Structures économiques face aux risques de blanchiment (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe UC. La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.) Je remercie le groupe UC et son président de m'avoir laissé travailler sur ce sujet, notamment au sein de la commission d'enquête sur la criminalité organisée. Je rends hommage aux policiers, gendarmes, douaniers et magistrats qui luttent contre la criminalité organisée et contre la fraude, malgré le poids de la bureaucratie et les contraintes budgétaires.
La commission d'enquête sur la criminalité organisée a complété le travail de la commission d'enquête sur le narcotrafic. Nous avons parlé d'autres trafics - de migrants, de bijoux - mais sans bénéficier du même portage politique.
Face à une délinquance toujours plus créative, le cadre juridique est décousu. Nous jouons au mikado législatif ! En examinant quatre textes parcellaires en moins de six mois, nos doigts de sylphides ont évité à tout prix de faire bouger les choses. Ce texte ne fait pas exception. La politique des petits pas n'est pas à la hauteur.
Changeons de méthode, en instituant une vision globale et financière des infractions. Les trafiquants, opportunistes, ne s'interdisent rien - or, drogue, migrants. Il ne suffit pas de les frapper au portefeuille : nous ne récupérons que 2 % des avoirs criminels, pas de quoi pavoiser. La plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac) n'a même pas les licences adaptées pour accéder aux données des autres services !
Le criminel ne doit pas bénéficier de l'argent de son crime. Un criminel peut acheter en cryptoactifs de l'immobilier à Dubaï depuis sa cellule aux Baumettes.
Nous devons échanger les données de manière plus fluide. Interpol et Europol souhaitent se voir transmettre les dossiers de criminalité organisée, même jugés - leurs agents peuvent y trouver des données précieuses.
Payer d'abord, contrôler ensuite, c'est mal travailler : MaPrimeRénov', covid et taxe carbone sont des réservoirs inépuisables d'opportunité de fraude. Un fraudeur heureux est un fraudeur qui revient : nous avons vu les escrocs des quotas CO2 revenir au moment du covid.
Le problème est que nos propres services verrouillent les débats en invoquant l'article 45 de la Constitution. Avec 100 milliards d'euros de fraudes fiscales, 40 milliards de fraudes sociales, 50 milliards de blanchiment - seuls 2 % sont récupérés -, il est temps que cela cesse !
C'est dans ce contexte que s'inscrit cette modeste proposition de loi, qui vise à prévenir les fraudes, notamment des entreprises éphémères. On déplore entre 20 et 25 milliards d'euros par an de fraudes à la TVA. Il ne faut pas entraver la liberté d'entreprise, dit-on - et on ne change rien. Nous n'avons pas de définition des entreprises éphémères. La mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf) aurait un guide - je ne l'ai pas trouvé -, peut-être bientôt un numéro vert ? J'ai bien trouvé un catalogue de formation de 2023 - le même que pour 2025. Les besoins n'auraient-ils pas évolué ?
L'article 4 du texte vise à obliger les entreprises à déclarer leurs comptes à l'étranger. Selon la DGFiP, cela nuirait à l'attractivité de la France. (M. David Amiel en doute.) Les États-Unis, eux, n'ont pas cette lecture. Cette déclaration devrait être obligatoire.
Blanchir est devenu un métier, un service. Il faut s'y attaquer - d'où cette proposition de loi modeste mais énergique.
Il y a les experts de la conformité, mais écoutons les praticiens. La délinquance financière est un levier de la criminalité organisée, qui est un facteur de déstabilisation des démocraties. Le blanchiment des flux criminels irrigue des pans entiers de l'économie légale.
Je remercie le Gouvernement d'avoir appliqué la procédure accélérée. Nous débattrons du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales la semaine prochaine, puis lors de l'examen du budget. Il y a beaucoup d'argent dehors. Monsieur le ministre, avant de frapper le contribuable au portefeuille, frappez les fraudeurs ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP, du RDSE et du GEST)
M. Stéphane Sautarel, rapporteur de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Mme Goulet et M. Daubet de ce texte qui s'inscrit dans la continuité de leur commission d'enquête sur la délinquance financière. Ils ont montré combien est nécessaire la lutte contre le blanchiment et la criminalité organisée.
Quatre des neuf articles ont été délégués au fond à la commission des lois.
Trois textes auront été examinés en trois semaines : proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire, projet de loi de lutte contre les fraudes sociales et fiscales et la présente proposition de loi. Chacun ne traite qu'une partie du problème, ce qui n'est pas satisfaisant tant le sujet est large.
La commission a modifié, parfois substantiellement, les articles qu'elle a eus à examiner. L'article 1er déterminait les critères de détection d'une société éphémère et imposait, au nom de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), l'obligation, notamment aux greffiers des tribunaux de commerce, de signaler à Tracfin des éléments laissant supposer l'existence d'une telle société. Nous l'avons supprimé, par souci de souplesse et d'efficacité. Inscrire cette définition dans la loi aurait permis aux entreprises fraudeuses d'échapper aux contrôles. Au demeurant, l'obligation de déclaration est satisfaite par le droit existant. Aussi, je vous proposerai de retirer les amendements visant à rétablir l'article.
Les sociétés commerciales ne sont assujetties à aucune obligation de déclaration des comptes détenus à l'étranger, contrairement aux personnes privées physiques. L'article 4 leur étend cette obligation. C'est un bouleversement pour les entreprises, qui demande aussi à la DGFiP de se réorganiser pour stocker et traiter ces nouvelles données. Décalons d'un an la mise en oeuvre pour que les services puissent s'organiser.
Je vous invite néanmoins à la prudence : une telle évolution imposera des charges administratives importantes aux sociétés. Les multinationales ont par définition de multiples comptes à l'étranger.
La commission a largement réécrit l'article 5. L'automatisation est un atout pour lutter contre les circuits frauduleux : utilisons les nouveautés technologiques. On imagine mal des employés de banque devoir valider manuellement un paiement par carte bleue ou un retrait. Je vous propose donc la suppression de cet article, qui créerait une distorsion de concurrence défavorable à la France. Je demande le retrait de l'amendement qui prévoit d'inclure les prestataires de services en cryptoactifs. Préservons l'efficacité opérationnelle des contrôles.
