asséner. Les remboursements et dégrèvements ont augmenté de 70 %, contre 27,5 % pour les recettes fiscales brutes. C'est factuel. Les restitutions atteignent 30,4 % des rentrées fiscales.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - C'est vrai.

M. Pascal Savoldelli.  - Le taux réel est de 42,8 %, non de 45,6 %.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Je suis d'accord.

M. Pascal Savoldelli.  - On peut être en désaccord, mais avoir un dialogue sérieux. Répondez-nous de manière plus politique et moins professorale !

Mme la présidente.  - Amendement n°4 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.

M. Pierre Barros.  - Cet amendement supprime l'article liminaire qui fixe le solde public pour 2024 à moins 5,8 % du PIB, alors que la loi de finances initiale anticipait un déficit de 4,4 %.

Les 10 milliards d'euros d'annulation de crédit, présentés comme un ajustement, étaient actés avant même le dépôt du projet de loi de finances, ce qui interroge la sincérité des prévisions transmises au Parlement. Dès février, nous alertions sur leur caractère irréaliste, mais le Gouvernement d'alors les a sciemment maintenues pour rassurer Bruxelles. De tels ajustements en gestion auraient, à eux seuls, justifié une loi de finances rectificative. Il ne s'agissait plus d'un dérapage, mais d'un processus budgétaire qui s'affranchissait du cadre démocratique.

Ce déficit, celui d'un exercice solitaire, est le produit d'un aveuglement fiscal et d'une impasse politique.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Supprimer un article d'un texte que nous allons rejeter n'a pas de sens. Demande de retrait, pour une question de cohérence. D'autant que c'est l'article 37 de la Lolf qui impose cet article liminaire.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - En effet, c'est une obligation constitutionnelle. Je souscris aux arguments du rapporteur général.

Monsieur Savoldelli, si j'ai eu un ton professoral, je m'en excuse. Et je serai ravie de discuter du fond avec vous.

L'amendement n°4 est retiré.

L'article liminaire n'est pas adopté.

Article 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°5 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.

M. Pascal Savoldelli.  - Pourquoi ces amendements ? Parce que nous ne rejetons pas le texte pour les mêmes raisons que vous. Il faut bien avoir le débat !

Ici, nous demandons la suppression des tableaux d'exécution budgétaire - bref, des soldes et ratios de la dette. Il y a une subvention permanente au capital au nom de la rentabilité, une sorte d'assistanat ultralibéral, mais qui reste dans l'entre-soi, sans ruissellement ni redistribution. Alors que nous sommes saturés de dette, le capital demande que l'État subventionne tout - l'investissement, l'innovation, l'emploi. Soit 200 milliards d'euros d'aides publiques aux entreprises chaque année. La commission d'enquête conduite par Olivier Rietmann et Fabien Gay en tirera des conclusions.

Voilà nos raisons pour voter contre l'approbation des comptes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°5 n'est pas adopté.

L'article 1er n'est pas adopté, non plus que les articles 2, 3, 4, 5 et 6.

Article 7

Mme la présidente.  - Amendement n°1 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.

M. Pascal Savoldelli.  - On nous demande de revenir sur les lois de règlement pour les exercices 2021, 2022, 2023, rejetées par le Parlement. Une démocratie normale en aurait tiré des conclusions ; au lieu de quoi, on continue. Einstein disait : « La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent ». (Mme Amélie de Montchalin sourit.) Cela vous convient ? C'est assez respectueux, avec une pointe d'insolence. Et réaliste.

L'année 2021, c'était l'assèchement de l'autonomie financière des collectivités territoriales avec la suppression totale de la taxe d'habitation et la fin de la CVAE qui a délié les territoires de la réalité économique.

Merci d'avoir écouté le groupe communiste.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Un de vos prédécesseurs, madame la ministre, s'étonnait, comme vous, que nous rejetions le projet de loi d'approbation, qu'il considérait comme l'équivalent d'un compte administratif.

Mais vous comprenez, au regard de nos propos, qu'il faut avoir un cap et le tenir. J'espère que 2025 amorcera un redressement rigoureux et que ces comptes finiront par être approuvés à nouveau.

Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Il s'agissait de dire que ces comptes n'étaient pas insincères.

Einstein a aussi dit : « Seule une vie vécue pour les autres est une vie qui en vaut la peine ». Nous serons d'accord pour dire que c'est au service des Français que nous devons agir.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Ça, on est bien d'accord !

M. Pascal Savoldelli.  - Vous pouvez mieux faire - mais pas forcément redoubler ! (Sourires)

M. Vincent Delahaye.  - Nous demander de revenir sur les votes antérieurs au cours de l'approbation des comptes 2024, je n'ai jamais vu ça nulle part. En l'espèce, je ne suis pas le raisonnement du rapporteur général : supprimer cet article ne changerait rien à notre jugement sur les comptes 2024, aussi je voterai l'amendement.

Mme Isabelle Briquet.  - Nous voterons cet amendement. Trois, bientôt quatre comptes de résultat n'ont pas été validés : certaines questions se posent !

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article 7 n'est pas adopté.

Article 8

Mme la présidente.  - Amendement n°2 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.

M. Pascal Savoldelli.  - Défendu.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 8 n'est pas adopté.

Article 9

Mme la présidente.  - Amendement n°3 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.

M. Pascal Savoldelli.  - Défendu.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

L'article 9 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Si le dernier article de ce projet de loi n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble. Selon le règlement du Sénat, le scrutin public est de droit, aussi l'article 10 sera mis aux voix par scrutin public. C'est le moment d'expliquer votre vote sur l'ensemble.

M. Pierre Barros .  - Le Gouvernement, droit dans ses bottes, estime avoir toujours raison ; ce sont la Cour des comptes, le Parlement, les collectivités, les corps intermédiaires qui se trompent.

Votre obstination désorganise les finances publiques, fragilise l'administration et contribue au contournement démocratique.

Vous dites tenir les dépenses ? Elles reculent, mais en raison des annulations décidées par décret dès février, hors du cadre parlementaire.

La dégradation des finances publiques est d'abord la conséquence de vos choix fiscaux depuis 2017 : suppression de l'ISF, prélèvement forfaitaire unique, suppression progressive de la CVAE, allégements massifs de cotisation. Soit 310 milliards d'euros de pertes de recettes cumulées. Mais moins d'impôts ne signifie pas plus d'investissements, de croissance et de recettes : en 2024, les recettes de l'État n'ont progressé que de 3,1 milliards d'euros - 23 milliards de moins que les prévisions. La richesse produite ne bénéficie plus aux finances publiques.

Vous reportez la dégradation des recettes sur le bloc communal en annonçant un effort de redressement de 2,2 milliards d'euros cette année. En réalité, il sera de 8 milliards, entre le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), le Ségur de la santé, la hausse des cotisations CNRACL et du point d'indice, etc.

