II. MULTIPLICATION DES CRISES EN AGRICULTURE ET EN VITICULTURE : LA NÉCESSITÉ DE SOUTENIR LES ACTEURS DE LA FILIÈRE ET DE DISPOSER D'UNE VISION STRATÉGIQUE
A. LA RÉCURRENCE DES CRISES SOULIGNE UNE NOUVELLE FOIS LA NÉCESSITÉ D'ANTICIPER, MAIS AUSSI DE METTRE EFFICACEMENT EN oeUVRE LES MESURES ISSUES DE LA LOI D'ORIENTATION AGRICOLE
a) Un pilotage des dépenses toujours aussi difficile du fait de la récurrence des crises
La note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes souligne que, malgré « une exécution conforme au prévisionnel pour la première fois depuis 2020 », les dépenses de crises « dépassent toujours la budgétisation de la LFI ». Ainsi, si le P149 avait prévu 282 M€ de CP de gestion de crise, l'exécution effective, en incluant les rétablissements de crédits, s'élève à 587 M€. Cela pose la question du pilotage des politiques et des moyens du ministère, qui se reflète notamment dans la très faible exécution des crédits dédiés à la planification écologique. La Cour note qu'« ainsi, comme les années précédentes, les dépenses de crises ont demandé d'importants redéploiements de crédits et ont heurté, tout au long de l'exercice, la mise en oeuvre des politiques publiques initialement programmées ».
b) Des crises justifiant l'accroissement de certains dispositifs et de certains crédits
Les rapporteurs ne peuvent que constater, aux côtés de la filière, une considérable accélération des crises depuis deux ans maintenant, notamment en élevage (cf infra), en viticulture et en grandes cultures. De natures différentes, elles produisent bien le même effet à savoir une déstabilisation économique profonde des exploitations, un affaiblissement de la puissance agroalimentaire française, et un découragement d'une profession qui ne se sent pas toujours comprise par l'opinion publique, à l'heure même où chacun convient que la problématique du renouvellement des générations se pose avec acuité, voire urgence.
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Les grandes cultures font face à des difficultés croissantes depuis trois ans maintenant. Après une production de blé 2024 la plus faible depuis 40 ans et une baisse des prix de près de 50% depuis 2022, la situation en 2025 devient intenable, d'autant que les coûts de production demeurent élevés, si bien que certaines exploitations dégagent un revenu négatif depuis trois ans, faisant peser un risque sur un nouveau fleuron de l'agriculture française. Indicateur de revenu - OTEX 15 (céréales et oléo-protéagineux) Source : Intercéréales, données SSP-RICA |
Le rapport d'information du 29 octobre 2025 relatif à l'avenir de la filière viticole, des sénateurs Daniel Laurent, Henri Cabanel et Sébastien Pla, souligne la triple crise dans laquelle le secteur est plongé : - une crise structurelle liée à l'effondrement de la consommation, passée de 135 litres en 1960 à 41 en 2023, conséquence d'un changement de statut du vin et d'un profond renouvellement des goûts du consommateur ; - une crise conjoncturelle des relations internationales avec la contraction des marchés américains et chinois, affectant durement le Bordelais et le Cognaçais ; - une crise climatique, affectant tout particulièrement les vignobles méridionaux, avec des successions sur quatre voire cinq années d'aléas climatiques décimant la production. Comme pour la filière céréalière, les crédits budgétaires pour 2026 doivent prendre en compte cette situation critique de la filière. |
Dans ce contexte, il n'est malheureusement pas surprenant de constater que la balance commerciale française agroalimentaire en septembre 2025 est déficitaire de 123 M€,. La presse spécialisée se fait même l'écho d'un déficit qui pourrait atteindre 353 M€ sur l'année 2025. Deux rapports du Sénat de 2019 et de 2022 alertaient déjà sur cette tendance de fond.
En conséquence, les rapporteurs soutiennent que les crédits de l'aide à la restructuration des exploitations agricoles (Area) dans un tel contexte, ne sauraient passer de plus de 5 M€ à 1,3 M€, tel que le projet annuel de performances (PAP) 2026 le prévoit. Ils proposent donc de maintenir les crédits de cette sous-action à un niveau proche de celui de 2025.
Amendement 1 : Augmenter de 4 M€ l'Area (action 22 du programme 149) pour la maintenir à un niveau proche de 2025.
Dans une logique similaire, le fonds d'allègement des charges (FAC) de l'action 22, qui s'élevait à 1,7 M€ en 2025, semble, à la lecture de la documentation budgétaire, s'éteindre. Or, la mise en place d'un fonds d'allègement de charges est une demande centrale des exploitants de grandes cultures et des viticulteurs. Si les rapporteurs sont conscients que les montants sollicités par ces filières sont trop élevés au regard des contraintes budgétaires actuelles, ils proposent tout de même la (re)création d'un fonds doté de 25 M€ en faveur des agriculteurs et des viticulteurs, qui viendrait utilement compléter l'intervention du fonds national d'action sanitaire et sociale (FNASS) de la Mutualité sociale agricole (MSA).
Amendement 2 : (Re)créer une sous-action « Fonds d'allègement des charges » dotée de 25 M€ pour prendre en charge une partie des cotisations sociales des exploitations les plus en difficulté.