L'article 6 vise à mettre en place un registre national des comptes rebonds. Il a été satisfait par l'adoption de la proposition de loi sur la fraude bancaire la semaine dernière ; nous l'avons donc supprimé.
L'article 7 permet à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) d'exiger d'un établissement qu'il fasse effectuer un audit par un prestataire externe validé par l'ACPR. Je ne proposerai qu'un amendement rédactionnel.
Ce texte, qui cherche à lutter efficacement contre le blanchiment, s'inscrit dans un arsenal législatif déjà robuste. Je vous propose de l'adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE) La commission a approuvé sans réserve la philosophie du texte, qui reprend les travaux - denses - de la commission d'enquête de Mme Goulet et M. Daubet. La lutte contre le blanchiment doit être une priorité. C'est l'une des cinq menaces les plus graves qui pèsent sur notre société, selon Interpol.
Il faut frapper les criminels au portefeuille. L'ampleur du phénomène est édifiante. Aussi, les contrôles doivent être renforcés.
Des progrès ont été réalisés, à la suite de travaux du Sénat - je pense à la loi Narcotrafic ou à la loi Avoirs criminels. Entre 38 et 58 milliards d'euros de flux illicites circulent en France, recouvrés à hauteur de 2 % : c'est dire la vulnérabilité de notre tissu économique face à l'infiltration criminelle.
La commission des lois, saisie au fond sur les articles 2, 3, 8 et 9, a sécurisé juridiquement les rédactions, supprimé des redondances et proposé des mécanismes plus opérationnels, répondant aux besoins du terrain. Nous avons travaillé ensemble avec Stéphane Sautarel : je le remercie pour sa capacité à fédérer.
L'article 2 autorise le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce à créer un nouveau fichier recensant les fausses identités et prête-noms. Il serait aisément contournable et emporterait un risque de double peine pour les victimes d'usurpation d'identité, prête-noms malgré elle. Nous préférons nous appuyer sur les appels à la vigilance de Tracfin, qui peut signaler des individus à risque ; nous souhaitons que le signalement inclue aussi les identités fictives.
L'article 3 propose de retracer l'origine des fonds dans le cadre d'une cession amiable. Cela créerait une charge administrative importante pour les acteurs économiques : Tracfin aurait reçu un nombre de déclarations de soupçons trop nombreux, nous lui avons substitué une mesure de vigilance complémentaire.
L'article 8 renforce les prérogatives des greffiers des tribunaux de commerce ; nous avons supprimé les éléments redondants. L'article 9 expérimente un accès direct des greffiers aux données cadastrales ; nous l'avons sécurisé juridiquement et ajusté dans le temps.
Face aux commerces douteux présents dans nos territoires, nous devons juguler ce qui s'apparente à un crime contre la démocratie et à une incitation à la corruption. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Raphaël Daubet applaudit également.)
M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État . - Merci à Mme Goulet et à M. Daubet de permettre au Parlement de se saisir d'un sujet aussi essentiel. Le blanchiment est le crime de tous les crimes : il autorise, facilite et prépare d'autres crimes, alimente les réseaux criminels et réinjecte dans l'économie légale des sommes d'argent illégales.
Mais ce texte n'est qu'une étape. Il faudra aller plus loin. Ce sera l'objet du projet de loi Fraudes examiné la semaine prochaine au Sénat.
Il faut effectivement une nouvelle méthode, une approche complète, en agissant contre le blanchiment et contre la fraude. En matière de fraude, il faut lutter contre la fraude fiscale comme sociale, et, au sein de cette dernière, contre la fraude aux prestations sociales et contre la fraude aux cotisations.
Pouvoirs renforcés de Tracfin, obligation de vérifier l'origine des fonds lors d'opérations sensibles : vos dispositions sont utiles, car documentées par votre commission d'enquête, qui a montré l'ampleur du phénomène.
Ce texte a pour but de faciliter le contrôle des greffes des tribunaux de commerce lors de la création et de la reprise d'entreprises, mais aussi de lutter contre la création de comptes bancaires de transit de fonds issus d'activités criminelles.
La lutte contre le blanchiment s'est améliorée : je salue le travail de Tracfin, des douanes, de la DGFiP, qui se sentent souvent un peu seuls. Nous leur montrons qu'il y a une volonté politique de les doter d'outils efficaces.
Préférons la culture du résultat à celle des annonces. Personne n'est pour la fraude. Ce qui doit guider nos travaux, c'est l'efficacité opérationnelle de l'ensemble des acteurs, administratifs et économiques. Je comprends que les travaux en commission y ont veillé. Nous devons proposer des mesures opérationnelles, claires et proportionnées.
Nous devons mener un travail équilibré. Si je salue les avancées réalisées en commission, certaines dispositions gagneraient encore à être affinées. Le Gouvernement accompagnera ces travaux, et c'est pourquoi nous avons engagé la procédure accélérée.
L'article 4 pourrait être amélioré. Les particuliers et les entreprises n'ont pas les mêmes obligations de déclaration de comptes à l'étranger, mais des obligations spécifiques s'appliquent aux entreprises. Si le Gouvernement partage l'intention des auteurs du texte, évitons un empilement d'obligations qui entraverait les travaux des services. Simplification administrative et efficacité opérationnelle de la lutte contre le blanchiment et la fraude, tels sont nos objectifs. L'article 4 n'a pas encore trouvé son équilibre ; j'émettrai donc un avis de sagesse.
Nous partageons l'ambition de l'article 5, qui appelle à plus de vigilance sur les interfaces automatisées ; toutefois, les outils existent.
L'article 7 mérite un travail de précision plus poussé.
En conclusion, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme se gagne par l'action collective. Ce texte n'est qu'une étape, et le Parlement devra veiller à contrôler l'efficacité des mesures prises. Dès la semaine prochaine, nous poursuivrons le travail en examinant le projet de loi Fraudes.
Le Gouvernement donnera un avis favorable sur cette proposition de loi, moyennant un travail technique sur certaines dispositions. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le blanchiment constitue un risque majeur ; selon la Cour des comptes européenne, c'est 1,3 % du PIB européen.
La commission d'enquête présidée par Raphaël Daubet, dont la rapporteure était Nathalie Goulet, a mis en lumière l'ampleur du phénomène : des dizaines de milliards d'euros échappent chaque année à la France, et alimentent les mafias, enrichissent les individus et, dans certains cas, financent le terrorisme.