Le « dérapage » des collectivités brandi à l'hiver dernier comme un péril imminent de 17 milliards d'euros est ramené à moins de 9 milliards ; l'alerte était donc exagérée. Nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Jean Pierre Vogel .  - Le rapport de la Cour des comptes définit une anomalie significative comme « un écart entre le montant, le classement ou la présentation d'un élément dans les comptes audités ou les informations qui y sont fournies à son sujet ; et le montant, le classement, la présentation ou les informations exigés pour cet élément selon les normes comptables applicables. »

Des normes comptables précises existent donc. Inutile de faire travailler tout le monde sur leur redéfinition, il suffit d'appliquer les normes existantes.

L'article 10 est mis aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°331 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 321
Pour l'adoption   20
Contre 301

L'article 10 n'est pas adopté.

En conséquence, le projet de loi est définitivement rejeté.

Approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2024 (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2024.

Discussion générale

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics .  - Depuis la loi organique du 14 mars 2022, vous examinez un projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss), en parallèle avec l'approbation de ceux de l'État, dans une exigence de transparence des comptes sociaux et de renforcement du pouvoir de contrôle du Parlement.

Nous devons tirer les leçons de cet exercice : à ce jour, aucun Placss n'a été adopté depuis 2022 et celui qui vous est présenté aujourd'hui a été rejeté par l'Assemblée nationale.

Il a pourtant une vertu, celle de donner en toute sincérité et transparence une vision complète des dépenses et des recettes des régimes obligatoires, alors que leur déficit atteint les 15,3 milliards d'euros.

C'est à la fois mieux que ce qui avait été craint en fin d'année - 18 milliards d'euros -, mais c'est beaucoup plus que ce qui avait été voté en décembre 2023, 10 milliards d'euros.

Pourquoi ? L'Ondam a dérapé de 1,5 milliard d'euros et les recettes ont été beaucoup moins dynamiques que prévu à cause de la baisse de l'inflation en 2024 - alors même que les revalorisations dues à l'inflation constatée l'année précédente étaient mises en oeuvre, dans une forme d'effet ciseau.

En 2024, les recettes ont progressé de 4,6 % et les dépenses de 5,3 %, d'où un déficit bien plus important que prévu.

L'amélioration des comptes en 2022 et 2023 était pourtant réelle, liée à la sortie de la crise sanitaire.

Mais nous sommes confrontés depuis à des difficultés structurelles. Ainsi les indemnités journalières ont fortement augmenté - plus 7 % cette année -, une hausse soulignée par le comité d'alerte de l'Ondam la semaine dernière. Les arrêts maladie des moins de 30 ans ont même augmenté de 40 % - sans que l'on sache quelle épidémie frappe ainsi notre jeunesse...

Catherine Vautrin et moi viendrons cette semaine présenter à votre commission la réalité des alertes, les décisions à venir et la façon dont nous voulons travailler dans l'intérêt des Français, pour préserver l'acquis républicain, démocratique, constitutif de notre identité qu'est le fait de disposer d'une sécurité sociale universelle bien financée.

Les comptes 2024 sont un révélateur. On observe un déficit structurel croissant, à un demi-point de PIB, malgré des recettes qui demeurent dynamiques. Il faut s'interroger sur la durabilité de notre système. Nous faisons face à une situation qui appelle détermination, responsabilité et esprit de justice.

La non-certification de la branche famille constitue un enjeu important ; nous ne pouvons pas nous satisfaire des 6,3 milliards d'euros de « risques résiduels » - même si à cette échelle, le mot semble mal choisi... Ce sont des indus à recouvrer, des rappels. La Cnaf y travaille : au premier mars 2025, les demandes de RSA et de prime d'activité seront préremplies ; ce mouvement se poursuivra pour d'autres allocations, afin d'assurer la qualité et la fiabilité des données, lutter contre la fraude et limiter le non-recours.

Nous devons lutter contre un risque sérieux de dérapage, mais aussi d'incompréhension des Français. Nous devons identifier ce qui est lié à la croissance économique, à l'organisation du système, aux potentiels gaspillages et aux dépenses essentielles à préserver. Les Français voient d'un côté des déserts médicaux et de l'autre des gaspillages ; ils ressentent une insatisfaction devant le niveau des prestations, mais voient apparaître des droits nouveaux...

Nous avons commencé à anticiper les dérapages, par le biais d'une réserve de précaution. Mais cela ne suffit pas : des mesures de freinage seront mises en oeuvre sans délai, en nous appuyant sur les solutions proposées par les caisses nationales. Nous vous les présenterons ce mercredi avec Catherine Vautrin et Yannick Neuder.

L'enjeu, ce n'est pas seulement le court terme, c'est de retrouver une sécurité sociale à l'équilibre, comme en 2019. Pour le vieillissement, la santé, la prévention des accidents du travail, nous devons retrouver la confiance des Français, sans quoi l'existence même de la sécurité sociale pourrait ne plus être soutenable pour les finances publiques, ce qui serait regrettable. Je crois à notre capacité collective à y travailler. (Mme Élisabeth Doineau applaudit.)

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins .  - En application de la loi organique du 14 mars 2022, le Gouvernement a donc l'obligation de présenter un Placss - l'équivalent de la loi de règlement pour les finances de l'État - qui renforce l'information du Parlement, donc de l'ensemble des Français.

Ministre de la santé et ancien rapporteur général du budget de la sécurité sociale, je connais bien ces sujets et je salue la rigueur des travaux des sénateurs.

Dans un moment où chaque euro public doit être justifié, où la confiance dans nos institutions est scrutée de toutes parts, refuser la transparence serait un renoncement.

L'année 2024 a été marquée par un effet retard de l'inflation : les recettes cessaient d'être gonflées, mais les dépenses demeuraient élevées en raison des revalorisations de prestations. Le ralentissement salutaire de l'inflation n'a donc pas favorisé le rétablissement des comptes sociaux.

Après trois années de baisse continue entre 2021 et 2023, le déficit de la sécurité sociale est reparti à la hausse en 2024, pour atteindre 15,3 milliards d'euros, soit 0,5 point de PIB, le budget de la sécurité sociale représentant 26,6 % de ce dernier.

Cette dégradation, que le Gouvernement avait anticipée, est inférieure à la prévision de 18,2 milliards d'euros inscrite dans la partie rectificative de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025, grâce à des dépenses mieux maîtrisées.

Le déficit pourrait atteindre 21,9 milliards d'euros si nous restons inactifs, selon la commission des comptes de la sécurité sociale.

Qui pourrait raisonnablement penser que nous pourrions éternellement financer notre modèle social par la dette ?

La dynamique de la dépense est très forte pour les branches maladie et autonomie, forte pour la branche vieillesse, faible pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), qui reste excédentaire.

La branche autonomie progresse fortement, de 6,2 %, quand la branche famille, excédentaire, souffre de la baisse de la natalité.

Les dépenses dans le champ de l'Ondam ont progressé pour atteindre 256,4 milliards d'euros, soit plus de 56,4 milliards d'euros de plus qu'en 2019.