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Maintenir le soutien modeste aux Cuma Le PAP 2026 prévoit une baisse de l'aide à la modernisation des coopératives d'utilisation de matériel agricole (Cuma), alors même qu'elles permettent utilement de mutualiser des moyens coûteux et d'éviter la surmécanisation. Les rapporteurs proposent ainsi de maintenir les crédits à leur niveau de 2025 soit 1,5 M€ plutôt que 1 M€. |
Dans ce contexte difficile, les rapporteurs soutiennent, comme l'année précédente, l'élargissement de la DEP aux aléas économiques. Dans une logique de sérieux budgétaire et d'incitation à l'assurance, ils proposeront, à titre personnel, un amendement en première partie procédant à cet élargissement, au seul bénéfice des agriculteurs assurés. Ils soutiennent en outre l'augmentation de son plafond pluriannuel, considérant que cet outil fondamental de lissage du revenu agricole et d'anticipation des aléas à l'échelle de l'exploitation doit s'adapter à l'évolution de la taille des exploitations ainsi qu'à l'accroissement de la fréquence et de l'intensité des aléas.
Recommandation 1 : Poursuivre l'indispensable consolidation de la DEP notamment par le relèvement de son plafond pluriannuel et par l'élargissement, sous condition, de son bénéfice au titre des aléas économiques.
En outre, les rapporteurs souhaitent soutenir, dans le cadre du débat budgétaire, la recommandation n°3 du rapport susmentionné relatif à la viticulture à savoir « Sanctuariser, dans le cadre du débat sur les agences, l'existence de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) et respecter les engagements de l'État en matière d'augmentation conjointe de la contribution des professionnelles et de l'État à la hausse du budget de l'établissement. ». En effet, en période de crise de la viticulture, il serait difficilement compréhensible d'affaiblir un établissement public efficace et dont l'utilité est connue et reconnue par la profession.
Recommandation 2 : Augmenter le budget de l'Inao et permettre l'augmentation de la contribution des professionnels au financement de l'établissement.
Enfin, dans une période de crises si profondes de l'agriculture française, les rapporteurs Laurent Duplomb et Franck Menonville ne peuvent qu'être stupéfaits, aux côtés de la filière et de nombreux députés (32 amendements identiques de suppression), de la disposition figurant à l'article 5 du PLF, visant à augmenter de façon considérable la fiscalité applicable aux biocarburants d'origine agricole (E85 et B100). Cette mesure, proposée sans concertation préalable, reviendrait à surtransposer une directive européenne non encore finalisée (directive sur la taxation de l'énergie), et qui envisage, à horizon 2043, une hausse de la fiscalité des biocarburants à un niveau inférieur à la hausse proposée dans le PLF. À l'heure où les exploitations agricoles sont mises en danger de toutes parts dans leur rentabilité, les filières estiment que le revenu d'environ 120 000 agriculteurs serait ainsi menacé.
Recommandation 3 : Supprimer les dispositions relatives à la hausse de la fiscalité applicable aux biocarburants d'origine agricole.
c) La nécessité de mettre en oeuvre les dispositions de la loi d'orientation agricole (LOA)
La multiplication des crises et l'indispensable gestion de l'urgence ne doivent pas masquer l'un des enjeux clefs de l'avenir de l'agriculture, à savoir le renouvellement des générations, et, par suite, les questions d'installation et de transmission. À l'initiative des rapporteurs de la LOA du Sénat, l'article L. 1 du CRPM place cette priorité en tête des cinq priorités de la politique agricole française.
Toujours à l'initiative des rapporteurs du Sénat, Laurent Duplomb et Franck Menonville, le principe de la mise en place, dès 2026, d'une aide au passage de relai a été acté à l'article 21 de la LOA. Force est de constater que cette aide ne verra pas le jour en PLF 2026 puisqu'un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) doit être remis en janvier 2026 au ministère. Il s'agit d'un outil utile à mettre en oeuvre sans tarder, comme le rappelle le récent rapport du Sénat sur la viticulture.
Les rapporteurs souhaitent en outre évoquer l'inquiétude des chambres d'agriculture quant au financement du réseau France services agriculture (FSA), dont les premières expérimentations doivent être conduites en 2026, pour une généralisation en 2027. Les chambres se sont en effet vu confier la mise en oeuvre du niveau 1 de FSA (service d'accueil et d'orientation), et devraient assurer une grande partie du niveau 2 (service de conseil et d'accompagnement), ce qui constitue un coût supplémentaire. Aussi, le Gouvernement s'était engagé à porter à 20 M€ les crédits du programme d'aide à l'installation et la transmission en agriculture (Aita), promesse non tenue puisque ceux-ci devraient s'établir en 2026 à 13 M€. La mise en place de FSA étant prévue pour 2027, les rapporteurs souhaitent, à ce stade, laisser les discussions se poursuivre entre les chambres d'agriculture et l'État.
Dans une logique d'accompagnement et de vision à long terme, les rapporteurs s'étonnent aussi que les diagnostics modulaires des exploitations agricoles, prévus par l'article 22 de la LOA, ne semblent également pas voir le jour, alors même que la multiplication des aléas de toute nature plaide pour la mise en place sans délai de tels outils, destinés à « renforcer la viabilité économique, environnementale et sociale et le caractère vivable des projets d'installation et de cession d'exploitations agricoles ».
Recommandation 4 : Finaliser en 2026 le cadrage de l'aide au passage de relai pour une mise en oeuvre en 2027 et définir rapidement les contours du diagnostic modulaire.
Recommandation 5 : Soutenir les chambres d'agriculture, notamment en PLF 2027, dans l'accompagnement financier à la mise en oeuvre de FSA.