Il est indispensable de disposer d'un cadre législatif clair et efficace.
En Moselle, les flux économiques et financiers sont importants avec le Luxembourg et l'Allemagne. Je suis bien informée de nos vulnérabilités : des sociétés-écrans au Luxembourg permettent de faire transiter des fonds en liquide. Le défi est de contrôler ces points de friction tout en préservant le dynamisme d'un territoire ouvert.
La proposition de loi renforce les moyens d'action des services de contrôle et d'enquête. Je salue nos deux rapporteurs dont les amendements ont donné plus de consistance au texte. La définition des sociétés éphémères est précisée et le contrôle des opérations financières à risque est renforcé. L'ACPR disposera de pouvoirs accrus pour imposer des audits. Le fisc aura accès de manière sécurisée aux données cadastrales. Le suivi des flux financiers est facilité. L'efficacité de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme s'en trouvera significativement améliorée.
Ce texte est un signal fort : le Sénat s'engage fermement contre le blanchiment, pour sécuriser notre économie. Tous les acteurs publics et privés doivent collaborer pleinement. Ensemble, faisons en sorte que la France demeure en pointe dans ce domaine. Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Nathalie Goulet et M. Raphaël Daubet applaudissent également.)
Mme Salama Ramia . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.) Je remercie chaleureusement la commission des finances et la commission des lois pour leur travail. En un temps record, ils ont su proposer des modifications pertinentes pour améliorer ce texte. La collaboration a été menée en bonne intelligence avec Bercy. Je remercie Nathalie Goulet dont l'engagement constant contre la délinquance financière force l'admiration. Je n'oublie pas Raphaël Daubet, président de la commission d'enquête.
Cette proposition de loi est l'aboutissement d'un travail parlementaire de fond, documenté et rigoureux. Enfin, je salue le Gouvernement qui prend cette problématique à bras-le-corps.
Cette proposition de loi illustre parfaitement ce que doit être notre action : transpartisane, déterminée et implacable face aux fléaux qui minent notre économie et notre société.
Le blanchiment de capitaux est vertigineux : entre 38 et 58 milliards d'euros de flux annuels sont recyclés dans le circuit légal. Or nous n'en récupérons que 2 %. C'est clairement insuffisant.
Pendant que les réseaux criminels prospèrent, que des fortunes illicites se fondent dans notre économie légale, l'État peine à récupérer les fruits de ces activités criminelles. Cette situation doit cesser.
Mme Nathalie Goulet. - Bien !
Mme Salama Ramia. - Le blanchiment fait des victimes : il finance le terrorisme, alimente les trafics qui détruisent nos quartiers, fausse la concurrence, pénalise les entreprises honnêtes, fragilise la confiance.
Cette proposition de loi apporte une première réponse essentielle, en créant des outils concrets contre le blanchiment. Elle renforce la vigilance, améliore la traçabilité des flux, donne les moyens de protéger notre économie contre l'infiltration de capitaux criminels.
Ainsi, nous pourrons mieux détecter, mieux prévenir et mieux sanctionner, sans que l'activité économique légitime n'en soit paralysée.
Ce texte lance un message fort : la France ne sera pas un territoire où l'argent sale peut circuler librement. Ce n'est pas un sujet de gauche ou de droite, mais de confiance, de justice et d'État de droit. Nous transcendons ici les appartenances partisanes.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Salama Ramia. - Nous avons une responsabilité collective. Le RDPI a toujours placé la lutte contre la fraude et le blanchiment au coeur de ses priorités, et il votera avec force cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe UC, du RDSE et du groupe INDEP ; Mme Catherine Conconne applaudit également.)
M. Vincent Éblé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Voilà un texte aussi technique que nécessaire. Il répond à une question majeure : comment protéger notre économie du blanchiment qui sape la confiance publique ?
La France et l'Europe ont été secouées depuis dix ans par une série de scandales financiers : Panama Papers, CumEx Files, escroquerie à la TVA, scandales liés aux cryptoactifs. Ce sont des milliards d'euros qui échappent chaque année au contrôle des États, au financement de nos politiques publiques et à la loyauté du marché.
Ces affaires ont révélé la fragilité de nos mécanismes de prévention : trop d'acteurs, trop peu de coordination, face à une ingénierie criminelle désormais mondialisée.
La France a réagi avec de nombreux mécanismes - loi Sapin II, renforcement de Tracfin, montée en puissance du parquet national financier (PNF), transposition des directives européennes - mais les réseaux criminels, aussi, se sont adaptés. Ils exploitent désormais les zones grises, avec des entreprises éphémères et des prête-noms.
Il faut boucher les angles morts. C'est l'objet de cette proposition de loi qui rapproche nos standards de ceux prévus par la future autorité européenne de lutte contre le blanchiment : l'Amla (Anti-Money Laundering Authority). Nous devons adapter notre droit à des pratiques criminelles qui n'ont, elles, ni frontières ni délais.
Je salue la cohérence du travail mené au Sénat depuis plusieurs années. La commission des finances a été pionnière dans l'analyse des dispositifs de lutte contre la fraude et le blanchiment. Nous avions alerté contre la fraude carrousel à la TVA, qui coûte des milliards d'euros chaque année à la collectivité, ainsi que sur les CumEx Files, qui coûtent 1 à 3 milliards d'euros par an au budget de la France. (Mme Nathalie Goulet approuve.)
Les montages CumCum et CumEx ne sont pas des abstractions. C'est le casse fiscal du siècle, qui fragilise le consentement à l'impôt.
Notre Haute Assemblée n'a pas attendu pour agir. En 2018, sous ma présidence de la commission des finances, nous avions constitué un groupe de suivi. Le consensus transpartisan qui s'est ensuivi a conduit à des amendements au budget 2019. Tous les groupes politiques avaient déposé à l'époque le même amendement créant une retenue à la source de 30 % sur les opérations suspectes, à charge aux bénéficiaires non-résidents de prouver la légitimité des dividendes. C'est une fierté.
Pendant que certains multiplient les effets d'annonce, le Sénat, lui, travaille, écoute, amende, construit. Nous savons encore dialoguer entre groupes politiques, avec le sens de l'intérêt général. Nous avançons sans bruit, mais avec méthode et responsabilité.