L'essentiel du déficit de la sécurité sociale est donc imputable à la branche maladie, avec 13,8 milliards d'euros sur les 15,3 milliards d'euros de l'ensemble. Ces chiffres nous interpellent. La santé n'a pas de prix, mais elle a un coût...

Mardi 17 juin, le comité d'alerte sur l'Ondam a émis une alerte sur le dépassement prévisible de 1,3 milliard, par rapport à l'objectif voté par le Parlement - une première depuis 2017.

Ce signal, inédit, n'est pas une surprise. Il reflète une tension devenue structurelle. Le comité avait déjà émis une alerte en avril pour l'hôpital et les soins de ville. Le Gouvernement a mis en réserve 1,1 milliard d'euros - un effort sans précédent. Il prend acte de l'avis du comité d'alerte et l'examinera avec méthode et sérieux avec les parlementaires, les caisses et les complémentaires santé.

S'agissant de la dette sociale, le premier président de la Cour a évoqué un risque de liquidité pour l'Urssaf. Les souplesses de gestion ne suffisent plus. Ce signal d'alerte ne peut plus être ignoré. C'est le symptôme d'un modèle à bout de souffle, qu'il faut refonder.

La soutenabilité du financement de notre modèle de soins est la condition de sa pérennité.

Nous devons donc réformer, mais jamais au détriment de la qualité des soins ou des professionnels.

Il n'est pas question de remettre en cause notre sécurité sociale, mais de repenser notre politique de santé.

Prendre soin des Français, c'est aussi prendre soin des finances de notre système de santé. Nous fêterons les 80 ans de notre modèle social en octobre. Pour que d'autres puissent fêter, pourquoi pas, ses 100 ans, nous devons agir. C'est tout le sens de la politique de santé que je vous propose.

C'est dans cette perspective que s'inscrit mon engagement pour l'accès aux soins, via le Pacte de lutte contre les déserts médicaux, qui veut garantir une présence médicale effective dans chaque territoire, y compris les plus reculés. Chaque Français doit pouvoir consulter un professionnel dans des délais raisonnables.

Repenser notre politique de santé suppose d'amplifier le virage préventif, en mobilisant les professionnels de santé, les entreprises, les collectivités, les complémentaires, les acteurs de l'innovation. La santé ne se joue pas uniquement dans les cabinets médicaux. Elle commence dans les écoles, les entreprises, notre alimentation, notre environnement. Cette approche globale - One Health - est essentielle.

La prévention ne doit pas être un slogan, elle doit devenir une exigence. Le meilleur des soins est celui qui n'est pas prodigué ; mieux, celui qui est anticipé.

Il faut changer de paradigme, mieux anticiper les besoins de nos aînés, préparer les générations futures, investir dans l'innovation et faire de la prévention un réflexe collectif. Telle est notre ambition. (Mme Pascale Gruny applaudit.)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales .  - Après 10,8 milliards d'euros en 2023, le déficit est donc reparti à la hausse, à 15,3 milliards, notamment à cause des revalorisations de prestations dues à l'inflation de 2023, mais aussi - comme d'habitude - au dérapage de l'Ondam. Nous en reparlerons cette semaine : le comité d'alerte estime qu'il existe un risque sérieux de dérapage de 1,3 milliard d'euros.

Même en retenant les hypothèses de croissance du Gouvernement, en l'absence de mesures nouvelles, le déficit atteindrait 24,8 milliards d'euros en 2029 !

L'Acoss indique que le besoin de trésorerie anticipé en 2025 la fait entrer en zone de risque. La situation pourrait devenir critique en 2027, année où le besoin de trésorerie pourrait dépasser 100 milliards d'euros.

La commission des affaires sociales a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter le texte, pour tirer les conséquences de la non-certification des comptes de la branche famille pour la troisième année consécutive par la Cour des comptes, malgré la mise en oeuvre du plan d'action Qualité transverse.

Avec les Placss, le législateur organique a prévu un rendez-vous annuel qui est l'occasion de s'intéresser à l'efficacité des politiques menées, avec un chaînage vertueux entre Placss et PLFSS.

C'est pourquoi la loi organique prévoit que le rapport de la Cour des comptes sur l'application de la LFSS soit déposé dès le printemps.

Je me fais la porte-parole de mes collègues rapporteurs des branches. Dans l'esprit du législateur organique, ce type de texte sert à avoir ce type de débats.

Pour la branche maladie, Corinne Imbert s'est intéressée à la réforme du financement des établissements de santé par la LFSS pour 2024, pour un meilleur équilibre entre tarification, objectifs de santé publique et missions spécifiques sous la forme de dotations.

Cette réforme, pertinente dans son principe et attendue par les acteurs, a été cosmétique et insuffisamment préparée. Elle n'a eu aucun impact concret pour les établissements, faute de déclinaison opérationnelle. Les réformes de tarification de soins critiques et non programmés semblent à l'arrêt.

Corinne Imbert préconise d'adopter un calendrier réaliste, de transmettre les études d'impact et simulations aux acteurs hospitaliers, de prévoir des modalités d'évaluation et de révision des paramètres.

Pour la branche AT-MP, Marie-Pierre Richer s'est intéressée aux freins à la prévention que constituent les modalités de tarification dérogatoire des secteurs du bâtiment et du médico-social. Elle appelle à mettre en oeuvre un fléchage spécifique du fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu) et à partager le coût des sinistres professionnels entre donneurs d'ordre et sous-traitants, notamment.

Pour la branche vieillesse, Pascale Gruny s'est intéressée aux inégalités de pensions entre femmes et hommes retraités. Bien que l'écart se réduise, en 2021 le montant de la pension de droit direct des femmes était inférieur de 37 % à celui des hommes.

Pascale Gruny préconise de compenser les pertes de trimestre et de salaire liées aux interruptions de carrière pour l'éducation des enfants, et de mieux prendre en compte le temps partiel et les trimestres de majoration dans le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue.

Pour la branche famille, Olivier Henno s'est intéressé aux fraudes aux prestations. Sur 4,2 milliards d'euros estimés, seuls 400 millions d'euros ont été détectés et 300 millions effectivement recouvrés. Nous pouvons faire mieux. Olivier Henno recommande l'harmonisation des pratiques territoriales en matière d'indus frauduleux, la professionnalisation des acteurs, l'accélération de la modernisation informatique, la révision des seuils de mise en recouvrement et d'admission en non-valeurs, et l'extension de la solidarité à la source.

Pour la branche autonomie, Chantal Deseyne a étudié le recours à l'avance sur l'allocation journalière du proche aidant (AJPA) et au congé de proche aidant (CPA). Seuls 6 % des 350 000 personnes pouvant prétendre à la première y ont recours, et nous manquons de données sur le second. Chantal Deseyne préconise de mieux communiquer sur cette prestation et de renforcer l'harmonisation des pratiques territoriales et la professionnalisation des acteurs.

Peut-être les comptes 2025 de la branche famille seront-ils certifiés par la Cour des comptes ; en ce cas, le Sénat pourrait reconsidérer sa position. En attendant, madame la ministre, peut-être pourrez-vous apporter une réponse à ces différents points.

