Article 54 - (art. L. 8222-2, L. 8222-16 et L. 8222-6-1 nouveau du code du travail) - Obligations des personnes morales en matière de lutte contre le travail dissimulé à l'égard de leur cocontractant

Objet : Cet article vise à rendre plus efficaces les dispositions tendant à responsabiliser les donneurs d'ordre en matière de lutte contre le travail dissimulé.

I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

L'article L. 8222-1 du code du travail impose aux donneurs d'ordre de procéder à certaines vérifications lorsqu'ils passent un contrat portant sur l'exécution d'un travail, la fourniture d'une prestation de services ou l'accomplissement d'un acte de commerce. A défaut, leur responsabilité est engagée dans le cas où leur cocontractant fait l'objet d'un procès-verbal pour travail dissimulé : ils sont alors tenus solidairement 14 ( * ) de s'acquitter du montant des taxes et impôts, cotisations, rémunérations, indemnités et autres charges dues en cas de travail dissimulé (article L. 8222-2).

L'article D. 8222-5 du code du travail précise quelles vérifications ils doivent effectuer. Pour toute opération d'un montant au moins égal à 3 000 euros, le donneur d'ordre doit, au moment de la conclusion du contrat puis tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution, se faire remettre divers documents par son cocontractant :

- une attestation, émanant d'un organisme de protection sociale, établissant que le cocontractant a bien effectué les déclarations sociales qui lui incombent ;

- une attestation sur l'honneur du cocontractant du dépôt, auprès de l'administration fiscale, de l'ensemble des déclarations fiscales obligatoires ;

- lorsque cette formalité est requise, un document prouvant l'inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ;

- lorsqu'il emploie des salariés, une attestation sur l'honneur du cocontractant de la réalisation du travail par des salariés employés régulièrement.

En vertu de l'article L. 8222-6 du code du travail, toute personne morale de droit public doit, lorsqu'elle est informée par un agent de contrôle qu'une entreprise avec laquelle elle a contracté a recours au travail dissimulé, enjoindre ladite entreprise de mettre fin à cette situation. A défaut, elle peut rompre le contrat sans indemnité, aux frais et risques de l'entreprise.

L'article 54 vise à rendre plus efficaces ces dispositions. Le propose de compléter l'article L. 8222-2 du code du travail, afin que le donneur d'ordre soit solidaire de son cocontractant s'il n'a pas accompli les vérifications prévues à l'article L. 8222-1, mais aussi s'il n'a pas respecté les obligations qui sont les siennes en application de l'article L. 8222-6 précité.

Le propose de revenir, dans certains cas, sur l'obligation qui pèse sur le donneur d'ordres de demander, au moment de la conclusion du contrat puis tous les six mois, une attestation sur l'honneur par laquelle le cocontractant assure qu'il emploie des salariés travaillant régulièrement.

Dans le rapport qu'il a remis au Premier ministre, en décembre 2008 15 ( * ) , Jean-Luc Warsmann qualifie cette obligation de typiquement « paperassière » et dépourvue de toute efficacité. La remise de cette attestation sur l'honneur n'exercerait aucun effet réellement dissuasif sur les entreprises.

Il est donc proposé d'introduire dans le code du travail un nouvel article L. 8222-5-1, qui dispenserait le cocontractant de produire ces déclarations sur l'honneur lorsque serait mis en oeuvre un nouveau dispositif, jugé plus dissuasif.

Ainsi, tout contrat conclu par une personne morale de droit public pourrait comporter une clause stipulant que le cocontractant s'engage à ne pas commettre les infractions prévues aux articles L. 8224-1 à 8224-6 du code du travail (soit le recours au travail dissimulé ou le non-respect de certaines formalités de publicité imposées aux entreprises).

Le contrat pourrait prévoir des pénalités en cas de manquement à cet engagement contractuel. Le montant des pénalités ne saurait cependant excéder 10 % du montant du contrat ni celui des amendes encourues en application des articles L. 8224-1 (45 000 euros d'amende en cas de recours au travail dissimulé), L. 8224-2 (75 000 euros d'amende en cas de travail dissimulé d'un mineur soumis à l'obligation scolaire) et L. 8225-5 du code du travail.

Comme le code du travail ne comporte pas d'article L. 8225-5, on peut supposer qu'est visé l'article L. 8224-5, qui fixe les peines applicables lorsqu'une personne morale commet les deux infractions précédemment citées. Le taux de l'amende est alors quintuplé par rapport à celui encouru par une personne physique.

Comme toute sanction administrative, ces pénalités ne pourraient être infligées qu'après une mise en demeure du cocontractant. La décision devrait être motivée et pourrait faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant le juge administratif.