Cette proposition de loi s'inscrit dans cet esprit : anticiper les risques plutôt que de courir après les scandales. Elle complète nos initiatives précédentes. Elle renforce les maillons faibles sans complexifier l'édifice, et complète sans les contredire les instruments existants. C'est un texte de consolidation et non d'empilement.
Ce texte comble les failles de notre code monétaire et financier, en favorisant la détection des entreprises éphémères, ces chevaux de Troie de la fraude. Il améliore la traçabilité des entités fictives, renforce la vigilance autour des comptes rebonds et encadre les néobanques. Il conforte le rôle des greffiers des tribunaux de commerce, acteurs discrets, mais essentiels de la sécurité publique.
Ces dispositions précises et équilibrées visent à assainir l'environnement économique sans alourdir les formalités pour les acteurs honnêtes.
Le groupe SER partage l'objectif de ce texte : faire reculer l'économie souterraine et protéger la probité des affaires. Néanmoins, nous voterons l'amendement n°3 qui rétablit la notion d'entreprise éphémère tout en renvoyant ses critères à un décret, évitant ainsi de rigidifier le droit.
En revanche, nous sommes réservés sur certains amendements susceptibles d'affaiblir la portée des vérifications sur l'origine des fonds.
Nous voterons les amendements du groupe CRCE-K sur les cryptoactifs et soutiendrons également les propositions de renforcement des pouvoirs de vérification des greffes avant déclaration de soupçon.
Nous ne pouvons pas voter l'amendement n°1 de Mme Goulet imposant une immatriculation au registre du commerce aux associations exerçant une activité économique : l'intention est légitime, mais la méthode paraît inadaptée. Une telle mesure risquerait d'affaiblir le tissu associatif, pilier de notre vie démocratique et sociale. Ce travail doit être mené en concertation avec les acteurs concernés.
La commission des finances a fait oeuvre utile. Nous souhaitons que la navette poursuive le travail. L'enjeu n'est pas de produire une loi symbolique, mais applicable et évaluable. L'efficacité d'un texte se mesure moins à sa sévérité qu'à sa capacité à être appliqué partout et par tous.
La transparence des bénéficiaires effectifs et la traçabilité des flux financiers seront les priorités du futur parquet européen anti-blanchiment. En votant cette proposition de loi, nous montrons que la France anticipe. Ce n'est pas un hasard si le Sénat se saisit de cette question.
Chaque société-écran qui prospère, c'est une part de confiance républicaine qui s'érode. Lutter contre le blanchiment, c'est défendre non seulement la République économique, mais aussi la République morale.
Le groupe SER votera cette proposition de loi équilibrée. (Applaudissements sur les travées du GEST, du RDSE et du groupe INDEP ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. Pascal Savoldelli . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Cette proposition de loi est directement issue des travaux de la commission d'enquête présidée par Raphaël Daubet et dont la rapporteure était Nathalie Goulet.
Monsieur le ministre, vous avez fait un petit cavalier législatif en évoquant la fraude sociale et fiscale... Vous défendez le Gouvernement à outrance, je comprends, mais mettons les choses à leur place ! (M. David Amiel et M. Stéphane Sautarel s'en amusent.)
Entre 38 et 58 milliards d'euros issus d'activités criminelles seraient recyclés chaque année dans notre économie. En France, 2 à 3 % seulement des signalements à Tracfin débouchent sur des poursuites.
La délinquance financière n'a pas le visage d'un gangster. Elle s'appuie sur des cabinets d'avocats, des banques. Elle gangrène des secteurs entiers, capte de l'argent public, influence des décisions économiques. C'est un crime en col blanc, qui n'est pas une anomalie, mais une composante à part entière du capitalisme mondialisé.
La proposition de loi place la prévention au coeur de la régulation économique. Le modèle de sanction a posteriori est trop tardif. L'entreprise privée ne doit plus être considérée comme un simple agent de l'économie libre, mais aussi comme un point potentiel d'introduction de flux illicites. L'alerte est sérieuse. Nous avons un devoir de vigilance.
Le passage du texte en commission a modifié certains équilibres. La portée du texte en a été fortement affaiblie. La définition légale de l'entreprise éphémère a été supprimée. Dommage : l'angle mort perdure.
La création d'un fichier national des identités fictives et prête-noms a été abandonnée. Or Tracfin a-t-il les moyens de suivre de telles identités en temps réel ? Non.
La substitution de l'obligation systématique de justification de l'origine des fonds par une simple vigilance à la discrétion du professionnel chargé de l'acte marque un infléchissement significatif. Sous couvert de simplification administrative, on déplace la responsabilité de la prévention vers l'appréciation subjective des acteurs privés. Cette rédaction risque de conduire à des pratiques hétérogènes.
Il y a néanmoins des avancées telles que l'extension de déclaration de comptes bancaires à l'étranger ou l'accès des greffes au cadastre.
Dure réalité : la finance va parfois plus vite que la loi. Et la valeur se substitue à la monnaie. Les cryptoactifs, avenir prétendu de la liberté économique, deviennent une richesse sans contrôle. Comme le dit Éric Bocquet - cela fera plaisir à Nathalie Goulet (Mme Nathalie Goulet sourit) : pendant que nous dormons, l'argent circule, s'échappe, se cache.
Nous voterons cette proposition de loi, car la criminalité financière affaiblit l'État, mine la démocratie et renforce les inégalités. Il faut néanmoins des moyens techniques et humains. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, du GEST, du groupe INDEP et du RDSE ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. Grégory Blanc . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le blanchiment est au coeur des trafics. Les trafiquants agissent pour gagner de l'argent. Sans appât du gain, pas de corruption, pas de narcotrafic, pas de fraude fiscale organisée, pas de traite des êtres humains. Avec le blanchiment, l'argent sale se fond dans l'économie licite.
Je salue le travail de la commission d'enquête dont j'ai été membre, qui a été pilotée énergiquement par Nathalie Goulet et Raphaël Daubet.
Si ce texte est qualitatif, il a subi un programme de lavage élevé en température. Ce n'est plus que l'ombre de la proposition de loi initiale, après un sévère rétrécissement au lavage, dû à l'empilement législatif et à l'arrivée du projet de loi Fraudes. Il aurait fallu embrasser la criminalité financière dans toutes ses dimensions. (Mme Nathalie Goulet approuve.)