Tout à l'heure, en visitant l'exposition Fernand Léger du musée du Luxembourg, j'ai lu que les « nouveaux réalistes » considéraient le monde comme un tableau. J'ai tout de suite pensé aux tableaux d'équilibre de la sécurité sociale, bien sûr ! (Sourires) Soyons les « nouveaux réalistes » des comptes sociaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains, INDEP et du RDSE)

M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis de la commission des finances .  - Nous examinons le troisième projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale depuis 2022. Comme l'année dernière, la commission des finances, saisie pour avis, est opposée à son adoption.

La situation de la sécurité sociale ne cesse de s'aggraver, alors que la crise sanitaire et la crise inflationniste ont cessé de produire leurs effets. Les branches maladie, pour 13,2 milliards d'euros, et vieillesse, pour 5,6 milliards d'euros, sont les principales responsables du déficit, qui s'est aggravé de 30 % par rapport à 2023. L'état des comptes devrait malheureusement continuer à se dégrader, avec un déficit prévu à 24 milliards d'euros en 2028. Madame la rapporteure générale, les « nouveaux réalistes » devront agir ! (Mme Élisabeth Doineau sourit.)

Avec des dépenses en hausse de 33 milliards d'euros par rapport à l'année précédente, nous sommes très loin de l'austérité... (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.)

Les recettes sont inférieures de 3,9 milliards d'euros aux prévisions du Gouvernement. Les recettes de TVA ont été surestimées de 2,4 milliards d'euros. Une telle erreur n'est pas acceptable et nous interpelle quant à la fiabilité des prévisions.

Les dépenses sont en hausse de 5,3 % par rapport à 2023. Nous sommes loin de la rigueur, d'autant plus que la masse salariale de l'État a augmenté de 6,4 % en 2024.

L'Ondam a atteint 256,4 milliards d'euros, une hausse de 27,3 % depuis 2019 liée, dans une large mesure, au Ségur de la santé et à la rémunération des personnels médicaux, qui a entraîné 13,4 milliards d'euros de dépenses chaque année depuis 2020 - non financés.

L'autre grand responsable est la branche vieillesse, dont le déficit devrait être de 6,2 milliards d'euros en 2025 et de 8,9 milliards en 2028. La revalorisation de 5,3 % des pensions de retraite explique largement la hausse des déficits en 2024.

Le déficit de la CNRACL passerait de 3 milliards d'euros à 2,2 milliards en 2025, grâce à la hausse des cotisations employeur d'un point en 2024 et de trois points par an entre 2025 et 2028. Attention au mécanisme de compensation démographique sur les comptes de la CNRACL, qui l'a conduite à verser encore 456 millions d'euros en 2024 : depuis 1974, elle a contribué à hauteur de 100 milliards d'euros constants ! Madame la ministre, il faut revoir cette règle.

La dette sociale s'élève à 157,1 milliards d'euros en 2024 et pourrait atteindre 202 milliards en 2028. Elle est encore portée en majeure partie par la Cades, mais aucun transfert à cette caisse n'est possible à partir de 2025 sans une nouvelle loi organique. Elle reposera alors sur l'Acoss, qui ne dispose pas des mêmes facilités d'endettement que la première. Il est urgent de baisser les déficits pour éviter de gonfler la dette.

Enfin, la fiabilité des comptes de la sécurité sociale est sujette à caution, la Cour des comptes ayant refusé de certifier les comptes de la branche famille et de la Cnaf trois ans de suite. Dans ces conditions, la commission des finances recommande le rejet de ces comptes. (M. Marc Laménie applaudit.)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - La situation est « alarmante », selon le Gouvernement ; la Cour des comptes estime que le financement de la sécurité sociale n'est plus assuré à terme sans action rigoureuse. Certes, mais qui est responsable, sinon ce Gouvernement qui s'alarme des effets de sa propre politique ?

Depuis la création des PLFSS, cette dramatisation sert à justifier les coupes - c'était déjà le cas en 1995 avec le plan Juppé.

On ne peut toutefois se satisfaire d'un déficit. Comment s'explique-t-il ? Par une hausse des dépenses de 1,1 milliard d'euros, certes, mais surtout par une baisse de recettes de 3,7 milliards d'euros ! Les recettes de TVA sont inférieures de 2,2 milliards par rapport aux prévisions. C'est contradictoire avec le discours du Gouvernement, pour qui la seule alternative à la désindexation des prestations ou à la baisse de la prise en charge des affections de longue durée est la TVA dite « sociale ».

La « TVA sociale » est l'impôt le plus inégalitaire, puisqu'elle est payée de la même façon par une aide-soignante ou par Bernard Arnault. Elle diminue encore le pouvoir d'achat des salariés qui se lèvent tôt et qui n'en peuvent plus de se serrer la ceinture.

Au demeurant, cette vieille marotte du Medef et de la droite existe déjà : les exonérations du CICE ont été remplacées par des compensations définitives et 50 milliards d'euros de TVA compensent plus de la moitié des 80 milliards d'euros d'exonérations.

Or 5,5 milliards d'exonérations et 3,3 milliards d'exemptions de cotisation des primes ne sont pas compensés à la sécurité sociale : plus de la moitié du déficit serait résorbée si l'État respectait la loi Veil. Les gouvernements successifs ont asséché les recettes. Les coupables sont ceux qui alertent aujourd'hui...

Le redressement des comptes passe par une baisse de l'exonération des cotisations et par une hausse de l'imposition des revenus financiers, mais la droite sénatoriale a refusé la taxe Zucman. Par cohérence avec notre position sur le PLFSS, nous voterons contre ce texte.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, pourquoi avoir adopté l'année dernière une motion de rejet, au motif que les comptes de la branche famille n'avaient pas été certifiés, et pas cette année ?

En octobre, la sécurité sociale d'Ambroise Croizat et Georges Buisson aura 80 ans. Au prochain PLFSS, le Gouvernement prononcera-t-il son oraison funèbre, ou fêterons-nous ensemble son anniversaire ?

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La situation serait hors contrôle ? Voyons cela - en commençant, pour changer, par les recettes.

Selon la Cour des comptes, la différence de 5 milliards entre le PLFSS et le Placss provient pour 77 % de moindres recettes de TVA. Car la « TVA sociale » existe déjà : elle est supposée compenser les exonérations, qui ont quadruplé depuis 2019 et sont passées de 1 à 8 % des recettes des comptes sociaux. Or la compensation est insuffisante. Oubliée, la loi Veil : la sécurité sociale souffre d'un manque à gagner de 5,5 milliards. Depuis 2019, les sous-compensations cumulées s'élèvent à 18 milliards d'euros. Idem pour la non-compensation des heures supplémentaires, qui coûte chaque année 2 milliards à la branche retraite, dont le déficit s'explique à 84 % par ces non-compensations.

Depuis 2019, les exemptions nettes d'assiette explosent : plus 8 milliards, alors que le déficit de la sécurité sociale augmentait lui de 6 milliards seulement.