Il convient de préciser que la proposition de loi, dans sa version initiale, proposait d'appliquer également ce dispositif aux relations entre personnes privées. Une entreprise aurait pu ainsi infliger une pénalité à une entreprise sous-traitante ayant recours au travail dissimulé. Le Conseil d'Etat a cependant jugé hasardeux de déléguer à une personne privée, sans en avoir mesuré toutes les conséquences, le soin de sanctionner l'inapplication de la loi. Le texte a donc été amendé par la commission des lois à l'Assemblée nationale afin de restreindre son champ d'application à la seule hypothèse d'un contrat passé par une personne publique.

Le propose enfin de modifier la rédaction de l'article L. 8222-6 du code du travail.

Actuellement, la personne publique informée que son cocontractant a recours au travail dissimulé peut résilier le contrat si la situation n'est pas régularisée. Les personnes publiques usent cependant rarement de cette faculté : une telle résiliation les pénalise en effet presque autant que l'entreprise qu'elles cherchent à sanctionner. Une collectivité qui résilie, par exemple, un contrat passé pour la construction d'un équipement public doit lancer un nouveau marché, ce qui peut faire prendre beaucoup de retard à son projet.

La modification proposée autoriserait la personne publique soit à résilier le contrat, soit à appliquer les pénalités prévues par le contrat. Dans cette seconde hypothèse, si le juge pénal statue sur les mêmes faits, il pourra ordonner que la pénalité s'impute sur l'amende qu'il prononce. Cette imputation permet d'éviter que le cocontractant soit puni deux fois pour les mêmes faits, ce qui contreviendrait au principe non bis in idem . Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de souligner que si le cumul de sanctions administratives et pénales n'est pas, en lui-même, contraire au principe non bis in idem , il ne doit pas aboutir à infliger une peine globale supérieure au maximum prévu par la loi pénale 16 ( * ) .

Si le contrat n'est pas rompu, l'entreprise devra apporter à la personne morale de droit public la preuve qu'elle a mis fin à la situation délictuelle et qu'elle s'est acquittée des sommes dues au titre des 1° et 3° de l'article L. 8222-3 du code du travail.

Une nouvelle erreur de référence a ici été commise, puisque cet article du code du travail ne comporte qu'un seul alinéa. C'est en réalité l'article L. 8222-2 qui est visé : le 1° mentionne les impôts, taxes et cotisations dues au Trésor public ou aux organismes de protection sociale ; le 3° les rémunérations, indemnités et charges dues en raison de l'emploi irrégulier de salariés. A contrario , l'entreprise n'aurait pas à apporter la preuve qu'elle a remboursé les aides publiques dont elle a pu bénéficier, celles-ci étant mentionnées au 2°.

II - La position de votre commission

Votre commission est favorable à ce qu'une lutte déterminée soit menée contre le travail dissimulé mais ne peut manquer de s'interroger sur le dispositif proposé.

D'abord, il n'est pas certain qu'il contribue vraiment à la simplification des procédures. Au motif d'éviter la remise d'une attestation sur l'honneur tous les six mois, formalité qui pourrait d'ailleurs être allégée par un simple décret, il conduit à mettre en place un mécanisme de sanction de l'infraction de travail dissimulé à la charge des personnes morales de droit public, qui doublonne la saisine du tribunal correctionnel par les services de contrôle.

Il est vrai cependant que l'application de ces pénalités interviendrait sans soute plus rapidement que la décision de justice et exercerait donc un effet dissuasif sur les entreprises en infraction.

Votre commission juge néanmoins regrettable la confusion entretenue par le texte entre la notion d'engagement contractuel et l'obligation, qui s'impose à tous, de respecter la loi. Cela n'a pas grand sens de s'engager, par contrat, à ne pas enfreindre la loi. Un tel engagement est surabondant et risque d'affaiblir l'autorité de la loi. Votre commission propose donc une nouvelle rédaction pour l'article L. 8222-5-1, afin de faire disparaître cette confusion surprenante dans un texte qui vise à améliorer la qualité du droit.

Votre commission suggère également de modifier le dispositif proposé pour l'article L. 8222-6. Actuellement, le code du travail prévoit que le contrat peut être rompu si l'entreprise en infraction ne régularise pas rapidement sa situation. Avec la nouvelle rédaction proposée, la personne morale de droit public pourrait infliger des pénalités ou rompre le contrat immédiatement. Il est sans doute plus efficace de conserver la logique actuelle de sanctions graduelles : d'abord, la personne morale de droit public enjoint l'entreprise de régulariser sa situation et de s'acquitter des sommes qui sont à sa charge ; à défaut, elle conserve la possibilité de sanctionner l'entreprise en appliquant les pénalités ou en rompant le contrat.

Votre commission demande à la commission saisie au fond d'adopter cet article ainsi amendé.


* 14 Il y a solidarité lorsque plusieurs personnes sont débitrices de la totalité d'une même dette.

* 15 Cf. rapport sur la qualité et la simplification du droit, remis par Jean-Luc Warsmann, député, à François Fillon, Premier ministre, en décembre 2008 (pp. 187-188).

* 16 Cf. la décision n° 89-260 DC, 28 juillet 1989, considérant n° 22.

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