Nous assistons à un véritable saucissonnage législatif avec toute une galaxie de textes, dont la proposition de loi Cazenave au titre présomptueux... (Mme Nathalie Goulet renchérit.)
La criminalité financière est systémique ; la réponse doit l'être aussi.
Monsieur le ministre, il ne tient qu'au Gouvernement de présenter un texte complet, et non un texte cosmétique se concentrant sur la fraude sociale et pas suffisamment sur la fraude fiscale, comme celui que nous examinerons la semaine prochaine.
Sur le fond, les avancées sont réelles : les outils sont là, mais restent limités. En commission, plusieurs articles ont été affaiblis. Nous le regrettons, mais nous y reviendrons la semaine prochaine.
À l'article 1er, avec Raphaël Daubet nous avons déposé un amendement rétablissant la définition des entreprises éphémères, c'est une nécessité. Sans cadre clair, les sociétés-écrans fleuriront toujours.
Nous voterons les amendements qui enrichiront ce texte, notamment ceux concernant les cryptomonnaies et ceux de Nathalie Goulet.
La question de l'effectivité reste entière. Les constats de la commission d'enquête sont clairs : la législation a des lacunes, mais nos services manquent de moyens. (Mme Nathalie Goulet le confirme.)
C'est pourquoi il faut un projet de loi complet, incluant dispositions législatives et moyens, en lien avec la coordination européenne.
Je suis choqué d'entendre que lutter contre le blanchiment peut aboutir à affaiblir l'attractivité de la France. J'invite chacun à mieux réfléchir au sens de ces propos. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDSE ; Mme Nathalie Goulet et M. Laurent Somon applaudissement également.)
M. Raphaël Daubet . - Je ne partage pas l'avis de Nathalie Goulet. Ce texte n'est pas un petit texte, mais le fruit d'un travail parlementaire rigoureux, celui de la commission d'enquête que j'ai eu l'honneur de présider. Je remercie le groupe UC, son président Hervé Marseille ainsi que Nathalie Goulet qui m'a entraîné dans son sillage avec la passion impétueuse et virevoltante qu'on lui connaît. Je ne dis pas que ce fut toujours simple d'être son président... (Rires) Mais ce fut toujours amical et passionnant. Je remercie également les rapporteurs.
Ce texte est plus ambitieux qu'il n'en a l'air : il prépare un changement de culture dans la lutte contre le crime organisé. Ne plus se contenter d'une détection a posteriori, mais instaurer une traçabilité ex ante ; ne pas ajouter une couche de bureaucratie supplémentaire, mais armer ceux qui sont au contact du réel pour détecter les signaux faibles : greffes, banques, notaires, experts-comptables.
Le travail de la commission d'enquête sur le narcotrafic a été très précieux, en ce qu'il a souligné la nécessité de changer d'angle : il faut appréhender la criminalité par le prisme du blanchiment. Dans tous les cas, les criminels doivent blanchir les fonds, ce qui expose nos démocraties à des risques de corruption.
L'argent sale se mêle à l'argent propre, dans un empoisonnement invisible de nos démocraties. Les criminels jouissent de leur argent, même dans leur prison ou lorsqu'ils en sortent.
Il faut fermer les brèches : entreprises éphémères, cessions d'entreprises mal contrôlées, comptes bancaires à l'étranger pour les sociétés commerciales, comptes rebonds dans certaines néobanques.
Il faut aussi donner aux greffiers des tribunaux de commerce des leviers d'action et de contrôle opérationnels, afin de déplacer la lutte contre le blanchiment du champ judiciaire répressif vers le champ administratif préventif. C'est une transformation culturelle majeure.
Je comprends la difficulté que pose une définition des sociétés éphémères, comptes rebonds et néobanques. Mais elle est indispensable.
Je consens au report d'un an pour l'obligation de déclarer les comptes à l'étranger, mais j'insiste, là aussi, sur son importance pour prendre la mesure de la dimension internationale du crime organisé.
Certains s'inquiéteront d'un risque de suradministration. Mais en la matière et vu l'ampleur du phénomène, nous n'avons pas intérêt à défendre la simplification au détriment du contrôle. Nous avons besoin d'un État qui anticipe, détecte, empêche.
Voter ce texte, c'est comprendre que pour lutter contre la criminalité organisée, il faut l'asphyxier financièrement ; c'est ainsi que la France rétablira l'ordre public, la justice économique et sa souveraineté. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE-K)
Mme Nathalie Goulet . - Il est passé par ici, il repassera par là...
Je remercie le président Raphaël Daubet qui est entré à pieds joints dans ce sujet. Nous avons fait un travail formidable, notamment avec Étienne Blanc.
Le temps parlementaire nous a empêchés de présenter le texte plus ambitieux que nous avions préparé, cher Grégory Blanc. Monsieur le ministre, si nous avons un jour le temps, il nous faudra y revenir.
Pourquoi un enregistrement des associations ayant une activité commerciale ? Le secteur associatif engendre un chiffre d'affaires de 120 milliards d'euros chaque année. Certaines associations à but non lucratif ont une activité économique, mais sans contrôle. Même si elles sont rattrapées par la patrouille de l'impôt sur les sociétés, les contrôles juridiques - bénéficiaires effectifs, sécurisation des transactions... - ne se font pas. L'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Pologne et le Portugal disposent pourtant de tels registres. Évidemment, il ne s'agit pas d'y inscrire les producteurs de camemberts ou les associations culturelles, mais les structures dépassant un certain seuil !
Nous avons plusieurs exemples de dysfonctionnements. Le Groupe d'action financière (Gafi) a rendu un rapport éloquent en 2022, montrant les failles de la France. Certes, chère Sophie Primas, la loi confortant le respect des principes de la République a amélioré le contrôle des associations, mais le sujet reste entier.