Face aux dépenses dynamiques de plusieurs branches, en raison du vieillissement et des mesures nouvelles observables aussi chez nos voisins, on n'a pas créé de nouvelles recettes, mais organisé leur attrition : c'est la politique des caisses vides.

Agir sur les dépenses et leur efficacité est légitime : lutter contre les rentes de situation, les exigences de profitabilité des opérateurs financiarisés et le travail dissimulé, renforcer le pilotage par la qualité des soins et la prévention.

Au-delà des mesures nouvelles financées par une baisse en valeur des dépenses, il faut faire des économies sur la dynamique mécanique des dépenses : l'Ondam tendant à augmenter de plus de 4 % hors mesures nouvelles, son blocage à 2,9 % revient à exiger un tiers d'économies supplémentaires.

En matière de retraites, les dépenses se maintiennent à 14 % du PIB - vous êtes un peu malhonnête à cet égard, madame la ministre -, grâce à la baisse relative des pensions et à l'augmentation de l'âge de départ. Depuis 2019, selon la Cour des comptes, il existe un différentiel moyen de 0,5 point de PIB entre les dynamiques des dépenses et des ressources. On retrouve ici la politique délibérée des caisses vides, qui a profondément « disrupté » les comptes sociaux.

Selon le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale, la maîtrise des dépenses suffira difficilement à ramener les branches à l'équilibre : il faut revoir le pilotage des recettes.

Enfin, il convient de distinguer le déficit structurel du déficit conjoncturel lié à la crise sanitaire, qui sature la Cades. Sans ce fardeau, la sécurité sociale ne présenterait pas de déficit structurel.

Pas de recettes pour financer le Ségur, la crise sanitaire et les mesures nouvelles, mais une régulation des dépenses délétère : vos choix politiques déstructurent depuis 2019 la trajectoire budgétaire de la sécurité sociale. Le GEST ne peut les cautionner et votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Bernard Jomier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Pour la troisième année consécutive, le Sénat s'apprête à rejeter ce Placss, après l'Assemblée nationale.

L'absence de certification des comptes de la Cnaf et de la branche famille justifierait à elle seule ce rejet. Mais, plus largement, la situation est alarmante, la Cour des comptes évoquant une trajectoire hors de contrôle.

De fait, alors que la sécurité sociale frôlait l'équilibre en 2018 et 2019, son déficit s'est creusé de manière vertigineuse pendant la crise sanitaire, puis le déséquilibre s'est durablement installé : 15,3 milliards d'euros l'année dernière, 5 de plus que prévu. Et la suite s'annonce pire encore : 22 milliards d'euros de déficit cette année, jusqu'à 25 en 2029.

Or le Gouvernement ne présente aucune stratégie de retour à l'équilibre ; il laisse filer les déficits, et ses mots peinent à masquer son inaction.

Ce creusement est dû à une forte progression des dépenses, mais aussi à un essoufflement des recettes. Ce déséquilibre met en péril notre modèle social, qui fête cette année ses 80 ans.

Or, loin d'être une fatalité, il résulte d'une politique d'appauvrissement méthodique des recettes : exonérations massives de cotisations, transfert de charges à la Cades, laxisme sur les indus.

En trente ans, la part des cotisations dans le financement de la sécurité sociale a fondu de 82 à 48 %. Pourtant, les exonérations de cotisations sociales ont un effet limité sur l'emploi - le rapport Bozio-Wasmer l'a montré. Elles présentent aussi l'inconvénient de créer une trappe à bas salaires : en 2023, plus de 17 % des salariés étaient payés au Smic.

Le travail paie de moins en moins. Depuis huit ans, vous avez encouragé une société d'héritiers et de rentiers. Madame la ministre, vous accusez les salariés français d'être plus en arrêt maladie que leurs homologues allemands, mais l'étude sur laquelle vous vous appuyez est erronée.

Dans ces conditions, que proposez-vous pour financer notre modèle social ? Une « TVA sociale », mesure injuste par excellence ? Une taxe Vautrin sur les mutuelles, qui touchera d'abord les retraités et les malades chroniques ? Une année blanche, synonyme de temps encore plus durs pour ceux qui déjà survivent à peine ?

Après que le socle commun a refusé d'instaurer une taxe Zucman, le Gouvernement s'apprête à frapper les plus modestes. Comment pense-t-il être crédible en refusant de faire contribuer les plus aisés et les héritiers tout en sollicitant en permanence les plus modestes ? Il n'y a aucun réalisme économique à tant d'injustices : les Français n'accepteront pas vos mesures qui, au demeurant, précipiteraient le pays dans une logique de réduction de la consommation et de l'activité.

Pourtant, la commission des comptes de la sécurité sociale est claire : le retour à l'équilibre est possible. Mais il nécessite une vision de long terme, un pilotage pluriannuel des dépenses et des prévisions réalistes, alors que l'Ondam est devenu un indicateur sans portée réelle, dépassé pour la cinquième année consécutive.

Nous devons reconstruire notre système de santé autour de trois piliers : prévention, en agissant notamment sur les consommations à risque ; virage territorial, en développant un pilotage local des moyens ; lutte contre la financiarisation du soin, dont les logiques coûtent cher, minent la qualité des soins et l'égalité d'accès à ceux-ci et transforment nos ressources en pensions pour Américains et Australiens.

Las, le Gouvernement attend. Il attend un rapport et ne demande rien aux acteurs financiers pendant qu'il suspend des accords conventionnels avec les professionnels. Il attend la fin de la session parlementaire pour présenter ses mesures budgétaires et éviter ainsi tout débat et tout risque de censure.

Redresser les comptes sociaux est possible, à condition de retrouver le sens de la justice fiscale et de la responsabilité politique. Si nous ne le faisons pas, notre système de sécurité sociale partira à la dérive. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du GEST)

M. Daniel Chasseing .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Pas moins de 15,3 milliards d'euros : c'est le déficit de la sécurité sociale pour 2024, 5 milliards de plus que prévu dans la LFSS. Les prévisions pour les prochaines années sont encore plus préoccupantes : 22 milliards de déficit cette année, 24 en 2026.

Vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques, indexation de certaines prestations sur l'inflation : il est logique que les dépenses augmentent. Mais si nous les laissons croître sans contrôle, nous devrons perpétuellement chercher de nouvelles recettes.

La sécurité sociale est essentiellement alimentée par les cotisations et contributions assises sur le travail. Plus de travail, ce serait donc plus de recettes. Nous venons d'adopter un texte sur l'emploi des séniors, destiné à relever notre taux d'emploi des 60-64 ans, qui plafonne à 38 % contre plus de 50 % dans l'Union européenne ; une hausse de dix points représenterait 5,8 milliards d'euros de cotisations retraites en plus. Plus largement, je suis certain que nous débattrons à l'automne des moyens d'augmenter les recettes par un surcroît de travail. Je rappelle que nous travaillons moins que nos voisins européens : dix minutes de travail en plus par semaine rapporteraient 2,5 milliards d'euros, ce qui permettrait de prendre en charge la dépendance. Augmenter la TVA sociale d'un point dégagerait 11 milliards d'euros de recettes. Les intérêts de la dette française vont exploser à 80 milliards d'euros en 2026 : il est évident que l'État ne peut participer davantage au financement de la sécurité sociale.