Certaines associations cultuelles ont un chiffre d'affaires très important. D'autres dysfonctionnements d'associations ont été révélés, comme chez Equalis, dont le directeur a été condamné pour un détournement de fonds de 600 000 euros. Chacun se souvient du scandale de l'Association pour la recherche sur le cancer (ARC). SOS Éducation a été condamnée pour émission abusive de reçus fiscaux. BarakaCity a été interdite ici, mais on la retrouve ailleurs. Nous en reparlerons lors de l'examen du PLF : ce sujet revient comme mars en carême, puisque je dépose chaque année le même amendement pour contrôler les rescrits.
Ce débat n'aboutira pas aujourd'hui, mais il reviendra demain. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du GEST, du groupe Les Républicains, du RDSE et du groupe CRCE-K.)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Merci aux deux rapporteurs et aux deux auteurs de la proposition de loi, qui ont conduit la commission d'enquête dont elle est issue.
Entre 12 et 20 milliards d'euros : c'est le chiffre d'affaires annuel estimé des réseaux spécialisés dans le blanchiment d'argent en France. Pour rappel, le montant alloué à la justice pour 2025 est de 12 milliards d'euros, celui alloué au logement de 23 milliards d'euros.
Le chiffre d'affaires produit par le blanchiment ne peut pas être équivalent à ces postes budgétaires essentiels.
Au total, le montant annuel des flux blanchis serait compris entre 38 et 58 milliards, pour un taux de récupération par l'État de seulement 2 %.
Il y a urgence à agir efficacement. Nathalie Goulet et Raphaël Daubet ont été en première ligne avec leur commission d'enquête et ses cinquante recommandations articulées autour de trois axes : mieux comprendre le blanchiment, définir une stratégie de lutte et développer la coopération internationale.
Cette proposition de loi se concentre sur une matière plus restreinte. Une réforme plus large avait été envisagée, mais le calendrier législatif était déjà chargé : la semaine dernière, une proposition de loi sur la fraude bancaire, la semaine prochaine, un projet de loi contre la fraude. L'idée est d'avoir des textes ciblés, afin d'apporter des réponses rapides.
L'objectif de ce texte est de donner aux autorités les moyens de mieux lutter contre les dérives entrepreneuriales liées à la criminalité financière. En commission, il a été enrichi par les deux rapporteurs, dont le travail a notamment sécurisé juridiquement les recommandations concernant Tracfin ou encore l'administration des douanes, que je connais bien, mon département des Ardennes étant frontalier.
L'article 4 initial étendait les obligations de déclaration à tous les comptes bancaires détenus à l'étranger par les sociétés commerciales. Un amendement du rapporteur a permis une application différée pour que l'administration puisse s'y préparer.
Le texte lance également une expérimentation permettant aux greffiers de consulter les données cadastrales.
Le groupe Les Indépendants votera ce texte, qui permettra de mieux lutter contre les nouvelles formes de blanchiment. La criminalité financière ne s'arrête pas à nos frontières.
Donnons à l'État les moyens de s'en prémunir ; c'est nécessaire à notre pacte républicain (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains et du RDSE)
Mme Nadine Bellurot . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous assistons à l'émergence de nouvelles formes de criminalité. Les réseaux peuvent être très structurés à l'international avec des ramifications locales. Le lien très fort entre la délinquance locale et les trafics internationaux nécessite une fluidité de l'information entre les services, pour une stratégie de lutte efficace.
Nous avions fait ce constat en 2023 avec Jérôme Durain dans le cadre de notre rapport sur la police judiciaire. Les réseaux profitent du cloisonnement de nos administrations, qui travaillent en silo et manquent de moyens.
Entre 38 et 58 milliards d'euros de flux criminel infiltrent notre économie légale alors que seuls 2 % sont saisis. Cela met en danger notre République et déstabilise nos institutions.
La criminalité organisée, dans laquelle baigne notamment le narcotrafic, est un fléau. La loi Narcotrafic a permis des avancées. Je salue son rapporteur et co-auteur, Étienne Blanc.
Lutter contre le blanchiment est l'une des seules manières efficaces de priver la criminalité organisée de sa raison d'être. Cette lutte ne se gagne pas seulement sur le terrain, mais aussi dans les livres de comptes. Le Sénat a fait sa part du travail en adoptant plusieurs propositions de loi. Mais des marges de progrès subsistent.
Vice-présidente de la commission d'enquête sur la délinquance financière, je salue le travail remarquable de Nathalie Goulet et de Raphaël Daubet, ainsi que leur engagement sans faille.
Quelques recommandations sont reprises ici. Chaque acteur est responsabilisé et les administrations sont dotées de moyens opérationnels et proportionnés. Il y a urgence à protéger notre économie.
À l'heure ou le projet de loi de finances pour 2026 demande beaucoup ? beaucoup trop ? aux Français et aux collectivités territoriales, la lutte contre la fraude et le blanchiment est un levier concret pour rééquilibrer nos comptes publics. (Mme Nathalie Goulet approuve.) Frappons la criminalité organisée au portefeuille ! Le blanchiment, c'est le crime qui permet tous les autres. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Nathalie Goulet. - Bravo !
M. Michel Canévet . - Le groupe Union Centriste a fait de la lutte contre les fraudes un cheval de bataille, notamment sous la houlette de Nathalie Goulet.
La commission d'enquête contre la délinquance financière a émis cinquante recommandations. Si certaines sont législatives, de nombreuses autres reviennent à mieux organiser les services de l'État. J'espère que le Gouvernement s'en saisira.
À un moment où les comptes publics sont très dégradés et où le recours à la fiscalité peut être considéré comme excessif, il importe que la lutte contre les fraudes soit au centre de l'action publique.
Nous devons approfondir le travail autour des pouvoirs des greffiers.
Nous devons réfléchir sur la capacité à payer, c'est-à-dire la capacité des services à saisir les actifs lorsque des fraudes sont identifiées. Nous avons beaucoup à faire dans ce domaine. Le Trésor public dispose d'outils en la matière, mais ce n'est pas le cas des institutions sociales. Je pense notamment à l'Urssaf : à cause du travail dissimulé, près de 1 milliard d'euros de cotisations ne rentrent pas dans les caisses. Le temps que les jugements soient rendus, les sommes reversées sont inférieures de 10 % à la fraude constatée.
Nous invitons le Gouvernement à se saisir des propositions. Il faut agir ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, du RDSE et du GEST ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Étienne Blanc . - Le 15 juin dernier, nous nous sommes dotés d'un texte puissant pour lutter contre le narcotrafic, dans le sillage des travaux menés par notre commission d'enquête.
Pour le dire trivialement, nos investigations nous ont donné le tournis. Le narcotrafic dans notre pays, ce sont 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires - pas si loin du budget du ministère de la justice - et une rentabilité phénoménale : 5 000 euros investis à Bogota peuvent rapporter 1 million d'euros en France un an plus tard. C'est une masse colossale de petites coupures, car les consommateurs paient en espèces - rarement en billets de 100 euros ou plus.
Or nous ne saisissons chaque année que 140 millions d'euros liés au narcotrafic, sur un total de 1,4 milliard d'euros de saisies criminelles. C'est absolument dérisoire. Le reste de l'argent s'évapore en voitures et biens de luxe, mais aussi dans l'immobilier et l'économie réelle, car les narcotrafiquants gèrent des entreprises, des hôtels et des commerces divers, ce qui leur donne une capacité formidable à faire circuler les flux.
Voilà ce à quoi nous devons nous attaquer. Je salue ce texte excellent, qui sera une brique de plus dans la lutte contre la criminalité. Ce combat requiert des moyens puissants de surveillance, d'enquête et de répression. Nous devons travailler plus étroitement avec, notamment, les greffiers des tribunaux de commerce et les notaires. Il faut aussi mieux mobiliser Tracfin, dont nous avons mesuré la finesse de l'action.
Ce travail reste largement inabouti, notamment pour deux raisons. D'abord, notre difficulté à anticiper : les narcotrafiquants ont toujours trois à quatre coups d'avance. Ensuite, l'épineuse question des cryptomonnaies. Songez que Trump vient de gracier Changpeng Zhao, qui a blanchi de l'argent pendant des années avec Binance - en Europe, nous ne pouvons pas l'accepter, car nous en avons été victimes !
Quelles sont les intentions du Gouvernement en matière de lutte contre le blanchiment au sein du système des cryptomonnaies ? Essayez de faire en sorte que les trafiquants n'aient pas trop d'avance sur nous. (Applaudissements)
Discussion des articles
Article 1er (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°2 rectifié de Mme Goulet.
Mme Nathalie Goulet. - Je le retire au profit du suivant.
L'amendement n°2 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié de MM. Grégory Blanc et Daubet et du GEST.
M. Grégory Blanc. - La commission a supprimé la définition des sociétés éphémères, qui serait trop rigide. Nous considérons qu'il est absolument nécessaire de faire mention de ce problème dans la loi. Les critères de définition seraient renvoyés à un décret en Conseil d'État, pour laisser à l'administration la latitude de s'adapter aux évolutions des formes de criminalité.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - Nous partageons l'objectif des auteurs de l'amendement, mais maintenons notre position dans un souci d'efficacité. Il n'est pas opportun de rendre publics les critères de détection des pratiques criminelles. En outre, le guide élaboré par la Micaf vous satisfait. Retrait, sinon avis défavorable.
M. David Amiel, ministre délégué. - Avis défavorable, pour les mêmes raisons.
Mme Nathalie Goulet. - Des responsables auditionnés par la commission d'enquête nous ont dit l'exact contraire. Il y a aussi un problème d'acculturation à résoudre. La définition des critères par voie réglementaire assure une certaine souplesse. Ce dispositif ne nuira pas à l'action des services.
Je travaille depuis longtemps sur les sociétés de domiciliation ; les travaux de M. Éblé sur la fraude à la TVA ne datent pas d'hier : entre 20 et 25 milliards d'euros ! Changeons de paradigme. Je soutiens fermement cet amendement.
M. David Amiel, ministre délégué. - Figer la définition risquerait de fragiliser les déclarations de soupçon. En creux, cela pourrait suggérer que ce qui est hors du champ du décret ne peut pas donner lieu à déclaration. En outre, un décret en Conseil d'État ne se change pas tous les jours. Face à une situation très évolutive, l'enjeu principal est la sensibilisation des professionnels par l'administration.
M. Grégory Blanc. - Devant la commission d'enquête, certains acteurs ont expliqué que l'objectif était aussi d'obtenir davantage de déclarations de soupçon. Oui, il faut d'abord sensibiliser sur le terrain, expliquer la distinction entre fraude et activités légales, clarifier le champ du blanchiment où licite et illicite se confondent. Nous proposons de faire référence dans la loi aux sociétés éphémères et de laisser le Gouvernement en définir les critères, pour plus d'agilité.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - Je signale que les greffiers des tribunaux de commerce sont largement revenus sur leur première position : ils sont très réservés sur le dispositif proposé. Encore une fois, nous partageons l'objectif, mais laissons l'administration s'adapter.
À la demande du groupe Les Républicains et du GEST, l'amendement n°3 rectifié est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°21 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 342 |
| Pour l'adoption | 175 |
| Contre | 167 |
L'amendement n°3 rectifié est adopté. L'article 1er est ainsi rédigé.
Article 2
M. Guy Benarroche . - Merci à Mme Goulet d'avoir déposé ce texte dans la continuité de notre commission d'enquête.
Le rôle joué par les tribunaux de commerce est essentiel. Le Gouvernement doit le renforcer dans le projet à loi à venir sur les fraudes.
Tous les acteurs du monde judiciaire le disent : la traque des criminels suppose une meilleure coordination. De ce point de vue, l'importance des tribunaux des affaires économiques est sous-estimée. Ils devraient être destinataires de toutes les informations utiles, pour une meilleure coordination des services ; c'est le cas des informations relatives au fichier mentionné à cet article, mais pas seulement.
L'article 2 est adopté.
Article 3
M. le président. - Amendement n°6 de M. Reynaud.
M. Hervé Reynaud. - Il s'agit d'apporter des clarifications à la mesure de vigilance complémentaire prévue en cas de cession amiable.
L'amendement n°6, approuvé par la commission et le Gouvernement, est adopté.
L'article 3, modifié, est adopté.
L'article 4 est adopté.
Article 5
M. le président. - Amendement n°8 de M. Sautarel, au nom de la commission des finances.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - Nous proposons la suppression de l'article, en accord avec l'auteur du texte, compte tenu notamment de l'efficacité de certains systèmes de contrôle automatisé.
L'amendement n°8, approuvé par le Gouvernement, est adopté et l'article 5 est supprimé.