Du côté des dépenses, on ne peut se satisfaire que 18 milliards d'euros d'indus aient été versés en 2023 ; la fraude affaiblit notre modèle social, et pas seulement financièrement. On ne peut davantage se satisfaire que l'Ondam soit, de manière systématique, largement dépassé - ce qui sera encore le cas cette année, compte tenu de l'avis récent du comité d'alerte.

La solution n'est pas de lever de nouvelles taxes, probablement contreproductives - la taxe sur les yachts de plus de 30 mètres, qui devait rapporter 10 millions d'euros, en dégage 20 000... Elle n'est pas non plus d'augmenter le taux des cotisations, ce qui mettrait en difficulté nos entreprises, déjà soumises à un niveau de contribution record.

Nous devons mieux contrôler nos dépenses et trouver de nouvelles recettes qui ne pèsent pas sur le travail pour conserver la sécurité sociale, colonne vertébrale de la République. Un éminent responsable socialiste a dit : « La mère des batailles, c'est l'inégalité sociale ; et la perte de la sécurité sociale serait la plus grande des inégalités ».

Enfin, que ferons-nous des déficits à venir ? Dès cette année, le déficit sera supérieur à la capacité d'amortissement de la Cades. Et l'endettement de l'Acoss créera un risque de crise de liquidités à partir de 2027. Quel montant de déficits faudra-t-il atteindre pour que nous décidions collectivement de prendre les mesures qui s'imposent ?

Le groupe Les Indépendants s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et au banc des commissions)

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce Placss fait apparaître un déficit supérieur aux prévisions initiales, en raison d'une surestimation des recettes et d'une hausse des dépenses, particulièrement d'un dépassement de l'Ondam.

En 2024, les dépenses ont atteint 256,4 milliards d'euros. Nous avions refusé de voter l'Ondam 2024, ne l'estimant ni crédible ni sincère ; les résultats nous donnent raison. La Cour des comptes voit dans l'année passée une occasion manquée de retour à une maîtrise de l'exécution. Le dépassement de l'Ondam est lié entièrement aux soins de ville, ce qui n'est ni compréhensible ni justifiable. De fait, le déficit de la branche maladie s'élève à 13,2 milliards d'euros, et la hausse des dépenses atteint 23,7 % entre 2019 et 2024.

Malgré des moyens supplémentaires très importants, voire très, très importants, notre système de santé est toujours en crise. Certes, il y a l'inflation et le Ségur de la santé, mais tout de même.

L'an dernier déjà, j'appelais à renforcer les mécanismes de suivi infra-annuel. Nous devons disposer de prévisions plus solides. Le groupe Les Républicains salue l'appel à une vigilance renforcée du comité d'alerte sur les dépenses de soins de ville de cette année.

Nous avons soutenu la réforme du financement des activités de médecine, chirurgie et obstétrique, ou MCO, destinée à diminuer la part de la T2A en créant un financement plus équilibré entre tarification, objectifs de santé publique et missions spécifiques. Mais sa mise en oeuvre confirme les réserves de notre commission sur son calendrier et ses modalités. Je m'inquiète tout particulièrement de l'avancée de la réforme du financement des activités de radiothérapie et des dialyses. On ne peut que regretter un manque criant de priorisation, source d'incertitudes pour les établissements dans un contexte financier critique.

Il ne suffit pas de changer la pancarte et de lancer des chantiers pour que la réforme du financement des hôpitaux progresse. Il est plus que temps que le Gouvernement anticipe les effets de la réforme et adopte un calendrier réaliste priorisant les chantiers. Il faut aussi prévoir dès à présent les modalités d'évaluation et de révision des paramètres pour assurer de la visibilité aux établissements.

Alors que les hôpitaux publics s'attendent à un déficit de près de 3 milliards d'euros à la fin de l'année et qu'on ne cesse de demander des efforts aux secteurs du médicament et des dispositifs médicaux, ces constats nous incitent à rester conscients des défis qui nous attendent à l'approche de l'examen du PLFSS pour 2026.

Le groupe Les Républicains ne votera pas ce Placss. Il s'en désole, mais son attachement à la sécurité sociale l'oblige. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions ; Mme Corinne Bourcier applaudit également.)

M. Stéphane Fouassin .  - L'examen du Placss est un moment important de la vie parlementaire : non un simple exercice comptable, mais un temps fort de vérité budgétaire.

Pourtant, aucun de ces textes n'a été adopté. De ce rejet systématique, notre pays ne peut se satisfaire. Au-delà des clivages, il y a un impératif commun : la vérité des comptes et la soutenabilité de notre modèle de solidarité.

Le déficit pour 2024 se monte à 15,3 milliards d'euros, un peu moins que les 18 milliards initialement anticipés mais bien plus que les 10 milliards que nous avions votés. Ce montant s'explique en grande partie par les dépenses croissantes des branches maladie et vieillesse. Une inflation plus modérée n'a pas suffi à corriger les déséquilibres.

Nous ne pouvons détourner le regard des prévisions les plus alarmistes : le déficit pourrait atteindre 22 milliards d'euros en 2028 si nous n'agissons pas. Ce sont les dépenses de santé et les pensions de retraite qui alimentent principalement cette dynamique. L'augmentation de 56 % des premières depuis 2019 et la revalorisation de 5,3 % des secondes au 1er janvier sont des choix sociaux forts, mais qui nécessitent des financements durables.

La non-certification des comptes de la branche famille reste une source de préoccupation pour notre chambre. Nous estimons toutefois qu'elle ne remet pas en cause la sincérité du projet de loi.

Dans un tel contexte, il ne nous semble pas envisageable de le rejeter pour des raisons purement politiques. Il ne s'agit pas de se prononcer pour ou contre une politique passée, mais de prendre acte d'une réalité et de tirer collectivement les leçons de nos déséquilibres pour préparer l'avenir.

Vieillissement, baisse de la natalité, progression des dépenses d'autonomie, tension sur le financement des retraites : les défis sont immenses. Alors, que faire ? Certainement pas attendre que le vent tourne ou masquer la réalité par des jeux d'écriture, des transferts de charges ou de nouvelles taxes.

Nous devons rétablir nos comptes sociaux avec courage. C'est un enjeu de souveraineté nationale, car une protection sociale financée par la dette n'est pas une protection durable. Cela impliquera des réformes structurelles, exigeantes mais nécessaires. C'est ainsi que nous garantirons aux générations futures un droit réel à la santé, à la retraite et à la solidarité. C'est dans cet esprit que le RDPI votera ce texte.

M. Christian Bilhac .  - Les Placss visent à renforcer le rôle du Parlement dans le suivi de l'exécution budgétaire. L'approbation des comptes n'est ni une absolution ni un blanc-seing. Elle repose sur une photographie, imparfaite mais utile, de la situation financière de la sécurité sociale. Le RDSE est attaché à cet exercice de transparence.