L'amendement n°4 devient sans objet.
Article 7
M. le président. - Amendement n°9 de M. Sautarel, au nom de la commission des finances.
L'amendement rédactionnel n°9, accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 7, modifié, est adopté.
Après l'article 7
M. le président. - Amendement n°5 de MM. Savoldelli, Barros et du groupe CRCE-K.
M. Pascal Savoldelli. - Nous demandons un rapport sur les technologies visant à dissimuler l'origine ou la destination des fonds, en particulier les crypto-monnaies à anonymat renforcé et les portefeuilles anonymisants, dans le prolongement des constats de la commission d'enquête et des principes d'application sectorielle publiés en 2024 par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
Ainsi, les mixers et tumblers servent à brouiller la traçabilité des flux. Ces pratiques entravent la mise en oeuvre des obligations de vigilance. Elles participent à une logique d'autorégulation privée dans laquelle certains acteurs cherchent à soustraire la circulation du capital à tout cadre collectif de contrôle.
Qui contrôle les flux et dans quel intérêt ? C'est une question de souveraineté. Documentons rigoureusement les usages, les risques et les possibilités d'encadrement ou d'interdiction ciblée.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - Je partage la préoccupation de nos collègues, qui rejoint celle exprimée par Étienne Blanc. Mais nous savons que les moyens de l'administration ne sont pas illimités. Qu'en pense le Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. - C'est un enjeu central de la lutte contre le blanchiment, car ces outils permettent de dissimuler les transactions. Des travaux ont été menés à ce sujet dès 2019 lors de l'examen de la loi Pacte. Le règlement du 31 mai 2024 interdit les prestataires de services sur cryptoactifs de tenir des comptes anonymes ; son entrée en vigueur a été anticipée par la loi Narcotrafic.
L'enjeu est de mettre en oeuvre ces dispositifs et de les évaluer. Le ministre de l'économie apportera des précisons dans quelques jours. Demande de retrait, mais travaillons sur ce sujet.
M. Pascal Savoldelli. - Je connais les réticences à l'égard des rapports, mais notre demande s'inscrit dans le prolongement de la commission d'enquête. Ce n'est pas un amendement idéologique, mais de vigilance. Nous avons besoin d'informations précises pour nous doter de moyens d'action.
Mme Nathalie Goulet. - Par tradition, le Sénat déteste les rapports. Mais 100 % des dossiers de criminalité comportent des cryptoactifs. Et je mets au défi 5 % des parlementaires d'expliquer ce qu'est la blockchain... Certains services au sein d'un même ministère utilisent des logiciels incompatibles entre eux : c'est dire le besoin d'acculturation. Trois ou quatre directives sont en préparation. C'est le sujet d'actualité ! Lors de la discussion budgétaire, nous assisterons à un concours Lépine de taxes sur la blockchain : le Gouvernement serait sage de donner un avis de sagesse...
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - Compte tenu de l'enjeu, avis favorable. Le contenu pourra être précisé dans la navette. Je compte sur la sagesse du Gouvernement.
M. David Amiel, ministre délégué. - Oui, il faut avancer sur ce sujet urgent. Je souhaite que Parlement, Gouvernement et administrations travaillent ensemble, sans attendre un rapport. Je comprends néanmoins qu'il faille manifester une volonté politique. Dès lors, sagesse. (Nombreuses marques de satisfaction)
Mme Nathalie Goulet. - Merci !
L'amendement n°5 est adopté et devient un article additionnel.
L'article 8 est adopté.
L'article 9 est adopté.
Après l'article 9
M. le président. - Amendement n°1 rectifié bis de Mme Goulet et alii.
Mme Nathalie Goulet. - N'étant pas une femme de renoncement, je maintiens - mollement - cet amendement, qui n'a convaincu ni la commission ni le Gouvernement. Il prévoit l'enregistrement au registre du commerce et des sociétés (RCS) des associations exerçant une activité économique à partir d'un certain niveau. Je pense à telle association qui réalise 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires, qui emploie 150 salariés, mais ne fait l'objet d'aucun contrôle - ni des bénéficiaires, ni des bilans, ni de rien. Il faudra y travailler avec les greffes.
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis. - Avis défavorable, même si nous partageons l'objectif. La vocation du RCS est de rassembler des entités commerciales pour obtenir la délivrance d'un Kbis ? dont les associations n'ont pas besoin par définition. Votre amendement y intégrerait des milliers d'associations, avec un statut hétérogène.
J'ajoute que des obligations s'imposent déjà aux associations exerçant une activité économique.
Il nous parait irréaliste de légiférer par amendement sur un tel sujet - Mme Goulet emploie d'ailleurs le futur. Il faudra traiter cette question plus en profondeur. Retrait sinon avis défavorable.
M. David Amiel, ministre délégué. - En effet, il faut se pencher sur le rôle des associations - mais la notion « d'association exerçant des activités économiques » embrasse bien plus que celles que vous voulez cibler. Votre amendement imposerait aux associations de s'inscrire à la fois au registre national des associations et au RCS, rendrait payantes des démarches aujourd'hui gratuites et complexifierait la tâche des organismes de contrôle. Ce n'est pas la bonne réponse. Continuons à y travailler. Retrait sinon avis défavorable.
Mme Nathalie Goulet. - Soit, je retire l'amendement. (Marques de satisfaction à droite)
L'amendement n°1 rectifié bis est retiré.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
(Applaudissements)
M. Laurent Somon. - À l'unanimité !
Prochaine séance demain, jeudi 6 novembre 2025 à 10 h 30.
La séance est levée à 18 h 40.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 6 novembre 2025
Séance publique
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures, à l'issue de l'espace réservé au RDSE et au plus tard de 16 heures à 20 heures
Présidence : M. Pierre Ouzoulias, vice-président, Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
1. Proposition de loi visant à libérer l'accès aux soins dentaires, présentée par M. Raphaël Daubet (Procédure accélérée) (texte de la commission, n°85, 2025-2026)
2. Proposition de loi visant à créer un fichier national des personnes inéligibles, présentée par Mme Sophie Briante Guillemont et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°90, 2025-2026)
3. Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues (n°551, 2024-2025)
4. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade (texte de la commission, n°88, 2025-2026)