Le tableau présenté est préoccupant. Le déficit des régimes obligatoires de base et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) atteint 15,3 milliards d'euros en 2024, en hausse de plus de 4 milliards par rapport à l'année précédente. Selon la commission des comptes de la sécurité sociale, ce déficit pourrait dépasser les 24 milliards d'euros en 2028. La Cour des comptes va plus loin encore, parlant d'une trajectoire hors de contrôle et alertant sur un risque de crise de liquidités. C'est la soutenabilité de notre protection sociale qui est en cause.

Les branches maladie et vieillesse concentrent les déficits. L'Ondam, qui devait croître de 3,2 %, a été dépassé pour la cinquième année consécutive. Il n'y a plus d'effet Covid dans ces chiffres : c'est la dépense ordinaire qui dérive ! Et le comité d'alerte sur le respect de l'Ondam vient de signaler un risque sérieux de dépassement cette année. Une logique de pilotage pluriannuelle reste à construire.

Pour la deuxième année consécutive, la Cour des comptes n'a pas certifié les comptes de la branche famille, faute de pouvoir déterminer si les données sont justes.

La situation de l'Urssaf appelle également notre vigilance : sa dette atteint 49 milliards d'euros et pourrait franchir le plafond autorisé dès 2026. Le risque de crise de liquidités systémique ne peut être ignoré.

La sécurité sociale est le pilier de notre pacte républicain. Comme le disait Pierre Laroque, son principal artisan, elle n'est pas une charge, mais un investissement dans l'avenir de notre société. Mais, si nous voulons préserver cet acquis, de simples ajustements techniques ne suffiront pas. Il faut une réforme structurelle d'ampleur pour sortir des injonctions contradictoires entre ambition sociale et sincérité budgétaire.

Saurons-nous dégraisser le mammouth administratif de la santé, trouver de nouvelles recettes, faire preuve d'imagination et de courage ? La sécurité sociale fêtera ses 80 ans en octobre. Elle a été créée à un moment où notre pays avait peu de moyens mais beaucoup d'ambition collective. Soyons à la hauteur de cet héritage. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'examen du Placss nous offre l'occasion d'exercer notre mission de contrôle sur les comptes sociaux et de prendre la mesure des difficultés systémiques de la sécurité sociale. Je salue le travail des rapporteurs.

Des améliorations formelles sont à souligner : les annexes et les rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) sont plus lisibles, les indicateurs gagnent en cohérence. L'annexe sur les niches sociales commence à trouver sa place, même si le rythme de l'évaluation est inégal ; nous l'avions appelée de nos voeux et avons été entendus.

Les problèmes de recouvrement des indus frauduleux dans la branche famille sont un marqueur puissant des limites de notre pilotage social et budgétaire. La non-certification des comptes de la branche famille pour la deuxième année consécutive n'est pas un incident comptable, mais un signal d'alarme. Comment pouvons-nous entériner un texte sans garantie que les chiffres présentés soient sincères ?

Sur 4,2 milliards d'euros d'indus frauduleux et non frauduleux en 2023, seuls 400 millions d'euros d'indus frauduleux ont été détectés et 300 millions mis en recouvrement. Preuve d'un déficit structurel dans notre capacité à prévenir et corriger les fraudes.

Or le problème ne cesse de s'aggraver : les indus frauduleux de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ont explosé de 558 % entre 2020 et 2024 ; pour la prime d'activité, l'augmentation atteint 144 %. De fait, la procédure est lourde et le délai, de vingt mois en moyenne pour un indu frauduleux. Et les taux de recouvrement varient de 50 à 95 % selon les caisses !

Le rapport coût-efficacité du dispositif reste très favorable : 53 euros recouvrés pour 1 euro investi en 2023. Il s'agit d'un problème d'organisation et de pilotage.

Je recommande, en premier lieu, d'harmoniser les pratiques territoriales et de professionnaliser les acteurs. Cela implique un accompagnement renforcé des CAF les moins performantes et la mise en place d'une certification obligatoire pour les gestionnaires fraude.

Ensuite, il convient d'accélérer la modernisation informatique. Le déploiement du nouveau système Corali, enrichi d'outils de data mining, est essentiel. L'intégration de solutions d'intelligence artificielle doit être envisagée pour améliorer la détection. Parallèlement, il faut réviser les seuils économiques : relevons le seuil de mise en recouvrement à 1,27 % du plafond mensuel et celui d'admission en non-valeur à 5,3 %.

Enfin, nous devons étudier l'extension de la solidarité à la source, généralisée en mars dernier pour le RSA et la prime d'activité. Préremplir les données des allocataires permet de prévenir les erreurs et les fraudes.

Le déficit de la sécurité sociale pour 2024 s'élève à 15,3 milliards d'euros, dont 13,8 milliards pour la branche maladie. C'est le reflet d'un double échec : dérive des dépenses et surestimation des recettes. Le Haut Conseil des finances publiques a pointé en avril dernier des hypothèses gouvernementales excessivement optimistes. C'est toute la chaîne de prévision, de programmation et de maîtrise qui doit être reconsidérée.

La Cnaf continue de présenter un taux d'erreurs résiduelles élevé, et la Cour des comptes souligne une dégradation continue de la qualité comptable depuis 2020. Cette situation est d'autant plus préoccupante que les montants en jeu sont massifs et que les ménages les plus vulnérables sont les premiers concernés.

Nous devons cesser de considérer les textes de certification comme de simples formalités. Ils doivent redevenir ce qu'ils sont censés être : un moment de vérité budgétaire et de responsabilité politique.

Malgré les progrès formels dont j'ai parlé, la sincérité des comptes de la branche famille n'est toujours pas garantie et le déficit social continue de se creuser. Fidèle à sa ligne de responsabilité, le groupe UC ne peut voter ce texte. Ce n'est pas un rejet de principe, mais une exigence de rigueur et de sincérité. Nous appelons à un sursaut pour restaurer la confiance de nos concitoyens et remettre nos comptes sur une trajectoire soutenable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions) Nous examinons le troisième Placss, un texte destiné à améliorer la transparence et l'information avant l'examen du PLFSS.

Malgré d'incontestables améliorations par rapport aux exercices précédents, la commission des affaires sociales a considéré à raison que les lacunes de ce texte demeuraient trop importantes pour qu'il puisse être adopté.

Le déficit repart à la hausse et dépasse le montant prévu. La revalorisation des prestations indexées et la constatation de moindres recettes en sont la cause. L'absence de maîtrise des comptes sociaux est inquiétante : sans nouvelle mesure, la situation se dégradera encore et le déficit avoisinera les 25 milliards d'euros en 2029.

En matière de retraites, une pension sur dix comporte une erreur, contre une sur huit en 2023. Je me félicite de la réduction progressive des écarts de pensions entre hommes et femmes : de 54 % pour la génération née en 1930, il est tombé à 37 % en 2021. C'est la conséquence d'une meilleure insertion des femmes sur le marché du travail et d'une hausse de leurs qualifications et rémunérations. Pour autant, l'éducation des enfants incombe encore prioritairement aux femmes, de même que le rôle d'aidant familial, ce qui les conduit souvent à opter pour un temps partiel, avec des conséquences sur leur pension. En 2021, 73 % des bénéficiaires du minimum contributif du régime général et 56 % des bénéficiaires de l'Aspa étaient des femmes.

Les écarts de pensions de retraite contribuent à la paupérisation des femmes. Certes, ils sont atténués par la pension de réversion, mais les inégalités de carrière pénalisent les femmes dans l'accès à d'autres dispositifs, comme le départ en retraite anticipé. Les femmes sont surreprésentées parmi les retraités cumulant emploi et retraite.

Je propose de privilégier le recours à la majoration de pension sur la validation de trimestres pour compenser les pertes de trimestres et de salaires liées aux interruptions de carrière. Il faut aussi réformer le départ en retraite anticipé afin de mieux prendre en compte le temps partiel. Enfin, les trimestres de majoration pour l'éducation des enfants doivent être comptabilisés dans la durée d'assurance requise.

En attendant la mise en oeuvre de ces propositions, le groupe Les Républicains votera contre le Placss 2024. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Élisabeth Doineau et Corinne Bourcier et M. Marc Laménie applaudissent également.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Je suis favorable à un pilotage pluriannuel des comptes de la sécurité sociale. Nous devons adopter une trajectoire pour un retour à l'équilibre d'ici à 2028, 2029 au plus tard.

Non, nous ne dramatisons pas. Le fait est que notre système de santé soigne des maladies chroniques pour 75 %. Il est pensé pour traiter des cas aigus, or nos malades sont des malades chroniques. Nous devons nous adapter à cette situation et renforcer la prévention.

Près 2 500 personnes par jour fêtent leurs 60 ans, alors que nous avons seulement 1 800 naissances. L'enjeu démographique est majeur pour les comptes de la sécurité sociale.

En 2024, les arrêts maladie représentent 17 milliards d'euros de dépenses, contre 12 milliards d'euros en 2019, soit une hausse de 40 % par rapport à la période d'avant-covid. Cette hausse s'explique par le vieillissement, pour 40 %, par l'augmentation du nombre de jours, pour 25 %, par l'augmentation des salaires et la hausse du recours aux arrêts maladie, notamment chez les jeunes. La première tranche d'âge pour la progression du nombre d'arrêts maladie est celle des moins de 30 ans. Cela nous interpelle sur des enjeux de conditions de travail et de management.

Pour reprendre une activité après un arrêt d'un mois ou plus, il faut voir un médecin du travail. La pénurie de médecins du travail entraîne un allongement de la durée des arrêts.

Je réfute toute sous-compensation. Nous avons au contraire surcompensé, notamment pour la TVA.

Je suis très prudente sur la question des transferts. Nous pourrions mettre la branche famille en déficit et la branche maladie en excédent, par un jeu de transferts. C'est le déficit de toute la nation qu'il faut appréhender. Nous devons avoir une logique d'ensemble en considérant les dynamiques de dépenses et de recettes. Cette approche simplifiera les discussions et décisions à venir, car piloter des soldes liés à des transferts revient à se voiler la face.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Le ministère de la santé travaille à la réforme du financement de l'hôpital et à la sortie du tout-T2A. Le financement des hôpitaux reposera sur trois compartiments : l'activité, les objectifs de santé publique et les missions spécifiques.

La réforme du financement de la dialyse, à la séquence, est en cours. Idem pour la radiothérapie.

La médecine d'urgence, la psychiatrie et la réadaptation ne sont pas incluses dans le tout-T2A. Un ciblage est prévu pour les plateaux techniques.

Du point de vue d'un hôpital, il faut augmenter l'activité. Mais, à l'échelle globale, cela conduit à augmenter les dépenses. Nous sommes face à une injonction contradictoire, que j'ai vécue comme praticien hospitalier.

Concernant la radiothérapie, nous devons tenir compte des innovations. Pour certains types de cancer, des doses moindres produisent les mêmes effets ; c'est pourquoi nous souhaitons passer d'un financement au forfait à un financement à la séance. Cela risque toutefois de mettre certains établissements, notamment publics, en difficulté, car ils avaient calibré leurs investissements en fonction de la tarification existante.

Madame Imbert, nous prévoyons une équité de financement entre le public, le privé et le non-lucratif ; les forfaits devraient être applicables en octobre 2025.

Il s'agit donc de mesures d'efficience économique, visant à améliorer le service médical rendu, mais qui risquent de dégrader la situation financière des établissements.

Discussion des articles

L'article liminaire n'est pas adopté.

Article 1er

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Chaque fois, nous avons droit à un grand tunnel d'explications de la part des deux ministres, or nous ne sommes pas là pour discuter du détail des politiques menées. C'est assez déséquilibré...

Madame la ministre, c'est la Cour des comptes qui parle de sous-compensations. Dit-elle n'importe quoi ? Je n'ai jamais vu de surcompensation de 5,5 milliards d'euros.

On peut mettre n'importe qui en déficit ? Oui, vous êtes en train de mettre la sécurité sociale en déficit !

Vous avez fait exploser les exonérations, qui risquent de dépasser les 15% autorisés par la loi organique. À force d'exclure de nombreux éléments de salaire de l'assiette des cotisations, leur montant est passé de 9 milliards d'euros en 2017 à près de 20 milliards.

On ne pilote pas par le solde, certes, mais par les dépenses et les recettes. Mais pourquoi seulement par les dépenses ? Je vous propose un pilotage par les recettes.

Nous reparlerons des arrêts maladies dans d'autres circonstances.

L'article 1er n'est pas adopté, non plus que l'article 2.

Article 3

Mme la présidente.  - Si le dernier article de ce projet de loi n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble. Selon le règlement du Sénat, le scrutin public est de droit, aussi l'article 3 sera mis aux voix par scrutin public.

L'article 3 est mis aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°332 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 321
Pour l'adoption   20
Contre 301

L'article 3 n'est pas adopté.

En conséquence, le projet de loi est définitivement rejeté.

Décret complémentaire à la convocation du Parlement en session extraordinaire

Mme la présidente.  - M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date de ce jour complétant le décret du 11 juin 2025 portant convocation du Parlement en session extraordinaire. Acte est donné de cette communication. Ce décret est publié sur le site internet du Sénat.

Prochaine séance demain, mardi 24 juin 2025, à 9 h 30.

La séance est levée à 19 h 45.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 24 juin 2025

Séance publique

À 9 h 30, 14 h 30 et le soir

Présidence : Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, M. Alain Marc, vice-président, M. Loïc Hervé, vice-président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président

Secrétaires : M. Guy Benarroche, Mme Alexandra Borchio Fontimp

1Questions orales

2Projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 (Procédure accélérée) (texte de la commission, n°734, 2024-2025)